My Zoé (Julie Delpy, 2019)

Deux parents séparés qui se déchirent sont confrontés à un grave accident de leur fille.

Porté par l’interprétation de Julie Delpy, un drame poignant qui emmène le spectateur vers un territoire inattendu, aux limites du fantastique. Cette bifurcation narrative est profondément justifiée par l’état émotionnel de l’héroïne. L’épilogue est trop expéditif, c’est dommage.

Le chant du loup (Antonin Baudry, 2019)

Contre les visées hégémoniques de la Russie, l’équipage d’un SNLE part pour une mission capitale.

Plus qu’une honorable tentative de « film de genre à la Française », Le chant du loup est une vraie réussite, et d’autant plus exceptionnelle qu’il s’agit de la première réalisation de son auteur. Un beau sens du tragique, qui se base sur les retournements d’un récit ingénieux, va de pair avec un rythme très vif, qui permet de faire passer les quelques invraisemblances. Le didactisme technique, surtout présent dans la première partie, immerge le spectateur dans un milieu professionnel qu’il ne connaît pas sans pour autant le noyer ni altérer la fluidité de la narration. Brillant. Les séquences d’action, assez nombreuses, rivalisent avec Hollywood grâce notamment au généreux concours de la Marine nationale. Mené par une excellente distribution (même Omar Sy s’avère finalement convaincant), ce film où les hommes sont confrontés à l’inhumanité des procédures emporte le morceau malgré quelques scories mineures (l’histoire d’amour de pure convention mais qui prend très peu de place).

Trois jours et une vie (Nicolas Boukhrief, 2019)

Dans un village des Ardennes, en 1999, une battue est organisée pour retrouver un enfant de six ans. La tempête met fin à ces recherches mais l’affaire resurgit quinze ans plus tard parce que des travaux ont lieu dans la forêt.

Un film noir à la Française dans la lignée de Panique, Non coupable ou Le boucher. Adapté de Pierre Lemaître, le récit, qui juxtapose plusieurs temporalités, est particulièrement prenant. La caméra de Nicolas Boukhrief, toujours très dynamique et fluide, parvient à donner une grande présence à la communauté villageoise et à l’inquiétante forêt mais aussi à insuffler une profondeur aux personnages avec des trouvailles purement visuelles. Malgré quelques fausses notes de Charles Berling, les acteurs, surtout l’enfant Jérémy Senez et l’immigré Arben Bajraktaraj qui sont fascinants et étranges chacun à leur manière, sont impeccables.

La limite d’un tel film est que la machine narrative s’en avère à la fois le prétexte et la finalité, aux contraires des chefs d’oeuvre de Clouzot ou Chabrol qui véhiculaient, puissamment, une vision du monde. Pour boucler et relancer cette machine, la vérité psychologique est quelques fois sacrifiée, surtout dans la dernière partie avec les interventions invraisemblables du docteur joué par Philippe Torreton. Nonbobstant, Nicolas Boukhrief ranime ici, avec une maîtrise qui fait de lui un des meilleurs metteurs en scène actuels, une attachante tradition du cinéma français.

Le cas Richard Jewell (Clint Eastwood, 2019)

Pendant les jeux olympiques d’Atlanta, le vigile qui avait découvert une bombe est soupçonné par le FBI et les médias de l’avoir posée.

Alors que le dénouement est connu d’avance et que le drame de Richard Jewell est resté, somme toute, relatif (il ne fut jamais inculpé et fut clairement innocenté en moins de trois mois), qu’est-ce qui rend le film si captivant? C’est d’abord une question de point de vue sur le sujet. Rester collé aux basques de Jewell et de sa mère, approfondir le portrait du « héros », éclairer ses motivations, ses frustrations et son caractère, tout cela permet au cinéaste libertarien de mettre en exergue le fossé entre l’idéal d’un brave Américain attaché au maintien de l’ordre depuis sa prime jeunesse et le cynisme destructeur des institutions fédérales. Outre une histoire d’amitié entre deux hommes de classes sociales différentes et l’amour entre un fils et sa mère, Le cas Richard Jewell raconte un ébranlement de certitudes d’autant plus déchirant qu’il a pour cadre l’intimité sacrée du foyer. Il n’y a que le vieux Clint Eastwod pour, en s’emparant d’un fait divers des plus anodins, traiter les vieilles questions du rapport de l’individu à la Loi, de l’idéal américain à la réalité du pouvoir, du peuple à ses héros, pour, en fait, actualiser les thèmes traités par les grands auteurs de westerns du siècle passé. Il le fait à sa façon: sans vouloir-dire apparent, toujours focalisé sur le récit individuel, avec le sens du réalisme retors et une pudeur qui l’empêche de trop s’appesantir.

De plus, Le cas Richard Jewell est peut-être le film le plus techniquement abouti parmi les récents de Eastwood. Plus que jamais fidèle à sa réputation de dernier des Mohicans, le cinéaste poursuit ses expérimentations réalistes entamées dans ses films précédents (notamment Le 15h17 pour Paris), comme lorsqu’il intercale des images de journaux télévisés d’époque sans briser le sentiment de continuité entre les plans. Le rythme est prenant, le suspense hitchcockien fonctionne mieux que dans les films de Hitchcock, le découpage est fluide mais signifiant (infinie profondeur d’évocation des brefs plans sur le portrait de Jewell en policier) et la direction d’acteurs est aux petits oignons; toute la distribution est d’une profonde justesse, à l’exception de Olivia Wilde à qui son personnage caricatural de journaliste sans scrupule ne donne guère l’occasion de briller. Une des rares fausses notes d’un film précieux. Longue vie à Clint Eastwood, encore!

Alice et le maire (Nicolas Pariser, 2019)

Une jeune femme surdiplômée est embauchée pour aider le maire de Lyon à recommencer à « penser ».

Pour une fois, le qualificatif « intello » pour un film d’auteur français n’est pas usurpé. En effet, Alice et le maire s’articule autour de l’axe suivant: comment un élu peut-il maintenir son désir de politique lorsqu’il est confronté à la routine accaparante ainsi qu’à un contexte proprement désespérant tel que celui engendré par la pénurie annoncée des ressources sur lesquelles est fondée la société occidentale? C’est certes une question d’un autre acabit que « Qui a tué Harry? » ou « Harry va t-il coucher avec Sally? ».

La première qualité de Nicolas Pariser est de faire de sa culture politico-philosophique non un vernis pour se faire bien voir mais la matière même de sa dramaturgie. A part L’arbre, le maire et la médiathèque, je ne vois guère d’équivalent à une telle fiction, c’est à dire une fiction prenant à bras le corps des questions qui pourraient être posées par un éditorialiste du Monde.

La méticulosité de l’écriture (seule la conclusion du congrès socialiste m’est apparue comme un deus ex machina), la subtilité des dialogues, la précision du découpage et la vivacité du montage permettent de susciter tension et suspense à partir de l’ambitieux postulat. Par exemple, lorsque Alice débute, la mise en scène restitue admirablement ce qu’on imagine être l’atmosphère de stress permanent et de grenouillage malsain d’un grand cabinet municipal.

La vie privée des personnages est évoquée à juste dose: ils ont une consistance autre qu’intellectuelle et politique mais leurs romances n’occultent jamais le sujet principal. La fin est à cet égard superbe d’élégance désenchantée. La qualité des comédiens -Fabrice Luchini en tête évidemment- permet aussi que les personnages ne soient pas réductibles à des thèses. Enfin, une ironie discrète irrigue l’ensemble et contribue à laisser au spectateur une impression de légèreté malgré la gravité de questions pourtant franchement et intelligemment abordées.

Bref, si Alice et la maire est « intello », il n’est nullement « chiant » et confirme le talent d’un des auteurs les plus brillants du cinéma français contemporain.

A cause des filles…? (Pascal Thomas, 2019)

Le marié ayant fui avec une autre fille juste après la cérémonie, les convives d’une noce se racontent des histoires d’échec amoureux.

Depuis le début des années 2000, tournant le dos à une époque qui probablement le consterne, Pascal Thomas a perdu une de ses qualités essentielles: la justesse d’observation. Les percées de crudité mâtinée de pudeur -tel le plan large sur la salle de bains où un pensionnaire console un camarade plus jeune dans Les zozos– dont l’apport émotionnel était inestimable et qui apparentaient son cinéma à celui, contemporain, de Maurice Pialat ont disparu. Une exception peut-être : la séquence avec les deux enfants dont la belle lumière littorale rappelle Les maris, les femmes, les amants.

Cependant, le réalisateur retrouve ici un métier comique qui manquait à ses adaptations de Agatha Christie. La structure du film à sketches lui permet de broder autour de situations variées sans avoir besoin d’avoir le souffle long. C’est globalement inventif, enlevé et drôle.

Plus que jamais, Pascal Thomas se livre sur ses goûts et dégoûts littéraires, via de nombreuses citations et références. Les sketches sont d’autant plus réussis lorsque ses marottes sont bien intégrées à une trame supérieure. Le segment sur Baudelaire s’effondre sous son propre artifice tandis que celui autour de Molière touche juste car il s’avère au service d’une percutante critique de «balance ton porc». L’ironie perpétuelle empêche la cuistrerie, tel qu’en témoigne ce plan où un Christian Morin ensommeillé succède à une sérieuse diatribe de Marie-Josée Croze contre les films sinistres, diatribe que l’on imagine pourtant approuvée par l’auteur.

Le court segment avec Bernard Menez jouant le rôle d’une vieille fille est assez emblématique de l’œuvre dans son ensemble. Le plaisir ludique de voir le sympathique comédien travesti coexiste avec la circonspection devant une situation tout à fait déconnectée de la réalité : qui, aujourd’hui, s’effarouche à ce point en entendant la définition du mot « cunnilingus»? Quel jeune écrivain fait aujourd’hui taper ses manuscrits?

A cause des filles…? témoigne de la plaisante désuétude d’un auteur qui s’obstine à prendre au sérieux, c’est à dire avec science et légèreté, le genre comique.