Rangoon (John Boorman, 1995)

Une jeune Américaine partie en Birmanie pour faire le deuil de son mari et de son fils assassinés se trouve mêlée à la rébellion contre la dictature militaire.

Le manichéisme politique et la structure narrative superficielle -en gros une succession de poursuites filmées avec une certaine vivacité- apparentent Rangoon à un film américain moyen des années 40; la gravité sentencieuse en plus.

La forêt d’émeraude (John Boorman, 1985)

Alors qu’il supervise la construction d’un barrage en Amazonie, un ingénieur voit son fils enlevé par des Indiens. Dix ans après, il continue les recherches.

Douze ans après Délivrance, le traitement du thème cher à John Boorman du conflit entre l’homme et la nature a évolué dans un sens manichéen et obscurantiste: la tribu amazonienne, restée au stade préhistorique, est vue comme porteuse d’une harmonie perdue face à l’homme blanc qui détruit la forêt. Cette vision d’une confondante naïveté, impression renforcée par des surimpressions et des figurations d’expériences chamaniques forcément ridicules, altère la dimension tragique du récit: le drame psychologique du jeune homme écartelé entre deux cultures est en fait éludé et celui de son père n’est guère rendu sensible (la faute à un interprète, Powers Boothe, à l’expressivité limitée?). Que l’on est loin de la profondeur d’évocation de John Ford dans La prisonnière du désert ou Les deux cavaliers, westerns dont la trame était similaire à celle de La forêt d’émeraude.

Mais, lorsqu’on constate également les défauts d’une construction dramatique qui gère platement le parallélisme entre les actions et qui contient des péripéties artificielles (la tribu méchante) qui éloignent le récit de son sujet essentiel, on se dit que John Boorman s’intéresse ici moins à ce qu’il raconte qu’à ce qu’il montre: on le sent fasciné par son décor amazonien et par les divers rituels qui donnent lieu à de longues scènes quasi-documentaires contribuant également à diluer la force du récit. Cette fascination est transmise au spectateur par la mobilité de la caméra qui l’immerge dans la forêt, par la splendeur de la lumière captée par Philippe Rousselot, par des images de la tribu dont la beauté à la fois naturelle et composée rappelle évidemment le Tabou de Flaherty et Murnau.

Queen and country (John Boorman, 2014)

Durant son service militaire en 1952, un jeune Anglais forme des recrues pour partir en Corée et vit ses premières amours…

Queen and country est la suite de l’excellent Hope and glory: après son enfance, John Boorman reconstitue sa jeunesse. Encore une fois, à travers une chronique intimiste, il donne à ressentir l’âme d’un pays à un instant donné. Pour les vétérans, quel sens donner à son existence après avoir pris part à la glorieuse victoire « contre le fascisme » (et y avoir laissé quelques plumes mentales) ? Pour les jeunes, comment croire à l’Armée, au Roi et à la démocratie capitaliste quand ces valeurs sont vidées de leur substance par la conduite crispée des aînés honorés (à l’exemple de MacArthur)? C’est ainsi qu’après avoir fait redouter une énième et fastidieuse comédie antimilitariste, la caractérisation caricaturale des vieilles badernes trouve sa justification profonde.

Derrière l’agitation des pantins, Boorman sait faire poindre l’amertume d’une vie brisée; par exemple en déjouant les attentes consensuelles lors d’une scène de retrouvailles. De la même façon, la première romance de son héros lui permet d’évoquer les différences de classe sociale en Angleterre, évocation qu’il cristallise par la géniale scène du couronnement. Face à l’excellent Callum Turner dans le rôle principal, la superbe Tamsin Egerton incarne parfaitement cette femme inaccessible.

Au-delà des figures désuètes et d’un style un peu amidonné (la photo est beaucoup plus passéiste que celle de Hope & glory), Boorman point le spectateur sans qu’il ne s’y attende, aidé en cela par le lyrisme de ses travellings, la musique « glassienne » de Stephen McKeon et le vert irréel des images campagnardes qui matérialise comme rarement elle a été matérialisée au cinéma l’idée du « home, sweet home ».

Passé inaperçu pour de bonnes et de mauvaises raisons, Queen and country est donc un des plus beaux films sortis cette année en France.

Hope and glory – La guerre à 7 ans (John Boorman, 1987)

Dans le Londres en proie aux bombardements allemands, un enfant grandit.

Ce film autobiographique de John Boorman est une chronique des années d’enfance du cinéaste, années qui correspondent à la Seconde guerre mondiale. Un motif récurrent de l’oeuvre illustre brillamment le paradoxe de cette innocence enfantine confrontée à la plus atroce des réalités: celui des maisons bombardées transformées en terrains de jeu. Aucune illusion sentimentale ou morale mais une incitation de la guerre à jouir de l’instant présent qui vaut aussi pour les adultes. Ainsi du personnage de la soeur aînée. Les rapports avec sa mère sont d’ailleurs traitées d’une façon très juste, sans enjolivement ni dramatisation excessive.

Il y a finalement peu de « gros » évènements dramatiques dans Hope and glory mais ceux-ci donnent lieu à de grands moments. La façon soudaine et violente dont la baie vitrée explose pendant la fuite de la famille vers l’abri montre que le style classique de la mise en scène n’a rien d’aseptisé. Hope and glory est un film nostalgique mais cru. Une bonne façon d’imaginer cet excellent film serait de se figurer une sorte d’Empire du soleil (sorti la même année) dépouillé, épicurien (au sens « profiter de l’ici et maintenant ») et dénué de toute niaiserie (ici, le regard du cinéaste ne se confond pas avec celui de son jeune protagoniste).