La sagesse de trois vieux fous (King Vidor, 1923)

Trois vieux amis recueillent la petite fille de leur amour de jeunesse mais l’un d’eux est la cible d’un malfrat évadé de prison qu’il fit condamner…

Et ce n’est que le début d’une intrigue des plus artificielles. Mais King Vidor la transfigure grâce à son génie cinématographique. Il y a d’abord la qualité générale de la mise en scène: la sobriété des acteurs, le sens du décor, l’appréhension de l’espace…qui compensent le manque de vérité dans la structure du récit par la vérité des apparences. Il y aussi, et surtout, un stupéfiant sens du rythme qui fait comprendre pourquoi King Vidor se souvenait, dans ses mémoires, de La sagesse des trois vieux fous comme de l’emblème de ce qu’il appelait la « silent music ». La brutalité quasi-elliptique des raccords préfigurerait Pialat si elle n’était avant tout destinée à captiver le spectateur et à maximiser l’impact spectaculaire, notamment lors d’une évasion, montée comme une polyphonie crescendo, qui demeure une des séquences de poursuite les plus incroyables de l’histoire du septième art.

Raskolnikov (Robert Wiene, 1923)

Un étudiant tue sa logeuse.

Adaptation de Crime et châtiment à la mode expressionniste. Les décors déformés, typiques de l’auteur du Cabinet du docteur Caligari, insufflent au film une allure cauchemardesque qui s’accorde assez à l’univers de Dostoïevski. Même si certains plans versent dans l’esthétisme, l’ensemble demeure visuellement impressionnant et pertinent dans son caractère étouffant mais mouvementé. Ce qui manque, par rapport au roman, c’est la grâce, notamment celle apportée par le personnage de Sonia. Les acteurs, des caricatures du surjeu expressionniste bien trop âgées pour leurs rôles, manquent trop de naturel pour l’atteindre et les surimpressions et autres effets de manche du réalisateur ne sauraient compenser ce manque.

Rosita (Ernst Lubitsch, 1923)

A Séville, le roi d’Espagne sort du cachot une chansonnière parce qu’elle est jolie.

Premier film de Lubitsch tourné à Hollywood, à la demande de sa vedette Mary Pickford, cette adaptation de Don César de Bazan (l’opéra et non la pièce tragique) est une brillante comédie historique où la somptuosité des décors (signés Mitchell Leisen) n’altère ni la vivacité de l’interprétation ni l’inventivité du découpage. Le rythme reste enlevé et le ton léger sauf le temps d’un virage tragique qui aurait pu paraître déplacé s’il n’était justifié par une ultime pirouette dont le moteur reste le désir amoureux (unique motivation des deux personnages royaux).

P.S: Raoul Walsh est souvent mentionné comme co-réalisateur (non crédité) mais je n’ai trouvé aucune source fiable pour confirmer cette information. Quoiqu’il en soit Rosita est, dans le style et l’esprit, un film tout à fait lubitschien.

Le vaisseau tragique (Victor Sjöström, 1923)

L’ancien amoureux de l’épouse d’un capitaine embarque à bord du navire de ce dernier en tant que second.

Dernier film de Victor Sjöström tourné en Suède, Le vaisseau tragique porte bien son nom: la dignité du ton et les changements de point de vue insufflent une hauteur de vue qui empêche le manichéisme de s’installer. La dramatisation résulte d’un inéluctable enchaînement de faits (généralement) circonstanciés, comme dans les bons films américains. La mise en scène de Sjöström est toujours un sommmet de plénitude: dramatiquement subtile, émotionnellement touchante, visuellement spectaculaire et discrètement poétique. En tant qu’acteur, il est encore une fois remarquable, rendant sensible toutes les nuances d’un personnage ambivalent. Matheson Lang, vedette canadienne embauchée pour faciliter l’export, est moins expressif. La résolution heureuse pourrait paraître artificielle mais se trouve suffisamment étayée et affinée pour être acceptée par le spectateur sourcilleux.

As Pupilas do Senhor Reitor (Maurice Mariaud, 1923)

Après avoir fait ses études, un jeune homme revient à son village natal où il séduit toutes les filles…

Alors que je me posais des questions sur la réalité du talent de Maurice Mariaud après la découverte d’une série de films guère plus qu’intéressants, ce deuxième long-métrage portugais, après le chef d’oeuvre Os Faroleiros, vient me rappeler pourquoi je fus séduit par ce cinéaste. Adaptation d’un classique de la littérature lusitanienne, As Pupilas do Senhor Reitor saisit d’emblée graĉe à sa restitution de la région du Douro. Les décors naturels sont appréhendés avec un sens du cadre remarquable. La virtuosité du metteur en scène se manifeste aussi bien au niveau de la direction d’acteurs, tous très bons et évitant la caricature bien que parfois inexpérimentés en matière de cinéma, qu’à celui de la lumière, variée, ou de la profondeur de champ, qui permet à Mariaud de multiplier les actions dramatiques dans un même plan.

L’enracinement du récit se traduit également par la présence de nombreuses scènes de genre (effeuillage collectif du maïs, lessive, enseignement primaire, jeu de quilles…) qui insufflent un côté documentaire à ce rare témoignage filmé du Portugal profond au début du XXème siècle. Au-delà de l’anecdote, Maurice Mariaud saisit quelque chose de la réalité sociale du pays notamment dans les séquences mettant en scène le curé au début. En quelque sorte, ces scènes rendent sensible le totalitarisme bienveillant de l’église catholique avec une justesse qui est celle des choses dites sans vouloir-dire.

Cette splendeur du vrai rend As Pupilas do Senhor Reitor passionnant à regarder malgré malgré quelques relâchements du rythme narratif et le caractère suranné de son dénouement sacrificiel.

Geneviève (Léon Poirier, 1923)

Pendant le premier empire dans un village montagnard, l’histoire d’une femme qui rata son mariage à cause de la pauvreté de sa condition et que sa soeur fut séduite par un officier.

La trame de Lamartine est mièvre, les développements sont trop longs et le jeu des actrices parfois exagéré mais la mise en scène de Léon Poirier, dans la droite lignée de celle de Jocelyn, sobre, aérée, vigoureuse et bucolique, est le meilleur équivalent français de l’école suédoise et sauve le film en élevant le ton.

Scaramouche (Rex Ingram, 1923)

Pendant la Révolution française, un homme aux origines mystérieuses veut venger un ami révolutionnaire assassiné par un noble.

Ramon Novarro est fade, la grande Histoire est mal intégrée au récit principal et l’académisme de la mise en scène est assommant. La version de George Sidney est supérieure en tous points.

O Fado (Maurice Mariaud, 1923)

Un forgeron délaisse son foyer pour une fille de bar sous la coupe d’un chanteur de fado.

Inspiré par un célèbre tableau naturaliste portugais, ce court-métrage s’articule autour d’une intrigue moralisatrice et prévisible mais déroulée de façon concise et avec un sens de l’atmosphère crapoteuse qui rappelle la meilleure séquence du Fièvre de Delluc.

Ferragus (Gaston Ravel, 1923)

Les membres d’une société secrète empêchent un jeune homme de compromettre la fille de leur chef.

Pour une fois, le talent cinématographique de Balzac s’est concrétisé à l’écran. Même si Gaston Ravel n’est pas un génie de la mise en scène, il est suffisamment habile dans son découpage pour insuffler mystère, pittoresque et dynamisme à ce qu’il montre. Le cinéma est l’art idéal pour retranscrire les fantasmes suscités par le regard, sujet profond (parmi d’autres) de Ferragus et, à ce niveau, Ravel s’en sort bien. René Navarre, premier interprète de Fantomas, est parfait dans le rôle éponyme. Arthur Bernède, l’adaptateur, a trahi le roman à plusieurs endroits. Présenter la société des XIII dès le début du film change profondément la logique de la narration mais, dans une visée « serialesque », c’est un choix qui se défend. En revanche, le nouveau dénouement est regrettable: le tragique balzacien est troqué contre la plus pure des niaiseries.

Lasse Månsson de Scanie (Anders Wilhelm Sandberg, 1923)

Pendant la guerre suédo-danoise, un soldat suédois soigné par des villageois danois noue une idylle avec leur fille.

Ersatz danois de l’école suédoise. Particulièrement, A.W Sandberg imite beaucoup Les proscrits. Le problème est qu’il n’a ni le sens du détail vrai de Sjöström, ni sa finesse dans la direction d’acteurs ni, surtout, son génie pour appréhender les paysages qui ne sont ici pas beaucoup et pas très bien filmés exception faite du joli plan où Olga Belajeff se rhabille devant le lac. En résulte un film où ne subsistent plus guère que les conventionnelles coutures du récit.

La rançon d’un trône (Adam’s rib, Cecil B. DeMille, 1923)

Lasse de son mari, l’épouse d’un financier se laisse courtiser par un roi en exil tandis que sa fille découvre l’amour.

Dans un virtuose mélange des registres, les notations de Jeanie Macpherson et Cecil B. DeMille sur les relations hommes-femmes sont toujours aussi justes (ici, les rapports de jalousie entre une mère et sa fille sont bien retranscrits) mais le récit manque de concision à plusieurs endroits: intermède préhistorique trop long, fin qui n’en finit pas. Bref, Adam’s rib est la meilleure des comédies de remariage de Cukor mais ce n’est n’est pas la meilleure des comédies de remariage de DeMille (même si c’est quand même bien).

Baruch (Ewald André Dupont, 1923)

Au grand dam de sa famille, le fils d’un rabbin s’en va à Vienne pour devenir acteur…

Le récit est cousu de fil blanc mais il y a de jolies images de folklore juif et Ernst Deutsch qui joue le rôle-titre est d’une beauté telle qu’on se demande pourquoi il n’est pas devenu une star de premier plan.

Le comte de Monte Cristo (Henri Pouctal, 1917-1923)

La vengeance d’Edmond Dantès, trahi, emprisonné, évadé et devenu comte de Monte Cristo.

Feuilleton en huit épisodes ressorti en 1923 dans une version raccourcie à 3h. C’est cette version que j’ai vue. Ceci explique peut-être le rythme haché et soûlant qui empêche toute implication du spectateur dans le récit, toujours aussi rocambolesque. Le jeu des acteurs est globalement conventionnel et exagéré. Du point de vue du découpage, c’est nettement plus primitif que Travail même s’il y a des images assez fortes, telles celles au château d’If, et une utilisation audacieuse du clair-obscur (plus obscur que clair) par Léonce-Henri Burel. Tout ça pour dire que Le comte de Monte Cristo version Pouctal a plutôt mal vieilli.

Cameo Kirby (John Ford, 1923)

Sur le Mississipi, un propriétaire terrien se suicide après avoir perdu une partie de poker à laquelle assistait un joueur professionnel amoureux de sa fille…

Il s’agit du premier film de Ford crédité à « John Ford » à la place de « Jack Ford ». On trouve déjà la figure, chère au réalisateur de La chevauchée fantastique, du joueur plus noble qu’il n’y paraît. L’élégant John Gilbert incarne parfaitement ce rôle, le décor du Sud américain est plaisant et l’intrigue, quoique emberlificotée et conventionnelle, génère des scènes d’action mouvementée. Bref, sans être un film majeur de son auteur, Cameo Kirby se laisse regarder.

North of Hudson Bay (John Ford, 1923)

Dans la baie de Hudson, un homme cherche son frère chercheur d’or assassiné…

Pour un film de Tom Mix, il y a peu d’action et pas mal de scènes en intérieur. Qui plus est, cette action est très kitsch. Le folklore du costume de Tom Mix et l’artifice de ses pseudo-prouesses sont l’antithèse du naturel dru et beau des westerns avec Harry Carey. Vieillot.

Coeur fidèle (Jean Epstein, 1923)

Une orpheline amoureuse d’un brave garçon est enlevée par un marlou…

Ce pseudo-classique du cinéma muet français n’est en réalité qu’un poussiéreux mélodrame saupoudré de fatras avant-gardiste. Outre le scénario d’un schématisme caricatural, la direction d’acteurs est particulièrement déficiente. Léon Mathot, qui a prouvé plusieurs fois qu’il était un bon comédien, dessert son personnage de brave garçon tant l’expression de sa candeur confine à la niaiserie. Le découpage « impressionniste », ne laissant guère le temps aux plans, paraît aujourd’hui plus hasardeux qu’autre chose (pourquoi tous ces raccords dans l’axe?).

Deux séquences se distinguent par l’ostentation de leur montage. Dans l’une (la fameuse fête foraine), le déferlement d’images, imprécis et sans objet, tourne à vide tandis que l’autre est la seule bonne scène du film puisque la virtuosité formelle y est intimement liée à l’évolution émotionnelle d’un personnage (le méchant qui prend conscience qu’il est trompé pendant un concert de rue). N’était ce passage où la réalisation est -brillamment- expressive, Coeur fidèle aurait été épouvantable de bout en bout.

Koenigsmark (Léonce Perret, 1923)

Dans un duché imaginaire à l’Est de la France, la duchesse qui a fait un mariage de raison est victime d’une conspiration de son beau-frère…

De retour en France après son exil américain, Léonce Perret, qui fut le réalisateur numéro 1 de la Gaumont avant-guerre, se voit confier les rênes de cette superproduction adaptée de Pierre Benoit. Sa mise en scène est de bonne tenue et ne sombre jamais vraiment dans l’académisme décoratif mais chaque péripétie de ce qui reste somme toute un feuilleton est par trop délayée et le film finit par paraître interminable. Le récit, manquant d’unité dramatique et dont la trame est celle des opérettes de Lubitsch, aurait aussi gagné à se prendre moins au sérieux. Reste une petite poignée de belles scène tel la nuit de noces où le feu d’artifice (filmé en couleurs!) fait office de contrepoint à la solitude de la mariée. Sur 3 heures de métrage, c’est bien peu.