18 springs (Ann Hui, 1997)

Dans les années 40 à Hong-Kong, la jeune soeur d’une ancienne danseuse est partagée entre un playboy et son ami, plus introverti.

A l’opposé de la précédente adaptation de Eileen Chang par Ann Hui, 18 springs est un film visuellement somptueux, photographié par le chef opérateur de In the mood for love, mais maniéré. La sophistication expressive de plusieurs plans, qui montre que Ann Hui en a toujours sous le pied en matière de mise en scène, n’empêche pas ce mélodrame d’être froid. Ainsi, cette histoire d’amours contrariées est aussi peu érotique qu’un film français des années 50 avec Jean Gabin. L’esthétisme semble ici un refuge face à l’émotion.

Summer snow (Ann Hui, 1995)

Une famille de classe moyenne fait face à la maladie d’Alzheimer de son vieux.

Son ancrage naturaliste, sa tendresse -non édulcorante- et, même, un soupçon d’humour naissant naturellement du décalage entre un malade d’Alzheimer et son environnement, rendent ce film infiniment plus juste et infiniment moins sinistre que Amour de Haneke. Loin de se contenter de présenter une déchéance programmée, Ann Hui montre les répercussions économiques, conjugales et, finalement, existentielles de la maladie du grand-père sur sa famille et plus particulièrement sur sa bru, magnifiquement interprétée par Joséphine Siao. On pourra regretter que les trouvailles gestuelles, abondantes, ne prennent pas le temps de se déployer dans le temps mais Summer snow s’avère tout de même un beau film.

 

Zodiac killers (Ann Hui, 1991)

Un jeune hong-kongais émigré à Tokyo s’entiche d’une compatriote maîtresse d’un yakuza.

Considéré comme le plus commercial des films de Ann Hui, Zodiac killers n’en demeure pas moins facilement rattachable au reste de son oeuvre. En effet, la réalisatrice y évoque encore une fois le drame de jeunes émigrés. Un discret sens du saugrenu (le décor puéril de la chambre du héros) exprime leur décalage de façon amusante mais c’est avec des pointes naturalistes et mélodramatiques que le tragique de leur déracinement prend des proportions barrèsiennes. Ce mélange des registres typiquement kong-kongais convainc moins lorsqu’il s’agit d’insérer des scènes de baston qui paraissent tout droit sorties des Miséroïdes. Cet aspect composite se retrouve également dans un récit qui ne trouve son unité qu’après la moitié du film.

Love in a fallen city (Ann Hui, 1984)

Au moment de l’invasion de l’Asie du Sud-Est par le Japon, une jeune divorcée hong-kongaise est séduite par un riche héritier.

Adaptation de Eileen Chang. Un certaine faiblesse formelle (variétoche incongrue, abus de zooms, photo moche…) et la relative fadeur de Cora Miao altèrent le souffle lyrique de cette fresque leanienne qui touche cependant par la saisie de gestes justes, par des audaces en matière d’utilisation de la voix-off qui amplifient le romanesque, par la finesse de sa retranscription de la pression sociale sur une divorcée de l’époque et par le surgissement brutal et tranquille de la guerre qui préfigure Hope and glory.

The story of Woo Viet (Ann Hui, 1981)

Un réfugié vietnamien voulant émigrer aux Etats-Unis se retrouve à travailler comme tueur pour arracher sa dulcinée des griffes du réseau philippin qui leur a fourni les faux passeports.

Un manque ponctuel de rigueur dans le détail (ex: le fait que le héros ne soit pas armé lors du premier assassinat) n’empêche pas ce film qui, à l’instar du génial Passeport pour l’enfer fait d’une réalité documentaire la matière brûlante d’un film d’action romanesque, d’emporter le morceau grâce à la rapidité du rythme, à la virtuosité non esthétisante mais brutale des scènes d’affrontement, au charisme du jeune Chow Yun-Fat et à la beauté de la jeune Cora Miao, à des personnages secondaires qui approfondissent avec justesse le pessimisme de la vision et à la liberté d’un cinéma hong-kongais qui ne plaçait décidément pas le curseur de l’insoutenable au même endroit que le cinéma occidental (on voit ici deux meurtres d’enfant). Le décor de Manille aidant bien sûr, on songe beaucoup au cinéma de Lino Brocka.

 

The way we are (Ann Hui, 2008)

Une veuve élevant seule son fils adolescent noue une amitié avec une vieille dame venue travailler dans le même supermarché qu’elle.

Le dédain de la forme est poussé un peu trop loin dans cette chronique réaliste: à l’instar de celle du cadeau au gendre partiellement gâchée par une nuque de figurant au premier plan, certains séquences basées sur des bonnes idées auraient gagné en émotion si leur cadrage avait été plus soigné. La tendresse de Ann Hui pour ses personnages (qui ne se comportent pas comme on s’imaginait qu’ils se comporteraient au début) mêlée au tranquille et amer constat de l’inanité des liens familiaux face à ceux que l’on se choisit fait pourtant de The way we are un film assez touchant.

Our time will come (Ann Hui, 2017)

Dans Hong-Kong occupé par les Japonais, après avoir aidé son ancien professeur à fuir, une institutrice s’engage de plus en plus dans la Résistance.

Retour en forme de Ann Hui avec cette véritable épopée. Comme elle l’a dit à la Cinémathèque de Bercy: « je me sens d’autant plus hong-kongaise que l’identité hong-kongaise est aujourd’hui menacée ». Ainsi, pour exalter le combat des East River brigades contre l’envahisseur japonais, elle s’approprie délibérément un style qui ne fut pas le sien à l’époque mais qui reste -à tort ou à raison- associé à l’âge d’or du cinéma HK. Elle filme les fusillades avec un découpage heurté et stylisé visiblement inspiré de Tsui Hark et John Woo. Cette fantaisie spectaculaire peut légitimement choquer le spectateur occidental habitué, lorsqu’il s’agit de résistance au cinéma, à l’austère solennité de L’armée des ombres. La très fulgurante virtuosité de la réalisatrice est patente aussi bien dans les scènes d’action que dans les moments de suspense ou d’émotion. Très réussi dans le détail, Our time will come déçoit pourtant car la fresque, hétérogène et discontinue, n’atteint pas la profondeur romanesque que ses prémices laissaient présager. Ann Hui va jusqu’à interrompre régulièrement le récit avec des inserts pseudo-documentaires où des acteurs jouent d’anciens résistants racontant leur combat. Ce frustrant procédé paraît stérile et contre-productif jusqu’au beau panoramique final qui synthétise les deux temporalités: c’est la naissance d’une nation qui nous a été montrée.

Passeport pour l’enfer (Boat people, Ann Hui, 1982)

Trois ans après la fin de la guerre et l’avènement du régime communiste, un reporter japonais engagé à gauche revient au Viêt-Nam…

S’éloignant peu à peu des cadres du parti qui supervisaient son travail, ce journaliste rencontrera des Vietnamiens appartenant à différentes couches de la société. Au fur et à mesure que se déroule le film, Ann Hui dessine ainsi une fresque mi-documentaire mi-thriller sur les horreurs totalitaires. Les observations précises de la réalité vietnamienne (déminage, pillage de cadavres après une exécution publique, arrestations arbitraires, camps de rééducation…) nourrissent un récit foisonnant qui ne dédaigne ni les artifices du thriller ni ceux du mélo.

Ce récit s’articule autour d’intrigues assez indépendantes les unes des autres et sa ligne directrice peut certes paraître manquer de fermeté. Le seul liant est en fait le personnage du journaliste et ce personnage reste longtemps en retrait de l’action dont il est témoin. Ce retrait est un choix judicieux car d’une part, le spectateur étranger au Viêt-Nam s’y identifie facilement et d’autre part, son parcours individuel n’élude jamais les souffrances de la population. Les gens qu’il rencontre ne sont pas ses faire-valoir. La réalisatrice ne s’attarde pas sur les cruelles désillusions qui sont les siennes mais qui ne sont rien en comparaison de ce qu’endurent ses amis vietnamiens sous le joug communiste.

Le filmage de Ann Hui, loin de faire redondance avec ce qui est représenté, est fluide, harmonieux et dénué de complaisance sordide: ampleur des mouvements à la grue, sûreté classique de la composition des plans. Cela n’en rend que plus frappant une violence qui arrive généralement sans ménagement. Son génie de la dramatisation à partir de données réelles, autrement dit son génie de la mise en scène, culmine dans un final puissamment lyrique où la cinéaste allie la maîtrise du suspense à l’inventivité graphique pour mieux faire ressentir la tragique horreur de la situation. On en ressort estomaqués.

Une vie simple (Ann Hui, 2011)

Le jour où celle-ci fait une attaque, un célibataire quadragénaire de Hong-Kong s’occupe de sa servante qui travaillait pour sa famille depuis soixante ans…

Vingt-deux ans après le magnifique Song of the exile, ça fait plaisir de retrouver un film de Ann Hui diffusé en France dans des conditions à peu près décentes. Si, avec sa surabondance d’ellipses et ses dialogues réduits à peau de chagrin, le début laisse présager une oeuvre encombrée de « tics du cinéma d’auteur international », la suite montre heureusement qu’elle n’a rien à voir avec les films en carton de Nuri Bilge Ceylan et consorts. A partir du moment où le héros se rend compte combien sa domestique lui est chère, Une vie simple, dont le récit est inspiré des souvenirs de son producteur et scénariste Roger Lee, se met à vibrer d’une sensibilité rare dans le cinéma contemporain.

Ce basculement s’opère définitivement lorsque les camarades d’enfance du jeune homme appellent l’ancienne servante dans sa maison de retraite. En axant la séquence autour de la bouffe, en utilisant discrètement et judicieusement le gros plan au sein d’un ensemble nimbé de pudeur et en s’appuyant sur de formidables interprètes (Deannie Yip en premier lieu), Ann Hui réussit ici une scène pleine de nostalgie et d’humour et, surtout, parvient à quelque chose de difficile et d’invariablement bouleversant au cinéma: la restitution d’une prise de conscience. Du même coup, elle s’inscrit dans la tradition du grand Leo McCarey plutôt que dans celle du sinistre Haneke lorsqu’elle évoque, avec une profonde justesse, les affres de la vieillesse.

Au premier coup d’oeil, on pourra reprocher à Une vie simple son aspect unanimiste, l’absence de conflit dramatique d’un récit qui décrit une relation basée sur les rapports de classes, la très rapide accommodation de la servante à sa maison de retraite (la scène d’arrivée est pourtant terriblement glauque). Après réflexion, ce serait faire un faux procès au film. D’abord, il est évident que montrer la domestique se révolter ou se plaindre aurait trahi la nature profonde d’un personnage qui, pour des raisons culturelles, sociales ou psychologiques, met un point d’honneur à ne jamais faire de vagues. Ensuite, Ann Hui regarde les choses avec une sorte de doux détachement et c’est son droit le plus strict d’autant que ce détachement va de pair avec une exceptionnelle finesse dans l’appréhension des subtilités du coeur humain (voir ainsi la grandeur inattendue avec laquelle est présentée le vieux queutard). Après tout, reproche t-on sa sérénité à Ozu?

Bref, courrez voir Une vie simple pendant qu’il est encore à l’affiche.

Song of the exile (Ann Hui, 1990)

Une jeune Hong-kongaise revient de Londres où elle étudie pour assister au mariage de sa soeur. Les retrouvailles avec sa mère, japonaise, sont difficiles.

Song of the exile est un très beau film où les flashbacks retracent l’histoire de la relation houleuse entre une mère exilée et sa fille. Cette narration apparaît finalement comme une façon un peu artificielle de concentrer les péripéties dramatiques mais cette réserve s’envole vite devant l’émouvante justesse de l’essentiel. L’essentiel, c’est à  dire l’écriture des personnages, les acteurs, les actrices, la mise en scène. Via le mélodrame, ce sont les soubresauts de la grande histoire qui sont évoqués par Ann Hui dans ce film semi-autobiographique. Son filmage est lyrique et élégant, employant avec autant de pertinence d’amples mouvements de grue à la Delmer Daves que des gros plans sur les visages féminins façon Bergman. Devant ces personnages regardés avec impartialité et empathie, devant cette douloureuse histoire familiale racontée avec pudeur et humour, on songe à Naruse d’autant que plusieurs séquences ont lieu dans la -superbe- campagne japonaise. Maggie Cheung, alors jeune, est digne d’Hideo Takamine.