Je ne regrette rien de ma jeunesse (Akira Kurosawa, 1946)

Des manifestations étudiantes de 1933 à la défaite de 1945, l’histoire de la fille d’un professeur libéral amoureuse d’un agitateur radical.

Les habitués de ce blog savent que son auteur n’est pas fou d’Akira Kurosawa. La surprise a donc été agréable de découvrir une de ses premières oeuvres, moins célèbre mais également moins pesante, moins caricaturale et plus concrète que nombre de ses classiques. En effet, Je ne regrette rien de ma jeunesse est peut-être le film de Kurosawa où l’histoire et la politique sont montrés avec le plus de justesse, loin de l’abstraction de ses transpositions de Shakespeare dans un passé japonais lointain et à moitié mythifié. En dehors du discours final un peu trop explicite, la propagande libérale y est parfaitement intégrée à un itinéraire amoureux, amical et politique donc singulier, émotionnel et romanesque où les rapports entre « rouges », « libéraux » et gouvernement dictatorial évoluent au fur et à mesure du récit. Le personnage de l’ami qui travaille pour l’état apporte une salvatrice complexité dramatique.

Visuellement, le film alterne des parlottes un peu mornes mais où pointe parfois une vraie sensibilité (exemple: la scène de groupe où le seul découpage permet de se figurer les sentiments de l’héroïne avant qu’elle ne les déclare) et séquences plus lyriques dans la nature où Kurosawa, visiblement influencé par le cinéma soviétique, se la donne grave. C’est exemplairement le cas de la superbe -mais amère- dernière partie qui montre l’héroïne travailler aux côtés de sa belle-mère à la campagne. Enfin, cet admirable portrait de femme, jouée par Setsuko Hara (future égérie d’Ozu), que l’amour aura conduite à l’émancipation* et à la sagesse, nuance considérablement la réputation misogyne de l’auteur des Sept samouraï.

*Je ne regrette rien de ma jeunesse est un des très rares films de son époque, tous pays confondus, à montrer, sans jugement, un ménage non marié.