Un traître idéal (Our kind of traitor, Susanna White, 2016)

A Marrakech, le comptable de la mafia russe sympathise avec un professeur anglais et lui demande de l’aider à transmettre une liste de comptes frauduleux au MI6 en échange de l’asile pour lui et sa famille.

L’amitié entre le mafieux et le professeur manque de crédibilité et le film n’est pas exempt de poncifs formels, qui ne sont pas toujours désagréables (plans aériens, amorces de séquences en travellings latéraux, surdécoupage de certaines séquences…) mais quelques touches dénotent une certaine élégance de la mise en scène, au service de l’émotion: le hors-champ lors de la fusillade en Suisse, le point de vue lors de l’explosion de l’hélicoptère. Le récit d’après John Le Carré est bien mené, et les acteurs ont tous une vraie présence à l’écran. Bref, Un traître idéal est ce qu’il est coutume d’appeler, avec une pointe de condescendance, « un bon divertissement ».

Ecarts de conduite (Riding in cars with boys, Penny Marshall, 2000)

Une brillante adolescente voit ses ambitions scolaires contrariées par un jeune homme qui l’a mise enceinte.

Riding in cars with boys commence comme une comédie pour ado puis, sans rompre tout à fait avec l’humour, par la magie de l’écriture romanesque (à la fois source et thème du film), se transforme en drame existentiel comparable aux portraits de femme de Naruse les plus amples (tel L’histoire de la femme). La justesse d’observation, l’implacabilité du constat et la complexité de la caractérisation des personnages vont de pair dans ce film authentiquement féministe parce que sans complaisance avec son héroïne, ce film qui est, entre autre qualités, un parfait antidote à Juno. Plus encore que Drew Barrymore, contrainte de jouer un personnage de l’âge de 15 ans à l’âge de 35 ans, Steve Zahn émeut, en cas social pathétique mais jamais caricatural. Inattendu chef d’oeuvre.

Ce que je sais d’elle…d’un simple regard (Rodrigo Garcia, 2000)

Cinq histoires de femmes à un moment-charnière de leur existence.

Film à sketches dont l’intérêt s’étiole au fur et à mesure de la projection car les ficelles apparaissent malgré la qualité de l’interprétation, la justesse de certaines observations et la finesse de plusieurs dialogues. A tous ces constats façon « Femme actuelle » (magazine estimable), il manque une vision d’auteur qui instaurerait une unité.

Tout pour plaire (Cécile Telerman, 2005)

A Paris, trois amies remettent en question leur vie sentimentale.

L’acuité de l’écriture, qui contient quelques observations cruellement crues, et la justesse de l’interprétation vivifient cette comédie douce-amère. Certains dialogues de Mathilde Seigner sont clairement surécrits mais procurent le même genre de plaisir que les tirades d’une Marguerite Moreno ou d’une Arletty.

L’amour sans préavis (Two weeks notice, Marc Lawrence, 2002)

Afin de sauver un centre social, une avocate gauchiste se met à travailler pour un jeune et beau magnat de l’immobilier.

Comédie romantique cousue de fil blanc, très moyennement interprétée et souvent laidement photographiée (les plans de nuit sont mieux) mais pas complètement nulle: c’est parfois drôle (le passage en plan très large lorsque les dialogues deviennent de plus en saugrenus, raccord qui renforce le comique) et une idée assez neuve ressort finalement: l’infaillibilité est un handicap en amour.

La prochaine fois je viserai le coeur (Cédric Anger, 2014)

Dans l’Oise, un gendarme enquête sur des meurtres de jeunes filles qu’il commet lui-même.

D’après un fait divers de la fin des années 70, c’est un polar prenant et visuellement inspiré. Guillaume Canet interprète le tueur avec beaucoup de finesse, tous les seconds rôles sont bons et la campagne est parfois filmée avec un lyrisme qui emmène le film ailleurs, installant une sorte de contraste entre la splendeur naturelle et les frustrations de l’assassin dans ses rapports avec les autres. Cependant la portée de l’oeuvre est limitée par l’approche behaviouriste du personnage, tout juste étayée par une caractérisation rigoristo-doloriste aussi vague que grossièrement présentée (les gros plans sur des vers pour symboliser la pourriture qui l’obsède). Au-delà de la chronique et de l’atmosphère sinistro-provinciale (fort bien rendue), il y a une légère dimension psychologique et aucune dimension sociale ou métaphysique. L’abyssal paradoxe du « gendarme criminel » n’est guère ressenti que dans quelques notations absurdes, parfois cocasses (le « héros » qui présente son propre portrait-robot). Bref Cédric Anger vise Fritz Lang et atteint Henri Decoin. C’est déjà pas mal.

L’armée du crime (Robert Guédiguian, 2009)

L’histoire des résistants, immigrés et communistes, du groupe Manouchian.

Au début du film, il y a un plan de soldats allemands devant la Tour Eiffel avec, en fond sonore, l’Internationale, puis un journal commence à apparaître en surimpression. Un bref instant, j’ai cru Robert Guédiguian capable d’ironie et de subtilité, pensant qu’il faisait allusion au pacte germano-soviétique et à la demande de reparution de L’Humanité aux autorités allemandes en 1940. Las! C’est en fait l’opération Barbarossa qui est ainsi, hyper conventionnellement, évoquée. L’absence de rigueur dans la chronologie avait pu m’induire en erreur mais pas la mise en scène de Guédiguian qui se borne à une illustration de la légende, ainsi qu’il le revendique lui-même à la fin de son film.

Ce mépris de la vérité historique engendre deux problèmes cinématographiques. D’abord un déficit de justesse dans la reconstitution, notamment dans la façon dont les personnages s’expriment: comme des jeunes -quand ce n’est pas comme des éditorialistes de gauche- d’aujourd’hui. Ensuite, et c’est encore plus fâcheux que ce dernier décalage auquel le spectateur s’adapte finalement, la réduction de la complexité de l’Histoire à une leçon d’éducation civique simplifie éhontément la dramaturgie: l’attentisme communiste avant juin 1941 est escamoté, le débat interne à la Résistance sur l’assassinat de soldats allemands -et les représailles alors engendrées- n’est qu’effleuré (l’objectif politique du PC n’est même pas même dit), le refus de la direction du PC de replier le groupe affaibli n’est pas évoqué…

En résulte une fresque aux effets faciles quoique parfois irrésistibles (la Passion selon Saint-Matthieu pour illustrer le calvaire des résistants), prévisible mais prenante. Ceci essentiellement grâce au remplissage d’une condition nécessaire à la réussite d’une telle épopée: les notations intimistes, qui peuvent sortir le film de ses rails propagandistes (voir l’ambiguïté du personnage malheureusement secondaire de Darroussin) et qui sont ce qu’il y a de plus réussi dans le film, notamment grâce à l’excellence des comédiens; plaisir de revoir Virginie Ledoyen, chargée de fond de teint pour faire croire qu’elle est arménienne mais toujours sublime.

Les particules élémentaires (Oskar Roehler, 2006)

Le difficile itinéraire sentimental et sexuel de deux fils d’une hippie, un professeur de Français et un biologiste génial.

Adaptation allemande du roman de Michel Houellebecq, fatalement moins riche, évidemment moins percutante d’un point de vue stylistique mais également moins pessimiste, ce qui n’est pas un mal vu le changement de medium. Quoique foncièrement inutile et certainement moins mémorable qu’Extension du domaine de la lutte de Philippe Harel, qui était porté par l’interprétation stupéfiante de José Garcia, Les particules élémentaires est un film honorable: il se suit plaisamment car il y reste une trace du génie dramatique, visionnaire et satirique de l’auteur initial.

My Zoé (Julie Delpy, 2019)

Deux parents séparés qui se déchirent sont confrontés à un grave accident de leur fille.

Porté par l’interprétation de Julie Delpy, un drame poignant qui emmène le spectateur vers un territoire inattendu, aux limites du fantastique. Cette bifurcation narrative est profondément justifiée par l’état émotionnel de l’héroïne. L’épilogue est trop expéditif, c’est dommage.

Le petit lieutenant (Xavier Beauvois, 2005)

Un lieutenant frais émoulu de l’école de police intègre un commissariat parisien, sous la responsabilité d’une ancienne alcoolique.

Dans sa façon altière de mêler le mélo intime, l’étude quasi-documentaire du métier de flic et le suspense policier, Le petit lieutenant est une magistrale réussite. Excellence de l’interprétation (c’est un des meilleurs rôles de Nathalie Baye), finesse audacieuse de l’écriture, justesse de la caractérisation de chaque personnage, subtilité chargée de sens de la mise en scène (malgré deux évidentes citations cinéphiliques qui altèrent un peu l’effet de transparence: Le samouraï et Les 400 coups). Une réserve: la méfiance envers l’artifice a parfois l’effet inverse de celui recherché; ainsi faire coïncider la révélation de la mort d’un personnage central avec la sirène du premier mercredi du mois relève du volontarisme (anti-lyrique).

Le chant du loup (Antonin Baudry, 2019)

Contre les visées hégémoniques de la Russie, l’équipage d’un SNLE part pour une mission capitale.

Plus qu’une honorable tentative de « film de genre à la Française », Le chant du loup est une vraie réussite, et d’autant plus exceptionnelle qu’il s’agit de la première réalisation de son auteur. Un beau sens du tragique, qui se base sur les retournements d’un récit ingénieux, va de pair avec un rythme très vif, qui permet de faire passer les quelques invraisemblances. Le didactisme technique, surtout présent dans la première partie, immerge le spectateur dans un milieu professionnel qu’il ne connaît pas sans pour autant le noyer ni altérer la fluidité de la narration. Brillant. Les séquences d’action, assez nombreuses, rivalisent avec Hollywood grâce notamment au généreux concours de la Marine nationale. Mené par une excellente distribution (même Omar Sy s’avère finalement convaincant), ce film où les hommes sont confrontés à l’inhumanité des procédures emporte le morceau malgré quelques scories mineures (l’histoire d’amour de pure convention mais qui prend très peu de place).

Rangoon (John Boorman, 1995)

Une jeune Américaine partie en Birmanie pour faire le deuil de son mari et de son fils assassinés se trouve mêlée à la rébellion contre la dictature militaire.

Le manichéisme politique et la structure narrative superficielle -en gros une succession de poursuites filmées avec une certaine vivacité- apparentent Rangoon à un film américain moyen des années 40; la gravité sentencieuse en plus.

Contact (Robert Zemeckis, 1997)

Une scientifique du programme SETI capte une fréquence provenant de Véga…

Une grande dissertation sur la foi et la science entachée par la roublardise et le manque de courage du scénario. La façon d’instrumentaliser les personnages au service d’une vaste fable truffée d’invraisemblances rappelle certains films de Capra (les plus célèbres mais pas les meilleurs). Voir l’improbable savant joué par John Hurt, qui n’est en définitive qu’un deux ex machina, servant uniquement aux auteurs à faire avancer leur récit à ses deux moments-clés. De façon plus gênante que la théologie, la science est vulgarisée: les problèmes sont réduits à des puzzles et la science devient, pour l’héroïne qui en est la promotrice acharnée, « un langage ». Tout ça pour se vautrer dans les poncifs formels lors des découvertes: caméra qui suit le chercheur qui court entre les bureaux sur fond de musique tonitruante, gros plan sur la vedette qui s’exclame un truc du genre « bon sang mais c’est bien sûr » avant une pseudo-explication débitée tellement vite que les auteurs s’assurent ainsi qu’aucun spectateur n’y pigera rien. Mais force est de reconnaître la virtuosité, parfois coquette, de Zemeckis qui rend le film regardable malgré un autre lourd défaut du scénario: son manque de concision (le départ avorté est une péripétie inutile tandis que les réactions de la foule eussent gagnées à être mieux explorées: le plan à la fin où Foster est accueillie par un peuple de mystiques est un des plus pertinents et évocateurs).

Valley of love (Guillaume Nicloux, 2015)

Parce que leur fils suicidé leur a demandé dans une lettre, deux stars françaises se retrouvent dans la Vallée de la Mort.

Le morceau The answered question de Charles Ives (qui a certainement beaucoup inspiré Angelo Badalamenti) et le décor de la Vallée de la Mort aident Guillaume Nicloux, qui a un vrai sens du cadre, à concrétiser son ambition lynchienne quoique le surnaturel soit ici plus directement relié à un affect particulier que chez l’auteur de Twin Peaks. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, quasiment dans son propre rôle, apportent ce qu’il faut de pâte humaine à un tel drame. Dommage que, comme souvent dans les films récents de Nicloux, le récit soit aussi peu développé. En résulte un film qui touche par instants mais qui s’avère finalement frustrant voire vain; sans rapport avec le reste du film, certaines scènes -tel l’apparition de la petite fille sur le court de tennis- semblent là uniquement pour intriguer le spectateur à bon compte.

L’homme sans visage (Mel Gibson, 1993)

Dans une ville côtière à la fin des années 60, un jeune garçon demande à un ermite défiguré qui fut professeur de l’aider à passer le concours d’entrée de l’académie d’aviateurs dans laquelle il rêve d’entrer.

Quelques incohérences scénaristiques n’empêchent pas cette jolie fable d’être rondement menée et de toucher par la justesse de son appréhension de la psychologie enfantine et par la force de son lyrisme (belle musique de James Horner et paysages somptueusement filmés au diapason des états d’âme des deux personnages).