La bataille pour notre Ukraine soviétique (Alexandre Dovjenko, 1943)

Le titre est un parfait résumé du film.

Puissante exaltation de l’Ukraine et du combat contre l’envahisseur allemand. Il faut voir le plan immense où, à l’image des nazis déferlant, un nuage voile progressivement une région pour se rendre compte combien Dovjenko reste insurpassable en matière de lyrisme cosmique; c’est un exemple parmi cent autres images magnifiques de la Nature. Aussi édifiant qu’il puisse être, étayant son didactisme avec des images d’archives allemandes (on voit ainsi Goering visitant l’Ukraine), le cinéaste garde pourtant un style gorgé de sève, de chaleur et d’inventions. Il délaisse le montage « marteau-piqueur » de ses films muets pour un rythme souple et délié. Il donne des aperçus du quotidien du peuple, avec de vieilles dames parlant en langue ukrainienne. Il singularise aussi son film de propagande avec une étonnante poésie macabre, tel ces images de partisans qui veillent aux côtés d’un squelette de soldat allemand. Enfin, l’épopée va de pair avec une mise en exergue des horreurs nazies qui préfigure Nuit et brouillard; voir les atroces plans de cadavres d’enfants. A l’heure de la nouvelle guerre en Ukraine, il serait judicieux de diffuser ce film qui, en plus d’être magnifique, est révélateur de la complexité de la mémoire russo-ukrainienne; sur Arte par exemple, avec une éventuelle contextualisation d’historiens.

Chtchors (Alexandre Dovjenko, 1939)

En 1917, le général Chtchors mène l’insurrection bolchevique en Ukraine.

L’académisme de Dovjenko est en adéquation avec la raideur édifiante du panégyrique commandé par Staline en personne. Il y a certes quelques beaux plans, où le lyrisme exacerbé de la propagande vise si large qu’il finit par toucher, mais les 2h15 de Chtchors finissent par ennuyer franchement.

Arsenal (Alexandre Dovjenko, 1929)

Après la première guerre mondiale, l’affrontement en Ukraine entre communistes et nationalistes.

Film de propagande attaquant les nationalistes ukrainiens extrêmement fatigant de par sa lourdeur. La virtuosité du cinéaste (montage et compagnie) n’y change rien; elle ne fait qu’accentuer le côté marteau-piqueur de l’ensemble. Aucune espèce d’intérêt à regarder ce film aujourd’hui.

La Terre (Alexandre Dovjenko, 1930)

On l’a quelque peu oublié aujourd’hui mais l’Ukraine fut une des provinces soviétiques où le cinéma était le plus florissant. Dans les années 20, le pouvoir central avait bien du mal à étouffer les traditions des metteurs en scène de ce pays de petits propriétaires (les vilains koulaks). Pour rééduquer les réfractaires, on fonda une école de cinéma à Odessa mais les cinéastes détournèrent l’expression du sentiment national en exaltant la Nature. A la fin des années 20, les Soviets décidèrent alors de frapper un grand coup en fermant les studios d’Odessa et de Yalta. Plusieurs réalisateurs furent envoyés en stage de rééducation à Moscou. Ils revinrent dans leur pays natal frappés par la lumière du génial petit père des peuples.

Alexandre Dovjenko était de ceux-ci, qui entreprit dès son retour de « combattre le nationalisme et le chauvinisme réactionnaire ukrainiens et chanter et glorifier la classe ouvrière ukrainienne qui a accompli la révolution socialiste » (propos de Dovjenko à propos de L’Arsenal, son film réalisé avant La Terre). La Terre est donc d’abord un film de propagande célébrant la « vie nouvelle », cette tarte à la crème du cinéma soviétique. La vie nouvelle, ici, ce sont les tracteurs et la mécanisation de l’agriculture qui permettront aux serfs de s’émanciper des koulaks. C’est pour le moins schématique, le drame individuel symbolisant cette lutte n’a strictement aucun intérêt tant il est traité niaisement, mais c’est sauvé de la pire des platitudes par un réel sens plastique.

C’est que Dovjenko a intégré le folkore ukrainien aux exigences du Parti. A priori, des plans appuyés sur la rosée tombant des pommes, sur les chevaux qui galopent, sur les têtes des vaches, sur les blés soufflés par le vent n’ont que peu à voir avec la doxa révolutionnaire. Aussi beaux soient ces plans. L’idée de Nature, c’est à vrai dire l’antithèse absolue du marxisme. Pourtant -et c’est là le génie du cinéaste- le montage fait que tous ces plans appuient et augmentent infiniment la portée du discours sur la « vie nouvelle ». La symphonie d’images montre qu’il n’y a pas que la foule de kolkhoziens qui empêche le koulak assassin de dormir tranquille. La Nature elle-même rend caduque l’existence des koulaks. A en croire ce film de propagande aux allures de poème cosmique, les saisons n’attendaient que le communisme pour se dérouler correctement.