Premier bal (Christian-Jaque, 1941)

Au pays basque, les deux filles d’un doux rêveur, une s’identifiant aux stars de cinéma et une autre se passionnant pour les animaux, se préparent pour leur premier bal…

Aux côtés par exemple du Mariage de Chiffon, Premier bal est un parfait représentant de ce vibrant classicisme à la Française qui trop vite vira à l’académisme. Que ce soit la demeure bucolique qui sert de cadre à la majeure partie de l’intrigue, la musique de Van Parys, les dialogues ciselés de Spaak ou la grande finesse de l’interprétation, tout, dans ce film, respire le bon goût, la tendresse et la délicatesse; ce sans escamotage de la matière dramatique tel qu’en témoigne la naturelle transition entre gaieté primesautière du film de jeunes filles en fleur et gravité profonde de la tragédie amoureuse. Un plan comme celui de Ledoux, magnifiquement émouvant, seul dans son fauteuil avec le chien succédant à une scène de dîner parisien fait basculer la tonalité sans que les mots ne soient nécessaires. Par ses virtuoses recadrages, la caméra de Christian-Jaque précise les ineffables enjeux du drame et empêche la chronique apparemment désuète de sombrer dans l’insignifiance. Quant au problématique et désagréable dénouement, il est certes conforme à l’idéologie vichyssoise mais également à la logique perverse du désir amoureux. Un des plus beaux films sortis sous l’Occupation.

Les dégourdis de la onzième (Christian-Jaque, 1937)

Pour divertir ses troupes, un général leur fait jouer une pièce écrite par sa soeur vieille fille: « L’orgie romaine ».

Une loufoquerie joyeuse et foisonnante qui garde le strict minimum de rigueur dans la conduite du récit pour ne pas lasser avant la fin. Les gags sont très faciles mais force est de constater qu’ils fonctionnent assez souvent.

Un de la légion (Christian-Jaque, 1936)

Après avoir été entraîné par un truand à boire des pastis, un Marseillais récemment marié est envoyé dans la légion étrangère.

Amusante comédie de propagande sur un brave type à la botte de sa femme devenant « un homme, un vrai » une fois à la légion qui repose essentiellement sur Fernandel, ici génial. Les inflexions dramatiques du récit sont étonnantes mais quelque peu appuyées.

Voyage sans espoir (Christian-Jaque, 1943)

Une femme qui se préparait à fuir avec son amant criminel rencontre un beau jeune homme…

Cette resucée tardive du réalisme poétique en concentre toutes les tares. Éludant le contexte géographique et social qui -entre autres qualités « terriennes »- empêchait un Quai des brumes de sombrer dans la rêverie de pacotille, le scénariste Mac-Orlan réduit le monde aux quatre personnages principaux de son récit, usant et abusant des coïncidences pour le faire avancer. L’abstraction de l’environnement apparaît donc d’abord comme une facilité de narrateur avant de s’avérer le prétexte idéal à des enluminures visuelles certes chiadées mais recyclant de vieux poncifs (brumes, docks et jets de fumée à qui mieux mieux). Le jeu hiératique de Jean Marais et Simone Renant, les dialogues fumeux et un filmage qui souligne un peu bêtement chaque inflexion du scénario (travelling et compagnie) accentuent la creuse solennité de ce Voyage sans espoir.

Sortilèges (Christian-Jaque, 1944)

Une communauté montagneuse est perturbée par un meurtre crapuleux commis par le sorcier-guérisseur.

Exemple typique -et glorieux- du cinéma féérique de l’Occupation, Sortilèges bénéficie d’abord d’une solide mise en scène d’un Christian-Jaque pour une fois inspiré. Le réalisateur donne une présence aux magnifiques décors naturels, fait exister la petite communauté et sait surprendre lors de l’inévitable morceau de bravoure final. Ses mouvements d’appareil pertinents, son sens du décor, les gueules pittoresques des personnages et la jolie photographie chargent le film d’un poids de concret qui fait cruellement défaut au scénario de Jacques Prévert (adapté d’un roman de Claude Boncompain).

En effet, la vision des jeunes amoureux selon le poète, amoureux qui déblatèrent des tirades ronflantes et généralistes plutôt que de se caresser, ressort du fantasme de vieille fille. Tout aussi frelatée est la caractérisation de l’inévitable « salaud » aux motivations aussi vagues et imprécises que la haine qu’il suscite chez les gentils. De plus, certains enchaînements d’action, tel la fin, sont dénués de logique. Bref, même s’il apporte l’univers particulièrement « cinégénique » autour duquel se déploie la mise en scène et que donc son apport aux qualités du film ne saurait être négligé, Prévert n’est pas un très bon scénariste.

En définitive,  s’il est difficile de prendre au sérieux une histoire aussi naïvement racontée et des personnages aux dialogues aussi faibles, la mise en scène pittoresque nimbée de poésie désuète insuffle à Sortilèges un charme suranné qui a tout de même bien mieux vieilli que l’abstraction vide et prétentieuse des Visiteurs du soir (autre préverterie de l’Occupation).

Un revenant (Christian-Jaque, 1946)

A Lyon, un homme que des bourgeois croyaient avoir assassiné revient après avoir fait fortune…
Un film rendu complètement nul par l’épaisseur du trait. Les dialogues signés Jeanson sont effroyablement m’as-tu-vu et n’ont aucune espèce de crédibilité. Chacune de leurs répliques souligne la bassesse et la veulerie des bourgeois. Aucune nuance, aucune subtilité, aucune complexité donc aucun intérêt. Le milieu des tisserands lyonnais aurait pu être intéressant à pénétrer mais le contexte social n’est aucunement exploité par les auteurs et leurs personnages ne sont que des fantoches asservies à des conventions narratives éculées quand ils ne sont pas victimes du mépris sans appel de Jeanson tellement sûr de lui et de sa charge anti-bourgeoise. Ajoutons que si les acteurs plus âgés ne s’en tirent pas trop mal, François Périer est proprement insupportable. Comme beaucoup de personnages de jeunes du cinéma de qualité française, son rôle est navrant de bêtise. A vomir.

Les pirates du rail (Christian-Jaque, 1937)

L’ingénieur en chef d’une ligne ferroviaire en Indochine affronte une bande de pillards.

Un film d’aventures coloniales assez typique du cinéma français commercial des années 30. La distribution réunit Charles Vanel, Suzy Prim, Erich Von Stroheim, Dalio…Christian-Jaque est aux commandes et fait bien son travail de technicien, on note la vivacité de sa caméra. La vision des Asiatiques est raciste mais d’un racisme franc, assumé et qui n’exclut pas le respect de l’autre. Là où le film apparaît moralement détestable, c’est dans le personnage du métèque mi-juif mi-rital qui s’enrichit sur le dos des nations. Cliché xénophobe bien représentatif de son époque, cliché évidemment incarné par Dalio. Rien que pour avoir permis à cet immense acteur de jouer le  marquis de La Chesnaye, on ne remerciera jamais assez Jean Renoir. Ceci étant dit, Les pirates du rail est un film assez ennuyeux dont le grand tort est de se prendre très au sérieux malgré des personnages caricaturaux. Il manque l’essentiel brin de fantaisie qu’on retrouvait dans les films américains du même registre (disons La charge de la brigade légère).

un texte plus joli que le film

Boule de suif (Christian-Jaque, 1945)

Film assez typique de la qualité française. Adaptation de classiques littéraires (le film s’inspire de deux nouvelles de Maupassant: Boule de suif mais aussi Mademoiselle fifi), direction artistique fastueuse, dialogues de Jeanson, comédiens de métier…Pour toutes ces raisons, le film n’est pas trop désagréable à regarder. Malheureusement, il est handicapé par un scénario médiocre: personnages réduits à des archétypes et déterminés du début à la fin par la charge sociale qu’ils cristallisent, présence de séquences superflues sans rapport avec l’intrigue qui ne sont là que pour montrer combien les Allemands sont horribles. Cet esprit revanchard est tout à fait compréhensible vu la date de tournage du film mais il apparaît un peu lourd aujourd’hui.

Ce qui rend le film intéressant, c’est le travail de Christian Matras, génial chef opérateur qui allait photographier Le plaisir quelques années plus tard. C’est le plus beau compliment qu’on puisse faire au film de Christian-Jaque que de dire que son rendu plastique anticipe celui du chef d’oeuvre de Max Ophuls. Les images sont superbement éclairées, les mouvements d’appareil dynamisent considérablement la mise en scène (notamment les panoramiques accélérés).