La veuve joyeuse (Erich Von Stroheim, 1925)

Une chanteuse américaine tombe amoureuse du cousin de l’héritier d’une principauté d’Europe centrale…

Erich Von Stroheim s’est bien approprié l’opérette de Franz Lehar, s’en servant pour traiter un thème qui lui est cher: la nostalgie de la pureté dans un environnement débauché. Quoique bourré de détails fascinants par leur vérité grotesque ou pathétique, l’oeuvre est handicapée par la complaisance de son auteur. Complaisance par rapport à ce qu’il montre, les caricatures ne servant pas seulement à exagérer la vision d’une humanité dépravée mais aussi à appuyer la conventionnelle opposition entre le gentil et le méchant, ce qui affadit le propos. Complaisance aussi par rapport à sa propre mise en scène, étirant la durée des scènes bien au-delà du nécessaire et empilant figurants et accessoires dans une grande frénésie décorative. Le rythme m’a semblé nettement moins tenu que ceux de La symphonie nuptiale ou Folies de femmes qui sont selon moi les chefs d’oeuvre de Stroheim: face à cette opérette muette de 2h51, on comprend les coups de ciseau de la généreuse MGM sur les autres films du maître. En revanche, la fin, dont le maintien a du être imposé par le studio, apparaît inepte.

Hello sister! (Erich Von Stroheim, 1930)

L’unanimité autour d’Erich Von Stroheim réalisateur m’a toujours interrogé. Au contraire des grands du muet (Murnau, Sjöström, Borzage…), son style est dénué de poésie visuelle et se réduit à un naturalisme lourdaud. De fait, il est généralement encensé pour des raisons extra-cinématographiques: longueur démesurée des métrages, affrontements avec les studios, tournages épiques…Toutes anecdotes qui ont contribué à faire de Stroheim un génie maudit broyé par l’industrie. Comme si refuser de sortir un film d’une durée de huit heures était une marque de philistinerie de la part d’Irving Thalberg, producteur immense s’il en est. Comme si réaliser un film de huit heures n’était pas la marque d’une incapacité à raconter correctement une histoire de la part d’Erich Von Stroheim. A cela s’ajoute une vision immanquablement sordide de l’humanité qui ne manque jamais d’exciter les nombreux critiques en herbe qui confondent pessimisme cynique et vérité.

A priori, ce dernier film est l’un des moins personnels du cinéaste. Durant le tournage pour la Fox, Winfield Sheehan a été remplacé par Sol Wurtzel qui était hostile à Stroheim et qui a fait tourner de nouvelles séquences par Raoul Walsh, Alfred Werker et Alan Crosland. Pourtant, la marque de Stroheim est bien là. Ce qui fait de Hello sister! un film plus intéressant que, disons, Folies de femmes, c’est qu’il y a un cadre: celui d’une bluette tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Ainsi, l’oeuvre ne se résume pas à la peinture attendue d’une société décadente et vicieuse. Au contraire, en instillant sa dose de perversité habituelle à une commande standardisée, Stroheim lui donne une épaisseur inattendue. Il crée une tension absente de ses films où il se laissait complètement aller à ses obsessions. Ici, l’audace de certaines représentations sert la fiction puisqu’elle rend les personnages plus authentiques dans leurs comportements et leurs réactions. Ainsi de plusieurs séquences qui frappent d’autant plus le spectateur qu’elle sont intégrées à une trame mélodramatique: tentative de viol, bagarre violente entre un homme et une femme…Notons aussi un  personnage rare et beau: celui de la « fille moche » jouée par Zasu Pitts. Un personnage de vieille fille qui n’a rien à voir avec une Katharine Hepburn mais qui souffre de sa solitude. C’est une idée géniale de la part de Stroheim que de laisser la caméra s’attarder sur elle à la fin de la séquence où un futur marié laisse exploser sa joie. Enfin, ce dernier film, un film qui a en fait pour objet la vertu d’une jeune mariée, confirme qu’il n’y a pas plus puritain que les peintres des vices.