Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot, Joseph L. Mankiewicz, 1967)

Un esthète retranché dans son palais vénitien convoque trois femmes de sa vie et leur fait croire qu’il est sur le point de mourir.

Loin d’Hollywood, Mankiewicz laisse libre cours à ses penchants -théâtralité, dandysme, ironie- non sans une certaine complaisance. 2h11 pour une resucée post-moderne de Volpone, c’est long. La somptuosité du décor, la qualité de l’interprétation (Rex Harrisson, tellement moins cabotin qu’Harry Baur) et, surtout, une once de tendresse -patente dans le dernier plan- rendent Guêpier pour trois abeilles plus supportable et attachant que les films ultérieurs du maître: Le reptile et Le limier.

La porte s’ouvre (No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950)

Un malfrat raciste accuse un jeune médecin noir d’avoir tué son frère blessé par la police.

Pesant film à thèse qui finit dans le grand-guignol, à force d’artificielle outrance. Se focaliser sur un cas pathologique, comme le fait ici Mankiewicz, altère grandement la critique ambitionnée du racisme. Réalisé trois ans après par un conservateur, sans intention de dénonciation apparente, Le soleil brille pour tout le monde démonte, par la bande, les mécanismes du racisme (peur sexuelle et effet de meute) avec bien plus de profondeur et d’ampleur.

La maison des étrangers (Joseph L. Mankiewicz, 1949)

Dans une famille de banquiers italo-américaine, le fils, sorti de prison, retrouve ses frères et se souvient des conflits tragiques entre ces derniers et son père.

Tragédie familiale qui, de par son contexte et plusieurs détails dramaturgiques, évoque immanquablement Le parrain, sorti vingt-trois ans plus tard. Malgré un dénouement conventionnel, des tirades théâtrales et quelques longueurs surtout dues aux scènes avec Susan Hayward (qui font dévier le récit de son principal axe dramatique), la facture est de haute volée. Alors qu’on s’attend d’abord à une resucée de ses cabotinages « ethniques » du début des années 30, Edward G. Robinson s’impose rapidement en patriarche aussi dur que truculent. Pour une fois, Richard Conte a un rôle à la mesure de son talent. Non dénuée de pittoresque facile (la musique d’opéra…) mais fluide, élégante dans ses compositions visuelles et parsemée de plans véristes bienvenus, la mise en scène constitue un bel écrin aux affrontements verbaux qui constituent une bonne partie -mais pas l’intégralité- du métrage. En tout état de cause, La maison des étrangers est supérieur à son remake westernien.

L’évadé de Dartmoor (Escape, Joseph L. Mankiewicz, 1948)

Un vétéran de la RAF s’évade de la prison où il avait été condamné à passer trois ans pour avoir tué accidentellement un homme en voulant protéger une prostituée.

Le décor naturel de la campagne anglaise est le principal atout de ce petit film de traque dont la modestie est un peu altérée par certains dialogues trop philosophiques (sur le péché originel notamment) pour sonner juste.

Un mariage à Boston (The late George Apley, Joseph L.Mankiewicz, 1947)

En 1913, dans une famille de la haute-société bostonienne, le père rigide voit ses deux enfants vouloir convoler hors de leur petit milieu.

« Brillant », c’est évidemment le premier mot qui vient à l’esprit; comme souvent devant les réussites de Mankiewicz. Rarement satire (du conservatisme) fut orchestrée avec autant d’acuité (toutes ces connotations qu’on croirait tirées d’un roman d’Edith Wharton) mais aussi de subtilité et d’empathie pour le personnage brocardé. Interprété avec beaucoup d’humanité par un Ronald Colman grisonnant, George Apley n’est jamais caricaturé et son étroitesse d’esprit ne va pas sans bonne volonté ni secrète mélancolie, de la même façon que Nellie dans le film d’Henry King. Contrairement à ce qu’écrit Lourcelles dans son dictionnaire, il évolue même, un peu, au cours du film. La fin en demi-teinte, ni unhappy ni happy, est d’ailleurs révélatrice de l’étonnante complexité du film. Magistral au niveau de l’écriture, The late George Apley ne l’est pas moins au niveau de la réalisation. En effet, Mankiewicz fait oublier les origines théâtrales de son script en dramatisant l’espace de la maison avec une caméra dynamique et des champs à différents niveaux de profondeur.

Quelque part dans la nuit (Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Enquêtant sur sa propre identité, un soldat devenu amnésique se rend compte qu’il était mêlé à des affaires de truands.

L’interprétation, très moyenne, n’aide pas à intéresser à un récit complètement tiré par les cheveux. En plus, c’est excessivement long, eu égard au script de médiocre série B.

Le château du dragon (Dragonwyck, Joseph L. Mankiewicz, 1946)

Au XIXème siècle, la fille d’une famille puritaine s’installe chez un cousin qui règne en seigneur sur ses terres.

La beauté plastique, bien digne de l’âge d’or de la Fox, et une relative nuance dans la présentation du méchant n’empêchent pas ce drame, très théâtral, d’apparaitre un peu poussif.

Blanches colombes et vilains messieurs (Joseph L. Mankiewicz, 1955)

A Broadway, un organisateur de jeux clandestins parie avec un joueur que ce dernier ne pourra pas séduire une fille de l’Armée du Salut.

L’absence d’élan qui viendrait unifier les -bien trop longues- scènes de dialogues avec les chorégraphies baroques de Michael Kidd montre que le talent de Mankiewicz n’était pas celui d’un réalisateur de comédie musicale; de même que le talent de Marlon Brando n’était pas celui d’un chanteur. Etalant un récit très ténu sur 2h30 sans jamais conférer la moindre vérité humaine à des personnages qui restent des marionnettes de bout en bout, la narration est des plus poussives. Reste le -maigre- tour de chant de Frank Sinatra alors à son sommet.

Un Américain bien tranquille (Joseph L. Mankiewicz, 1957)

Pendant la guerre d’Indochine, un jeune Américain est assassiné à Saïgon. Retour sur son passé et ses relations avec un couple formé par un journaliste anglais désabusé et une jolie indigène.

Bizarrement oublié aujourd’hui, Un Américain bien tranquille est peut-être le film le plus emblématique de l’oeuvre de Joseph L. Mankiewicz. En effet, jamais au cinéma le langage n’a eu une place aussi centrale qu’ici. Ce sont les subtilités de traduction (je n’ose imaginer le massacre perpétré par la version française) et les mots à double sens qui nouent une intrigue compliquée sans être nébuleuse. C’est le décalage entre leurs paroles et leurs actions qui définit le caractère de personnages très souvent manipulés.  Cette virtuosité dramatique n’est cependant pas vain étalage  de style. Mankiewicz montre l’aveuglement que peuvent provoquer des sentiments. Avec son ironie habituelle, il le fait en montrant -et donc en démontant- les illusions d’un personnage cynique; ce qui redouble le sentiment de jubilation du spectateur.

Toutefois, les personnages ne sont pas les jouets de l’intrigue mais l’intrigue naît des relations de personnages qui s’aiment, se trahissent, se trompent, paradent, combattent. Ce ne sont pas encore les pantins qu’ils seront dans les derniers films de l’auteur. Le contexte politique intelligemment exploité ancre l’oeuvre dans une réalité qui l’empêche de sombrer dans la mauvaise théâtralité qui caractérise Le reptile et Le limier. Les acteurs, Michael Redgrave au premier rang, sont au diapason du metteur en scène et offrent des compositions riches et nuancées. Subtil, prenant et intelligent, Un Américain bien tranquille est un excellent film.