No room for the groom (Douglas Sirk, 1953)

Un soldat en permission constate que toute la famille de sa nouvelle épouse s’est installée chez lui.

Le découpage vif et précis de Douglas Sirk, le sens du tempo comique et l’entrain de Tony Curtis transfigurent les artifices théâtraux de l’intrigue (coïncidences opportunes et condensation abusive des péripéties). Bonne comédie.

Jenny, femme marquée (Shockproof, Douglas Sirk, 1949)

Un fonctionnaire de la Justice tombe amoureux de la femme en liberté conditionnelle qu’il est chargé de surveiller.

Des incohérences trop gênantes dans le comportement des personnages empêchent Jenny, femme marquée d’être un grand film. Je pense que ces incohérences sont dues aussi bien à la brusquerie du scénariste originel, Samuel Fuller, qu’aux concessions de l’adaptatrice chargée par la Columbia d’édulcorer: Helen Deutsch. Mais le produit final tient quand même la route grâce au rythme soutenu de la narration, à certains détails bien sentis (la famille italienne, le suicide…), à la belle netteté du découpage et à la qualité de l’interprétation.

Les ailes de l’espérance (Battle Hymn, Douglas Sirk, 1957)

En Corée, un pilote américain traumatisé après avoir bombardé un orphelinat en Allemagne entreprend de sauver une centaine d’enfants menacés par la guerre.

Une histoire aussi extraordinaire est bien sûr authentique. Elle offre au maître du mélodrame la possibilité de mettre en scène des moments d’une renversante perversité tel celui où le héros s’effondre, violemment insulté par la radio allemande (à laquelle le spectateur est alors obligé de donner raison). Pendant les trois quarts du métrage, Sirk parvient à garder une certaine honnêteté dans le traitement de la crise de conscience de son personnage et à maintenir l’équilibre très périlleux entre film de guerre et récit rédempteur. La dernière partie détonne car, aussi factuellement véridique soit-elle, elle est intégrée de façon à résoudre triomphalement un drame insoluble; en effet, quoiqu’Hollywood nous en dise, un péché aussi lourd ne se rachète pas aussi simplement. Le poids de Universal, s’il permet un rendu plastique somptueux, se ressent aussi dans un récit alourdi par de trop nombreuses séquences de combat aérien visant à en mettre plein la vue avec les effets pyrotechniques. Ainsi, Les ailes de l’espérance est un beau film dont quelques scories hollywoodiennes nuisent à la cohérence profonde et l’empêchent de figurer parmi les chefs d’oeuvre de Douglas Sirk.

L’aveu (Summer storm, Douglas Sirk, 1944)

Dans la Russie pré-révolutionnaire, un juge d’instruction et un comte débauché s’amourachent d’une jeune et belle moujik mariée à un de leurs serviteurs.

En adaptant Drame de chasse de Tchekhov, Rowland Leigh, Michael O’Hara et Douglas Sirk ont brillamment clarifié les caractères et les enjeux dramatiques d’un roman au déroulement un peu laborieux. Le cinéma leur permet d’aller droit à l’essentiel en un minimum de temps. Ainsi, je ne me souviens pas d’un seul chapitre qui rende aussi sensible la joyeuse décadence de l’aristocratie russe que la séquence du mariage, quelque part entre Bunuel et Renoir. La subtilité lunaire du jeu de Edward Everett Horton à contre-emploi dans le rôle du comte y est pour beaucoup.

Le choix des adaptateurs d’avoir reporté l’action des années 1880 aux années 1910, qui précèdent immédiatement la révolution d’octobre 1917, contribue à enrichir le climat politique de l’intrigue policière initiale. Summer storm n’est pas un film explicitement historique mais l’atmosphère de cocote-minute sociale où les rapports entre les classes sont sur le point de s’inverser y est particulièrement prégnante. Les belles et pauvres ambitieuses hésitent entre séduire les derniers boyards et précipiter leur perte.

Enfin, la profonde beauté de Summer storm tient peut-être au fait qu’y est retracé, plus précisément que dans le roman, l’éternel drame d’une humanité faible déchirée entre ses pulsions et la nostalgie d’une certaine pureté. Si le pessimisme est de rigueur, on sent que leurs sentiments sont sincèrement ressentis par les personnages masculins, y compris lorsqu’ils se montrent infidèles. Ce grâce au bonheur d’expression des scènes à la campagne éclairées par Schüfftan et surtout, surtout, grâce à la géniale interprétation de George Sanders dans le rôle principal. La plus belle de sa carrière? C’est que jamais je n’avais vu son célèbre cynisme parer une tristesse aussi vraie.

Les amants de Salzbourg (Interlude, Douglas Sirk, 1957)

Une vieille fille américaine découvre le grand amour en  la personne d’un chef d’orchestre italien lors d’un voyage en Autriche.

Pourquoi ce qui fonctionnait dans d’autres mélos du maître, à savoir la vérité et l’émotion qui naissent de situations de roman-photo, ne fonctionne plus du tout ici ? La première raison qui vient à l’esprit, c’est la médiocrité des acteurs mais celle-ci n’explique pas tout. D’abord, la qualité d’un comédien dépend aussi du metteur en scène qui le dirige; or June Allyson était parfaite dans les films conjugaux d’Anthony Mann.  Ensuite, Rock Hudson était loin d’être la star du siècle mais cela n’empêche pas nombre de films dans lesquels il est apparu en vedette de figurer parmi les oeuvres majeures de Douglas Sirk.

Non, ce qui plombe gravement ce film, c’est l’absence de contexte social digne de ce nom. Alors que c’est la tension entre les aspirations individuelles et les convenances d’une société américaine finement mise en scène qui créait le déchirement émotionnel dans Demain est un autre jour ou Le mirage de la vie, la représentation de l’Autriche dans Les amants de Salzbourg ne dépasse jamais celle d’une carte postale. Salzbourg n’est là que pour permettre aux auteurs de débiter tous les clichés possibles et imaginables sur le romantisme allemand. L’émotion, c’est le mouvement, pour qu’il y ait mouvement, il faut qu’il y ait différence de potentiel donc tension. Ici, il n’y a même pas les sublimes aberrations du Secret magnifique qui permettaient à Sirk d’atteindre des sommets stylistiques. A la nullité de la dramaturgie répond donc celle de la mise en scène d’un film affreusement bavard et dénué de toute espèce de mouvement.

Bluette insipide et niaise, Les amants de Salzbourg est donc un authentique navet. Au cinéphile intéressé par un film qui ausculterait les sentiments d’une vieille fille américaine lors de son printemps dans une Europe de carte postale, on conseillera Vacances à Venise de David Lean, film autrement plus subtil.

Taza, fils de Cochise (Douglas Sirk, 1954)

Le jeune chef apache Taza veut poursuivre  l’oeuvre de paix de son père et doit affronter Geronimo qui continue la lutte contre l’homme blanc.

Le seul western réalisé par Douglas Sirk met en avant les Indiens mais sa morale est assez douteuse. Il prône la collaboration. D’après Taza, il vaut mieux collaborer avec l’envahisseur et bien manger que fuir dans le froid et la faim. Drôle d’idée de la dignité d’un peuple. Outre cette ambigüité  idéologique, Taza, fils de cochise n’est de toute façon pas un film très intéressant. Rock Hudson joue comme un roc, c’est ce qui le différencie par exemple de Robert Taylor dans La porte du diable, western pro-Indien d’Anthony Mann dans lequel le drame politique se doublait d’une tragédie intime qui rendait le film bien plus riche. Enfin, Taza est plastiquement assez quelconque. Dans la mesure où il met en scène des cohortes de tuniques bleues à Monument Valley -motif maintes fois sublimé par John Ford-, l’absence d’un poète des grands espaces américains derrière la caméra se fait ressentir d’autant plus cruellement…

All I desire (Douglas Sirk, 1953)

Au sein de la dizaine de mélos réalisés par Douglas Sirk à Universal, les deux films avec Barbara Stanwyck forment un diptyque qui, esthétiquement, tranche avec le reste. A l’opposé du flamboiement pathétique qui caractérise les autres films du cycle, ces deux beaux portraits de provinciale américaine confrontée à l’hypocrisie de la communauté partagent un style concis, élégant et remarquablement fluide. Demain est un autre jour est clairement un des chefs d’œuvre de Sirk et il n’est pas interdit de le préférer à Ecrit sur du vent, La ronde de l’aube et autres Tout ce que le ciel permet. En revanche, All I desire est un peu en-dessous des plus belles réussites du cinéaste. Pourquoi ? Parce que le récit un brin compliqué n’exploite pas à fond la multitude de pistes narratives qu’il ouvre. A cause d’une légère tendance à la dispersion dramatique, le déroulement du film n’est pas aussi éblouissant d’évidence que celui de Demain est un autre jour. Qui trop embrasse mal étreint. Au-delà de ces menues réserves, All I desire n’en reste pas moins un beau film, magnifié par l’interprétation de la grande Barbara Stanwyck.

Hitler’s madman (Douglas Sirk, 1943)

Les causes et les conséquences de l’assassinat du dignitaire nazi Reinhard Heydrich dans un petit village tchèque.

Hitler’s madman est le premier film tourné aux Etats-Unis par Douglas Sirk qui avait fui le nazisme dans des conditions dramatiques, sa première épouse ayant embrigadé leur fils dans les jeunesses hitlériennes. Ce fils -comme le personnage de John Gavin dans Le temps d’aimer et le temps de mourir- disparaîtra sur le front russe. Le film qui nous intéresse aujourd’hui est un film de propagande rendu génial par la manière dont Sirk, qui avait mis en scène plusieurs pièces de Brecht, nous présente la situation. Les trajectoires de personnages à haute dimension symbolique (le collabo, le résigné, le résistant…) alimentent une dialectique dramatique foisonnante qui montre les tenants et aboutissants de l’occupation nazie avec un maximum d’efficacité narrative. On peut comparer Hitler’s madman au film contemporain de Lang et Brecht, Les bourreaux meurent aussi, et constater que le film de Sirk est plus ramassé, plus concis, plus percutant donc.

Un élément de distinction entre le bon film de propagande et le mauvais film de propagande pourrait être le suivant: le bon film de propagande ne fait pas de sentimentalisme démagogique mais démontre au spectateur que, dans un contexte historique caractérisé, l’action prônée par les auteurs est la seule option envisageable.  C’est pourquoi un bon film de propagande, présentant avec une rigueur intellectuelle élémentaire les forces en présence, peut aussi être riche d’enseignements pour les adversaires politiques des auteurs.  Ainsi, j’ai appris grâce à Hitler’s madman que le jour où j’envahirai un pays, je ne tuerai pas le prêtre local, l’assassinat de la figure morale de la communauté occupée étant l’élément qui fait irrémédiablement basculer cette dernière dans la Résistance. Puissant appel à l’engagement dans lequel la démonstration implacable n’exclut pas le lyrisme, Hitler’s madman est un des meilleurs films anti-nazis qui aient été réalisés à Hollywood.

Paramatta, bagne de femmes (Detlef Sierck, 1937)

Par amour pour son amant de la haute-société victorienne, une chanteuse de cabaret falsifie un chèque. Elle est envoyée au bagne en Australie…

Qu’est ce qui distingue Paramatta de La habanera, deux mélodrames tournés par le même réalisateur la même année avec la même vedette? Assurément plusieurs aspects essentiels puisque Paramatta est un film aussi réussi que La habanera était ennuyeux. D’abord, il y a la question essentielle de l’unité dramatique. Dans La habanera, les auteurs s’apesantissaient sur les ignominies du tyran portoricain, ce qui alourdissait la connotation raciste tout en parasitant inutilement le récit féminin. Au contraire, dans Paramatta, les péripéties romanesques s’enchaînent sans que l’on ne s’éloigne jamais très longtemps du point de vue de l’héroïne.

Ce qui contribue à faire du film un superbe portrait de femme amoureuse victime d’une société injuste. Or quelle matière plus cinégénique que celle-ci pour un maître du mélodrame ? Paramatta est une sorte d’essence du genre. Sublimant une Zarah Leander aussi belle et digne que Greta Garbo, le metteur en scène enchaîne les beaux moments avec une élégance jamais démentie, aussi inspiré dans l’intime que dans le collectif. Un seul exemple suffit à comprendre en quoi le style de Paramatta est supérieur à celui de La habanera: l’utilisation de la musique. Les chants récurrents insufflent un supplément d’émotion significatif. Le choeur des prisonnières en particulier transcende de la plus belle des manières les séquences de bagne.

La Habanera (Detlef Sierck, 1937)

Sur un coup de tête, une Suédoise de bonne famille en villégiature à Porto Rico épouse un potentat local.

Cela aurait pu être le beau portrait d’une femme confrontée à ses illusions, sujet sirkien s’il en est. Faute de nuances et de surprises dans la caractérisation des personnages, ça ne s’élève jamais au delà du ramassis de clichés. La vision du mâle sud-américain est franchement raciste. Ajoutons que, plastiquement, le pittoresque latino inspire moins le futur Douglas Sirk que les champs d’Europe du Nord que l’on retrouvait Das Mädchen vom Moorhof, et on comprendra que La habanera est un film franchement inintéressant.

Stützen der Gesellschaft (Detlef Sierck, 1935)

Le retour d’un beau-frère d’Amérique fait surgir la peu reluisante vérité sur le magnat d’une ville norvégienne.

Dans ses meilleurs mélodrames, le genre a toujours été pour Douglas Sirk un moyen de révéler l’envers du vernis social et l’inanité des situations bourgeoises en les confrontant à la vérité des sentiments. A ce titre, ce film tourné à ses débuts est déja réussi et représentatif de la manière de son auteur. Son paroxysme est une spectaculaire séquence de tempête.

La fille des marais (Detlef Sierck, 1935)

Un jeune fermier, amoureux d’une femme issue d’une plus grande ferme que lui, se rend à la foire aux employés pour embaucher une bonne. Il trouve une jolie servante, enceinte de son ancien patron…

Ce deuxième film réalisé par Detlef Sierck, futur Douglas Sirk, est son premier mélodrame. La mise en scène est déja parfaitement maîtrisée. C’est simple et beau comme du Dreyer. Il y a juste le deus ex machina final qui apparaît un peu facile pour résoudre l’intrigue.