Cap canaille (Jean-Henri Roger et Juliet Berto, 1983)

A Marseille, l’héritière d’une forêt voit son domaine partir littéralement en fumée, à cause de promoteurs véreux.

Si j’ai été bien moins convaincu par Cap canaille que par Neige, c’est que ce second film de Roger & Berto m’a semblé beaucoup plus confus en même temps que, fondamentalement, beaucoup plus simpliste. Dans Neige, les méandres du récit décomposaient et recomposaient des frontières morales dans un quartier très louche: Pigalle. Ici, non seulement, on ne comprend rien à des personnages sans intérêt et à une intrigue non moins nébuleuse que celle du Grand sommeil mais cette absence de clarté n’empêche pas la dramaturgie de rester manichéenne: ce qui reste clair, c’est que le promoteur immobilier est très méchant. La distribution, étonnamment chevronnée, ne brille guère, la faute notamment à des dialogues d’une grande médiocrité. La musique, très ancrée dans son époque, est d’une nullité stupéfiante. Restent la présence intense de la ville où se déroule l’action (comme dans Neige) ainsi que quelques morceaux de bravoure formels, dont la fin, grandiose et poétique.

Neige (Jean-Henri Roger et Juliet Berto, 1981)

La neutralisation du dealer d’un quartier du Nord de Paris par la police y sème la pagaille.

Ce qui frappe d’abord dans Neige, c’est l’intensité de la présence des quartiers populaires parisiens où se déroule l’action: Pigalle, Clichy et autres Barbès n’ont jamais été aussi bien retranscrits au cinéma. Sans discours sociologique ni pittoresque, les plans-séquences inscrivent les personnages dans une réalité quasi-documentaire. Les trajectoires de ces personnages semblent au début assez chaotiques mais dessinent après la mort du dealer une sorte de tragédie auréolée d’une ironie déchirante.

Filmant un tel environnement, beaucoup de réalisateurs se seraient laissés aller à la complaisance dans le sordide. Ce n’est pas le cas de Juliet Berto et Jean-Henri Roger pour qui c’est au contraire l’occasion de célébrer la bienveillance, la grandeur d’âme et l’amour qui vous fait faire des bêtises. Ce, sans que rien ne paraisse forcé. Le sublime personnage interprété par Juliet Berto est d’autant plus plausible que, dans un contexte où les frontières morales sont aussi floues, son basculement est imperceptible.

Flics, serveuses ou travelos, tous sont, en plus d’être admirablement joués, regardés avec une inconditionnelle empathie par la caméra. Ne serait-ce que pour ce magnifique travelling qui suit, à une distance parfaite, un prostitué en manque ravi par la perspective d’un shoot imminent remonter une rue en sautillant avant d’être cueilli par la police, Neige se doit d’être vu.

Enfin, il n’y a que deux scènes de violence mais leur sécheresse est absolument terrible. Rarement cinéaste aura fait ressentir avec autant de force  le caractère à la fois dérisoire et irréversible d’une balle dans la tête. Et c’est ainsi que Neige demeure peut-être le plus beau polar français des années 80.