Deux (Claude Zidi, 1989)

Un imprésario cavaleur s’éprend de l’agente immobilière qui lui vend sa maison.

Claude Zidi réussit son « film sérieux » grâce à la maturité de l’écriture et au charisme des comédiens, qui n’empêche pas une certaine dose d’humour pas toujours très fin. Le plus fascinant aujourd’hui est que Deux apparaît presque comme un documentaire sur Depardieu, ogre jouisseur qui baisse sa garde par amour.

Le syndicat du crime 3 (Tsui Hark, 1989)

En 1975, deux cousins qui veulent fuir Saïgon pour Hong-Kong s’allient à une belle et mystérieuse trafiquante.

Rien à voir avec les deux précédents opus qui étaient signés John Woo. Ici, le sens de l’Histoire et la présence du féminin permettent de concrétiser l’ambition lyrique. Là où, indifférent à tout contexte, Woo engluait ses personnages dans un sentimentalisme outrancier sans même assumer l’homosexualité sous-jacente, la hauteur de vue de Tsui Hark est tangible dans le plan, bref et poignant, où les héros se rendent compte que l’hôpital où ils ont emmené leur amie agonisante est déjà rempli d’enfants blessés. L’éducation sentimentale frottée à la tragédie historique -tragédie restituée avec un sens de l’urgence à l’opposé de tout académisme- engendre un romanesque à la David Lean.

L’excellent trio d’acteurs, au milieu duquel rayonne une Anita Mui sublimée, permet au côté Jules et Jim de l’histoire de très bien fonctionner. Les fusillades, plus gracieuses car moins sanguinolentes et plus dansantes que chez John Woo, alternent avec des instants de pur bonheur. C’est un des privilèges du cinéma de Hong-Kong de ces années-là que d’avoir pu ranimer des archétypes et des sentiments simples grâce au contexte de la fin de la guerre du Viêt-Nâm et des exils afférents, permettant de réactiver les grands récits épiques à base de terres promises et de rêves de nouveaux départs avec la candeur des premières fois. Même la musique synthétique, sans être géniale, est nettement plus variée et touchante que celle, très agaçante, du précédent épisode.

Le bancal de certaines articulations de scénario visant à maintenir une opposition dramatique tout le long du récit n’empêche pas Tsui Hark d’emporter le morceau avec une fin déchirante où l’émotion se passe de mots. Magnifique découverte.

 

Peaux de vaches (Patricia Mazuy, 1989)

Après 15 ans de prison pour avoir brûlé la ferme familiale, un homme revient au pays…

Dans ce premier long-métrage réalisé par Patricia Mazuy, on décèle déjà son ambition d’inscrire un sujet mythologique dans un cadre naturaliste. Il y a une beauté noble et grave dans les rapports entre les deux frères. Toutefois, le récit eût gagné à être plus approfondi (ou le film à être raccourci). C’est par des effets de manche grossiers que la cinéaste tente de compenser cette faiblesse de l’écriture. Pour surligner le côté « primitif et sauvage », elle filme complaisamment ses personnages se rouler dans la boue, ce qui d’ailleurs exprime une vision assez basse de nos agriculteurs. Régulièrement, elle tente d’ajouter de la tension et du mystère avec des scènes de jeu absurde comme celle où le frère s’amuse à mettre la gamine dans le four mais ces bizarreries ne débouchent sur rien et apparaissent donc artificielles. Peaux de vaches est également un des plus dignes représentants d’une tendance majeure du cinéma d’auteur français contemporain: la tendance inaudible. Comme si s’exprimer par borborygmes et marmonnements était une condition sine qua non à la paysan’s credibility…En bouseux tourmenté par le remord, Jacques Spiesser en fait parfois trop mais Jean-François Stévenin et Sandrine Bonnaire sont bien.

Great balls of fire! (Jim McBride, 1989)

Grâce à ses disques et concerts endiablés, le Killer est à deux doigts de détrôner le King mais son mariage avec sa cousine de 13 ans provoque un scandale…

L’interprétation outrancière de Dennis Quaid désarçonne avant de s’avérer au diapason d’une oeuvre joyeuse et colorée où Jim McBride reconstitue avec un enthousiasmant talent visuel le sud américain des années 50: ses bouges, ses églises, ses belles bagnoles, ses diners, ses collégiennes et, évidemment, son rock&roll qui est l’accompagnateur parfait de toutes les dépenses d’énergie libidinale (le sexe mais aussi la consommation matérielle tel qu’en témoigne le fabuleux travelling suivant Winona Ryder entrain d’essayer les lits).

Le lien entre prédication évangélique et musique du Diable est rendu évident par la discrète mise en parallèle de l’ascension du Killer avec les prêches de son cousin révérend. Le chromo est vivifié par des passages de pure comédie musicale et par les galvanisantes reconstitutions de concert où le génie de Jerry Lee Lewis, synchronisé en play-back avec un Dennis Quaid survolté, est éclatant (le film est clairement à la gloire de son objet).

Les insoumis (Lino Brocka, 1989)

Aux Philippines, après la fin de la dictature de Marcos, un militant des droits de l’homme récemment marié constate que les exactions continuent.

Après avoir combattu Ferdinand Marcos, Lino Brocka s’est rendu compte que Cory Aquino et son entourage corrompu ne valaient guère mieux que le dictateur renversé. Plus ou moins clandestinement, il a donc réalisé Les insoumis, brûlant témoignage de la violence contre les populations qui continuait à être exercée par des milices paramilitaires plus que tolérées par le gouvernement. Dans la situation chaotique représentée, Brocka ne tire aucune solution partisane mais préfère retracer l’évolution d’un jeune père de famille vers le retour à la lutte armée. Cette évolution, reflet du pessimisme endémique de l’auteur, est provoquée par des affects bouleversés et non par une froide analyse. Ainsi qu’une brutalité à faire passer Samuel Fuller pour Mervyn LeRoy, c’est cette individualisation passionnelle du constat politique qui le rend aussi émouvant et aussi imparable.

Mes meilleurs copains (Jean-Marie Poiré, 1989)

A l’occasion du concert de leur chanteuse devenue une vedette, d’anciens membres d’un groupe de rock se retrouvent dans la maison de campagne de l’un d’eux.

Ce film nostalgique est l’occasion pour Jean-Marie Poiré de romancer sa jeunesse avec les Frenchies et Chrissie Hynde. Les flashbacks gentiment satiriques, propulsés par une voix-off très bien écrite, constituent le meilleur du film. La scène maoïste est particulièrement savoureuse. De Christian Clavier à Jean-Pierre Darroussin, les acteurs sont excellents. Cependant, en terme de mise en scène, l’ample prédominance des gros plans par rapport aux plans d’ensemble interroge. En découpant à la hache, Jean-Marie Poiré échoue à faire ressentir l’intimité des lieux, ce qui est, depuis La règle du jeu, un des grands plaisirs dispensés par les films français se déroulant dans une maison de campagne. Au rayon des bizarreries formelles, on note aussi le dernier mouvement d’appareil dont l’ostentation est contre-productive. C’est dommage car une mise en scène plus rigoureuse et plus attentive au cadre aurait peut-être introduit le naturel qui manque à un scénario s’avérant plutôt convenu et ne faisant jamais sortir les personnages de leur petites cases sociologiques. Mes meilleurs copains est donc un film amusant mais qui n’a pas la profondeur des grands films de potes tel Nous nous sommes tant aimésNous irons tous au Paradis ou Vincent, François, Paul et les autres.

La campagne de Cicéron (Jacques Davila, 1989)

Pseudo-marivaudage entre bobos dans une maison de campagne.

Ce canevas canonique du cinéma français est vidé de toute substance par l’absence de rythme dans la narration, la nullité de la dramaturgie, le décalage sans objet de la direction d’acteurs et les dialogues gratuitement saugrenus. Reconnaissons toutefois une sensibilité de coloriste, aussi vaine qu’éclatante.

Mona et moi (Patrick Grandperret, 1989)

Le jeune manager d’un groupe amateur a l’occasion d’organiser un concert de Johnny Valentine, légende du rock. Seulement l'(-ex) star est intéressée par la copine de notre héros, caissière de son état…

Mona et moi, c’est le rock&roll dans sa vérité la plus nue. C’est le héros déchu qui continue de fasciner une poignée de prolos (Johnny Thunders dans un rôle qui n’a rien d’un rôle de composition). C’est la came et les embrouilles minables qui vont avec. C’est l’incompréhension d’un père envers son fils (Jean-François Stévenin dont le personnage aurait gagné à être plus développé). C’est la difficulté économique et matérielle d’organiser un concert. C’est la faiblesse du fan qui passe à coté des vrais trucs (ici: sa copine) à cause de ses illusions surannées.

La champignon des Carpathes (Jean-Claude Biette, 1989)

Alors que plusieurs accidents de centrale nucléaire viennent de se passer, un jeune homme découvre et exploite un champignon aux mystérieuses vertus curatives.  A côté de ça, une troupe met en scène Hamlet.

Le récit est décousu, la mise en scène désespérément statique, la photo laide, les acteurs (à l’exception de Tonie Marshall)  à côté de la plaque, le ton monocorde, la profondeur de l’ennui absolument insondable.
Apparemment, il vaut mieux lire Jean-Claude Biette (Le papillon de Griffith, La barbe de Kubrick…) que regarder ses films.

Sans espoir de retour (Street of no return, Samuel Fuller, 1989)

Entre apparitions chez des bêtes de festival (Wenders, Gitaï), retour sur ses images tournées au camp de concentration de Falkenau ou encore réalisation d’un polar avec Véronique Jeannot et Victor Lanoux (Les voleurs de la nuit), la fin de carrière de Samuel Fuller fut assez folkorique. L’incertitude quant à l’intérêt du dernier film de l’auteur de Pickup on South Street était donc totale. Il se trouve que c’est une adaptation d’un roman post-apocalyptique de David Goodis coproduite par FR3. Matériau très vulgaire donc. Mais qu’importe puisque c’est dans des séries B que la grandeur de Fuller s’est manifestée. Son style outré peut pousser les conventions les plus éculées, les défauts de scripts les plus flagrants jusqu’à de sublimes paroxysmes. Fuller ne travaille pas contre le matériau, il ne cherche pas à le contourner mais il le prend à bras-le-corps.

Ici, l’histoire est particulièrement abracadabrantesque mais une fois le postulat invraisemblable accepté par le spectateur, ce dernier peut jouir des rebondissements toujours plus ahurissants. Détail essentiel: cette surenchère narrative ne se fait pas au détriment du personnage. On retrouve la même morale individualiste que dans le séminal Pickup on South Street, à savoir que c’est l’amour qui sauve de la pourriture ambiante. Il y a souvent un côté mélo dans les polars de Fuller, une abscence totale de cynisme vis-à-vis des personnages, une foi très pure dans leurs sentiments malgré -ou grâce à, c’est peut-être le secret de Fuller- l’exacerbation caricaturale des codes du genre.

La peinture de l’enfer urbain est encore plus exagérée que dans Les bas-fonds new-yorkais. L’esthétique générale est très ancrée dans l’époque du tournage, les années 80, avec des couleurs criardes  et des chansons sympa de Keith Carradine (l’acteur-chanteur joue une vedette de rock). Narration et découpage se moquent des transitions, on retrouve le style heurté et nerveux de Fuller. La violence est plus explicite que dans les années 50 mais elle reste filmée d’une façon percutante. La mise en scène est parfois approximative  (la poursuite sur le bateau) et elle ne suffit pas à faire de Sans espoir de retour un film aussi beau que les chefs d’oeuvre hollywoodiens du grand Sam mais le film est assez singulier pour mériter le coup d’oeil.

Potins de femmes (Steel magnolias, Herbert Ross, 1989)

C’est marrant ce qui peut nous attirer vers un film…
Je ne connaissais pas le titre français de ce Steel magnolias diffusé à la télé américaine mais une chronique sentimentalo-familiale qui se passe dans le Sud des Etats-Unis, avec plein de chouettes actrices dont Julia Roberts jeune, et une musique de Georges Delerue sont autant d’éléments qui ont concouru a éveiller mon intérêt. Las ! Pour une fois le titre français brille par sa pertinence! Le film est heureusement bien interprété, les actrices sont sympathiques (encore que Dolly Parton soit loin d’être une grande comédienne) mais la mise en scène de cette adaptation d’une pièce de théâtre est pauvre, très pauvre. Loin de moi l’idée de dénigrer le théâtre filmé au nom d’une vague « ambition cinématographique » que chaque film se devrait d’afficher ostensiblement pour gagner ses galons de chef d’oeuvre, mais encore faut-il que la dramaturgie soit à la hauteur. Or ici, les procédés sont trop convenus et leur utilisation trop redondante pour susciter l’adhésion. Le film avance par scènes. Ces scènes débutent par des conversations superficielles, généralement chez la coiffeuse, avant que la vérité d’une des personnages n’éclate, de façon physique souvent. L’écriture « sous- TennesseeWilliamsienne » est donc assez lourde. Enfin, même s’il y a malgré tout quelques jolies séquences grâce à la conviction des actrices (Sally Field surtout), la fin vulgairement lacrymale achève de ranger Steel magnolias dans la catégorie « film du dimanche après-midi pour M6 « . Dommage.