La tenancière anglaise d’un bouge marseillais raconte sa vie, riche en malheurs.
D’un canevas épouvantablement mélodramatique, Frank Borzage tire un film magnifique grâce à son art consommé de la mise en scène qui lui permet d’insuffler de l’épaisseur humaine, d’enchaîner les moments sublimes et de rendre sensible l’irruption de la grâce.
Norma Talmadge, qui est un peu à Janet Gaynor ce que Carol Dempster est à Lilian Gish, incarne avec une attachante vitalité la fille de mauvaise vie mais victime de l’injustice sociale et fondamentalement brave. La poétique reconstitution des bas-fonds marseillais par le grand William Cameron Menzies préfigure le Montmartre de L’heure suprême aussi bien que la Naples de L’ange de la rue tandis que le chef-opérateur Tonio Gaudio a fait des merveilles, notamment pour recréer le fog londonien.
Si la première partie reste assez conventionnelle et la suspension d’incrédulité lors de l’ahurissant rebondissement final moins évidente que pour les miracles de Lucky star, L’ange de la rue et L’heure suprême, la maîtrise inventive de Borzage lui permet de souvent se passer de cartons en même temps qu’elle pare plusieurs séquences d’une émotion pure et vraie. Entre autres morceaux de bravoure cinématographiques, citons le complexe jeu de regards dans la scène pivot, percutante ostension de la solidarité féminine en action.
Ainsi, en 1925, pour Frank Borzage, il n’y avait plus qu’un petit jalon avant la série de chefs-d’oeuvre des années 1927-1929.