West side story (Steven Spielberg, 2021)

A New-York, les Jets et les Sharks s’affrontent mais l’amour rôde.

Une telle profusion -de mouvements, de couleurs, de sons- ordonnée avec une telle netteté, une telle fluidité et une telle unité, c’est la victoire la plus complète du style. Tant dans les séquences à grande figuration que dans les scènes les plus intimes, chaque geste, chaque composition visuelle, chaque éclairage, est riche de sens, insufflant une épaisseur sociale, une vérité psychologique et, surtout, une force lyrique sans commune mesure avec le film de 1961. Les rebondissements les plus artificiels du livret initial passent la rampe aussi facilement que dans les meilleures représentations d’opéras. Faire l’éloge de West side story version 2021, ce serait -outre rappeler la splendeur de la partition de Leonard Bernstein- inventorier et détailler la quasi-totalité du métrage. Je me contenterai de citer l’acmé: la séquence du bal avec le coup de foudre, ce que j’ai vu de plus incontestablement sublime au cinéma depuis des lustres. Non content de nous apprendre qu’il y a encore des gens qui savent danser et faire danser à Hollywood, Spielberg livre un des plus beaux fleurons de l’histoire d’un genre qu’il investit pour la première fois*. Si postérité égale justice, ce pur chef d’oeuvre devrait faire oublier le film -très moyen- de Wise et Robbins.

*sur ce terrain, il pulvérise ses amis Scorsese (New-York, New-York) et Coppola (Cotton club, Coup de coeur), ce qui aurait pu faire réfléchir à deux fois Michel Ciment au dernier Masque et la plume

Red rocket (Sean Baker, 2021)

Un acteur de porno revient chez sa femme dans sa ville natale, au Texas.

C’est drôle: les préjugés sociaux et la bête vanité du mâle sont croqués un peu de la même façon que chez Dino Risi.

C’est fin: à part au dernier acte où les motivations de certains personnages sont floues, l’écriture et l’interprétation sont d’une grande justesse; en filigrane, Red rocket montre avec acuité mais sans misérabilisme les pauvres blancs (ou moins blancs) de l’Amérique profonde. Notamment, Sean Baker évoque clairement une femme qui fut forcée d’accepter que sa fille se prostitue pour payer le loyer sans faire du Dardenne, sans plomber une oeuvre qui garde sa tonalité légère et colorée: bravo à lui.

C’est élégant: beauté du Cinémascope dans lequel sont visuellement structurés les rapports entre les personnages et qui ancre ceux-ci dans la petite ville, suggérée à partir d’une poignée de points récurrents (l’usine, le fast-food, la piste cyclable…).

Mais c’est finalement malaisant, sans qu’on soit sûr que cela ait été l’intention de l’auteur: Sean Baker perd toute distance critique vis-à-vis d’un personnage de plus en plus veule et égoïste et nous invite, par son découpage, à partager ses fantasmes de subornation de jeune fille. Assez déplaisant. Où l’auteur a t-il voulu en venir avec ce portrait d’un minable qui n’évolue pas d’un iota? La question reste en suspens. Heureusement, il reste l’arrière-plan, brossé avec subtilité, lucidité et tendresse.

Rien à foutre (Emmanuel Marre et Julie Lecoustre, 2022)

La vie professionnelle, sexuelle, amicale et familiale d’une jeune hôtesse de l’air qui ne croit en rien.

Chronique de la génération Z « pleine de justesse » mais déstructurée, morne et souvent inaudible. A l’exception de la scène avec la passagère polonaise, jamais le film ne transfigure la médiocrité de son personnage autrement que par l’esquisse d’un facile trauma psychologique. N’est pas Cassavetes qui veut. Adèle Exarchopoulos reste très bien mais a perdu de sa grâce depuis le film de Kechiche.

Albatros (Xavier Beauvois, 2021)

En Normandie, un capitaine de gendarmerie parfaitement intégré à sa communauté tombe dans une dangereuse dépression après un accident assimilable à une bavure.

Une des plus belles réussites de Xavier Beauvois. La première partie, avec son montage haché, laisse présager une chronique un peu fouillis et ras-les-pâquerettes quoique non dénuée de « justesse » ni d’empathie humaniste. Mine de rien, sans rien sacrifier au réalisme et à une approche « quotidienne » des évènements, Xavier Beauvois a inventé un vrai héros contemporain, au comportement exemplaire et au service de sa communauté. A la John Ford. Puis, un geste de ce héros oriente le récit vers un drame existentiel. A partir de là, le rythme se fait plus ample; et le récit plus patinant. Si le symbolisme est un peu bateau, la fin, dans sa simplicité, émeut.

Maigret (Patrice Leconte, 2022)

Maigret enquête sur la mort d’une jeune inconnue lardée de coups de couteaux.

Une bonne surprise. Au début, j’ai craint le film académique, le polar mou et sans surprise dont les seules différences avec un épisode de série télé auraient été une photo exagérément sombre et une musique d’une qualité devenue rare (signée Bruno Coulais). Mais, au fur et à mesure de la projection, le véritable sujet de l’oeuvre se dessine; d’abord dans les interstices de l’enquête, puis de façon de plus en plus évidente. Ce sujet, c’est l’immense empathie du héros, une empathie d’autant plus vaste qu’elle ne va pas sans détachement, nourrie qu’elle est par la mélancolie et par le deuil. C’est avec une belle pudeur, et en s’appuyant sur un Gérard Depardieu qui incarne idéalement le personnage dans ses diverses dimensions (cependant les jeunes comédiennes manquent de justesse), que Patrice Leconte évoque ces fêlures et ces apaisements. Parce qu’il ne s’appesantit pas, son film a le mérite, devenu exceptionnel, de ne durer qu’1h25.

Licorice pizza (Paul Thomas Anderson, 2021)

Dans les années 70 à Los Angeles, un acteur de 15 ans tente de séduire une femme de dix ans son aînée.

Ce qui frappe d’abord, c’est la médiocrité du scénario: quasi-nullité du récit, des dialogues, de la continuité dramaturgique, de la contextualisation, de la caractérisation des personnages. Du coup, de quoi sont constituées les deux heures et treize minutes que durent le film? Une succession de péripéties oiseuses, qui pourraient être qualifiée de « digressions » si seulement la trame principale était suffisamment nette.

L’important ne serait donc pas ce qui est raconté tout au long de l’oeuvre mais plutôt le potentiel de « fraîcheur » exprimé par chaque moment pris indépendamment des autres. Le plan-séquence introductif, merveilleux de vérité immédiate en dépit de sa virtuosité un brin ostentatoire, pourrait faire croire à la tenue d’un tel pari. Le problème est que le style du réalisateur n’a rien à voir avec celui d’un « spontanéiste », type Kechiche, mais tout à voir avec celui d’un formaliste, type David Lynch à qui m’a précisément fait songer le grotesque à retardement de la séquence au commissariat.

Si la splendeur visuelle de la reconstitution est plaisante et s’il est hautement appréciable de voir un cinéaste se soucier à ce point de son découpage et ne pas se cantonner au champ contre-champ, sachant parfois insuffler une expressivité à des séquences qui devaient être peu de choses sur le papier par le seul truchement de la forme (indéniablement, Licorice Pizza « est du cinéma » car ce ne saurait être autre chose), force est de constater que, au bout de 2h13, plusieurs procédés d’abord séduisants ont viré à la rhétorique: ainsi, les travellings latéraux sur des gamins qui courent avec en fond sonore une chansonette de l’époque peuvent au début figurer les élans du coeur mais s’avèrent finalement un peu creux à force de répétition.

Plus grave: la faiblesse du récit n’empêche pas l’arbitraire de l’auteur d’être patent. Par exemple, l’artifice de la coïncidence du moment où la fille se rend compte que la jauge est vide et celui où le garçon fracasse la voiture de son client montre le marionettiste à l’oeuvre. A quelles fins? Une vague impression de bizarre, ni franchement comique ni vraiment dramatique. Une coquetterie gentiment saugrenue, à peine préparée par ce qui a précédé dans le film et qui n’aura aucune incidence sur la suite; qui donc aurait pu tout aussi bien être coupée du montage. Bien trop de séquences dans Licorice Pizza fonctionnent sur ce principe, purement gratuit, du gentiment saugrenu mâtiné de clins d’oeil à la sous-culture américaine (ici, le propriétaire de la voiture est l’ancien mari de Barbra Streisand, ce qui nous fait une belle jambe). A l’image du titre, non traduit par des distributeurs toujours plus soumis à l’Oncle Sam.

Que ces fortes réserves n’induisent pas le lecteur en erreur sur mon appréciation du film. Parce que Licorice Pizza a été grandement surestimé à sa sortie il y a six mois, le retour de balancier est en quelque sorte naturel. Pourtant, à l’heure d’un cinéma hollywoodien gangréné par l’écriture feuilletonesque, la foi et le talent de Paul Thomas Anderson pour recréer un espace-temps par la seule force de sa mise en scène sont dignes d’encouragements. J’aimerais simplement que pour son prochain film, sa mégalomanie soit tempérée au point que ce grand génie s’abaisse à plancher, ou à faire plancher des gens compétents, sur l’écriture. Vu les éloges dithyrambiques qu’il a récoltés pour Licorice Pizza, ce n’est pas gagné.

First cow (Kelly Reichardt, 2020)

Dans l’Oregon au XIXème siècle, deux chasseurs de castors -un Chinois et un Américain- s’associent pour fabriquer des beignets et les vendre aux pionniers.

Un exemple de l’imposture d’une certaine modernité et d’un cinéma soi-disant indépendant.

Derrière la posture démysthificatrice: une dramaturgie hyper-simpliste, avec ses deux gentils pauvres et son riche méchant, qui veut tuer les deux pauvres juste parce qu’ils ont trait sa vache. Que l’on est loin de la subtilité et de la complexité agissante du Passage du canyon, sublime western vieux de 75 ans racontant également (entre autres choses) une histoire d’amitié dans l’Oregon des pionniers.

Derrière les préoccupations politico-écolo clamées en interview*: un contexte social que l’insipidité des acteurs, le schématisme du récit et la pauvreté des cadres rendent inexistant autrement que par les dialogues (aussi piteux que le reste mais chargés d’expliciter ce que nombre de westerns classiques, tel La captive aux yeux clairs, exprimaient par le seul truchement de leur mise en scène: les thèmes de la frontière, de l’enrichissement capitaliste…).

Derrière les références à Mizoguchi**: des plans étriqués aux antipodes de la richesse et du dynamisme de ceux du maître nippon. La superposition de protagonistes dans des champs sans profondeur et mal éclairés (car à l’époque les saloons étaient mal éclairés) n’engendre que confusion et étouffement. A peu près aucun plan d’ensemble qui restituerait, par exemple, la topographie du fort. Il y a certes quelques jolies images automnales mais, encore une fois, même d’un strict point de vue visuel, on reste loin de la splendeur de n’importe quel chef d’oeuvre du genre tourné entre 1945 et 1960 (cf Le passage du canyon, encore une fois).

Si coup de génie de Kelly Reichardt il y a, c’est d’avoir réalisé un western étriqué (soit l’équivalent d’une comédie pas drôle).

*l’autrice compare son méchant au patron d’Exxon mais son commentaire est nécessaire pour que le spectateur fasse le rapprochement. Preuve de l’échec de l’oeuvre.

**visiblement confondu avec Ozu par la réalisatrice américaine dans son entretien en bonus du DVD mais ce n’est pas grave car ça fait toujours chic de citer des cinéastes asiatiques.

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle (Arthur Harari, 2021) 

Refusant de croire à la reddition, un lieutenant japonais resta trente ans à combattre sur une île philippine, avec sa section de guérilla.

Bien sûr, l’ambition d’un « jeune » cinéaste français qui part tourner dans la nature cambodgienne avec des acteurs japonais force le respect. De plus, ce cinéaste a un admirable sens du découpage, restituant la beauté des paysages divers sans esthétisme et la topographie des quelques scènes d’action avec une rare clarté. Mais après? Que raconte Onoda? Quel est le point de vue de l’auteur sur son personnage extraordinaire? Difficile à dire. Malgré qu’il dure 2h47, le film ne développe guère son formidable postulat; il le ressasse. L’absence de concision se fait ressentir d’autant plus cruellement. Voir par exemple la scène de la première rencontre avec le touriste dont la longueur finit par diluer le sel. Harari a la sens de l’espace (ô combien) mais, ici, le sens du rythme, tant interne à chaque séquence que global, lui fait défaut (Diamant noir était mieux géré de ce point de vue). La relative fadeur de l’acteur principal et le quasi-escamotage des conséquences violentes de son fanatisme (le véritable Onoda tua une centaine de Philippins après la fin de la guerre) participent également à ce sentiment de neutralisation académique d’un sujet extrêmement fort. Ceci étant dit, s’il ne faut pas confondre Onoda-1000 nuits dans la jungle avec Fièvre sur Anatahan, ses qualités déjà mentionnées en font un film non seulement estimable mais aussi, ponctuellement, frappant. La dernière scène est franchement, même si presque forcément, émouvante.

Annette (Leos Carax, 2021)

Un comique épouse une soprano mais le bonheur du couple est altéré par la violence latente de l’homme.

Beaucoup de « self-indulgence » comme disent les Américains (les trop longues scènes de comédie), une musique omniprésente qui n’a pas vraiment le niveau de celle des Parapluies de Cherbourg et des effets de manche distanciateurs dont l’oeuvre aurait très bien pu se passer mais Annette n’est pas qu’un film de petit malin branchouille. L’ambition de Leos Carax, qui signe ici ce qui est selon moi son film le plus audacieux et le plus abouti, force le respect. Au-delà de la somptuosité plastique (même si son acteur principal a une face simiesque ) et de l’inventivité poétique de plusieurs séquences, sa tentative de ne travailler que sur du mythe pur, sans le moindre ancrage réaliste, emporte le morceau dans une brillante séquence finale où, enfin, l’émotion point. Après plus de deux heures de projection, c’est un peu tard mais c’est notable.

Benedetta (Paul Verhoeven, 2021)

Au XVIIème siècle, dans un couvent toscan, une nonne a des stigmates: miracle ou supercherie?

Passé les quelques scènes sans autre objet que l’étalage de mauvais goût (les latrines…) et la ringardise des scènes de vision et de plusieurs effets (la transformation de la voix du personnage lorsqu’elle est en transe), Benedetta s’avère un assez bon film de nonnes, sans trop de provocation gratuite et où l’ambiguïté de la mise en scène par rapport aux miracles maintient un relatif intérêt. Cependant, cette ambiguïté est aussi une limite dans la mesure où les motivations de Benedetta demeurent opaques. Il est également dommage que, dans ce rôle, Virgina Efira n’ait pas la justesse et l’envergure des précédentes actrices de Verhoeven (Sharon Stone, Carice Van Houten ou Isabelle Huppert). Bref, sans être à la hauteur des grands films de son auteur, Benedetta n’est pas un film déshonorant.

Des hommes (Lucas Belvaux, 2020)

Les éclats d’un homme lors de la fête d’anniversaire de sa soeur réveillent, dans sa famille, des traumatismes liés à la guerre d’Algérie.

Surabondance de voix-off qui ressassent leurs mauvaises consciences, dialogues-dissertations parfaitement invraisemblables, narration qui ménage artificiellement le mystère, gravité monotone et forcée (voir les grimaces des acteurs et actrices dans la scène d’introduction où même Depardieu est mauvais tant il joue la caricature de lui-même), dramaturgie qui repose sur un principe d’accumulation plutôt que d’évolution (inutilité de la scène de l’agonie de la fille-mère par rapport au reste du récit, facilité en même que fausseté de l’évocation des massacres de la division Das Reich…)…Au bon cinéma, Lucas Belvaux a préféré ici la mauvaise littérature.

Cry macho (Clint Eastwood, 2021)

Un vieil entraîneur de rodéo est chargé par son ancien patron de retrouver son fils de 13 ans au Mexique…

Après les réussites de La mule et du Cas Richard Jewell, force est de constater, cette fois-ci, une baisse de niveau certaine. Accumulant les situations écrites à la va comme-j’te-pousse, Clint Eastwood et ses scénaristes ne se donnent guère la peine de faire croire à leur schéma usé, vu et revu chez le cinéaste lui-même (la comparaison avec Honkytonk man et Un monde parfait fait mal). L’interprétation, très inégale pour ne pas dire embarrassante en ce qui concerne le gamin, n’aide pas à prendre au sérieux ce nouveau récit de cavale et de naissance d’une relation simili-filiale. Néanmoins, Cry macho parvient à toucher l’amateur de Clint Eastwood sans qu’il n’ait à transiger avec sa lucidité. D’abord, il y a, dans les méandres de ce récit mal fichu, une jolie bifurcation qui voit le héros, donc l’acteur, donc le cinéaste, s’attarder dans un village au milieu de nulle part. On retrouve alors un peu de la beauté de Josey Wales hors-la-loi, cette profession de foi si singulièrement moderne, discrètement mais chaleureusement exprimée, dans les attaches contingentes préférées à celles suscitées par l’idéologie, le passé ou le terroir.

Ensuite, évidemment, Cry macho vaut en tant que document sur une star nonagénaire. Document unique: nous n’avons pas connu Gary Cooper, John Wayne et autres Robert Mitchum dans la grande vieillesse. Il y a quelque chose de forcément émouvant dans le spectacle de ce corps autrefois incarnation de la force et de la virilité en train de marcher (péniblement), de conduire son pick-up, de soigner des animaux, de faire la cuisine, de faire la sieste, de danser…Ce d’autant que la lumière avec laquelle est filmée ce corps est parfaite: d’un crépuscularisme rare et subtil. On regrettera d’autant plus le découpage de la séquence de rodéo tant le réalisme bazinien est préférable aux truquages visant à faire croire que Clint Eastwood serait encore capable de dompter un cheval sauvage; la séquence où Clint donne un coup de poing est également ridicule. Il n’en demeure pas moins que, encore une fois, cette dimension crépusculaire est intégrée au récit. Dans ce film par ailleurs gorgé de fausseté conventionnelle, elle sonne juste, comme sonnent juste les confessions d’un vieillard.

Illusions perdues (Xavier Giannoli, 2021)

Sous la Restauration, un jeune poète tourangeau arrive à Paris et brille dans le journalisme…

Bien sûr, les adaptateurs ont retranché pas mal de choses de l’immense chef d’oeuvre de Balzac. Mais en tant que tel, même si tout ce qui a trait au deuxième poète est évacué -faisant perdre aux Illusions perdues une bonne part de leur cruauté et de leur sublime-, même s’il se focalise uniquement sur la perdition de Lucien chez les journalistes, le film se tient. Dans ce dessein général, les quelques ajouts (le personnage de Jean-François Stévenin) ont du sens. Le discours politique, social et moral de l’auteur est réduit à une satire de la corruption prévisible et parfois anachronique (la confusion entre Restauration et monarchie de Juillet) mais jouissive et globalement juste; la reconstitution est vivante, riche de détails savoureux et de répliques originales percutantes, et s’appuie sur une belle pléiade de seconds rôles. Le rythme de la narration est enlevé grâce à un montage brillantissime même si le pot-pourri de musique classique en guise de bande originale est souvent plus facile que pertinent. Bref, les deux heures et demi passent comme un charme. Cette très bonne vulgarisation de Balzac -selon ma mémoire la meilleure adaptation cinématographique de l’écrivain- aurait quand même pu alléger sa voix-off qui fait avancer le récit plus souvent que l’image quand elle ne paraphrase pas cette dernière et qui fait preuve d’un didactisme neuneu laissant croire que le spectateur du XXIème siècle est vraiment devenu inculte.

A l’abordage (Guillaume Brac, 2021)

Deux amis noirs partent dans un camping de la Drôme car l’un des deux veut rejoindre une fille rencontrée à Paris qui y est en vacances dans sa maison de famille.

Héritier d’Eric Rohmer, Guillaume Brac n’en demeure pas moins un homme de gauche concerné par la question de la représentations des minorités ethniques dans le cinéma français. Déjà, Contes de juillet et L’île au trésor avaient subrepticement introduit le thème de la mixité culturelle et sociale dans son cinéma. Dans A l’abordage, son projet d’intégrer deux jeunes des cités à la comédie de vacances façon Pascal Thomas était prometteur sur le papier car riche de potentiel comique ou dramatique suscité par le traditionnel argument du « fish out of the water ». Malheureusement, l’indigence de l’écriture, ainsi que la timidité de l’inspiration, brident ce potentiel. Trop souvent, les scènes semblent escamotées après avoir été maladroitement introduites. C’est le cas de tout ce qui a trait à la rivalité amoureuse avec le maître-nageur ou des confrontations entre les deux héros et leur chauffeur blablacar, un jeune bourgeois blanc finalement assez inexistant. L’arc narratif entre le bon pote et la mère esseulée est le seul qui sonne juste. Pire, compte tenu des intentions de l’auteur: la vision sociologique est parfois à côté de la plaque. Ainsi, s’imaginer que des jeunes gens du 93 risquent de trahir leur origine s’ils portent de belles chemises parce qu’ils ont la peau noire est révélateur d’un regard de bourgeois blanc visiblement peu renseigné sur son sujet. Pour autant, s’il déçoit, ce nouveau film de Guillaume Brac n’est pas dépourvu de qualités; en premier lieu des acteurs plutôt bons et en second lieu un sens de la composition visuelle, tout en simplicité épurée, qui produit des images belles à partir d’un endroit laid (le camping). C’est dommage.

L’un des nôtres (Let him go, Thomas Bezucha, 2020)

Après le décès accidentel de leur fils, un policier à la retraite et son épouse quittent leur ranch pour arracher leur petit-fils des griffes de sa nouvelle belle-famille.

Il y a un peu deux films en un. D’abord, l’histoire d’un beau couple vieillissant formé par Kevin Costner et Diane Lane, avec ses souvenirs amers et sa tendre tolérance pour les petits vices de l’autre, racontée dans des paysages grandioses et magnifiquement filmés avec un rythme apaisé mais qui ne dédaigne ni l’ellipse ni la suggestion. Toutes qualités classiques qui font de Thomas Bezucha un digne héritier de Clint Eastwood. En revanche, ce qui a trait à l’opposition westernienne contre la deuxième famille peine à convaincre car ces méchants manquent de motivation crédible et le cabotinage de Lesley Manville fait tomber leurs scènes dans le grand-guignol.

La cravate (Mathias Théry et Etienne Chaillou, 2020)

Documentaire qui suit un militant du FN à Amiens pendant la campagne présidentielle de 2017.

Le portrait est juste, fort et à la bonne distance: les réalisateurs font ressortir la singularité du parcours de ce militant, à rebours des stéréotypes sur les gens du FN. L’idée de le faire lire et commenter le texte des auteurs accroît cette impression d’honnêteté intellectuelle. Néanmoins, à la fin, lors de la séquence du meeting de Marine Le Pen, l’oeuvre tente d’aller du particulier au général, du psychologique au politique via des raccourcis fallacieux et ne peut alors s’empêcher de pontifier avec une voix-off joliment écrite mais envahissante et des surimpressions grotesques de la bouche d’un des auteurs récitant cette voix-off. Après avoir pris soin de nous montrer un homme dans toute sa particularité, il est regrettable car hâtif d’en faire un exemplaire « soldat de l’extrême-droite en Europe ». Finalement, la condescendance pointe le bout de son nez d’autant que, des positions politiques du FN, il ne fut nullement question. Ce qui, niveau politique, est le plus intéressant dans le film est la monstration de l’appareil du parti et du subtil mais irrémédiable décalage qui peut exister entre un militant de la base et les cadres. Mais cette vérité n’est pas propre au FN même si elle est plus éclatante chez lui puisque l’antiélitisme est un de ses fonds de commerce.

Tout simplement noir (Jean-Pascal Zadi et John Wax, 2020)

Peinant à trouver des emplois, un comédien noir décide d’organiser une marche des hommes noirs qui l’aidera à se faire connaître.

La structure narrative est déficiente et le film apparaît finalement comme une succession de sketches mais le sujet de l’identité est traité avec un génie comique tous azimuts qui empêche le film d’être récupéré par tel ou tel camp: tantôt outrancier et surprenant jusqu’au malaise (la séquence au restaurant qui vire au film d’horreur sans forcément perdre en vraisemblance) tantôt très subtil (la scène avec Omar Sy, doucement cruelle), Jean-Pascal Zadi pourrait s’avérer un digne héritier de Dino Risi: son regard sur son personnage médiocre est impitoyablement lucide et gorgé de dérision mais non dénué d’empathie et mis en relation avec des problèmes sociaux cernés avec acuité.

En avant (Dan Scanlon, 2020)

Deux frères partent dans la quête d’un artefact magique pour ressusciter leur père le temps d’une journée.

Des trésors d’émotion et de finesse (la façon dont le film arrive à faire exister des personnages aussi laidement dessinés est une prouesse) bien dignes de Pixar malheureusement partiellement gâchés par l’hystérie de l’écriture. Comme si les auteurs du studio avaient désormais pris acte que capter l’attention de leur vaste public doit désormais passer par l’empilement de rebondissements, poursuites et combats sans objet et très influencés par les jeux vidéos (la manette fait alors défaut). Les courses-poursuites, qui constituaient le morceau de bravoure dans les films de Pixar des années 2000, sont désormais assommantes à force d’être artificiellement accumulées. A noter: une musique variée et soignée dans son orchestration, ce qui devient suffisamment rare pour être noté.