La prochaine fois je viserai le coeur (Cédric Anger, 2014)

Dans l’Oise, un gendarme enquête sur des meurtres de jeunes filles qu’il commet lui-même.

D’après un fait divers de la fin des années 70, c’est un polar prenant et visuellement inspiré. Guillaume Canet interprète le tueur avec beaucoup de finesse, tous les seconds rôles sont bons et la campagne est parfois filmée avec un lyrisme qui emmène le film ailleurs, installant une sorte de contraste entre la splendeur naturelle et les frustrations de l’assassin dans ses rapports avec les autres. Cependant la portée de l’oeuvre est limitée par l’approche behaviouriste du personnage, tout juste étayée par une caractérisation rigoristo-doloriste aussi vague que grossièrement présentée (les gros plans sur des vers pour symboliser la pourriture qui l’obsède). Au-delà de la chronique et de l’atmosphère sinistro-provinciale (fort bien rendue), il y a une légère dimension psychologique et aucune dimension sociale ou métaphysique. L’abyssal paradoxe du « gendarme criminel » n’est guère ressenti que dans quelques notations absurdes, parfois cocasses (le « héros » qui présente son propre portrait-robot). Bref Cédric Anger vise Fritz Lang et atteint Henri Decoin. C’est déjà pas mal.

La bataille de la montagne du Tigre (Tsui Hark, 2014)

En 1946 dans le Nord-Est de la Chine, des soldats de l’Armée de libération populaire tentent d’attaquer le repère d’un seigneur de guerre.

Le sens de l’Histoire et la psychologie des personnages sont superficiels mais, entre James Bond, Les sept samouraï et Le détachement féminin rouge, La bataille de la montagne du Tigre est transfiguré par deux qualités essentielles: l’amour palpable de Tsui Hark pour les récits mythologiques et épiques, récits mis en perspective de façon ludique et nostalgique, et, surtout, sa générosité spectaculaire qui ne semble jamais bourrative mais toujours pleine d’une certaine légèreté. Son génie de l’action n’a rien perdu de sa superbe à l’exception d’une scène où les effets spéciaux numériques sont trop voyants (celle avec le tigre). C’est à la fois frénétique, grisant et d’une grande élégance. Par exemple, son utilisation du ralenti, loin d’avoir la gratuité complaisante de Peckinpah, introduit une clarté analytique au sein du chaos. Un brillant divertissement.

Welcome to New-York (Abel Ferrara, 2014)

Le chef d’une grande institution internationale se fait inculper pour le viol d’une femme de chambre.

Cela commence comme un tableau grotesque des abus engendrés par la toute-puissance et ça se termine comme une réflexion catholique façon Bernanos où le double fictionnel de Strauss-Kahn s’avère la proie de Satan. Ce qui demeure le plus intéressant cinématographiquement parlant, c’est l’utilisation du corps de Depardieu, tantôt dominant (les longues orgies où il est un pur consommateur sexuel), tantôt dominé (les séquences de fouilles, non moins longues). Le sexe est filmé dans un parfait équilibre entre séduction et distance grâce au clair-obscur et aux grognements de Depardieu. Cependant, l’écriture pèche; les dialogues sont pauvres, tout ce qui a trait aux ambitions de la belle-famille n’est pas assez bien développé et les deux heures de projection ne sont finalement pas justifiés tant la matière narrative demeure faible. « DSK+Ferrara+Depardieu », cela demeure un coup plus qu’un film.

 

 

Mercuriales (Virgil Vernier, 2014)

Les destins de deux jeunes filles et d’un jeune homme qui sont agents d’accueil et vigile aux tours Mercuriales, porte de Bagnolet.

L’intention de faire un film sur la survivance des modes de pensée archaïques dans la société contemporaine est évidente mais aucun liant ne vient donner corps à ces notations éparses entrelardées d’images de décors urbains aussi imposantes que vaines. Virgil Vernier a un talent plastique mais globalement, Mercuriales sonne prétentieux et confus.

Soraya à Aubervilliers (Michèle Rosier, 2014)

36 ans après avoir filmé le mariage de Soraya, Michèle Rosier la retrouve, divorcée et jeune grand-mère.

Ce post-scriptum au beau documentaire de 78 est embarrassant. En effet, l’idée de mêler l’histoire d’Aubervilliers à celle de Soraya ne fonctionne guère. Les propos, très intéressants, des vieux politiciens racontant le passé d’Aubervilliers sont juxtaposés aux séquences avec Soraya mais les deux flux restent indépendants l’un de l’autre; aucune synthèse, aucune unité n’est réalisée. De plus, en insérant à son documentaire albertivillarien des séquences jouées sans dire la nature truquée de ces séquences, Michèle Rosier s’est laissé aller à un travestissement malhonnête de la réalité visant à faire apparaître la ville comme plus « sympa » qu’elle n’est en la nimbant d’un pittoresque faisandé. Cette grande bourgeoise qui s’extasie en voix-off sur la beauté d’Aubervilliers mais qui ne consentirait probablement jamais à y habiter substitue ainsi une accordéoniste professionnelle de ses amies aux trafiquants de cigarettes qui écument habituellement le carrefour des Quatre-chemins.

Queen and country (John Boorman, 2014)

Durant son service militaire en 1952, un jeune Anglais forme des recrues pour partir en Corée et vit ses premières amours…

Queen and country est la suite de l’excellent Hope and glory: après son enfance, John Boorman reconstitue sa jeunesse. Encore une fois, à travers une chronique intimiste, il donne à ressentir l’âme d’un pays à un instant donné. Pour les vétérans, quel sens donner à son existence après avoir pris part à la glorieuse victoire « contre le fascisme » (et y avoir laissé quelques plumes mentales) ? Pour les jeunes, comment croire à l’Armée, au Roi et à la démocratie capitaliste quand ces valeurs sont vidées de leur substance par la conduite crispée des aînés honorés (à l’exemple de MacArthur)? C’est ainsi qu’après avoir fait redouter une énième et fastidieuse comédie antimilitariste, la caractérisation caricaturale des vieilles badernes trouve sa justification profonde.

Derrière l’agitation des pantins, Boorman sait faire poindre l’amertume d’une vie brisée; par exemple en déjouant les attentes consensuelles lors d’une scène de retrouvailles. De la même façon, la première romance de son héros lui permet d’évoquer les différences de classe sociale en Angleterre, évocation qu’il cristallise par la géniale scène du couronnement. Face à l’excellent Callum Turner dans le rôle principal, la superbe Tamsin Egerton incarne parfaitement cette femme inaccessible.

Au-delà des figures désuètes et d’un style un peu amidonné (la photo est beaucoup plus passéiste que celle de Hope & glory), Boorman point le spectateur sans qu’il ne s’y attende, aidé en cela par le lyrisme de ses travellings, la musique « glassienne » de Stephen McKeon et le vert irréel des images campagnardes qui matérialise comme rarement elle a été matérialisée au cinéma l’idée du « home, sweet home ».

Passé inaperçu pour de bonnes et de mauvaises raisons, Queen and country est donc un des plus beaux films sortis cette année en France.

Parole de kamikaze (Masa Sawada, 2014)

Un des derniers survivants des unités de kamikazes japonais, monsieur Hayashi, est interrogé par le réalisateur.

J’aurais aimé plus de clarté et de pédagogie dans l’exposition des faits. Ainsi, monsieur Hayashi dit à un moment que sans lui, les unités kamikazes n’auraient pas pu exister tel qu’elles ont existé. Il devait donc avoir un rôle central dans l’organisation. Mais on n’a guère d’information sur ce rôle si ce n’est que le jeune homme s’est, parmi les premiers, porté volontaire pour aller écraser son avion sur un navire américain. Le fait qu’il ait passé plusieurs mois à envoyer d’autres jeunes à la mort plutôt que d’y aller lui-même reste inexpliqué. Cela dit, Parole de kamikaze reste un film très intéressant. Outre l’évocation, touchante mais relativement attendue, des camarades disparus, du rapport avec le père ou de la fidélité à l’empereur, le cinéaste, qui a gardé beaucoup d’hésitations et de silence au montage, fait ressentir l’altérité profonde de son interlocuteur par rapport à nous, Occidentaux du XXIème siècle. Je pense au vide mélancolique dans le regard de Hayashi lorsqu’il évoque l’ampleur des dommages qu’il aurait pu causer avec son avion-suicide (ohka) mais qu’il n’a pas pu causer. Brièvement mais clairement, on sent alors poindre des regrets ambigus chez le vieux soldat. A cet instant, le contact avec un tout autre mode de pensée, une toute autre culture, qui est un des grands pouvoirs du cinéma, s’établit pleinement.

Diplomatie (Volker Schlöndorff, 2014)

Au moment de la libération de Paris, le consul de Suède tente de convaincre le général Von Choltitz de ne pas exécuter l’ordre hitlérien de destruction de la ville-lumière.

Sans s’encombrer de la vérité historique, Cyril Gély a dramatisé la décision de Von Choltitz avec un grossier mélange de sentimentalité et de moraline. La septième symphonie de Beethoven en guise de générique ou des mélanges absolument décomplexés d’images d’archives et de reconstitution (avec passage progressif du noir et blanc à la couleur) sont là pour agrémenter la mise en boîte de la pièce. Académique jusqu’au bout des ongles, Diplomatie se laisse regarder grâce à sa relative brièveté, l’intérêt de son sujet et la prestation de ses deux acteurs, parfaits dans l’exercice.