Carrefour (Teinosuke Kinogasa, 1928)

Une soeur veut protéger son frère mêlé à une bagarre pour une prostituée ayant mal tourné.

C’est un peu moins inintéressant qu’Une page folle, car moins confus. Mais l’abstraction générale, à la manière des pires films du Kammerspiel, rend le récit particulièrement vain.

Une gamine charmante (The patsy, King Vidor, 1928)

Une jeune fille de bonne famille, en butte à sa famille, tombe amoureuse d’un prétendant de sa grande soeur.

Adaptation muette d’une pièce de théâtre, conçue autour de l’actrice limitée qu’était Marion Davies. Cela donne une idée des limites du truc, malgré quelques idées marrantes comme l’imitation par l’héroïne de Lilian Gish.

Une femme a passé (René Jayet, 1928)

Un marinier enlève une chanteuse de cabaret mais son fils adoptif est à son tour séduit elle…

Canevas schématique transfiguré par une virtuosité représentative des cimes atteintes par le cinéma à la fin de sa période muette. Si, à force de montage rapide, le passage censé être le plus dramatique vire à la rhétorique, l’ensemble est remarquablement tenu et fluide; dans ce premier film, René Jayet, 22 ans, restitue la beauté des fleuves et le grouillement des bouges aussi bien que la brutalité sensuelle qui meut ses personnages de primitifs. Brillant.

Faiblesse humaine (Sadie Thompson, Raoul Walsh, 1928)

Sur une île du Pacifique, une ancienne chanteuse courtisée par la soldatesque est prise en grippe par un activiste puritain.

La nature du pouvoir et la motivation du puritain lorsqu’il refuse l’expulsion à Sydney auraient gagné à être précisées mais, mené par un grand duo d’acteurs apte à restituer toute la complexité évolutive de leurs personnages et doté d’une mise en scène expressive et riche de détails qui transfigure la quasi-unité de lieu, Sadie Thompson n’en demeure pas moins un très bon film de Raoul Walsh.

Morgane la sirène (Léonce Perret, 1928)

Cherchant sa fiancée disparue pendant une promenade en barque, un officier de marine rencontre la mystérieuse châtelaine d’une île bretonne.

Ce film tardif de Léonce Perret souffre d’un scénario alambiqué qui manque d’unité dramatique et, à l’instar de nombreux films français un peu prestigieux des années 20, d’une mise en scène essentiellement décorative. Morgane la sirène confirme que Perret perd sa pertinence après 1914.

Rhapsodie hongroise (Hanns Schwarz, 1928)

En Hongrie, un officier désargenté convoite la fille d’un intendant agricole.

La convention assez mièvre du récit fait que la splendeur du Mensonge de Nina Petrovna n’est pas encore atteinte mais la finesse de l’ensemble des interprètes -y compris Dita Parlo- et la sophistication de la mise en scène transfigurent cette convention. Plusieurs séquences de ce film court (à peine plus d’une heure) révèlent le talent d’un grand cinéaste. L’ample vivacité de sa caméra n’a d’égale que l’allégresse avec laquelle il varie les registres.

L’Homme le plus laid du monde (The way of the strong, Frank Capra, 1928)

Un caïd défiguré s’entiche d’une violoniste aveugle…

Le genre de petit film à cheval entre plusieurs genres (mélo, comédie et film policier) que Frank Capra enquillait à ses débuts à la Columbia. Sa virtuosité est déjà remarquable et son inventivité épice un canevas qui, sans ces qualités, aurait pu sombrer dans la mièvrerie. Enfin, un dénouement absolument extraordinaire auréole ce produit de studio d’un romantisme goethéen. The way of the strong est donc plus qu’une rareté: c’est un film bien ficelé et surprenant.

L’Épave vivante (Submarine, Frank Capra et Irvin Willat, 1928)

Sans le savoir, deux amis plongeurs de la Marine américaine sont amoureux de la même fille.

Quelques plans documentaires dus au concours de la US Navy agrémentent ce récit des plus conventionnels. Accompagné par les mêmes acteurs, Jack Holt et Ralph Graves, Capra affinera ce schématique canevas et haussera le ton dans Flight et dans le sublime Dirigible.

Tire-au-flanc (Jean Renoir, 1928)

Un jeune bourgeois et son domestique font leur service militaire…

Différence entre les classes sociales et universalité du désir sont filmées avec justesse et ironie dans un début et une fin typiquement renoiriennes. Le reste, à savoir une heure de comique troupier muet, est tout à fait ennuyeux.

Les damnés de l’océan (The docks of New-York, Josef Von Sternberg, 1928)

A New-York, un soutier sauve une jeune fille qui s’était jetée à l’eau…

C’est à juste titre que Les damnés de l’océan est considéré comme un des chefs d’oeuvre les plus aboutis de l’art muet. Le génie plastique de Sternberg qui équilibre parfaitement esthétisme et documentaire, poésie embrumée et truculence bistrotière, et qui a tant marqué certain cinéma des années 30 (Carné ne s’en est jamais remis) n’a rien perdu de sa splendeur. La mise en scène est arrivée à un tel degré d’expressivité qu’il semble que les cartons ne soient utilisés que pour leur valeur littéraire. Ainsi le piquant des dialogues de Jules Furthman n’a d’égal que le sens de la suggestion de Sternberg qui a le toupet de se passer de mot à un tournant aussi crucial que celui où la jeune fille se met subitement à houspiller son récent mari venu la consoler.

La maturité du style s’accorde à celle de la vision du monde: l’unité de temps, de lieu et d’action fait que les personnages apparaissent comme saisis dans un bloc de présent. Leur passé est à peine évoqué (magnifique allusion du tatouage) et l’histoire d’amour se construit au fur et à mesure de l’action. C’est un des nombreux traits de génie des auteurs que d’avoir réduit la psychologie du héros à l’esprit de contradiction, ses réactions de matamore purement circonstancielles finissant par le piéger dans une romance comme s’il s’était pris dans sa propre toile d’araignée. Sentimentalisme aussi bien que cynisme sont rejetés au profit d’une justesse de l’observation des comportements jamais prise en défaut. Cette vérité qui naît de l’incertitude d’un récit ouvert à toutes les contingences, on pourrait la qualifier de « moderne » si l’adjectif n’avait été vidé de son sens par tant de folliculaires. Elle donne en tout cas au dénouement son caractère aussi implacable qu’incertain.

Crépuscule de gloire (The last command, Josef Von Sternberg, 1928)

Un général russe déchu par la Révolution devient figurant à Hollywood…

Les grandioses images du train plongeant dans le lac glacé sous le regard de Emil Jannings matérialisent somptueusement le drame puissant qui se jouait derrière la reconstitution hollywoodienne de la Révolution russe. La dernière partie qui montre la vérité des émotions au service de et à travers l’artifice est stupéfiante d’intelligence du septième art. Après avoir dérangé par sa lourdeur, le jeu très expressif de Emil Jannings se révèle idéal pour incarner tous les aspects -sociaux, moraux, physiques- de la pathétique déchéance d’un homme qui est au fond le sujet de ce grand film.

L’insoumise (Fazil, Howard Hawks, 1928)

Un prince arabe et une Parisienne frivole s’éprennent l’un de l’autre.

Si le début, drôle et piquant, préfigure les classiques de Hawks où un niais se fait dégourdir par une femme libérée, le virage à la Roméo et Juliette surprend, quoique négocié naturellement par la narration. Les dernières séquences exhalent un romantisme tragique que l’on ne retrouvera plus guère chez l’auteur de L’impossible Monsieur Bébé. Plus qu’à une comédie sur le fossé culturel entre Occident et Islam, l’adaptation de la pièce de Pierre Frondaie donne ainsi lieu à une vision mythologique et fascinante de l’Orient du même ordre que dans Forfaiture. En terme de mise en scène, le cinéaste utilise brillamment les larges possibilités de la Fox de 1928, le studio des grands films de Borzage et Murnau. Je citerais par exemple le capiteux travelling qui suit l’arrivée de Greta Nissen dans le harem. A voir.

 

Peau de pêche (Jean Benoît-Lévy & Marie Epstein, 1928)

Un orphelin de Montmartre restitue un bijou à une riche dame qui l’avait perdu lors de son mariage…

Ainsi commence le récit de l’enfance et de la jeunesse de cet orphelin surnommé « Peau de pêche » en raison de son teint. Un des attraits de ce récit est qu’il bifurque dans des directions très variées, déjouant rapidement les appréhensions que pouvait provoquer un début façon conte de fées à deux balles. En effet, l’impact direct de sa rencontre avec la grande dame sera plus important dans la mémoire du gamin que dans son quotidien. Ainsi Benoît-Lévy & Epstein restituent bien les broderies d’un enfant autour d’un joli souvenir.

De nombreuses scènes n’ont qu’un rapport ténu avec le fil directeur de l’intrigue mais frappent par leur justesse. Je pense à cet instant où, ayant été placé à la campagne, Peau de pêche imite Maurice Chevalier pour évoquer Paname à ses nouveaux camarades d’école. Je pense aussi au moment merveilleux de tendresse et d’humanité qui montre l’ensemble des villageois se réunir autour de l’unique poste de T.S.F pour écouter les nouvelles du monde. Benoît-Lévy & Epstein filment les champs de Picardie avec autant d’attention et de sens plastique que les rues de Montmartre. La grandeur simple des séquences dans la ferme près du front préfigure La maison des bois.

Cette vérité de l’instant va de pair avec une poésie symboliste insufflée par un montage particulièrement inventif. Le souffle militant et lyrique de certaines séquences, telle l’émouvante succession de travellings sur les fenaisons et les tombes, est digne des grands Soviétiques. On peut considérer Peau de pêche comme un récit à la Feyder mis en images par un émule d’Eisenstein. Un mièvre retour final à la convention romanesque n’empêche pas qu’il puisse être considéré comme un des films français majeurs de la fin du muet.

Riley the cop (John Ford, 1928)

Un policier débonnaire qui « n’a jamais arrêté personne » est envoyé en Europe arrêter un jeune homme de son quartier soupçonné de vol.

Comédie policière sympathique et parfois amusante mais dont la complaisance, notamment la complaisance dans le pittoresque, finit par lasser. La musique est médiocre, comme souvent dans les premiers films sonores.

Verdun, visions d’histoire (Léon Poirier, 1928)

« Docu-fiction » sur la bataille de Verdun.

Ce film, réalisé par cette sorte de cinéaste officiel de la IIIème République qu’était Léon Poirier, témoigne parfaitement de l’état de la mémoire française de la Première guerre mondiale dix ans après l’armistice. Comme le disent si bien Bardèche et Brasillach, le ton oscille sans cesse entre Déroulède et Eric Remarque, entre « On les aura! » et « Plus jamais ça » . De nombreuses séquences d’archives mettant en scène des officiels ou des anonymes font office de gage de réalisme. La petite part de fiction est très schématique.

Si Verdun, vision d’histoire ne s’affaisse pas complètement sous sa lourdeur édifiante, c’est grâce au saisissant effet de réel qui naît des -nombreuses- scènes de bataille. Peu découpées, en plans larges, ces tableaux infernaux renvoient à la spécificité ontologique de l’image cinématographique chère à André Bazin. Une séquence très impressionnante parmi d’autres: deux soldats, filmés en plan pas si large que ça, discutent lorsque un obus tombe au milieu d’eux. Il n’y a pas le moindre raccord au moment de la chute de la bombe. D’une certaine façon, il n’y a donc pas le moindre truquage.

La symphonie nuptiale (Erich Von Stroheim, 1928)

A Vienne, un jeune officier de la garde impériale qui s’est arrangé pour épouser une bourgeoise s’entiche d’une fille du peuple…

Un très grand film qui montre que la cruauté de Stroheim, sa somptueuse mise à néant des oripeaux sociaux, n’est pas complaisance cynique mais va de pair avec une certaine nostalgie romantique. Les scènes d’amour au clair de lune sont très belles et je ne crois pas qu’elles soient essentiellement ironiques. Cette dialectique nourrit le récit et renforce l’amertume finale où il est évident que l’officier jouisseur est le premier désolé par sa combine.