A l’abordage (Guillaume Brac, 2021)

Deux amis noirs partent dans un camping de la Drôme car l’un des deux veut rejoindre une fille rencontrée à Paris qui y est en vacances dans sa maison de famille.

Héritier d’Eric Rohmer, Guillaume Brac n’en demeure pas moins un homme de gauche concerné par la question de la représentations des minorités ethniques dans le cinéma français. Déjà, Contes de juillet et L’île au trésor avaient subrepticement introduit le thème de la mixité culturelle et sociale dans son cinéma. Dans A l’abordage, son projet d’intégrer deux jeunes des cités à la comédie de vacances façon Pascal Thomas était prometteur sur le papier car riche de potentiel comique ou dramatique suscité par le traditionnel argument du « fish out of the water ». Malheureusement, l’indigence de l’écriture, ainsi que la timidité de l’inspiration, brident ce potentiel. Trop souvent, les scènes semblent escamotées après avoir été maladroitement introduites. C’est le cas de tout ce qui a trait à la rivalité amoureuse avec le maître-nageur ou des confrontations entre les deux héros et leur chauffeur blablacar, un jeune bourgeois blanc finalement assez inexistant. L’arc narratif entre le bon pote et la mère esseulée est le seul qui sonne juste. Pire, compte tenu des intentions de l’auteur: la vision sociologique est parfois à côté de la plaque. Ainsi, s’imaginer que des jeunes gens du 93 risquent de trahir leur origine s’ils portent de belles chemises parce qu’ils ont la peau noire est révélateur d’un regard de bourgeois blanc visiblement peu renseigné sur son sujet. Pour autant, s’il déçoit, ce nouveau film de Guillaume Brac n’est pas dépourvu de qualités; en premier lieu des acteurs plutôt bons et en second lieu un sens de la composition visuelle, tout en simplicité épurée, qui produit des images belles à partir d’un endroit laid (le camping). C’est dommage.

Contes de juillet (Guillaume Brac, 2018)

Concaténation de deux courts-métrages où des jeunes gens se draguent.

Dénué de la sophistication littéraire du maître de Tulle, ces succédanés rohmériens confinent à la banalité mais n’y sombrent pas tout à fait grâce, non à la fantaisie volontariste (le pompier syrien qui se prend pour Pina Baush) mais à la rigueur de Guillaume Brac qui fait tendre le quotidien vers l’abstraction. Cette rigueur se manifeste à la fois dans le récit, joliment classique, et dans la mise en scène où pas un plan n’est superflu. Dans la séquence du repas, le découpage qui privilégie les plans individuels va jusqu’à assécher une ambiance qui, avec l’insertion d’un ou deux plans d’ensemble supplémentaires, aurait pu s’avérer naturellement chaleureuse.

Le deuxième segment, où la cité U est le terrain de rudes confrontations entre les différentes mœurs en Europe, est de loin le plus intéressant des deux mais tout ça demeure très « petit ». Il est assez regrettable de voir un des meilleurs metteurs en scène français (peu de ses collègues savent rendre présent un décor comme lui) se cantonner à des travaux aussi étriqués, dans leur budget comme dans leur inspiration. L’humble, le mineur, l’infinitésimal, ça va bien un moment. Son documentaire L’île au trésor sorti le mois dernier -qui fait écho au premier des deux courts-métrages- déployait une richesse humaine et esthétique autrement plus roborative.

L’île au trésor (Guillaume Brac, 2018)

Un été à la base de loisirs de Cergy.

Avec ce documentaire où le montage insuffle un maximum de fiction, l’auteur de Un monde sans femmes confirme son talent pour saisir la beauté de la Nature -fût-elle domestiquée comme ici- et la sympathique fraîcheur des jeunes gens en vacances. Grâce à l’appréhension de la lumière vespérale, au sens du cadre et au désarmant naturel des protagonistes, plusieurs séquences touchent même à une certaine grâce. Je ne peux m’empêcher d’en citer deux: celle où Brac retrouve la splendeur primitive du Tabou de Flaherty et Murnau et la dernière, une des plus touchantes évocations de la solidarité fraternelle et enfantine. Entre la drôlerie, l’empathie et la justesse, Brac maintient un équilibre de funambule et, au débotté d’un geste inattendu ou d’une réplique incongrue, cueille son spectateur en lui rappelant les jeux de son enfance et la folie de sa jeunesse (L’île au trésor est le film définitif sur les sauts dans l’eau). C’est très fort.

Ce qui manque à L’île au trésor pour convaincre pleinement, c’est l’esprit de synthèse qui donnerait un sens commun à ces scénettes plus ou moins évocatrices. Le propos libertaire reste à l’état de critiquable sous-entendu tandis que les apartés ouvertement politiques (discours du Guinéen et de l’Afghan) apparaissent mal intégrés à la trame d’ensemble, ressemblent à des justifications de l’auteur visant à montrer combien il est ouvert sur le monde et concerné par les grands maux de son temps.

Toutefois, que cette menue réserve ne vous empêche pas de vous précipiter en salle pendant qu’il en est encore temps!