Mauprat (Jean Epstein, 1926)

Au XVIIIème siècle, un jeune homme élevé par une famille de bandits sauve l’honneur sa cousine et est recueilli par son grand-oncle…

Médiocre adaptation du roman de George Sand. Les acteurs sont nuls (notamment Nino Constantini et son visage cireux qui n’a rien à voir avec Bernard Mauprat) et la mise en scène peine à restituer l’intensité dramatique des péripéties. Epstein n’a pas le moindre sens du suspense. Il illustre platement et confusément son script. Ce sont les cartons qui prennent en charge l’essentiel de la narration. Reste quelques plans où le décor naturel est joliment appréhendé.

L’or des mers (Jean Epstein, 1933)

Sur l’île d’Hoëdic, un homme pauvre trouve un coffre rempli d’or…

Une poignée de plans sublimes, dont la majorité a pour objet le visage de la jeune Soizic, surnage au milieu d’un brouet entre documentaire et fiction que l’ajout a posteriori d’une piste sonore rend d’autant plus ingrat. Élaguer L’or des mers jusqu’à en faire un moyen-métrage eût peut-être évité de diluer la force dramatique de la fable.

Coeur fidèle (Jean Epstein, 1923)

Une orpheline amoureuse d’un brave garçon est enlevée par un marlou…

Ce pseudo-classique du cinéma muet français n’est en réalité qu’un poussiéreux mélodrame saupoudré de fatras avant-gardiste. Outre le scénario d’un schématisme caricatural, la direction d’acteurs est particulièrement déficiente. Léon Mathot, qui a prouvé plusieurs fois qu’il était un bon comédien, dessert son personnage de brave garçon tant l’expression de sa candeur confine à la niaiserie. Le découpage « impressionniste », ne laissant guère le temps aux plans, paraît aujourd’hui plus hasardeux qu’autre chose (pourquoi tous ces raccords dans l’axe?).

Deux séquences se distinguent par l’ostentation de leur montage. Dans l’une (la fameuse fête foraine), le déferlement d’images, imprécis et sans objet, tourne à vide tandis que l’autre est la seule bonne scène du film puisque la virtuosité formelle y est intimement liée à l’évolution émotionnelle d’un personnage (le méchant qui prend conscience qu’il est trompé pendant un concert de rue). N’était ce passage où la réalisation est -brillamment- expressive, Coeur fidèle aurait été épouvantable de bout en bout.

La Belle Nivernaise (Jean Epstein, 1924)

Un enfant des rues est recueilli par un marinier.

Le cachet réaliste procuré par les décors naturels autour de la Seine ne camoufle pas longtemps les poncifs qui régissent cette adaptation d’Alphonse Daudet. Pourquoi les cinéastes de l’avant-garde française, tout en professant un certain mépris de la fonction narrative du cinéma, s’encombraient-ils si souvent des scénarii les plus bassement mélodramatiques? D’autant qu’ici, loin de détourner ou de transcender les écueils de son script bancal, Jean Epstein y saute à pieds joints comme par exemple lorsqu’il étire au-delà du raisonnable une bagarre sans intérêt entre le gentil et le méchant (dont les motivations sont pour le moins floues). Les jeunes acteurs, plutôt hideux, n’aident pas non plus à l’identification.

L’île perdue/La femme du bout du monde (Jean Epstein, 1937)

Sur une île près de l’Antarctique, des marins partis chercher du radium tombent sous le charme d’une femme qui tient un bar avec son mari et son fils.

Une sorte de baudruche filmique. Le film aurait été considérablement mutilé (au point de changer de titre) et cela se voit car toutes les intrigues se résorbent (plus qu’elles ne se résolvent) subitement après environ 50 minutes de projection. Le récit de ces marins qui tombent sous le charme d’une sirène des temps modernes est a priori original et intéressant mais manque singulièrement de substance. De plus, la pauvreté des décors (dont Epstein plasticien ne fait pas grand-chose) va de pair avec la pauvreté narrative et accentue l’abstraction de ce qui nous est montré. La distribution est inégale: Le Vigan en armateur avide nous gratifie d’une composition délectable mais le Parisien Paul Azaïs imite l’Alsacien Pierre Fresnay lorsqu’il imite les Marseillais et ce n’est pas très probant. Néanmoins, La femme du bout du monde garde un certain charme nostalgique, charme qui se matérialise pleinement dans les flash-backs bizarres et folkoriques insérés par Jean Epstein lorsque « la femme du bout du monde » chante des airs bretons.

Finis terrae (Jean Epstein, 1929)

Près de Ouessant, un village se mobilise pour sauver un pêcheur de goémon atteint d’un panaris coincé sur une île…

Comme le montre la longueur des séquences consacrées au travail des goémonniers, il y a clairement une intention documentaire derrière Finis terrae. La peinture de cette communauté archaïque qui vit entre la mer et ses morts est d’ailleurs ce qu’il y a de plus beau dans le film.  C’est lorsque Jean Epstein tente d’introduire de la fiction dans son film qu’il est moins convaincant. La maigreur du scénario et la convention des quelques péripéties font que le drame reste très schématique et donc peu passionnant. De plus, les comédiens amateurs du cru ne simulent pas très bien les émotions que le réalisateur leur demande de simuler. On ne peut leur en vouloir, ce n’est pas leur métier. Cette tentative de Flaherty à la française est donc intéressante mais inaboutie.

L’auberge rouge (Jean Epstein, 1923)

Dans une auberge perdue dans la montagne, un courtier en diamants est assassiné.

Adaptation de la nouvelle de Balzac sortie trente ans avant la célèbre comédie noire de Claude Autant-Lara, L’auberge rouge est un des premiers travaux cinématographiques de Jean Epstein, théoricien avant-gardiste alors âgé de 25 ans. C’est un exercice de style plein d’expérimentations et de recherches. On sent dans le montage et le découpage une volonté d’explorer toutes les possibilités d’un art presque aussi jeune que le cinéaste. Ce cinéaste ne s’est pas encore enfermé dans la froideur absconse qui caractérise certains de ses films ultérieurs (La glace à trois faces) et chacune de ses trouvailles a un but expressif. C’est parfois naïf, c’est parfois lourd, ça n’est jamais vain. C’est même dans l’ensemble très convaincant. Toute l’exposition dans la grande salle de l’auberge est étonnante de maîtrise. L’atmosphère balzacienne, trouble, mystérieuse et propice au romanesque, est excellemment rendue grâce entre autre à des cadrages joliment composés et à des acteurs aux gueules pittoresques. On peut également citer le montage parallèle de l’exécution, séquence inspirée de Griffith dans laquelle Epstein a eu l’idée d’insérer des plans subjectifs porteurs d’une poésie bienvenue. Si tout n’est pas d’égale valeur dans cette oeuvre de jeunesse (qu’y a t-il de plus inintéressant qu’une scène de tribunal? une scène de tribunal muette!), si on peut regretter quelques conventions mal digérées, L’auberge rouge n’en reste pas moins un très bon film, un des rares fleurons non périssables de l’Avant-garde française.

Cœur de gueux (Jean Epstein, 1936)

Une jeune fille mise enceinte par un galant tente de se suicider et est recueillie par de braves saltimbanques.

La bonhomie des forains insuffle un pittoresque bienvenu au mélodrame vieillot. La réalisation d’Epstein, ancien héraut de l’Avant-garde française, est de bonne tenue mais n’a rien de particulièrement neuf. De toute façon, ce classicisme vaut mieux que l’affichage ostentatoire d’une pseudo-originalité qui ruinerait le potentiel dramatique du sujet. On notera tout de même l’utilisation d’une chanson qui stimule les flashbacks. C’est assez original. On retrouve également Epstein dans la relative mise en valeur visuelle de la campagne. Madeleine Renaud, 36 ans et quinze ans de théâtre derrière elle, n’est guère crédible dans son rôle de jeune ingénue mais Ermete Zacotti est bon dans son emploi conventionnel. Au final, Coeur de gueux est un film d’une charmante désuétude.