La main à couper (Etienne Périer, 1974)

Rejoignant son jeune amant, une mère de famille bourgeoise le découvre assassiné.

L’univers, les situations, les personnages et la présence de Michel Bouquet évoquent le cinéma de Claude Chabrol mais le traitement est plus focalisé sur la résolution de l’intrigue que sur la critique sociale. En résulte un polar plaisant, où le trio exceptionnel Bouquet/Serrault/Blier fait de l’ombre à Léa Massari qui incarne pourtant le protagoniste principal.

France société anonyme (Alain Corneau, 1974)

Cédant à un lobby américain, l’état français légalise la drogue; ce à quoi s’oppose un gros trafiquant.

Ce premier film d’Alain Corneau fut un échec fort compréhensible tant il est raté. Les gags de la comédie noire tombent à plat et le thriller d’anticipation n’a aucune intensité. On dirait un pastiche du Godard littéral et grotesque de Week-end.

Les seins de glace (Georges Lautner, 1974)

Sur la côte d’Azur, un écrivain pour la radio est séduit par une femme mystérieuse chapeautée par un avocat qui lui apprend qu’elle est une meurtrière.

Un problème: avec sa face simiesque, non mise en valeur par le maquillage, Mireille Darc n’est pas crédible en femme fatale, en tueuse à laquelle s’accrochent plusieurs hommes parfaitement renseignés sur sa dangerosité. Pourtant, le film est une étonnante réussite du film noir à la Française. C’est que si les scènes entre Claude Brasseur et Mireille Darc sombrent parfois dans une certaine trivialité, celles avec Alain Delon insufflent un romantisme sombre et douloureux mais d’autant plus beau qu’il reste latent jusqu’à la sublime explosion de mélancolie du dénouement. A noter que la star, si souvent brocardée pour son narcissisme, n’apparaît que près d’une demi-heure après le début du film et que son personnage est presque secondaire par rapport à celui de Claude Brasseur. Il y a cependant dans ses scènes avec Mireille Darc des gestes d’une tendresse poignante et vraie qui, avec le concours de la musique de Philippe Sarde, transfigurent le simple polar que Les seins de glace aurait pu être mais qu’il n’est de toute façon pas, de par l’audace discrète de son écriture: changement de personnage principal en cours de route, sentimentalité des héros…Le découpage de Georges Lautner, en dehors de quelques zooms malencontreux, est à la hauteur de cet ambitieux récit: sans beaucoup de données dramatiques, à partir d’un décor par exemple, le réalisateur sait engendrer la tension.

Borsalino & Co (Jacques Deray, 1974)

Après Borsalino, Roch Siffredi cherche à venger son ami François Capella.

Supérieur au premier volet car la dérision belmondoesque ne mine pas la dramaturgie. Si le roi de la pègre joué par Delon n’est jamais montré entrain de faire le mal sans « justification », sa froide dureté a quelque de terrifiant: le méchant brûlé vif dans la locomotive repousse les bornes de la violence communément admise dans le cinéma français de l’époque. Borsalino & Co est un sombre film de vengeance, assez conventionnel dans son déroulement mais nourri par l’intensité tragique d’Alain Delon et impeccablement mis en scène, sans dialogue ni plan inutile mais avec un vrai faste visuel et sonore (Claude Bolling a signé une musique bien adaptée à la nouvelle tonalité de cette suite même si la ritournelle du premier épisode est malheureusement réutilisée à certains endroits) et une belle intelligence de la reconstitution historique (la manif de la CGT dans un arrière-plan). Il est émaillé de fusillades tout à fait dignes des meilleurs polars américains d’alors. En revanche, les auteurs auraient pu et dû se dispenser de diaboliser l’ennemi du héros en en faisant un militant fasciste: Carbone et Spirito, qui ont inspiré Siffredi et Capella, n’obéissaient qu’à leur intérêt et n’ont pas hésité à fricoter avec le PPF ni à travailler pour la Carlingue.

La loi et la pagaille (Ivan Passer, 1974)

A New-York, des commerçants excédés par l’insécurité intègrent une équipe supplétive de la police.

L’épaisseur du trait dans les scènes comiques altère parfois l’harmonie du mélange des registres mais le regard de Ivan Passer sur ses personnages petits-bourgeois, entre empathie et satire, est par ailleurs plein de justesse. Beau film, qui aurait pu être encore mieux.

Pas si méchant que ça (Claude Goretta, 1974)

Son père victime d’une attaque, le fils d’un patron d’une petite entreprise de menuiserie se rend compte de l’état catastrophique des comptes et commence à braquer des banques…

Un joli film, plein de tendresse, parfois émouvant et illuminé par Depardieu à l’époque où il avait la grâce. Cependant, le sujet, riche de potentiel dramatique et politique, aurait nécessité plus de vigueur dans son traitement et de précision dans sa dramaturgie pour aller au-delà de la joliesse.

Romances et confidences (Mario Monicelli, 1974)

Un délégué syndical quinquagénaire épouse une superbe jeune fille mais commence à être rongé par la jalousie lorsque celle-ci rencontre un jeune policier venu se plaindre d’avoir été blessé lors d’une manif.

Sur le thème assez classique dans la comédie italienne de l’homme mûr amoureux d’une jouvencelle, Mario Monicelli a réalisé un de ses meilleurs films. C’est dû à la complexité du comportement de l’homme, tentant de refréner ses instincts jaloux au nom de la haute idée qu’il se fait de la civilisation et du progrès. Il tente de vivre sincèrement ses valeurs, ce qui donne lieu à des scènes particulièrement poignantes par leur noblesse. La relation entre les époux est également d’une belle richesse, déjouant à plusieurs endroits, tel le lit, les schémas attendus. Grâce aux détails qui singularisent leur relation et évidemment à l’immense qualité de leur interprétation, le couple formé par Ugo Tognazzi et Ornella Mutti fonctionne vraiment. Un des autres atouts du film est sa savante construction en flashbacks mâtinés de différentes voix-off. Loin de compliquer inutilement la narration, cela justifie pleinement le second terme du titre français. Le ton de l’oeuvre y gagne en intimisme et en humour puisque les commentaires du personnage principal ne sont pas exempts d’auto-dérision. Bref, malgré une photographie ingrate et un coup de mou aux deux tiers du film suivi par une relance quelque peu artificielle de son intrigue, Romanzo populare est une belle réussite, plus émouvante que drôle et clairement supérieure à Drame de la jalousie.

 

White dawn (Philip Kaufman, 1974)

A la fin du XIXème siècle, trois pêcheurs échoués sur la banquise sont recueillis par des Inuits.

L’intérêt provient des scènes pseudo-documentaires sur un peuple rarement vu au cinéma, nombreuses et variées, plutôt que de l’intrigue, assez faible. Parfois, les deux aspects s’interpénètrent, comme dans l’initiation à la pêche au phoque ou lors du panoramique montrant le piteux retour des occidentaux en même temps qu’il nous fait découvrir le camp dans sa globalité. Ce sont les meilleurs moments du film.

Pain et chocolat (Franco Brusati, 1974)

En Suisse, les déboires d’un travailleur italien, éloigné de sa famille pour lui offrir une vie meilleure.

Parce qu’il est présenté avec beaucoup de finesse et de sensibilité, le contexte original, pour une comédie italienne, du travail immigré, contribue grandement à l’excellence d’une première partie originale et touchante. Cependant, le récit se délite ensuite et le rythme de plusieurs séquences manque de nerf. Nino Manfredi, excellent, et le découpage parfois inventif (le travelling sur l’abattoir!) assurent quand même un certain liant.

Je, tu, il, elle (Chantal Akerman, 1974)

Une jeune femme s’enferme dans une chambre où elle noircit plein de papier, va faire du stop, suce un camionneur qui lui raconte sa vie puis retrouve une amie avec qui elle fait l’amour.

Si un film comme Gentleman Jim est une parfaite expression de la jeunesse et de la vitalité de l’Occident, un film comme Je, tu, il, elle est un emblème non moins parfait de son avachissement le plus sinistre.

Le mouton enragé (Michel Deville, 1974)

Sur les conseils d’un ami écrivain, un fade employé de banque gravit l’échelle sociale en séduisant de belles femmes.

L’artifice très alambiqué du postulat et l’absence de crédibilité de ses développements rendent tout ça assez vain (ainsi la dimension « satirique » évoquée par certains commentateurs est nulle) malgré l’évidente et parfois grisante virtuosité du réalisateur dont la fantaisie apparaît ici moins plaquée que dans Le paltoquet ou L’ours et la poupée.

 

Les pirates du métro (The taking of Pelham 123, Joseph Sargent, 1974)

La phrase d’accroche de l’affiche est un parfait résumé du film.

Un divertissement sympatoche mais pas plus: les réactions de la police et de la mairie new-yorkaises sont ici tellement stupides qu’elles empêchent la prise au sérieux du récit (dont le ton est pourtant très sérieux à part deux ou trois blagues racistes au début).

Je ne pleurerai pas (Im Kwon-taek, 1974)

Après avoir trouvé un sac de grenades, un enfant dont les parents ont été massacrés par les communistes se met à résister à l’oppresseur avec ses petits camarades.

Basé sur un fait mythique de la guerre de Corée, Je ne pleurerai pas est un film qui intrigue le spectateur occidental. En effet, les péripéties enfantines façon « Goonies » vont de pair avec une grande cruauté dans la représentation de la violence. Im Kwon-taek n’y va pas par quatre chemin pour montrer l’horreur communiste et il a bien raison. Son découpage, en Cinémascope, est d’un parfait classicisme. Tout juste, le plan du suicidé paraît-il un peu surlignant. A vouloir suivre chacun des protagonistes confrontés à l’envahisseur, la narration se disperse un peu et aurait certes gagnée à être plus resserrée. Quitte à le doubler et à le raccourcir, il serait sain que Patrick Brion diffuse ce beau film pendant la trêve des confiseurs l’après-midi sur France 3. Cela pourrait éclairer les jeunes esprits d’un pays où, à chaque élection présidentielle, trois ou quatre candidats communistes et affidés osent encore se présenter 25 ans après la chute de l’URSS.

Le pélican (Gérard Blain,1974)

Après un séjour en prison, un homme est empêché de voir son fils par sa mère et son nouveau mari, richissime.

Le pélican est un beau mélodrame viril. Derrière une carapace bressionnienne, la sensibilité de l’auteur y brûle. Combien de cinéastes se sont filmés entrain de pleurer en gros plan sans que leur dignité n’en souffre? Je vois Clint Eastwood vingt ans plus tard et c’est tout. Ceci dit, le scénario aurait pu être mieux travaillé. En effet, les scènes où le héros espionne la nouvelle famille de son fils redondent entre elles, surlignent le propos et altèrent le rythme du récit.

Le flambeur (Karel Reisz, 1974)

Les dettes de jeu d’un professeur de littérature le mènent à côtoyer une faune interlope…

Sur le thème du joueur possédé par son vice, Karel Reisz et James Toback, au scénario, ont peut-être signé le meilleur film qui soit. L’appréhension behaviouriste plus que psychologisante du joueur déjoue les clichés habituellement attachés à ce genre de personnage. La citation de Dostoïevski lors du cours de littérature ne saurait induire en erreur: The gambler n’a que peu à voir avec le roman du génial explorateur des tréfonds de l’inconscient humain. Une grande importance est ainsi donnée aux rapports du joueur avec ses élèves, sa famille, sa mère. Sans mélo mais avec une belle finesse, de façon quasi-impressionniste, Reisz montre toutes les répercussions morales et affectives de son obsession. Voir ainsi la manière dont il demande de l’argent à sa mère, manière qui met en relief toute la pudeur et l’amour de leur relation. Le tact et la précision de la mise en scène de Reisz sont telles qu’il arrive à faire ressentir le malheur, purement moral, de l’issue d’un match truqué ayant permis à son héros de se refaire. C’est très fort. Il est en cela bien aidé par la musique de Jerry Fielding et, surtout, par l’interprétation de James Caan, prodigieuse de sensibilité.

La race des seigneurs (Pierre Granier-Deferre, 1974)

Sur le point d’accepter un ministère, un chef ambitieux de l’opposition hésite à sacrifier sa liaison avec une danseuse…

La précision du contexte familial et politique renforcée par la qualité des seconds rôles, le montage serré et l’incandescence tragique d’Alain Delon, mieux sapé que jamais, insufflent une intensité inattendue à un drame construit de façon quelque peu artificielle (flash-backs et schématique contrepoint).

La gifle (Claude Pinoteau, 1974)

Une étudiante de 19 ans se fâche avec son père divorcé…

A travers le portrait de cette famille petite-bourgeoise décomposée plus que recomposée, Jean-Loup Dabadie et Claude Pinoteau auscultent l’évolution des moeurs post-68 avec tendresse, précision et sans a priori idéologique. Le caractère tragique car insoluble des relations familiales qui se cache derrière la « libération sexuelle » n’est pas escamoté par la plaisante légèreté du ton. Riant, pleurant, s’énervant, Isabelle Adjani démontre son talent précoce mais c’est Lino Ventura qui emporte le morceau avec l’universelle justesse de son incarnation du père dépassé par sa progéniture féminine. Je l’ai rarement vu aussi émouvant. Francis Perrin apporte une touche comique très efficace. Bref, La gifle est une très jolie comédie, où l’acuité de la vision sociologique va de pair avec l’appréhension pleine et entière des personnages en tant qu’individus.