L’admirable Crichton (Male and female, Cecil B. DeMille, 1919)

Une famille de la haute-société anglaise échoue sur une île déserte, avec ses domestiques.

D’abord, le jeu retors entre rapports de domination sociale et rapports de domination sexuelle est présenté avec beaucoup d’esprit et de finesse grâce, notamment, à la justesse des comédiens et au temps que le metteur en scène sait accorder à chaque séquence. Ainsi, la première partie est pleine de notations réalistes qui, en plus d’enrichir le contexte ou le comique, ont aujourd’hui une inestimable valeur documentaire. Ensuite, et c’est typique de l’auteur de L’empreinte du passé, de brusques -mais cohérents- changements de lieu, d’époque et de registre, en plus de surprendre le spectateur, insufflent une amplitude exceptionnelle à la méditation comique, qui s’avère aussi une poétique histoire d’amour à travers les âges grâce aux ajouts de DeMille et Jeanie McPhearson à la pièce originelle de J.M Barrie. Toujours, à commencer par la fin, DeMille privilégie la lucidité sociale à la convention démagogique. C’est donc excellent.

Le mariage de Joujou (Ivan Hedqvist, 1919)

Pour ne pas être déshérité, un jeune homme de bonne famille qui s’est fiancé à une boulangère charge sa dulcinée d’amadouer son oncle pendant un séjour dans sa famille.

Un marivaudage d’une belle finesse, tant au niveau de la lumière que du scénario et de la direction d’acteurs. Les jeux de séduction s’incarnent dans une splendeur solaire qui tranche d’avec la gravité puritaine propre à d’autres cinéastes suédois. Une plaisante réussite qui donne envie de creuser la filmographie de Ivan Hedqvist.

Le testament de Sa Grâce (Victor Sjöström, 1919)

Un vieux seigneur conditionne l’héritage de sa descendante à son mariage…

Comédie sans intérêt, prétexte au numéro d’une vedette du théâtre royal du Danemark: Karl Mantzius qui n’a pas fait carrière au cinéma et ça se comprend. Sjöström est moins doué que Stiller pour les comédies: il n’a pas sa légèreté versatile.

La sultane de l’amour (René Le Somptier et Charles Burguet, 1919)

La fille d’un sultan est enlevée par un prétendant.

Fondant les studios de la Victorine, Louis Nalpas entreprit cette superproduction de prestige qui a fort mal vieilli. Malgré de jolies images éclairées en lumière naturelle et coloriées au pochoir, l’infirmité par rapport au cinéma hollywoodien est éclatante niveau clarté de la narration, intensité de l’action et beauté des actrices.

Le calvaire d’une mère (Scarlet days, D.W Griffith, 1919)

Pendant la ruée vers l’or, une entraîneuse de saloon faussement accusée de meurtre est autorisée à revoir sa fille qui ne sait rien de sa profession pendant trois jours…

Le mépris dont souffre ce film de Griffith est bien révélateur de la stupidité des critiques américains. Après Intolérance, ils perçoivent le retour du maître au western (comme son titre ne l’annonce pas, Le calvaire d’une mère est un western) comme une régression. Ce faisant, ils jugent l’oeuvre par rapport à son sujet et passent à côté des qualités de mise en scène, qui demeurent formidables. Même si la situation des filles réfugiées dans la cabane attaquée a déjà été exploitée par l’auteur de Naissance d’une nation, l’intégration de l’action aux décors, l’appréhension du paysage, la variété des angles de caméra, la vitalité des comédiens et le montage des différents points de vue sont maniés avec une virtuosité sans commune mesure à l’époque, une virtuosité qui dramatise prodigieusement le matériau et fait de toute la seconde partie un grand moment de cinéma, d’un dynamisme continu. Ce qui pèche en fait dans Le calvaire d’une mère, c’est, comme souvent chez Griffith, l’intrigue-prétexte, stupidement mélodramatique et méchamment alambiquée.

Dans la tourmente (The girl who stayed at home, D.W Griffith, 1919)

Deux frères américains, l’un amoureux d’une entraîneuse, l’autre de la fille d’un confédéré émigré dans la Marne, partent faire la guerre en France.

A l’image des héros simplement transfigurés par l’amour, la mise en scène de Griffith transfigure -ponctuellement- le hic et nunc d’une action vivement menée (Carol Dempster et Frances Parks sont des actrices exhubérantes et attachantes) en y insufflant un parfum d’éternité purement cinématographique.

Du vieux châtelain sudiste saluant la bannière étoilée lorsque les soldats yankee chassent les Allemands de son domaine au soldat descendant de Emmanuel Kant (!) qui défend l’héroïne contre ses compatriotes abusifs en passant par la jeune fille qui même lorsqu’elle se morfond parce que son amoureux est parti ne peut s’empêcher de danser sur son disque favori de ragtime, les personnages sont riches d’une humanité vraie qui évacue toute propagande.

Sans figurer parmi les chefs d’oeuvre du maître, The girl who stayed at home est donc un beau film.

Le roman de la vallée heureuse (D.W Griffith, 1919)

Un jeune homme du Kentucky part à la ville faire fortune, au grand dam de sa fiancée et de ses parents…

Les minauderies de Lilian Gish sont toujours adorables et il y a des images pastorales superbes mais la sauce ne prend pas à cause d’un récit qui devient beaucoup trop stupide dans sa deuxième partie. L’innovation principale de ce film de Griffith, à savoir un flashback qui contredit le point de vue sur une scène précédemment présentée comme le fera plus tard Eric Rohmer, ne convainc guère tant son intégration semble confuse.

Quand la raison s’en va (Maurice Mariaud, 1919)

Ayant abusé de l’alcool, un jeune homme fait des rêves étranges.

Deux aspects singularisent ce classique drame de l’alcoolisme qui dure environ une demi-heure: le début, réaliste, où le travail dans les docks est largement montré, et la dernière partie où, a contrario, un onirisme féerique teinte la fable moralisatrice d’un soupçon d’ironie.

Le petit café (Raymond Bernard, 1919)

Un garçon de café hérite d’un marquis mais est forcé de garder son emploi par une clause de dédit.

La perfection astucieuse de l’intrigue d’après Tristan Bernard, la richesse burlesque et humaine de l’élégante interprétation de Max Linder et la qualité du découpage font de ce premier long-métrage français de comédie un pari réussi.

Wagon tracks (Lambert Hillyer, 1919)

Un pisteur se rend compte que le convoi qu’il emmène dans l’Ouest comprend l’assassin de son frère…

Avant La caravane vers l’OuestLa piste des géants ou Le convoi des braves, Wagon tracks est possiblement le premier représentant de ce sous-genre du western où des chariots bâchés remplis de pionniers partent vers l’Ouest. Pour une fois, William S.Hart ne joue pas un cow-boy au sombre passé mais un héros d’une candeur qui confine à la naïveté. Face à lui, il y a un méchant très méchant (et très fourbe). D’où que le manichéisme se substitue aux accents tragiques emblématiques de ses meilleurs films. Il y a bien un dilemme concernant la soeur d’un méchant mais c’est très stupidement et très facilement que le drame est dénoué. Heureusement, la mise en scène est solide. Lambert Hillyer exploite bien le décor naturel et particulièrement le désert où se déroule une séquence qui a possiblement inspiré Sergio Leone pour Le bon, la brute et le truand.

Dans les remous/Le chant de la fleur écarlate (Mauritz Stiller, 1919)

Amoureux d’une fille de ferme, le fils d’un propriétaire terrien quitte le domaine familial et devient flotteur de bois…

La nature n’est pas sublimée par la prise de vue comme elle a pu l’être dans d’autres films suédois, plus lyriques, de l’époque. Forêts, collines et torrents se contentent d’être le cadre réaliste d’un récit hautement moral agrémenté de plusieurs scènes pittoresques au premier rang desquelles figure une fameuse course dans les rapides.

Le président (Carl Theodor Dreyer, 1919)

Un président de tribunal se rend compte que l’infanticide qu’il doit condamner est sa fille naturelle.

Ce premier film de Dreyer est fort ennuyeux. Le poussiéreux canevas mélodramatique est traité avec une sécheresse et un sérieux hors de propos. Quelques expérimentations formelles (comme cette image de reflets inversés d’amoureux dans l’eau), un soin certain apporté à la lumière et l’utilisation du flash-back laissent à penser que cette adaptation du vieux roman de Karl Emil Franzos est surtout prétexte pour le cinéaste débutant à se faire la main.

La nuit du 11 septembre (Bernard-Deschamps, 1919)

Ayant volé le secret d’un mourant sur le champ de bataille, un homme usurpe la fortune de sa veuve…

Une des cinq bobines du film est perdue; ce qui ne clarifie pas la narration d’un mélo capillotracté mais vivifié par le lyrisme brutal du style. Si les articulations du récit ne sont pas très fines, c’est aussi parce que Bernard-Deschamps semble privilégier un violent symbolisme visuel aux motivations psychologiques (sans toutefois se passer complètement de ces dernières). Ainsi de la représentation du Mal avec des mains en ombres chinoises qui préfigure Nosferatu. Nombre de plans « fonctionnels » sont absents de son découpage où s’enchaînent des scènes réduites à une image forte. Voir par exemple la stupéfiante rapidité de l’enchaînement entre la rencontre avec la veuve et l’incendie de sa maison.

La présence de Séverin-Mars, toujours halluciné, mais aussi la beauté des cadrages et l’inventivité du montage au service de l’émotion évoquent, sur un mode mineur, les chefs d’œuvre contemporains d’Abel Gance. D’ailleurs, comme chez l’auteur de La roue, cette inspiration fiévreuse charrie autant de fulgurances que de naïvetés. Il n’empêche que La nuit du 11 septembre est un film étonnant qui gagnerait à être exhumé. Une exploitation retardée par trois ans de démêlés avec la censure empêcha malheureusement cet idéal chaînon manquant entre le cinéma d’avant-garde et le mélo commercial de prétendre à la postérité.

Le secret du bonheur (Victory, Maurice Touneur, 1919)

Un ermite retiré sur une île s’attire des ennuis lorsqu’il recueille une jeune femme exploitée…

Bon film d’aventures adapté de Joseph Conrad. Le pittoresque de la distribution (en particulier Lon Chaney), l’ambiguïté de la conduite de l’héroïne et les éclairages contrastés de René Guissart installent une atmosphère trouble tandis que le découpage inventif et elliptique dramatise judicieusement les scènes d’action.

La voix des ancêtres (Victor Sjöström, 1919)

Un riche fermier qui a épousé une femme qui ne l’aime pas monte au Paradis demander à ses ancêtres ce qu’ils feraient dans sa situation.

En adaptant Jerusalem, le roman-fleuve de Selma Lagerlöf, Victor Sjöström a tourné un très long film. Plus de trois heures dans sa version intégrale. Le kitsch des passages au Paradis n’empêche pas que La voix des ancêtres brille par son réalisme et sa sobriété. Par rapport aux oeuvres qui, après la Première guerre mondiale, avaient imposé le cinéma muet suédois comme le premier du monde, il y a ici moins de paysages et plus de scènes en intérieur.

Dans un récit romanesque qui dure plusieurs années, l’auteur retrace une vie conjugale entrecoupée de quelques évènements dramatiques. Il y a dans la peinture des rapports entre la bru et sa belle-famille, entre la femme et son mari, entre le couple et sa communauté, une franchise, un sens de la nuance et une profondeur qui font inévitablement songer à Ingmar Bergman mais qui sont en fait, de par la pudeur du style et l’humanisme du regard, plus proches de Henry King. Quoiqu’il en soit, Sjöstrom se montre incroyablement en avance par rapport aux autres cinéastes des années 10. Même si des évènements très durs sont évoqués (infanticide…), le ton n’est pas mélodramatique.

Délaissant pour une fois les grands espaces, Sjöstrom a raffiné à l’extrême la psychologie de ses personnages. Malgré sa durée et son austérité apparente, La voix des ancêtres n’est pas ennuyeux car le cinéaste a fait en sorte de raconter énormément à travers chaque geste, chaque regard, chaque enchaînement de plans. Ce génie de la mise en scène se retrouve heureusement dans quelques séquences en extérieur. Le plaisir des yeux s’ajoute alors à celui ressenti devant la justesse de l’expression des sentiments. Exemple: le panoramique en plan très très large qui suit l’arrivée d’une carriole au moment de la messe dans un village au bord d’un lac. La sérénité et la vitalité qui émanent de ce seul plan sont extraordinaires.

Bonne critique de ce film méconnu ici.

Madame du Barry (Ernst Lubitsch, 1919)

L’ascension sociale d’une courtisane.

Premier grand film en costumes réalisé par Lubitsch, Madame du Barry permet au cinéaste de regarder l’histoire par le petit bout de la lorgnette en faisant le portrait amoral d’une courtisane. Si la première partie est assez drôle et typique du cinéaste, la suite est plus ennuyante car elle se fait plus sérieuse, eu égard peut-être au tragique destin de la dame.

Madame du Barry fut le premier film allemand à sortir aux Etats-Unis et cela occasionna en France un tollé. Plus de détails sur cette page méconnue et passionnante de l’histoire du cinéma ici.

La poupée (Ernst Lubitsch, 1919)

Un héritier noble qui doit se marier mais qui a peur des femmes croit se tirer d’affaire en épousant un(e) automate.

Le film est à la hauteur de son sujet. La poupée est une petite comédie déjantée comme les concoctait Lubitsch en Allemagne. Le burlesque outrancier, les allusions salaces, la cruauté, l’individualité des personnages secondaires, l’inventivité poétique de la mise en scène (le coup des ballons!) et le charmant minois d’Ossi Oswalda en font un film réjouissant.