Mahjong (Edward Yang, 1996)

Une jeune Française arrivée à Taïwan pour rejoindre un homme avec qui elle a eu une liaison à Londres est prise en charge par des adolescents louches.

L’exposition, qui présente avec fraîcheur et vivacité de nombreux personnages et de multiples enjeux, est remarquable mais le récit se délite par la suite, faute d’unité et de focus. Le découpage visuel est à l’image du récit: l’abondance de plans larges dénote l’absence de mise d’accent accent dramatique. Mahjong s’avère en définitive un cruel constat moral sur Taïwan, constat dont l’amertume est adoucie par la grâce de Virginie Ledoyen, actrice alors sublime qu’on ne voit cependant pas assez souvent à l’image.

L’âge des possibles (Pascale Ferran, 1996)

A Strasbourg, de jeunes couples se font et se défont.

Chronique ras-les-pâquerettes d’existences sans intérêt. Alors d’accord, c’est plutôt bien joué (par les élèves du Conservatoire de Strasbourg) mais ce n’est franchement pas mémorable. Si je devais donner la définition du glamour au cinéma, je citerais ce film morne et flasque, qui en est le parfait opposé.

Y aura t-il de la neige à Noël ? (Sandrine Veysset, 1996)

Sept enfants et leur mère sont exploités par leur père, agriculteur…

Que ce soit Leos Carax qui ait encouragé son assistante à passer à la réalisation ne change rien au fait que ce premier film de Sandrine Veysset a plus à voir avec le réalisme brutal d’un Maurice Pialat qu’avec le foisonnement kitsch des Amants du Pont-neuf. Loin d’être une épigone de l’auteur de La gueule ouverte, la jeune cinéaste a trouvé une voie inédite en ceci que, à travers une mise en scène très crue, elle revitalise la tradition du conte de fées. Partant d’un postulat lourd de connotations sociales, elle évacue tout discours sociologique pour se concentrer sur l’amour porté par une femme à ses enfants face à un père monstrueux.

Une part de son génie est que jamais sa caractérisation, au fond aussi manichéenne que dans La nuit du chasseur, ne semble caricaturale ni n’altère la justesse des comportements. Un montage serré et un discret sens pictural permettent au récit de garder un rythme intense malgré une ponctuelle répétitivité des péripéties. Des interprètes miraculeux de précision, Daniel Duval et Dominique Raymond (belle sorte de Juliette Binoche campagnarde), aident l’auteur à maintenir son subtil équilibre entre vérité documentaire de l’enrobage et archaïsme mythologique des soubassements. Le singulier lyrisme de Y aura t-il de la neige à Noël ? culmine dans son avant-dernière séquence, une des plus belles fêtes familiales de l’Histoire du cinéma français.

Box of moonlight (Tom DiCillo, 1996)

Note dédiée à Matthieu Santelli

Ses employeurs ayant prématurément mis fin à sa mission en déplacement, un cadre père de famille retourne sur les lieux de son enfance et rencontre un jeune marginal.

D’abord, on peut mesurer la réussite de Box of moonlight à l’aune des écueils que son auteur a évités. Ce film indépendant américain racontant la rencontre entre un cadre stressé et un marginal ne contient pas un gramme de démagogie ou de mépris envers les gens ayant un mode de vie conformiste, ingrédients de nombre de produits estampillés Sundance fonctionnant sur un détestable mécanisme de connivence avec ce qu’ils s’imaginent être leur public. Il y a bien un soupçon de fantaisie qui semble plaquée (les –rares- hallucinations du personnage principal) mais dans l’ensemble, Tom DiCillo se contente de filmer, avec simplicité et humour, la parenthèse douce et sensuelle que vit son héros névrosé.

Metteur en scène rigoureux, il sait restituer l’influence des lieux sur le comportement de ses personnage: le lac idyllique, le sympathique et original camp du jeune. On s’y croirait et on aimerait bien partager leur barbecue. La confrontation entre les deux modes de vie est dialectique et est l’occasion d’une belle histoire d’amitié avant d’être le prétexte à quelque propos édifiant que ce soit (même si la fin fait un peu pencher la balance en faveur du marginal, c’est dommage). La finesse de son trait empêche DiCillo de charger qui que ce soit dans son récit et lui permet de maintenir l’indispensable et fragile équilibre entre tendre moquerie et empathie envers ses personnages, personnages qui, pour cet authentique humaniste, ne sauraient se réduire à leur conditionnement social et à leurs névroses. Joli film.

Grace of my heart (Allison Anders, 1996)

La pop des années 60 et 70 vue à travers les yeux d’une auteur-compositrice qui se rêve chanteuse.

Toute coïncidence avec la réalité d’une Carole King, d’une Ellie Greenwich ou d’un Phil Spector n’est certainement pas fortuite. Grace of my heart est un gloubiboulga d’anecdotes liées à l’histoire de la pop assaisonné de vagues réminiscences d’A star is born. C’est mis en scène platement, assez mal joué (le cabotinage de Turturo en clone italien de Spector est lamentable) et les chansons-pastiches sont médiocres même si certaines ont été composées par de glorieux vétérans (Goffin, Bacharach…) visiblement fatigués.

Lone star (John Sayles, 1996)

Dans une ville texane près de la frontière mexicaine, l’impromptue découverte d’un squelette réveille des histoires vieilles de trente ans…

A situer quelque part entre Robert Altman et Yves Boisset, Lone star est un polar choral tout ce qu’il y a de plus artificiel. L’intrigue est reine et l’auteur ne recule pas devant les coïncidences les plus grossières pour la boucler. Les personnages sont schématiques au possible (pauvre Kris Kristofferson!), la mise en scène grossière, le discours (« les héros ne sont pas parfaits, le racisme c’est mal ») convenu. Reste une poignée de jolis moments dûs à certains acteurs, notamment Elizabeth Peña.

Mon homme (Bertrand Blier, 1996)

Une prostituée au grand coeur recueille un clochard qui devient son maquereau.

C’est nul. La mécanique Blier donne l’impression de tourner à vide. La truculence qui équilibrait le côté abstrait dans ses meilleurs films n’est plus là. Il y a toujours beaucoup de sexe mais les scènes sont systématiquement auréolées d’un apparat de gravité. D’une manière générale, Mon homme est plombé par une emphase perpétuelle. Celle-ci se manifeste d’abord par des dialogues qui n’ont plus la verdeur d’antan. L’emphase est aussi appuyée par la musique de Gorecki déja utilisée par Pialat dix ans auparavant dans Police.

Ponette (Jacques Doillon, 1996)

La deuil douloureux d’une petite fille qui a perdu sa mère…Dès les premiers plans criants de vérité, le spectateur est mis mal à l’aise, des questions morales sur le cinéma se posent. Comment a fait le réalisateur pour obtenir une telle justesse de la part d’interprètes si jeunes ? Quels moyens, quelles manipulations éventuelles ? Jusqu’où les tout-petits étaient-ils conscients du film qu’ils jouaient ? Un cinéaste peut-il soumettre de très jeunes enfants à son imaginaire morbide ? Ce genre de question était déja soulevé par Truffaut à l’époque de Jeux interdits mais ce serait une erreur que de s’arrêter à ces considérations pour juger Ponette car Jacques Doillon a un véritable respect pour les enfants. Le film a été non seulement joué par eux mais également « conçu » par eux dans la mesure où le cinéaste les a regardés, écoutés, a joué avec eux plusieurs fois par semaine pendant un an, de manière à leur être fidèle dans son film. Car Ponette est un film quasiment dénué de structure dramatique, centré en permanence sur les réactions, les paroles, les jeux, les pleurs de son héroïne « jouée » par la très jeune Victoire Thivisol (4 ans) . A elles seules, ces séquences au cours desquelles les petits personnages sont confrontés aux thèmes habituellement bergmaniens que sont la mort ou l’absence de Dieu font de Ponette un véritable miracle tant la vérité et l’émotion qui s’en dégagent sont au-delà des mots. Mais le film se hisse dans sa dernière partie au-delà du cinéma-vérité au cours d’une séquence sublime dans laquelle Jacques Doillon ose intégrer une part de fantastique, donnant au passage à Marie Trintignant un de ses plus beaux rôles -rôle par ailleurs douloureusement prémonitoire.

une interview intéressante du réalisateur