La nuit est mon royaume (Georges Lacombe, 1951)

Suite à un accident du travail, un conducteur de locomotive devient aveugle…

C’est avec une belle délicatesse que la première partie suit les premiers pas de l’aveugle, fort bien interprété par Gabin. Son mauvais caractère n’est pas escamoté et son entourage n’est pas caricaturé. La scène de la rencontre avec le réparateur de TSF est presque du McCarey. Même l’obligatoire romance, avec une enseignante en braille, est traitée avec une certaine justesse. En revanche, l’arrivée du « troisième homme » joué par Oury, qui n’a d’autre fonction que de servir de faire-valoir-repoussoir à Gabin, fait dévier le film vers la convention la plus éculée. Dommage.

Leur dernière nuit (Georges Lacombe, 1953)

Une professeur d’Anglais assiste un vieux gangster dans sa cavale qu’elle a rencontré dans sa pension de famille.

Pâle resucée du réalisme poétique. Le médiocre prétexte policier supplée la vague sublimation mythologique d’avant-guerre. Le couple formé par Jean Gabin et Madeleine Robinson est crédible de par la simplicité de leur rencontre. Il est donc regrettable que les auteurs se soient cru obligés de rajouter une tirade théâtrale au personnage de Gabin explicitant artificiellement son passé et sa psychologie. Peut-être est-ce dû au cahiers des charges « film de Gabin ». La mise en scène de Georges Lacombe est purement fonctionnelle. Bref, c’est pas indigne mais c’est pas terrible non plus.

Le journal tombe à 5 heures (Georges Lacombe, 1942)

Un journaliste expérimenté s’entiche d’une débutante.

Sous l’Occupation allemande, les industriels de toutes sortes s’ingéniaient à pallier le manque en produits américains dont l’importation était alors interdite. C’est ainsi que le Fanta a été inventé pour suppléer les ingrédients boycottés du Coca-cola. Dans le même ordre d’idées, Le journal tombe à 5 heures est un véritable ersatz de comédie américaine. En terme de filmage, un Georges Lacombe n’a d’ailleurs pas grand-chose à envier à un Tay Garnett ou un Gregory LaCava. Il y a dans la séquence d’introduction, où la caméra suit un chef des ventes pressé qui donne des instructions à divers employés répartis dans différentes pièces, une vivacité et une énergie à la hauteur des prestigieux modèles.

Malheureusement, la séduction de l’emballage a vite fait de s’estomper face à l’inanité du contenu. Censure vichyssoise oblige, toutes les rubriques habituelles d’un journal sont présentes sauf, bien sûr, la politique (ce manque est rapidement évoqué et mis sur le compte des cochons de payants qui préféreraient des sujets plus légers). Tout ce qui pourrait donner lieu à de véritables oppositions dramatiques est esquivé pareillement. Voir la pusillanimité du traitement des désirs amoureux ou du traitement des rapports entre les rédacteurs et leur patron, un patron dur mais bienveillant tel qu’en témoigne la façon dont il se débarrasse du méchant cafteur.

Ainsi, les silhouettes s’agitent sympathiquement (la distribution est gratinée) mais vainement car le caractère purement conventionnel de ce qui les meut est vite éclatant. Qui plus est, il n’y a pas de gag qui introduirait un peu de fantaisie dans un récit aussi fade. Ce récit est enfin assez mal construit, juxtaposant reportage sentimentalo-mondain et reportage sur une catastrophe naturelle sans grand souci d’unité dramatique. D’où finalement un film inintéressant plus que divertissant.

Le dernier des six (Georges Lacombe, 1941)

Six amis tentent de faire fortune en partant aux quatre coins du monde et jurent de tout se partager à leur retour. Au moment de leurs retrouvailles cinq ans plus tard, l’un d’eux est assassiné…

Ecrit par Henri-Georges Clouzot, Le dernier des six est un véritable prélude à L’assassin habite au 21. On retrouve Wens, le commissaire créé par Stanislas-André Steeman, et son insupportable petite amie Mila Malou. Ils sont déjà joués par Pierre Fresnay et Suzy Delair.
Comme L’assassin habite au 21, Le dernier des six est un pur film de scénario. Son intérêt repose sur son intrigue policière (qui est l’assassin?) et sur les dialogues mordants et gentiment misanthropes de Clouzot (la noirceur désespérée du Salaire de la peur est encore loin). Les personnages et leurs sentiments sont asservis à la mécanique de l’intrigue. Le pittoresque des seconds rôles (dont certains tel Jean Tissier reviendront dans L’assassin habite au 21) anime la mise en scène habile mais conventionnelle de Georges Lacombe.

Bref, très proche de L’assassin habite au 21, Le dernier des six est un film de Clouzot sans que l’auteur ne soit le réalisateur. Passer derrière la caméra allait lui permettre, au fur et à mesure de films de plus en plus personnels et avant de sombrer dans l’autocaricature, d’exprimer pleinement sa vision célinienne de l’humanité. J’en veux pour preuve ce magnifique chef d’oeuvre qu’est Quai des orfèvres.

Café de Paris (Yves Mirande et Georges Lacombe, 1938)

Le soir de la Saint-Sylvestre, un meurtre a lieu dans un café parisien huppé.

Café de Paris est un film typique de la manière Mirande. Une intrigue cluedo (qui implique unité de temps et de lieu) donne lieu à une vue en coupe de la société mondaine de l’époque. Lorsque les ingrédients sont les mêmes, il est difficile de définir ce qui distingue un excellent Mirande d’un raté. A mon avis, la différence est ce qui reste une fois que la surface invariablement brillante (bons mots et monstres sacrés en frac) a été grattée. Parfois, il ne reste rien; c’est Paris New-York. Parfois, une vision désenchantée de la société s’exprime via des personnages magnifiques; c’est Derrière la façade. Ce Café de Paris entre heureusement dans la seconde catégorie bien que sa construction dramatique accorde peut-être trop d’importance au prétexte policier pour convaincre pleinement.

Paris-New York (Georges Lacombe et Yves Mirande, 1940)

Au cours d’une traversée de l’Atlantique, différentes intrigues se nouent entre les passagers du paquebot.

Bons mots, vedettes, intrigues multiples et esprit cynique montrent que l’on a bien affaire à un film d’Yves Mirande. D’où vient alors le vague ennui ressenti, l’impression que ce Paris-New York est un film raté ? Pour tenter de comprendre, comparons-le à Derrière la façade qui est un chef d’oeuvre réalisé à partir d’une matière similaire. Derrière sa coquille brillante, Derrière la façade exprimait une vision de la société de son temps et les personnages avaient une réelle consistance, psychologique notamment. Paris-New York lui souffre d’une certaine vacuité, les intrigues sont nombreuses mais ne sont exploitées que de façon superficielle, les personnages ne sont guère intéressants.

Derrière la façade (Yves Mirande et Georges Lacombe, 1939)

La propriétaire d’un immeuble parisien est assassinée. L’enquête de deux inspecteurs de la Sûreté est l’occasion de découvrir ce qui se passe chez chaque locataire, derrière la façade…

Au fil de l’intrigue-cluedo se déroulent donc plusieurs sketches qui brossent en filigrane une peinture cynique de la société de la IIIème Républiques. La verve percutante de Mirande (ses dialogues brillants sont ici parfaitement intégrés au récit), l’abattage de comédiens géniaux (voyez l’étincelante distribution) et une narration virtuose font exister pleinement une multitude de personnages qui apparaissent rarement plus d’une dizaine de minutes à l’écran. Derrière le vernis brillant, une certaine réalité sociale est abordée. Par exemple, les loyers sont dans un premier temps au centre de l’enquête des gendarmes. Ce qui donne lieu à une séquence très touchante qui montre avec simplicité et dignité le dévouement d’une fille pour son père infirme.

Le secret de Derrière la façade, sorte de quintessence du cinéma français des années 30, c’est qu’il en dit beaucoup sur la société de son temps non pas malgré les conventions dramatiques mais grâce aux conventions dramatiques. Les stéréotypes de légionnaire, de demi-mondaine, de maquerelle, de politicien à la vie privée dissolue ne sont pas encore usés parce qu’ils renvoient à la réalité de leur époque. A l’auteur de s’en servir puis de les dépasser pour s’affirmer. Ainsi du beau geste accordé à la fin du film au personnage de gigolo incarné par Jules Berry. Un geste qui cristallise bien la vision de Mirande, celle d’un moraliste cynique, qui tout en dressant le constat désenchanté d’un monde mené par l’argent et le sexe, fait montre d’une vraie tendresse et d’une profonde empathie pour ses personnages. Comme le marbre pour le sculpteur, les conventions sont ici une matière, une formidable matière, nécessaire à l’expression du cinéaste.