L’heure suprême (Seventh Heaven, Henry King, 1937)

A Montmartre, un égoutier cynique recueille une fille de la rue et en tombe amoureux.

Contrairement au remake d’A travers l’orage, qui présentait quelque intérêt, cette nouvelle adaptation de la pièce immortalisée par Frank Borzage dix ans plus tôt est un échec absolu. La raison en est simple: ce qui passait la rampe quand le cinéma était muet ne la passe plus en parlant. A la poésie visuelle et à la délicatesse érotique, Henry King a substitué le pittoresque prétendument réaliste (désolants accents des seconds rôles), ce qui ne fait que mettre en exergue le caractère poussiéreux puis abracadabrantesque de l’intrigue. Un exemple éloquent pourrait être la différence entre les deux montées à l’appartement* mais tout le reste est également nul et rien ne fonctionne, jamais, d’autant que James Stewart en mauvais garçon (!) et Simone Simone en fille candide (!!) ne sont, évidemment, pas crédibles pour un sou.

*grandiose travelling vertical chez Borzage qui abstrait l’environnement et concentre le regard sur l’ascension en tant que telle VS succession de rencontres avec les voisins de l’immeuble chez King qui ne fait qu’insuffler un folklore médiocre et dispensable.

Le Président Wilson (Henry King, 1944)

La carrière politique de Wilson, professeur d’université devenu président des Etats-Unis.

Tournée en pleine seconde guerre mondiale, cette biographie du président auteur des « quatorze points » peut d’abord apparaître comme un film de propagande interventionniste. De fait: excellemment interprété, riche de notations sur la vie politique U.S au début du XXème siècle, articulant l’intimisme et l’épique avec l’habileté propre aux meilleurs scénaristes hollywoodiens (Lamar Trotti), superbement décoré avec de luxueuses reconstitutions des intérieurs de la Maison-Blanche et du Capitole, chaudement photographié par le fidèle Leon Shamroy et jalonné d’hymnes patriotiques orchestrés par Alfred Newman, Wilson est d’abord une parfaite, magnifique et -en dépit de sa durée de 2h34- assez irrésistible machinerie du producteur Darryl Zanuck qui était un grand admirateur du président. Le lyrisme idéaliste d’une séquence comme le discours de Wilson à la Chambre des représentants pourra arracher des larmes. Le film est d’autant plus fort qu’il fait entendre les arguments, pertinents, des adversaires pacifistes du héros.

Enfin, l’oeuvre est parcouru d’une secrète vibration qui lui insuffle une résonnance plus profonde que le claironnement d’un message patriotico-humanitaire: c’est la récurrence des tentations d’un chef d’état -plus époux idéaliste qu’animal politique- prônant l’engagement de son pays pour la sécurité de l’univers de retourner à un foyer source de bonheur -et de malheur- égoïste. Dans ces évocations mélancoliques, la caméra, toujours pudique et à juste distance, d’Henry King fait merveille.

Le pacte (Lloyd’s of London, Henry King, 1936)

Au début du XIXème siècle, un ami d’enfance de l’amiral Nelson fait une brillante carrière chez l’assureur londonien Lloyds.

Un film historique original et réussi: l’excellent scénario présente aussi bien l’importance et le développement des sociétés d’assurance dans les guerres de l’Angleterre contre Napoléon qu’il raconte une ascension sociale, une histoire d’amitié et un amour impossible. Le jeune et beau Tyrone Power, à ses débuts, insuffle un sombre romantisme à un film qui alterne allègrement les registres, commençant comme un film d’aventures à la Stevenson et s’achevant comme un poignant mélo. Henry King mène son film avec autant de fluidité que de science visuelle. Brillant.

A travers l’orage (Way down East, Henry King, 1935)

Dans la campagne américaine, le fils d’un fermier puritain tombe amoureuse de la nouvelle servante, au passé mystérieux.

Nouvelle adaptation de la pièce immortellement adaptée par D.W Griffith en 1920. Le film d’Henry King est l’exact contraire du classique muet. D’abord, il est presque deux fois moins long. Les vicissitudes de l’héroïne avant son arrivée à la ferme sont épargnées au spectateur. Le découpage, quoique mettant joliment en valeur la campagne, est un modèle de concision, sans le caractère brouillon de certains passages du film de Griffith. De plus, à l’opposé du manichéisme outrancier de l’auteur du Lys brisé, Henry King ne surappuie jamais la dramaturgie voire insuffle de belles nuances qui enrichissent l’humanité des protagonistes (confer la différence capitale dans la célèbre séquence finale). Enfin, Henry Fonda, superbe révélation de ce film, est plus convaincant que Richard Barthelmess dans le rôle du jeune amoureux.

Pourtant, en dépit de ces qualités, il n’est pas étonnant de constater que ce remake ait été, au contraire de son prédécesseur, oublié: si A travers l’orage version King est une perfection d’équilibre et de finition, il est également dénué de tout génie. Or celui de Griffith, secondé par Billy Bitzer à son sommet, fut un grand pourvoyeur d’images puissantes et sublimes donc inoubliables. Et évidemment, la gentille Rochelle Hudson ne fait pas le poids face à Lilian Gish, personnification de la mater dolorosa la plus incandescente de l’histoire du septième art.

Romola (Henry King, 1924)

Au XVIème siècle à Florence, un louche aventurier épouse la fille d’un érudit à qui il a sauvé la vie.

Superproduction fastueuse, assez dynamique, relativement surprenante dans sa dramaturgie et illuminée par la présence de Lilian Gish, certes moins mise en valeur que chez Sjöström ou Griffith.

Un matin comme les autres (Beloved infidel, Henry King, 1959)

La passion entre la journaliste mondaine Sheilah Graham et Francis Scott Fitzgerald, alors au crépuscule de sa carrière et de sa vie.

Si ses images demeurent superbes (et naturelles), le vétéran Henry King peine à se coltiner les fêlures inhérentes à son sujet. Il y a ainsi quelque chose de mécanique dans l’appréhension de l’alcoolisme de Fitzgerald et de ses effets. L’écrivain se fait virer ou refuser un manuscrit->il boit->il devient saoul->son comportement met en péril l’avenir de sa compagne. Et cela deux fois. L’artifice de cette écriture n’est pas atténué par la façon dont Gregory Peck simule l’ébriété.

Pourtant, le lyrisme tranquillement grandiose (plans larges et longs, présence aristocratique de Deborah Kerr, décors somptueux, symphonie de Waxman…) donne du corps à ce film; dans ses moments les plus substantiels, l’union entre deux êtres qui se guérissent mutuellement de leurs complexes est bien rendue sensible au spectateur. Bref, cet avant-dernier film d’Henry King n’est pas aussi mauvais qu’on eût pu le croire a priori.

Carousel (Henry King, 1956)

Remake musical de Liliom.

L’histoire tirée de Ferenc Molnar est toujours aussi artificielle, poussiéreuse et moralement sinistre. Mais cette adaptation, musicale, est dix fois pire que les films de Lang et Borzage car elle est une fois et demi plus longue. Les numéros musicaux ne font que ralentir l’action même s’il faut reconnaître qu’un sacré standard a été composé pour l’occasion: You’ll never walk alone. Gordon McRae, qui reprend le rôle qu’aurait dû tenir Frank Sinatra, fait regretter Frank Sinatra. L’écran large (obtenu avec l’éphémère procédé 55 mm) redouble le statisme de la mise en scène et le kitsch visuel. Bref, Carousel est une indigeste choucroute.

Maryland (Henry King, 1940)

Après la mort accidentelle de son mari, une femme interdit à son fils de monter sur un cheval.

Contexte social et géographique restitué avec netteté (le fait que ça se passe dans le Maryland a un impact direct sur la dramaturgie puisque l’omniprésence de la culture équestre rend d’autant plus tragique la décision de la mère), superbes images carrées de la campagne américaine en Technicolor signé Natalie Kalmus, musique d’Alfred Newman qui reprend son thème poignant d’Ann Rutledge (composé pour Vers sa destinée), pudeur qui n’est pas pusillanimité, vérité sympathique des comédiens (Walter Brennan en tête de la distribution!), découpage parfait car concis, souple et dynamique: Maryland exprime bien, à l’instar de Margie, Adieu jeunesse ou La foire aux illusions, la quintessence d’Henry King.

Son suprême classicisme transfigure ce sous-genre hollywoodien pas évident qu’est le film d’équitation (Walsh, Ford et Capra n’y ont guère brillé). La résolution est certes, comme souvent, un peu expéditive mais la mise en scène, en plus de happer le regard par la splendeur des images et la fluidité de leur déroulement, occasionne des surprises: ainsi de l’importance donnée aux personnages de serviteurs noirs, qui culmine dans une longue et stupéfiante séquence de gospel, digne de l’Hallelujah de Vidor. Cette surprise, tout l’opposé d’une volontariste bifurcation, trouve plus tard sa justification puisqu’elle permet le raccord de l’arc du personnage secondaire noir -jusqu’ici comiquement traité- à l’intrigue principale des maîtres blancs.

Capitaine King (Henry King, 1953)

En 1847, aux Indes, un capitaine métis de l’armée anglaise doit combattre un ami d’enfance chef de la rébellion islamiste.

Les images sont splendides -douceur naturelle (?) de la lumière crépusculaire et maîtrise du tout nouveau Cinémascope-, le ton est digne, les scènes d’action sont impeccables et Tyrone Power toujours beau et charismatique mais il est dommage que la problématique du racisme de l’armée, présentée avec une certaine finesse, soit, dans la dernière partie, escamotée de la façon la plus conventionnelle qui soit. D’où que Capitaine King est un film réussi et séduisant mais limité.

A noter que, quoiqu’adapté du même roman de Talbot Mundy et ayant pour héros le même personnage, Capitaine King n’est pas du tout un remake de La garde noire et que ses enjeux dramatiques sont très différents du film de John Ford.

Tendre est la nuit (Henry King, 1962)

Un psychiatre épouse une riche patiente.

Le roman fêlé de Fitzgerald adapté par un vétéran du Hollywood classique sous contrôle de Selznick. Il y avait lieu de craindre que la sauce ne prenne pas. Et de fait, l’académisme de la forme, séduisant de par son opulence mais un brin languissant, peine à se coltiner les tourments intimes des personnages qui sont le sujet profond de l’oeuvre. Le film est essentiellement une suite d’images où deux personnages parlent au milieu de décors somptueux. Le Cinémascope évite à Henry King, plus routinier que jamais, de varier les plans. Pourtant, aussi patents que soient les défauts du film, il est difficile de le disqualifier complètement. En effet, le livre de Fitzgerald n’est pas trahi, la justesse du ton est maintenue et le drame, subtil, finit par émouvoir grâce à une dernière séquence particulièrement belle.

Tant que soufflera la tempête (Untamed, Henry King, 1955)

Au XIXème siècle, une riche Irlandaise fuit sa terre natale ravagée par le mildiou pour s’établir avec son mari en Afrique du Sud où elle espère secrètement retrouver un ancien amant, combattant pour l’état libre d’Orange.

Ce bref synopsis donne un aperçu de l’hétérogénéité du récit. Il ne faut malheureusement pas compter sur la mise en scène pour lui insuffler l’unité dramatique qui lui fait défaut. L’abus de transparences (Zanuck voulait utiliser un nouveau procédé « blue screen »), la relative inadéquation de Susan Hayward, que j’ai connue plus à son aise dans les modestes sagas de Stuart Heisler, à son rôle de femme passionnée et le manque d’intensité dramatique de plusieurs scènes d’action sont autant de handicaps lorsqu’il s’agit de compenser les faiblesses du script, particulièrement patentes dans une dernière partie qui use et abuse des coïncidences saugrenues au mépris de la vraisemblance la plus élémentaire. Heureusement, le film est riche d’images somptueuses de l’Afrique du Sud. Avec le Cinémascope, Henry King n’a pas perdu son sens du lyrisme visuel.

Un Yankee dans la R.A.F (Henry King, 1941)

Début 1940, un pilote américain s’engage dans la RAF par appât du gain et de l’aventure et retrouve une ancienne fiancée à Londres.

Cet étonnant mélange entre comédie de remariage et film de guerre fonctionne plutôt bien grâce à la légèreté maintenue du ton (le film date d’avant l’entrée en guerre des USA), à la concision du découpage, à la beauté du noir et blanc, au double-sens piquant de quelques répliques et à la beauté un peu canaille de Tyrone Power. Plaisant.

Les révoltés du Clermont (Little Old New York, Henry King, 1940)

A New-York au début du XIXème siècle, Robert Fulrton débarque dans le but de faire construire le bateau à aubes qu’il a inventé.

C’est avec une habileté toute conventionnelle que Henry King mêle la romance, l’humour, la baston et l’édification dans cette reconstitution « 100% studio » du New-York circa 1807.

The country doctor (Henry King, 1936)

Dans une région reculée du Canada, un médecin de campagne lutte contre la diphtérie, tente d’obtenir des crédits pour un hôpital et met au monde des quintuplés.

Entrepris pour exploiter l’engouement autour des soeurs Dionne, The country doctor s’avère un bon film qui reflète bien la sensibilité de son réalisateur, Henry King. Les trois quarts du métrage sont ainsi consacrés à la ténacité du médecin de campagne se battant pour les patients de son village reculé. La simplicité du ton, l’élégance des instants les plus dramatiques, la sobriété des acteurs (Jean Hersholt est aussi bon qu’un Victor Moore) et la fine critique de la médecine de classe en font un joli parangon de cinéma humaniste. Seule la dernière partie, s’appesantissant longuement sur les bébés qui par ailleurs résolvent miraculeusement le drame creusé auparavant, apparaît comme regrettable: même s’il est probable que ce cher vieil Henry King n’avait guère l’âme d’un révolutionnaire et croyait lui-même aux miracles réconciliateurs, il eût été judicieux de souligner l’ironie de la situation plutôt que d’en rajouter dans l’édification à travers le discours final du docteur.

Joli rayon de soleil (Little Mary Sunshine, Henry King, 1916)

Un noceur rejeté par sa fiancée pour avoir trop bu trouve dans sa voiture une petite fille orpheline suite au meurtre de sa mère par son père…

Ce presque long-métrage est un véhicule pour l’enfant-star Baby Marie Osborne. On pourra apprécier la façon dont Henry King, qui se révèle ici un bon acteur, évacue rapidement le pathos pour se concentrer sur la relation, toute en tendresse et en charmantes facéties, entre l’amoureux malheureux et l’enfant trouvé. Les teintes dorées de l’image renforcent l’aspect mignon de ce conte puritain.

La colline de l’adieu (Love is a many-splendored thing, Henry King, 1952)

A Hong-Kong, une doctoresse métisse s’éprend d’un Américain correspondant de guerre…

Le début, avec ses larges images en Technicolor et la sobriété de Henry King, laisse entrevoir un joli film mais une fois que la relation amoureuse est concrétisée, la narration languit et le profond académisme du style saute aux yeux. Médiocre.

La roulotte rouge/La belle écuyère (Chad Hanna, Henry King, 1940)

Dans le sud des Etats-Unis en 1841, après avoir aidé un esclave à fuir, un palefrenier et la fille d’un propriétaire rejoignent un cirque itinérant…

Petite bluette au charme superficiel. Le superbe Technicolor à dominante rouge et or, la sobre délicatesse de Henry King à l’origine de quelques beaux moments (tel le premier baiser des mariés) et la qualité des comédiens assurent un spectacle agréable mais ne suffisent pas à étoffer un récit foncièrement pusillanime et conventionnel.