Père et fille (Jersey girl, Kevin Smith, 2004)

Son épouse décédée pendant l’accouchement de leur fille, un brillant attaché de presse new-yorkais retourne chez son père, dans le New Jersey.

Pourquoi ce film, malgré ses ficelles démagogiques (cf le regrettable dénouement qui envoie valdinguer toute la subtilité qui l’a précédé), les envahissantes chansons pop qui neutralisent parfois la vérité des images et les limites de Ben Affleck dans sa grande scène lacrymale, exhale t-il souvent un parfum d’émouvante sincérité? Il y a d’abord la fraîcheur de la gamine, adorable Raquel Castro. Il y a ensuite un mélange des tons qui fonctionne tellement bien que son audace est oubliée: faire rire avec un père de famille qui loue un DVD porno parce qu’il est veuf, ce n’est pas rien. Il y a surtout la tendresse perceptible de l’auteur pour son attachante galerie de personnages interprétée par des comédiens au minimum sympathiques. Dans ses meilleurs moments, Kevin Smith fait exister à l’écran une communauté familiale quasi-utopique ou met en scène l’amour entre un père et sa fille avec une sentimentalité directe qui touche en plein coeur.

Le village (M. Night Shyamalan, 2004)

Dans un village isolé, un jeune homme demande aux Anciens l’autorisation de traverser la forêt environnante réputée pleine de monstres pour aller chercher des médicaments…

L’idée de base est passionnante mais son développement narratif est alambiqué et repose sur l’esbroufe. La remarquable élégance formelle aide à supporter le visionnage de ce film terriblement creux.

Les temps qui changent (André Téchiné, 2004)

A Tanger, un grand architecte français retrouve son premier amour…

Très beau quoiqu’imparfait. L’histoire du couple principal est traitée avec une justesse romantique que l’on avait plus vue dans le cinéma français depuis la mort de François Truffaut. A commencer par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, encore plus émouvant que dans La femme d’à côté,  tous les acteurs excellent. Toutefois, André Téchiné a inséré ce drame central dans un tissu romanesque qui ne convainc pas toujours tant il récupère tous les clichés d’un Maghreb sauvage et séduisant que n’auraient pas renié Jack Lang et Léon Poirier (la scène de l’abattage rituel parfaitement gratuite). Si le plan le plus beau du film est peut-être le panoramique où les deux anciens amants se retrouvent face aux clandestins qui attendent devant Gibraltar, celui du Noir arrêté devant Deneuve semble n’avoir aucun autre objet que l’étalage de la bonne conscience de gauche de son réalisateur nous disant alors quelque chose comme « je me passionne pour des histoires sentimentales entre grands bourgeois mais attention, je reste très concerné par les injustices de la société ». Au niveau du découpage, les tremblements de la caméra (à l’épaule?) fatiguent plus qu’ils n’insufflent une quelconque fièvre. C’est que les acteurs et la foi romantique de Téchiné suffisent à emporter le spectateur dans son récit.

La trahison (Philippe Faucon, 2004)

En 1960 en Algérie, des informations du deuxième bureau amènent un lieutenant français à surveiller de près les quatre musulmans de sa section…

Philippe Faucon a réalisé un très bon film de guerre sans pour autant démarquer ses glorieux prédécesseurs car le travail -policier, social et urbain- des soldats en Algérie est très différent de celui des fantassins du Pacifique et appelle donc des options de mise en scène différentes de celles adoptées par les maîtres du genre que furent Walsh, Fuller et Schoendoerffer. En plus de montrer le tragique de la situation des Arabes tiraillés entre le FLN et l’armée française, le cinéaste fait particulièrement bien ressentir l’inquiétude perpétuelle et la méfiance absolue régnant des deux côtés de la barrière, une barrière inéluctable en dépit des illusions des uns et des autres.

Utilisant un habile prétexte scénaristique, découpant dans le sens de l’épure et de la suggestion, maîtrisant le format Scope comme peu de ses collègues français, filmant la nuit et le petit matin avec une discrète et étonnante sensibilité plastique, Faucon finit par instaurer un véritable suspense enraciné dans une réalité sobrement et précisément reconstituée. Seuls une ellipse lors de la seule scène de bataille qui apparaît comme un volontariste refus du spectaculaire ainsi qu’un ou deux dialogues explicitant une problématique parfaitement exprimée par ailleurs altèrent la beauté de ce film sec et affûté comme le visage de son interprète principal, Vincent Martinez.

Before sunset (Richard Linklater, 2004)

Dix ans après, les retrouvailles des deux protagonistes de Before sunrise à l’occasion d’une séance de dédicaces parisienne de Jesse, devenu romancier.

L’expérience passée apporte à ce second volet une profondeur inédite et appréciable. Elle permet aux personnages de confronter leurs souvenirs aux souvenirs de l’autre mais aussi à ce qui aurait pu avoir lieu et à ce qu’ils ont imaginé via leurs créations (roman ou chanson). Il serait facile en s’arrêtant à sa surface de considérer Before sunset comme un énième film de bobo autosatisfait comme le cinéma indépendant américain en regorge. Les « métiers » des protagonistes (l’un est écrivain, l’autre bosse dans une association écolo), les discussions du début sur l’état du monde, Nina Simone…tout ça respire le gros coup de coude complice à un public bouffi de tofu et de café Max Havelaar. Mais tout ça est accessoire et ce serait une erreur que de s’y arrêter.

Ce serait se priver du film d’amour le plus vrai depuis Sur la route de Madison. Vrai non pas du fait que les personnages dissertent beaucoup sur leurs états d’âme et que donc Before sunset s’imposerait comme une sorte de traité définitif sur l’amour et le temps. Non, Richard Linklater est cinéaste avant d’être philosophe et la vérité de son film vient d’abord de la finesse de son écriture qui procure un remarquable sentiment de justesse par rapport à ce qui est vécu par le couple. Elle vient aussi de la beauté de la lumière automnale qui donne une présence essentielle à ce qui entoure les palabres des personnages. Elle vient de l’unité de temps qui empêche ses protagonistes de se transformer en stéréotypes romanesques et est pour beaucoup dans la proximité que le spectateur peut ressentir vis-à-vis d’eux. Elle vient évidemment de l’épatant naturel des deux comédiens qui parviennent à faire passer avec simplicité les quelques dialogues oiseux du scénario. Elle vient du romantisme subtil et anachronique qui travaille l’oeuvre en profondeur. Elle vient d’un charme fugitif et doux comme la nostalgie d’un voyage de jeunesse.