L’honneur du nom (The family honor, King Vidor, 1920)

Le fils d’une famille sudiste en décadence se met à travailler dans un tripot tandis que sa soeur est courtisée par le fils du maire qui s’oppose à la complaisance de son père pour les lieux de débauche.

Le schématisme puritain de l’intrigue -typique du Vidor première manière- est vivifié par la relative finesse des articulations du scénario et la netteté de la mise en scène, qui insuffle une réalité immédiate aux personnages en les ancrant dans des lieux fort bien photographiés. Il y a notamment une scène de bal sur un bateau à aubes qui sonne d’autant plus vrai que le réalisateur ne s’appesantit pas dessus comme le ferait certainement un réalisateur non contemporain de ce qui est raconté; rarement le son m’a autant manqué dans un film muet. Déjà, King Vidor sait enchainer et varier les plans pour dramatiser et élargir l’action. Voir par exemple la scène de cambriolage; rarement le son a été aussi bien suggéré dans un film muet.

Maître Samuel (Victor Sjöström, 1920)

Un prêteur sur gages acariâtre et méprisé par sa communauté s’entiche d’une jeune fille fiancée à un marin joueur…

Ce n’est pas sur le ton de la comédie que Victor Sjöström a traité ce sujet cher à Molière et à Dino Risi mais avec un mélange de tendresse retenue et de discrète cruauté. Sa mise en scène sophistiquée – avec notamment une belle utilisation de la profondeur de champ et des surcadrages- restitue les nuances psychologiques aussi bien qu’elle brosse le tableau de moeurs de la ville portuaire où se déroule l’action. Avec Maître Samuel, l’auteur des Proscrits et de Terje Vigen réalise encore une fois un très bon film, admirable de justesse et de maîtrise.

La danseuse idole (D.W Griffith, 1920)

Sur une île du Sud, une métisse païenne est aimée par le neveu du révérend et par un aventurier athée.

Un des moins bons films de Griffith: la lourdeur embarrassante du message évangéliste, la fausseté condescendante de la représentation où les indigènes sont joués par des blancs barbouillés de noir et la mièvrerie décousue du scénario ne sont nullement transfigurées par une mise en scène statique et convenue.

L’homme du large (Marcel L’Herbier, 1920)

En Bretagne, un pêcheur voit son fils mal tourner à force d’avoir été complaisant avec lui.

La nouvelle de Balzac a été affadie par l’ajout d’un personnage de grande soeur et par le plaquage du happy end. De plus, les fioritures visuelles de Marcel L’Herbier altèrent l’âpreté de la représentation. Toutefois, la haute tenue technique (les variations d’échelle de plan pendant la séquence de fête m’ont même paru inédites pour 1920) rend l’oeuvre digne d’intérêt car ainsi, on ne s’ennuie pas trop.

La vierge d’Istanbul (Tod Browning, 1920)

A Istanbul, une mendiante est témoin de l’assassinat d’un homme par un cheikh jaloux…

Cette kitscherie orientaliste à l’intrigue embrouillée confirme mon idée comme quoi, en dehors d’une demi-douzaine de titres célèbres à juste titre mais qui doivent leur caractère extraordinaire à leur contenu plus qu’à leur style, l’oeuvre innombrable de Tod Browning ne présente guère d’intérêt.

Les révoltés (Outside the law, Tod Browning, 1920)

Une jeune fille travaille avec un jeune homme à dérober des bijoux pour le compte du bandit qui a injustement envoyé son père en prison.

Hyper-expressif, Lon Chaney vole la vedette à Priscilla Dean. Parfois, les obsessions perverses de Tod Browning se marient bien avec la convention moralisatrice de l’intrigue (super scène où l’héroïne vise l’enfant avec son pistolet). La fureur des séquences de violence impressionne. Malgré certains ressorts tartignoles, Les révoltés est donc plutôt un bon film.

The Jack-Knife man (King Vidor, 1920)

Un vieil ébéniste vivant sur un bateau recueille un orphelin…

L’artifice du dénouement déçoit mais The Jack-Knife man est un beau film dans la lignée de Mark Twain. La vie au grand air, la solidarité entre marginaux et les familles qui se composent et se décomposent au gré de circonstances plus ou moins dramatiques sont filmées avec tendresse dans un sympathique cadre fluvial et forestier. Un soupçon de cruauté, qui trouve son expression la plus acérée dans le contrapuntique dernier plan, fait que jamais le film ne sombre dans la mièvrerie.

Son meilleur ami (Sand, Lambert Hillyer, 1920)

Après avoir été faussement accusé par son rival en amour, un vagabond embauché dans une gare démasque une bande de bandits.

Pour une fois, William S.Hart incarne ici un cow-boy lumineux. Sa relation avec le cheval Friz insuffle une tendresse amusante à un western plus conventionnel que Son dernier exploit, Le jaguar de la sierra et autres Cité du désespoir. Les scènes d’actions sont peu nombreuses, concentrées vers la fin, mais elles sont excellentes grâce à Lambert Hillyer qui fait toujours preuve de beaucoup de brio à la mise en scène. En définitive, ce n’est pas hyper original mais c’est très bon.

Sumurun (Ernst Lubitsch, 1920)

Le cheikh d’une ville arabe imaginaire s’entiche de la danseuse d’une troupe de comédiens itinérants…

Le mélange des registres ne fonctionne pas tant le décorum de pacotille, le manque d’unité dramatique et les personnages archétypés appelaient la fantaisie mais pas le mélo. Dans les passages fantaisistes, à base de courses-poursuites et de cache-cache, Lubitsch fait preuve d’une invention dynamique qui évite à Sumurun de s’affaisser sous la lourdeur de sa production.

La quatrième alliance de dame Marguerite (Carl Theodor Dreyer, 1920)

Au XVIème siècle, pour obtenir une paroisse, un candidat au pastorat récemment fiancé doit épouser la veuve du pasteur, vieille dame qui a usé trois maris…

Un petit chef d’œuvre d’équilibre où la drôlerie n’a d’égale que la tendresse, la sophistication plastique n’a d’égale que la vitalité des comédiens, la beauté des jardins ensoleillés n’a d’égale que celle des visages et le sentiment de plénitude provoqué par la conclusion n’a d’égal que le mystère et la subtilité du déroulement. La quatrième alliance de dame Marguerite est peut-être le film le plus attachant de Dreyer.

Son dernier exploit (The toll gate, Lambert Hillyer, 1920)

Pendant sa cavale, un bandit trahi par son complice sauve le fils d’une fermière et se réfugie chez cette dernière.

Ce premier film produit par William S.Hart fut une nouvelle réussite à l’actif de l’auteur-acteur. Les motivations des personnages dont le comportement est soumis à la convention manquent parfois de clarté et l’allégorie puritaine ne fait pas dans la finesse mais la formule de la star -rencontre entre un bandit foncièrement gentil et une jeune fille pure- fonctionne toujours bien grâce à la sobriété des acteurs et à la rudesse du ton (voir la mort du méchant).

Le Jaguar de la sierra (The testing block, Lambert Hillyer, 1920)

Un chef de bande tente de se ranger en fondant une famille…

Les quelques défauts de scénario -tel la faiblesse des motivations du méchant- ne pèsent pas lourd face aux accents de vérité élémentaire dégagés par ce western de William S.Hart. Une maison de rondins dans la clairière, une troupe de théâtre itinérante jouant sous la menace des bandits, le remords d’un caïd face au visage lumineux d’une jeune artiste, une pionnière qui joue du violon pour endormir son bébé, la violence d’une bagarre près du feu, l’ingénieuse évasion d’un héros à travers le toit…La beauté naturelle des images de Joe August, la simplicité directe du ton, le sens de l’ellipse, la sobriété de l’interprétation ou encore un montage parfaitement accordé à l’action (voir le rythme brutal de la poursuite finale) font partie des qualités formelles conférant à toutes ces séquences, qui entre d’autres mains pourraient sembler de pure convention, la fraîcheur des récits fondateurs. On note de surcroît que le puritanisme de Hart s’avère ici moins rigide qu’il ne l’a été (dans The redemption of Draw Egan par exemple). Merveilleux.

Narayana (Léon Poirier, 1920)

Un étudiant désoeuvré se voit offrir une statuette orientale lui permettant de faire 5 voeux avant de mourir…

Pour adapter La peau de chagrin de Balzac, Léon Poirier a accentué l’orientalisme du roman et a incarné le Destin dans les actions de personnages « méchants ». Le problème est que la motivation de ces derniers pour faire le mal n’est jamais expliquée et que le récit s’en trouve donc embrouillé. Ce n’est pas l’affectation du jeu de Edmond Van Daële qui compense cette confusion narrative. En revanche, la fusion de séquences autonomes réalisée via un montage quasi-musical permet parfois à la dramaturgie de se déployer indépendamment de l’armature d’un scénario fumeux mais via la poésie des ressources propres au cinéma. Rien que pour ces beaux moments qui exploitent intelligemment les intuitions avant-gardistes d’un L’Herbier, Narayana, film par ailleurs mis en scène avec goût, vaut la peine d’être vu.

Le dernier des Mohicans (Maurice Tourneur et Clarence Brown, 1920)

Pendant la guerre de sept ans en Amérique du Nord, les filles d’un colonel anglais sont envoyées d’un fort à un autre à travers un territoire hostile…

Clarence Brown, alors assistant à la mise en scène, a repris en main le tournage après que son mentor se soit blessé mais, produit par Maurice Tourneur productions, Le dernier des Mohicans est bien un projet du père de Jacques. On y retrouve son inventivité et son goût quant à la composition des images. La variété des distances et angles de prises de vue accroît la force dramatique de l’action. Voir par exemple le sublime dénouement où les immenses rochers de Yosemite fournissent un parfait écrin à la tragédie. Dans le rôle de Cora Munro, la jeune Barbara Bedford, fine, jolie et expressive, est une révélation de premier ordre. Les auteurs du film n’ont pas transigé avec la dureté de la fin du roman. Tout ce qui a trait à la relation entre Cora et Uncas confère au Dernier des Mohicans selon Tourneur un romantisme sombre et audacieux qui l’élève au-delà de sa condition de film d’aventures habilement troussé (ce qu’il est aussi). La noblesse nue du dernier plan réunissant ces deux personnages est à coup sûr l’oeuvre d’un grand cinéaste. En dépit d’une exposition quelque peu illustrative du fait de l’abondance de cartons, ce petit classique du cinéma muet américain n’a donc rien perdu de sa beauté.

Pour la sauver (Just pals, John Ford, 1920)

Dans une petite ville à la frontière du Wyoming et du Nebraska, un vagabond amoureux de l’institutrice se lie d’amitié avec un jeune fugueur…

Premier film réalisé par John Ford pour la Fox. Beaucoup de ses thèmes et motifs de prédilection sont déjà présents dans ce métrage tout juste long. L’hypocrisie sociale des villages de province, le lynchage empêché au dernier moment, la cruauté des enfants entre eux…sont évoqués dans un mélange de cocasserie, de tendresse et de dureté qui semble le reflet de la vie même et qui est si emblématique du cinéma de Ford. Les acteurs sont d’une belle justesse, à commencer par le cow-boy vedette de la Fox Buck Jones, parfait dans un rôle entre Charlot et Cheyenne Harry. Si la caractérisation des personnages est plus sommaire qu’elle ne le sera par la suite, Just pals réjouit franchement par sa sensibilité plastique et son intelligence humaniste très proche de l’esprit d’un Mark Twain.