L’invitation (Claude Goretta, 1973)

Après le décès de sa mère, un employé de bureau invite ses collègues à une réception dans sa somptueuse demeure.

Caractérisant ses personnages avec finesse et précision, ce récit vaguement satirique manque cependant de tendresse, d’invention et de profondeur. Finalement peu substantiel, il eût aussi gagné à davantage de concision. L’interprétation, quoiqu’assurée par des acteurs excellents tel Jean-Luc Bideau, est un brin mécanique. Elle accentue le côté malaisant d’un film où les plaisirs de la chère et de la chair semblent vus sous un prisme puritain, malgré le cadre renoirien et les pointes libertaires bien dans l’air du temps. D’où l’impression, même si ça se laisse suivre, d’un film quelque peu laborieux, loin du « miracle » décrit par un Jacques Lourcelles.

That’ll be the day (Claude Whatham, 1973)

En Angleterre à la fin des années 50, un jeune homme fou de rock abandonne ses études et quitte sa mère.

Le contraire d’American graffiti, sorti la même année. Aucune nostalgie ici mais le portrait, bien dans la manière « kitchen sink » du cinéma anglais, d’un désaxé dans un environnement glauque. Ringo Starr, Billy Fury et Keith Moon apparaissent dans des seconds rôles mais sans capitaliser sur leur image de star. On entend une ribambelle de tubes du rock primitif mais ceux-ci ne visent guère à propulser les images ou à euphoriser le spectateur; aucun n’est d’ailleurs entendu en entier, à part l’éponyme pendant le générique de fin. Les scènes où le personnage se promène à la fête foraine saisissent une certaine vérité de l’amateur de rock, son inaptitude à la vie, avec une distante crudité dont feraient bien de s’inspirer les auteurs complaisants comme Nick Hornby (qui a sûrement vu ce « film-culte »).

Le héros est fondamentalement antipathique mais une connexion est établie avec le spectateur via son trauma d’enfance dont le surgissement pourrait paraître conventionnel sur le papier mais dont la traduction à l’écran, vive et sèche, a une certaine force émotionnelle et boucle logiquement avec sa passion pour le rock. Cependant, en ne montrant que du glauque ou du minable, Claude Whatham ne rend nullement sensible l’excitation produite par la musique sur son protagoniste, empêche de le comprendre pleinement et, en fait, escamote une dimension de son sujet. Enfin, le découpage est parfois, notamment dans les séquences en intérieur, très aléatoire. A défaut d’une exaltation qu’il ne semble pas rechercher, plus de rigueur formelle aurait peut-être rendu That’ll be the day plus incisif.

Le complot (René Gainville, 1973)

L’OAS organise un complot pour délivrer le général Challe tandis qu’un commissaire, aidé par un barbouze, tente de les contrecarrer.

Bien moins orienté à droite qu’on ne l’a dit, ce film a pour principale qualité sa subtilité: l’empathie pour les « soldats perdus » est sensible mais ce n’en sont pas moins les « méchants » d’un film polyphonique dont le héros -s’il devait y en avoir un- serait le policier républicain et indulgent joué par Michel Bouquet. Même le barbouze qui, dans une optique antigaulliste, serait le méchant, est présenté sans caricature et avec de surprenantes qualités. Ainsi, Le complot déploie un récit aussi prenant qu’ambitieux puisqu’il s’agit quasiment d’un film-dossier sur l’OAS.

Pourtant, les quelques tirades d’ordre un peu général sur le drame des soldats et fonctionnaires déchirés n’altèrent pas la cadence d’une intrigue savamment menée. Rarement l’avancée d’une enquête au cinéma aura été rendue d’une façon aussi concrète, intelligible et captivante. Ces profondes qualités d’écriture sont soutenues par une interprétation aux petits oignons, de Michel Bouquet déjà cité à Jean Rochefort dans un rôle qui préfigure celui qu’il tiendra chez Schoendoerffer (dont les films sur « la fin de l’empire » sont nettement moins bons que celui-ci) en passant par Michel Duchaussoy, Raymond Pellegrin et Dominique Zardi.

Le bémol qui empêche Le complot de passer de la catégorie « bon film » à « vrai grand film », c’est une mise en scène sans plus-value. Le travail de Réné Gainville est honnête mais, parfois, j’aurais aimé que sa caméra se focalise sur un détail qui aurait singularisé son regard, apporté une sensibilité inattendue (par exemple, j’ai trouvé dommage que le policier victime d’un coup du lapin ne soit plus montré après l’évasion de son prisonnier). En l’état, il illustre honnêtement mais sans surprise son impeccable script (qu’il a co-signé).

Le silencieux (Claude Pinoteau, 1973)

Enlevé par le MI5, un physicien français, que les Soviétiques forçaient à travailler pour eux, retrouve la France après seize ans ans mais est pourchassé par le KGB.

Le début est un peu compliqué à suivre mais la suite est bien menée: Claude Pinoteau réussit un film d’action presque continue où Lino Ventura insuffle une profondeur émotionnelle grâce à un jeu d’une économie de moyens exemplaire.

Par le sang des autres (Marc Simenon, 1973)

Un forcené se retranche avec une mère et sa fille dans une maison et exige, en échange de leur libération, qu’on lui amène la plus belle fille du village.

Le film se focalise alors sur les réactions des notables chargés de négocier. L’écriture est théâtrale, peu soucieuse de vraisemblance, mettant en exergue la veulerie des personnages, interprétés par une savoureuse brochette de comédiens (Bernard Blier, Claude Piéplu, Francis Blanche, Charles Vanel…), avec une certaine drôlerie et sans beaucoup de nuances. Le personnage du fou, lui, n’a aucune intérêt et sa relation dans la dernière partie avec la fille du maire est d’un ridicule achevé. Pour rompre la prévisibilité de cette charge jeuniste, on note des ruptures de ton à faire pâlir d’envie les scénaristes de comédie italienne. Bref, ce film du fils de Georges se laisse suivre, présente quelque intérêt, mais déçoit dans sa structure et ses finitions.

Les corps célestes (Gilles Carle, 1973)

A la fin des années 30, un bordel vient s’installer dans une ville minière.

Un des films de Gilles Carle où le mélange de comédie, de récit psychologique et d’entomologie s’avère assez convaincant. Peut-être grâce à la légèreté maintenue du ton et à des comédiens assez amusants (tels Jacques Dufilho et Donald Pilon). De plus, pour une fois, l’histoire est relativement structurée. En revanche, les allusions à l’actualité politique européenne ressortent vraiment du saupoudrage.

Rapt à l’italienne (Dino Risi, 1973)

Parti en week-end avec sa jeune maîtresse, un industriel est pris en otage par des braqueurs d’extrême-gauche en cavale.

Plus qu’une satire amusante mais somme toute superficielle de la société italienne, cet argument est l’occasion d’une réflexion amère sur la virilité contemporaine. Rarement comédie aura été aussi malaisante qu’après la rupture de ton -et de rythme- au moment de l’arrivée du groupuscule dans le château du général retraité. Aussi bien que le comique, Dino Risi manie dans ce film le suspense (préparation de l’assaut au restaurant), la cruauté et l’émotion (la fin), sans sacrifier tous ces registres à la facile dérision. C’est sa grandeur, au-delà de quelques épaississements du trait.

Une maîtresse dans les bras, une femme sur le dos (A Touch of Class, Melvin Frank, 1973)

A Londres, un Américain père de famille séduit une mère divorcée. Les deux ne recherchent que la bagatelle et s’entendent rapidement pour partir en week-end à Malaga.

Resucée anglaise de la comédie américaine des années 30-40, à la limite de l’exercice de style. C’est fait avec un certain talent (brillamment dialogué et bien interprété, surtout par George Segal), souvent drôle mais les ficelles pour relancer l’action deviennent trop visibles après l’arrivée à Malaga. La mise en retrait des personnages de l’épouse et des enfants nuit également à l’équilibre dramatique.

Le shérif ne pardonne pas (The deadly trackers, Barry Shear, 1973)

Lorsque sa femme et son fils sont tués par des bandits, un shérif part à leur poursuite et abandonne ses principes non-violents.

C’est Samuel Fuller qui commença le tournage de ce film, adapté d’une de ses nouvelles (Rialta). Pour diverses raisons, il s’en fit déposséder par la MGM et c’est Barry Shear, son producteur, qui est crédité à la réalisation. Lorsqu’il vit le film, Fuller fut atterré. On le comprend. Le début laissait augurer un beau western tragique mais la désinvolture de la mise en scène et la nullité du scénario, à la fois répétitif et lourdement symbolique, ont vite fait d’anéantir l’intérêt pour les personnages. Parmi les défauts les plus flagrants, la musique, complètement déplacée, fait tendre ce western qui aurait mérité une dure sécheresse dans son traitement vers la parodie.

Charlie et ses deux nénettes (Joël Séria, 1973)

Un camelot embauche deux jeunes filles pour l’aider sur les marchés.

Loin de la truculence gauloise des Galettes de Pont-Aven ou de ce que son titre pouvait laisser augurer, Charlie et ses deux nénettes est un road-movie plein de tendresse. Les relations entre les protagonistes éponymes sont belles car elles déjouent les schémas attendus. Est également déjoué le naturalisme revendicatif induit par le contexte de crise, tout juste suggéré par des dialogues aussi précis qu’allusifs. C’est par la bande que Séria portraiture une France en voie de disparition, celle d’avant les hypermarchés. Malgré une photo et un découpage ne mettant nullement en valeur les paysages dans lesquelles se déploie le récit, c’est donc pas mal du tout.

Le retour d’Afrique (Alain Tanner, 1973)

Un couple de prolétaires suisses prépare son départ en Afrique mais l’ami qui les avait appelés ne donne plus de nouvelles.

Charles mort ou vif et La salamandre étaient illuminés par des acteur(rice)s en état de grâce mais Le retour d’Afrique est une sinistre caricature de film d’auteur vaguement gauchiste qui n’a pas grand-chose d’autre à montrer que le désarroi de ses deux personnages dans un appartement vidé. En noir et blanc, bien sûr. Avec du Bach en fond sonore. Ça accouche finalement d’une morale bateau du genre: « les véritables voyages sont intérieurs ». Bref, un film aussi ardu que stérile.

Soleil vert (Richard Fleischer, 1973)

En 2022, dans un New-York ultra-pollué, un policier enquêtant sur le meurtre d’un notable met à jour une terrible vérité.

Avec les propos terrifiants de justesse du personnage de Edward G.Robinson au début du film, j’ai craint que visionnier ce dernier ne me fasse culpabiliser de mon mode de vie d’occidental et n’entraîne chez moi une prise de conscience me transformant en écolo relou. Heureusement, plus de peur de que de mal: réduisant son récit à une intrigue policière (mal fichue car intégrant mal des concessions à l’image de la star), il s’est avéré tout à fait inoffensif politiquement parlant. Soleil vert fait partie de l’espèce terriblement ennuyeuse des films se réduisant à une idée. Et comme cette idée est plus connue que le film lui-même, regarder le film ne présente à peu près aucun intérêt.

Adieu mon salaud (The friends of Eddie Coyle, Peter Yates, 1973)

A Boston, un truand quinquagénaire impliqué dans un trafic d’armes veut éviter de retourner en prison…

Beau polar crépusculaire où la jolie lumière automnale s’accorde aux traits fatigués du héros magnifiquement interprété par Robert Mitchum. Son réalisme de détail (émouvante justesse de l’ancrage familial) compense le manque de souffle de la mise en scène qui peine à réaliser l’unité d’un récit foisonnant.

Turkish délices (Paul Verhoeven, 1973)

Un jeune sculpteur et une fille de bonne famille tombent amoureux.

La complaisance dans la laideur est franchement répugnante. Le systématisme de cette laideur nuit aux prétentions « réalistes » de Verhoeven. C’est juste de la provocation puérile. Le vitalisme de son héros lui permet toutefois de sortir de sa gangue caricaturale; les seconds rôles, eux, sont irrécupérables.

Les granges brûlées (Jean Chapot, 1973)

Un juge d’instruction de Besançon enquête dans une ferme reculée du Jura près de laquelle s’est déroulée un meurtre.

Intrigue policière ficelée à la va-comme-je-te-pousse, raideur des stéréotypes, clichés sur les bonnes vieilles valeurs de la terre qui ne ment pas, absence d’épaisseur des personnages secondaires, prestation caricaturale de Signoret, découpage dénué de point de vue (et pour cause!)…c’est complètement raté.