Tarakanova (Raymond Bernard, 1929)

Au XVIIIème siècle en Russie, une nonne ressemblant à une cousine de l’impératrice est utilisée par des nobles pour détrôner Catherine II.

Film d’aventures historique préférable au célèbre Miracle des loups: outre le rythme plus entraînant et la grandiose virtuosité des scènes de foule et d’action, bien digne de l’apogée stylistique et expressive que furent les dernières années du muet, l’héroïne rocambolesque est chargée d’une relative consistance émotionnelle lorsqu’il s’avère qu’elle fut la première dupe de son imposture.

La divine croisière (Julien Duvivier, 1929)

L’équipage d’un armateur véreux disparaît dans une tempête. La fille de l’armateur, amoureuse du capitaine, monte une expédition pour partir à leur recherche.

Le sens visuel de Julien Duvivier, alors à son sommet, poétise une histoire tarabiscotée et teintée de mysticisme chrétien.

Napoléon à Sainte-Hélène (Lupu Pick, 1929)

Les dernières années de Napoléon, prisonnier de Hudson Lowe à Sainte-Hélène.

Ne pouvant réaliser sa très ambitieuse biographie de Napoléon en six épisodes, Abel Gance a vendu le scénario du dernier à Lupu Pick, cinéaste emblématique du Kammerspiel. En résulte un film évidemment très différent du légendaire Napoléon mais plutôt bon. L’emphase des cartons de Gance contraste avec la mise en scène calfeutrée. Le déroulement attendu de l’hagiographie n’empêche pas deux ou trois jolies scènes intimistes.

Erotikon (Gustav Machatý, 1929)

La fille d’un garde-barrière est séduite par un pianiste qui passe la nuit chez eux en attendant son train.

Quelques préciosités visuelles de type surimpression ainsi que la fausseté du dénouement altèrent à peine la maîtrise brutale d’un style qui semble avoir pour but de restituer la force d’une attirance charnelle. Cette puissance de l’érotisme subvertit et dialectise le mélo. Victime consentante, Ita Rina est excellente.

Le masque de fer (Allan Dwan, 1929)

Vingt-cinq ans après avoir été séparés par Richelieu, d’Artagnan et ses amis se retrouvent pour contrer un complot d’usurpation royale.

Douglas Fairbanks et les scénaristes à sa solde ont allègrement mélangé -et trahi- Les trois mousquetaires et Le vicomte de Bragelonne. Mais ils l’ont fait intelligemment. Certes, la complexité tragique du dernier volet de la trilogie de Dumas a été évacuée au profit d’un manichéisme bien hollywoodien mais l’ensemble forme un récit cohérent même si riche en péripéties. Le rythme de ce Masque de fer compte parmi les plus parfaits de l’histoire du cinéma. L’action est pour ainsi dire continue. L’attention de la caméra aux cabrioles toujours impressionnantes de Fairbanks, âgé de 46 ans, n’empêche pas la restitution d’un monde grouillant et poétique grâce notamment à la variété somptueuse des décors et à la remarquable utilisation de la profondeur de champ. La cadence n’exclut pas la mélancolie, matérialisée par des surimpressions naïves et émouvantes. Bref, un chef d’oeuvre, cent coudées au-dessus du terne film de Niblo.

Le secret du cargo/L’énigme du poignard (Maurice Mariaud, 1929)

En Algérie, un détective enquête sur l’enlèvement d’une artiste de music-hall…

Entre Tintin (le héros pur et dégingandé en pantalon de golf) et Rintintin (son fidèle acolyte n’est pas un fox-terrier mais un berger allemand), ce film policier qui se transforme en film d’aventures coloniales ne manque pas d’originalité dans le contexte du cinéma français de la fin des années 20. Le rythme de la narration aurait gagné à être plus rapide mais l’oeuvre n’est pas avare en extérieurs algériens qui donnent une touche documentaire légère et bienvenue au divertissement. Dynamique et désertique, la dernière partie culmine dans un duel sur les rochers parfaitement découpé où Maurice Mariaud s’avère plus proche de Anthony Mann qu’aucun des auteurs français contemporains régulièrement distingués comme tel par la critique parisienne. Sympathique.

Le plus fort (Alf Sjöberg et Axel Lindholm, 1929)

Deux chasseurs de phoque aiment la même femme.

Typique des dernières années du cinéma muet, la mise en scène est subtile et se passe souvent de cartons pour retracer l’évolution du drame. Dix ans après Les proscrits, la dimension paysagiste propre à l’école suédoise est poussée à son paroxysme et d’admirables séquences, dignes de Flaherty, sont consacrées à la chasse aux phoques et aux ours. Toutefois, quelques faiblesses de rythme traduisent un manque de condensation narrative tandis que, dépourvues de lignes verticales voire de lignes d’horizon, les images de banquise accentuent la sensation de monotonie. Le plus fort n’en demeure pas moins un film estimable.

Les rails (Mario Camerini, 1929)

Après avoir raté son suicide, un jeune couple en fuite trouve un portefeuille et s’en va au casino à San Remo…

Le fait que, comme souvent à la fin des années 20, le film soit presque dépourvu d’intertitres et que le récit avance d’une façon essentiellement visuelle n’empêche pas ce récit d’être convenu et prévisible. Sans doute même que, l’invention dans le détail du talentueux Camerini n’étant pas celle d’un Murnau, ce refus du verbe contribue au schématisme de Rotaie.

Le mensonge de Nina Petrovna (Hanns Schwarz, 1929)

La maîtresse d’un colonel séduit un jeune aspirant…

Encore une fois, Pierre Rissient a vu juste: Le mensonge de Nina Petrovna est bien un des chefs d’oeuvre méconnus du cinéma muet. Les comparaisons avec Max Ophuls ne sont pas exagérées. Comme elle le sera dans Liebelei et dans Madame de…, la caméra est extrêmement dynamique et ses déplacements sinueux dans un décor opulent fascinent en même temps qu’ils font ressortir la vanité des femmes s’y ébattant. Bien sûr, l’amour véritable -et avec lui la tragédie- s’immiscera dans ce cocon de légèreté soyeuse.

Cet amour, Hanns Schwarz en retranscrit l’évolution dans de longues séquences où la précision de l’enchaînement des actions alliée au tact lubitschien de son découpage le dispense d’utiliser abondamment les intertitres. Le jeu des acteurs, sobre et jamais caricatural, est à l’avenant de cette finesse stylistique. Brigitte Helm, célèbre incarnation du robot de Metropolis, se révèle ici tragédienne digne de Greta Garbo. Enfin, l’inventivité pudique et poétique du metteur en scène rend la dernière séquence véritablement sublime.

La mélodie du coeur (Hanns Schwarz, 1929)

Montée à Budapest de sa campagne natale, une petite bonne tombe amoureuse d’un soldat…

Ce premier film parlant allemand (que j’ai vu dans sa version insonorisée qui est vraisemblablement meilleure car moins statique) préfigure clairement le cinéma de Max Ophuls. L’étourdissante virtuosité formelle, typique des dernières années du muet, est à même de restituer les effervescences urbaines, dansantes ou populaires dans lesquelles les protagonistes aiment à s’enivrer. Hanns Schwarz filme avec un égal bonheur la capitale et la campagne, sachant grâce à ses plans longs, souples et mobiles corréler l’action dramatique à un cadre, un décor, un lieu.

Ce sens du mouvement va de pair avec une finesse de l’appréhension des rapports entre amour et argent digne de l’auteur du Plaisir. Derrière son titre sentimental, La mélodie du coeur peut ainsi être considéré comme un petit traité sur les différentes formes de prostitution, acceptée et réprouvée, féminine et masculine. Une véritable attention de l’auteur à ses personnages abstrait ceux-ci de leurs rôles de convention et transfigure le canevas mélodramatique. Voir la caractérisation du soldat qui est à l’opposé de tout schématisme réducteur mais qui est nourrie par les circonstances de l’action; moderne en un mot.

Dans ce grand film nuancé et dialectique, seule l’interprétation de Dita Parlo dépare. Toutefois, les fausses notes apportées par son visage uniformément résigné n’empêchent pas La mélodie du coeur de se conclure sur une fin sublime où la retenue de l’expression hisse le mélo à la hauteur de la tragédie. C’est alors à Mizoguchi que l’on songe (impression renforcée par des images magnifiques de lacs).

Seven keys to Baldpate (Reginald Barker, 1929)

Un écrivain relève le défi d’un ami en passant la nuit dans une maison isolée mais des événements inquiétants s’enchaînent…

Théâtre filmé typique des débuts du parlant et en cela très vieillot. Le récit est complètement artificiel mais le découpage et l’éclairage sont certes plus dynamiques et variés que dans d’autres films contemporains.

 

Rue des âmes perdues/Son dernier tango (The woman he scorned, Paul Czinner, 1929)

Parce qu’il s’y est engagé devant Dieu qui lui a sauvé la vie, un gardien de phare épouse une fille de bastringue…

Mélodrame des plus schématiques transfiguré par la virtuosité totale et le raffinement visuel de Paul Czinner. L’histoire n’est guère sophistiquée et souvent bêtement conventionnelle mais force est de constater que le cinéaste n’a besoin que de peu de cartons pour la raconter. Plusieurs scènes -la séduction ambiguë dans le bar- et plans -le travelling légèrement satirique sur la table du mariage, le dernier sur la plage- ont une force d’expression indépendante du récit faiblard qui les porte.

Salute (John Ford, 1929)

Quoique peu attiré par la Marine, le petit fils d’un grand amiral rejoint l’école navale d’Annapolis…

Historiquement parlant, Salute est un film important dans la carrière de John Ford. C’est le film qui lui a fait découvrir -et aimer à vie- la Marine. C’est le premier film qu’il a tourné avec Stepin Fetchit et Ward Bond, ce dernier faisant ici sa première apparition au cinéma. C’est aussi le premier rôle important (même si secondaire) de John Wayne.

Esthétiquement parlant, en revanche, Salute est un film mineur de son auteur. Si les parades sont joliment filmées et les matches de football américain découpés avec un dynamisme rare en ces débuts de parlant, le récit est platement conventionnel et la morale qui s’en dégage d’un simplisme rare chez ce grand artiste dialectique qu’était John Ford. Les scènes de bal et de bizutage sont émaillées de quelques trouvailles amusantes mais ces scènes existent comme en dehors de l’intrigue, elles ne lui donnent pas corps.

Les mousquetaires de l’air (Flight, Frank Capra, 1929)

Chez les Marines, un pilote et son mécanicien, qu’il a formé, sont amoureux de la même femme.

Il y a une belle noblesse dans la description du triangle amoureux mais le rythme pâteux typique des débuts de parlant ainsi que la large place accordée aux séquences de guerre (par ailleurs impressionnantes) empêchent Flight d’atteindre la pureté de son sublime petit frère: Dirigible.

La marche de Tokyo (Kenji Mizoguchi, 1929)

Une fille est envoyée dans une maison de geishas où un jeune homme de bonne famille va s’amouracher d’elle…

De la gangue mélodramatique dont il extraira plus tard le suc de ses chefs d’œuvre, Mizoguchi ne tire ici rien de très original ni de bien passionnant. L’invraisemblance des conventionnelles coïncidences n’est guère transcendée par un style encore très hollywoodien (découpage classique….). Il faut par ailleurs préciser que, si la version restaurée par la Cinémathèque française en 1999 est parfaitement intelligible, le film n’aurait pas été conservé dans son intégralité.

La merveilleuse vie de Jeanne d’Arc, fille de Lorraine (Marco de Gastyne, 1929)

Les étapes marquantes de la vie de Jeanne d’Arc de l’appel de Domrémy au bûcher de Rouen.

Sorti à la même époque que La passion de Jeanne d’Arc, le film de Marco de Gastyne en est l’antithèse. Contrairement au célébrissime film de Dreyer, il embrasse l’ensemble du parcours de Jeanne et fut tourné dans des décors aussi naturels que son actrice. Entrepris suite à une commande officielle, c’est peut-être le film le plus spectaculaire parmi ceux consacrés à la pucelle d’Orléans. Sa première source d’intérêt réside donc dans l’ampleur des séquences épiques. Long, violent, sanglant et lyrique, le siège d’Orléans rivalise aisément avec ce qui se faisait de plus impressionnant à Hollywood.

De plus, le metteur en scène prend soin de situer ses personnages par rapport aux décors, tous magnifiques. Panoramique vertical sur la cathédrale de Reims et plans larges sur les paysages vallonés de Bourgogne ancrent l’action dans le territoire français. Ce qui est la moindre des choses pour une épopée aussi ouvertement nationaliste. En effet, le scénariste Jean-José Frappa oeuvre à l’édification des foules et se place dans la droite lignée de la légende élaborée par Jules Michelet.

Cependant, la mise en scène de Marco de Gastyne nuance considérablement cette vision un peu simpliste. Le contraste entre ce que disent les cartons -écrits dans une langue superbe- et ce que montrent les images est souvent saisissant. Le cinéaste établit une sorte de dialectique entre la pureté idéaliste (et révolutionnaire!) de la future sainte et les horreurs qu’elle doit se coltiner pour mener à bien sa mission. Il faut voir l’héroïne au milieu de la bataille d’Orléans apeurée, priant de toutes ses forces afin de faire cesser le carnage pour se rendre compte que cette belle illustration de la légende montre aussi, peut-être, la Jeanne la plus humaine de l’histoire du cinéma. La plus fragile en tout cas.

Il faut donc saluer la splendide interprétation de Simone Genevois qui a su fixer l’icône nationale dans un éternel présent en incarnant mieux que personne la jeune fille qu’était avant tout Jeanne d’Arc. S’il s’avère aujourd’hui que La merveilleuse vie de Jeanne d’Arc a nettement mieux vieilli que La passion de Jeanne d’Arc, c’est en grande partie grâce à elle.