Faute d’argent, un étudiant retourne dans sa campagne natale…
Un apologue réactionnaire présenté avec une appréciable légèreté et une jolie sensibilité aux paysages naturels.
Faute d’argent, un étudiant retourne dans sa campagne natale…
Un apologue réactionnaire présenté avec une appréciable légèreté et une jolie sensibilité aux paysages naturels.
Dans le Japon de l’après-guerre, une jeune avocate défend une infanticide.
La thèse féministe du scénariste et communiste Kaneto Shindo se fait plus lourdement sentir dans les revirements de la fin qui font peu de cas de la logique individuelle que dans la première partie qui présente la ruine morale et économique du Japon d’après-guerre avec une nudité implacable et empathique bien digne de Mizoguchi. Le plan où la profondeur de champ révèle trois niveaux différents d’action témoigne élégamment de la stupéfiante richesse d’une mise en scène dont les maîtres mots sont condensation, pudeur et vivacité.
Une artiste de cirque paye les études d’un jeune conducteur de diligence dont elle s’est entichée…
Vingt ans avant la série de chefs d’oeuvre absolus qui le fit découvrir en Occident (mais dix ans après le début de sa carrière), il est étonnant de retrouver dans ce film muet l’ensemble des thèmes chers à Kenji Mizoguchi traités avec la grandeur stylistique qui lui est propre.
De multiples plans d’arbres et de ruisseaux matérialisent un écrin cosmique qui auréole le mélodrame circassien d’une tonalité légendaire; la différence avec L’intendant Sansho et Les amants crucifiés, où le drame était intégré à une nature sublime, étant que ces plans sont souvent juxtaposés avec ceux qui font avancer le récit. Toutefois, on retrouve déjà cette façon unique qu’a Mizoguchi de filmer la course des femmes éperdues. Les travellings longs, rapides et heurtés font alors office de diapason à l’émotion.
D’une façon générale, un sens extrêmement vif de l’action (voir le dynamisme de la séquence du vol) équilibre sans cesse la tendance picturale du cinéaste nippon. Dans cette même logique de compensation, la noblesse des personnages et l’attention de la caméra au geste sublime contrebalancent la noirceur de la tragédie. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à voir cette jeune femme mue par la gratitude qui remet en place la mèche de l’héroïne baignée de larmes. L’image frappe d’autant plus que rares sont les gros plans de visage chez Mizoguchi. Et évidemment, son actrice, Takako Irie, est magnifique.
C’est ainsi que Le fil blanc de la cascade est un film tout à fait digne du sérieux prétendant au titre de plus grand cinéaste de tous les temps que fut Kenji Mizoguchi.
Un forgeron amoureux de la fille de son seigneur venge ce dernier qui a été assassiné.
Récit de vengeance conventionnel quoique compliqué, décors au rendu excessivement artificiel, film sans grand intérêt.
Dans les années 1880 au Japon, les combats et désillusions d’une militante féministe.
Raconter l’histoire de Toshiko Kishida permet à Mizoguchi de synthétiser et d’expliciter le propos féministe qui sous-tend la quasi-totalité de son oeuvre. Flamme de mon amour est un film romanesque et didactique qui aurait pu servir à son auteur de carte de visite pour Hollywood si les studios californiens avaient eu coutume d’embaucher des réalisateurs japonais. Finalement assez optimiste, le cinéaste délaisse quelque peu la sécheresse implacable qui fut par ailleurs la sienne pour filmer les femmes victimes de la société japonaise. Il s’accorde même de belles envolées lyriques tel le superbe travelling latéral lors de la première manifestation. L’avant-dernier plan est aussi beau et amer que la fin de L’homme qui tua Liberty Valance. Kinuyo Tanaka, encore une fois, y est pour beaucoup.
Une fille est envoyée dans une maison de geishas où un jeune homme de bonne famille va s’amouracher d’elle…
De la gangue mélodramatique dont il extraira plus tard le suc de ses chefs d’œuvre, Mizoguchi ne tire ici rien de très original ni de bien passionnant. L’invraisemblance des conventionnelles coïncidences n’est guère transcendée par un style encore très hollywoodien (découpage classique….). Il faut par ailleurs préciser que, si la version restaurée par la Cinémathèque française en 1999 est parfaitement intelligible, le film n’aurait pas été conservé dans son intégralité.
Une jeune serveuse enceinte est abandonnée par son fiancé de bonne famille…
Cette énième variation de Kenji Mizoguchi sur son thème de prédilection est une énième réussite où, plus précisément qu’ailleurs, une certaine lâcheté masculine est représentée avec justesse. Au contraire, la femme ne manque pas de courage et assume pleinement sa voie en dehors de la société « normale ». L’impasse de l’amour et de la haine est ainsi un des films de Mizoguchi les moins noirs parmi ceux mettant en scène des « filles perdues ». Cette vérité au sein d’un canevas rebattu, le film la doit essentiellement à l’absence de manichéisme du script rigoureux de Yoda (lointainement adapté de Résurrection de Tolstoï) et à la qualité de comédiens dirigés par un réalisateur plus tyrannique que jamais (Fumiko Yamaji aurait été contrainte de répéter plusieurs centaines de fois une même scène).
Un frère et une soeur vont voir un maître du sabre dans l’espoir de venger leur père assassiné.
Commande dont la réalisation aurait évité à Mizoguchi de servir dans l’armée impériale, Miyamoto Musashi n’en est pas moins une pépite où s’affirme avec éclat le style du maître. On retrouve ici sa concision et sa précision (le film dure moins d’une heure), son aptitude à aller droit au but tout en accordant une attention particulière à la Nature. Ainsi, son extraordinaire efficacité narrative ne l’empêche pas de capter le frémissement des feuilles battues par la brise ou les rayons du soleil venant s’écraser sur la rase prairie.
Privilégiant des travellings rapides et élégants pour filmer les scènes de combat, l’auteur des Soeurs de Gion n’en fait pas des tonnes niveau exaltation de l’héroïsme viril du samouraï découpant ses adversaires à la chaîne. Mieux: il ose couper en pleine tuerie pour raccorder sur un magnifique plan de cascade. Ce n’est que dans un deuxième temps que le spectateur distinguera, au pied de la montagne, le guerrier blessé entrain de laver son sabre. Voulue ou non (je ne sais dans quelle mesure le réalisateur a été impliqué dans le montage de la version que j’ai vue), cette audacieuse ellipse est une parfaite expression de la hauteur de vue cosmique du cinéaste.
Le héros légendaire Miyamoto Musashi (maintes fois filmé dans l’histoire du cinéma japonais) incarne le renoncement aux passions humaines au service de la perfection de l’art martial. Cet éthique quasi-sacrificielle qui devait avoir une résonance particulière dans le Japon de 1944 est discrètement récusée par Mizoguchi. Pas dupe d’un code aussi surhumain, le cinéaste montre, à travers les scènes avec la jeune fille, que l’exercice de la violence ne peut aller sans déchaînement de passions individuelles et que l’orgueil du maître ne vaut guère mieux que le désir de vengeance de ses élèves. Plus qu’en le détournant, c’est en l’amplifiant jusqu’à faire ressortir une dialectique entre apitoiement et consentement à l’ordre du monde que Mizoguchi subvertit le propos étroitement militaro-moralisant de la commande.
Cette dialectique se cristallise dans des séquences sublimes dont Mizoguchi a le secret. Je pense par exemple au moment qui suit l’assassinat du frère. La jeune fille, qui y a assisté, retourne à la maison du maître, bouleversée. Elle le voit entrain de sculpter. Elle n’ose le déranger et contemple l’artiste à l’oeuvre. Grâce à la profondeur de champ, on voit les deux personnages, chacun à un niveau du plan. Le sculpteur se lève, sort dans le jardin. Plan sur la pleine lune. La fille s’endort…Ce n’est pas pour autant que le drame qu’elle vient de vivre est oublié, simplement elle attendra le lendemain pour en parler. Elle n’a pas interrompu le maître par politesse, par compréhension intime qu’il y a dans le monde des choses qui nous dépassent, nous et notre souffrance. L’art en fait partie. Un tel constat ne nie nullement la souffrance, d’autant que celle-ci s’incarne ici sur le visage d’une Kinuyo Tanaka plus émouvante que jamais; il invite simplement à aller au-delà de l’auto-apitoiement…
Après la guerre, un couple de bourgeois de Musashino accueille un jeune cousin revenu d’un camp de prisonniers.
L’absence de notoriété et de diffusion de La dame de Musashino par rapport aux autres films de Mizoguchi des années 50 est difficile à comprendre. En effet: si elle ne se hisse pas à la hauteur des cimes esthétiques tutoyées par Les amants crucifiés et L’intendant Sansho, cette adaptation de Shôhei Ooka est à tout le moins un excellent film. C’est l’occasion pour Mizoguchi de montrer les ravages provoqués par la défaite de 1945 sur la mentalité japonaise. L’affaissement des valeurs traditionnelles consécutif à la fin de l’Empire est ressenti de diverses manières par les personnages. Il y a ceux qui se sont fait hara-kiri, il y a des bourgeois déjà occidentalisés qui prétendent vivre un roman de Stendhal en trompant leur épouse, il y a l’ancien soldat qui tente d’oublier un amour impossible dans les plaisirs faciles, il y a enfin l’héroïne qui vit dans le culte de son père et constate l’urbanisation croissante du domaine familial.
Cette importance du domaine familial, cette nostalgie, ces marivaudages et ces citations explicites de Stendhal font d’ailleurs de La dame de Musashino un des films japonais les plus français qui soient. Musashino est une sorte de paradis perdu et rêvé comme le Torrine des Dernières vacances. Le ton est donc plus léger qu’à l’accoutumée chez Mizoguchi. Le pessimisme y est plus tranquille, comme fondu dans la banalité des comportements. La terrible noirceur du dernier acte n’en est que plus frappante. Aussi logique qu’inattendu, il exprime avec violence l’impossibilité pour un caractère noble de survivre dans la nouvelle société. Cependant, et c’est là leur génie, les auteurs ne se limitent à un constat réactionnaire mais montrent in fine le caractère fallacieux de la nostalgie qui est celle du héros. Le travelling latéral de la fin, qui part des jardins splendides de Musashino pour finalement dévoiler la ville naissante, est à ce titre magnifique. A l’instar du reste du film, sa beauté est irréductible à tout discours univoque.
Les tourments de la noble épouse d’un débauché qui, pour subsister, a ouvert une auberge.
A le voir enfin, on comprend mieux le peu de notoriété dont jouit ce film de Mizoguchi alors sur le point de livrer une exceptionnelle série de chefs d’oeuvre. Dans cette adaptation d’un roman de Seiichi Funabashi, la rigueur propre au cinéaste fait cruellement défaut. Entre autres qualités, la force des grands films de Mizoguchi venait du fait que les drames ne se laissaient pas réduire à un banal conflit entre méchants et gentils. La rigueur de la mise en scène mettait en exergue le poids d’un environnement donné et transcendait l’intrigue mélo par une sorte de tragique social. Rien de tout cela ici. La différence de milieu entre les époux n’est guère exploitée. De même, le fait que le film soit raconté par la servante est purement anecdotique et ne produit rien au niveau du récit. Une certaine pusillanimité a aussi empêché les auteurs d’aller plus avant dans l’ambiguïté du comportement de madame Yuki, qui, en dépit du mal qu’il lui fait, reste très attirée par son époux.
L’aspect sexuel, qui aurait introduit un peu de dialectique dans la narration, est vite éludé au profit d’une opposition manichéenne et terne entre la pauvre victime et son méchant mari, mari sous l’emprise d’une maîtresse encore plus méchante et atrocement caricaturale. Le récit est donc une accumulation de clichés mélodramatiques d’une désolante platitude. Il n’y a guère qu’à la fin que certains caractères prennent un peu de relief, notamment lorsque l’inquiétude du mari montre un peu d’amour de sa part. La fin est d’ailleurs ce qu’on retiendra du Destin de madame Yuki. Devant cette poésie brumeuse, devant cette noble résignation regardée avec pudeur, devant cette scène qui préfigure L’intendant Sansho, on retrouve enfin un peu du Mizoguchi qu’on aime.
Un chanteur sans le sou marié à une épouse loyale s’entiche d’une chercheuse d’or lorsqu’il atteint le succès.
Ce film qui est un des premiers parlants japonais et qui est donc encore à moitié muet est une accumulation de poncifs mélodramatiques sans intérêt. Il n’y a pas de hauteur de vue dans la mise en scène. Mizoguchi n’a pas encore trouvé sa voie ainsi qu’en témoigne son découpage très classique où abondent les plans américains.
Leur maître condamné à se faire hara-kiri pour avoir levé le sabre sur un autre noble à la cour du shogun, ses vassaux s’interrogent sur la conduite à adopter. Négocier avec le pouvoir ou adopter une attitude jusqu’au-boutiste?
Les 47 ronins est un fait quasi-mythique de l’histoire japonaise qui fut porté une centaine de fois à l’écran. L’adaptation de Mizoguchi intervient dans un contexte très particulier: celui de l’attaque de Pearl Harbour. La première partie est sortie avant le 7 décembre 1941; la seconde après. A une époque où les films devaient obtenir l’aval du bureau de propagande pour être présentés, on aurait pu craindre une version ultra-fasciste exaltant les valeurs sacrificielles des samouraï. Kenji Mizoguchi n’étant pas le dernier des ânes, ce n’est pas tout à fait ça.
Certes, on nous présente des héros obsédés par l’honneur et la vengeance dont la pureté morale est infaillible. Mais le regard de Mizoguchi est suffisamment distant pour que le spectateur reste libre de juger ce qui lui est montré. A un spectateur normalement éveillé, l’odyssée de ces ronins paraîtra absurde mais le cinéaste ne souligne pas la bêtise de ses personnages. Il les montre dignes et valeureux. Parce qu’ils sont bel et bien dignes et valeureux (en plus d’être bêtes, c’est toute la complexité du film). C’est le système et l’éthique qu’il charrie qu’il faut remettre en question.
Ainsi, Les 47 ronins n’est pas un film épique. Un seul sabre est brandi: celui de la scène d’introduction. Le film est en fait très théâtral (c’est l’adaptation d’une pièce): le récit avance avec des commentaires de l’action plus qu’avec l’action elle-même. Délayé sur 3h40, c’est parfois ennuyeux. Il faut bien le dire. De toute évidence, le film aurait gagné à être élagué mais il recèle suffisamment de beauté dans la mise en scène pour ne pas être considéré comme un supplice cinéphilique réservé aux seuls exégètes de Mizoguchi. Toutes les séquences de rituels notamment sont magnifiques. L’évocation de la mort du seigneur à travers les cheveux coupés de son épouse, c’est sublime. De même que les rares plans d’extérieur. La beauté des 47 ronins n’a rien d’apprêté ou de décoratif car la caméra, très mobile et capable de changer d’objet au cours d’un même plan, suit les personnages et vivifie considérablement la narration.
Une jeune fille commence à se prostituer pour rembourser les dettes de sa famille.
L’élégie de Naniwa est un petit film formidablement riche qu’il faut voir vraiment concentré si l’on veut tout saisir d’une intrigue très dense. Dans cette première collaboration de Kenji Mizoguchi avec celui qui deviendra son scénariste de prédilection, Yoshikata Yoda, la narration est déjà d’une concision remarquable. Visiblement très influencés par Lubitsch (L’élégie de Naniwa est un quasi-remake de Comédiennes), les deux auteurs multiplient les ellipses. De plus, ce mélodrame s’avère parfois comique puisqu’il contient des scènes de vaudeville sans que la rupture de ton ne soit choquante. La vie a beau être cruelle, elle peut donner lieu à des situations cocasses.
Stylistiquement parlant, le metteur en scène en est encore à se chercher. Son film est plus découpé qu’à l’habitude, certaines séquences contiennent même des gros plans! Comme en témoigne son film suivant tourné la même année, Les soeurs de Gion, il progresse très vite à cette époque.
La critique sociale est d’autant plus forte que, comme toujours chez Mizoguchi, on a affaire à un pessimisme non geignard. Peu à peu, un enchaînement implacable montre l’héroïne voir s’effriter tout ce en quoi elle croyait: son père, sa famille, son fiancé…pour finalement assumer sa prostitution. La fin très forte et très ambiguë annonce Les femmes de la nuit, sans doute le film le plus dur jamais tourné par Mizoguchi.
Deux soeurs geishas exercent leur métier, chacune à sa façon.
Les collaborations entre Kenji Mizoguchi et le scénariste Yoshikata Yoda –Les soeurs de Gion est la deuxième d’entre elles- me frappent toujours par leur perfection narrative. Une telle complexité (il y a une foultitude de personnage mais ni « gentil » ni « méchant ») restituée avec une telle clarté en si peu de temps (75 minutes) indique l’aptitude des auteurs à aller droit à l’essentiel. Ces gens savaient de toute évidence épurer leur intrigue de tout élément accessoire, superflu ou décoratif. Ici, l’épure n’est pas simplification abusive mais un moyen d’aller au coeur des problèmes soulevés par le sujet. La condition de geisha est montrée sans apitoiement, sans attendrissement, sans enjolivement, dans sa vérité nue et implacable. Je ne vois guère que le Fritz Lang du milieu des années 50 pour avoir su allier une telle hauteur de vue à une telle concision.
Si l’on ajoute que chaque plan est composé avec l’oeil d’un maître, que la sophistication visuelle va de pair avec la rigueur dramatique, si l’on ajoute que Mizoguchi gère chacun de ses effets avec la plus grande des précisions (ainsi du travelling avant final), on comprendra aisément que Les soeurs de Gion est -déjà- une sorte de chef d’oeuvre.
Une geisha initie la fille d’une défunte amie abandonnée par son père.
Ce qui est génial avec les films de geishas de Mizoguchi, c’est que le metteur en scène s’y attaque comme à un véritable genre. Un genre, c’est à dire un creuset infini d’histoires à raconter. Du coup, le cinéaste ne se répète pas et chaque nouvel opus lui permet de traiter de thématiques nouvelles, d’ajouter une pièce supplémentaire à la fresque sur la condition des prostituées japonaises que constitue une bonne partie de son oeuvre. Ici, le cinéaste développe autour des rapports simili-filiaux qui peuvent s’établir entre une expérimentée et une novice. Sans jamais verser dans le sentimentalisme. Le style allie génialement la crudité la plus effroyable à la pudeur la plus noble. Il faut voir la scène de la morsure pour comprendre le génie du metteur en scène. Un plan sur la bouche de la fille en sang suffit à exprimer l’horreur de la situation. Et l’écriture crée toujours cette terrible impression de vérité car le drame nait d’un système et non d’une personnage arbitrairement défini comme étant « méchant ».
Le jour de la présentation de l’épouse qui a été choisie par sa mère, un jeune homme tombe amoureux de la soeur de l’épouse en question, jeune veuve à qui il est interdit de se remarier tant qu’elle n’aura pas fini d’élever son enfant.
Une splendeur. La simplicité de l’intrigue permet de montrer les personnages dans toute leur complexité. Les protagonistes se débattent face à des dilemmes d’autant plus terribles qu’ils n’ont rien d’exceptionnel. C’est l’éternelle confrontation entre la tradition et les élans du coeur. Le drame n’est pas aussi intense qu’il le serait dans un film occidental du fait des fréquents plans larges qui inscrivent les personnages dans un paysage plus grand qu’eux. Ce traitement fait de Miss Oyu un film foncièrement contemplatif sans que jamais le rythme de la narration ne soit ralenti. Simplement, les passions humaines sont subtilement intégrées à un tout qui les englobe sans toutefois les oblitérer (c’est la différence entre Mizoguchi et Malick). La grandeur stylistique du cinéaste culmine lors d’une fin absolument sublime pendant laquelle on se rappelle certains des plus beaux moments de L’aurore ou de La nuit du chasseur.
Une adaptation officieuse du Boule de suif de Maupassant. C’est un très beau film. Ce personnage de prostituée qui se sacrifie pour une communauté ingrate est un matériau idéal pour Mizoguchi. Il est plus intéressant que les héroïnes de ses autres mélos de la même époque car son écriture l’individualise, l’élève au-delà de l’archétype symbolique. Elle vit une histoire d’amour atypique avec un geôlier à qui elle s’était donnée pour faire libérer ses compagnons, ce qui enrichit la narration. Les images sont splendides. Le cinéaste utilise divers accessoires, des pétales de fleurs notamment, pour embellir ses plans sans donner l’impression de verser dans le décoratif. La société est sordide mais le monde sécrète de la beauté. Le poète est là pour nous la révéler.
Une prostituée se sacrifie pour sauver un jeune étudiant en médecine d’une bande de malfrats.
Le dernier film muet de Mizoguchi est un mélo ultra-conventionnel que le style du cinéaste rend intéressant. Le génie du maître s’exprime dans la composition de plans qui souvent inscrivent des personnages dans un cadre plus large (pont, rue…) dans une visée purement plastique. Le clair-obscur est également remarquable. Le style se manifeste aussi dans l’élégance de la narration, riche de travellings qui la rendent alerte. A noter enfin un émouvant épilogue qui approfondit une histoire par ailleurs très banale.
Un professeur à la retraite, accompagne sa fille à Tokyo pour la marier à son ami d’enfance. Mais le jeune homme est séduit par une femme urbaine et libérée…
Les coquelicots est un médiocre mélo. Banal, réactionnaire et moralisateur. Quelques jolies images disséminées dans un ensemble visuellement peu inspiré rappellent toutefois la présence d’un cinéaste qui n’est pas le premier venu derrière la caméra.
Il s’agit d’un des films les plus authentiquement mélodramatiques de Mizoguchi. Dans cette histoire d’un couple de comédiens qui brasse plusieurs époques, une seule constante: l’amour pur, inconditionnel, sacrificiel de la femme. Le scénario évolue avec des coups de théâtre (décès impromptu par exemple) qui arrivent parfois sans explication du fait d’ellipses audacieuses. Ce déterminisme (systématiquement négatif) peut agacer mais ce qui compte, ce qui intéresse les auteurs, ce sont les réactions des personnages face à ces coups du sort, l’évolution de leur couple face aux aléas. D’ailleurs, l’actrice principale est -évidemment- très émouvante. Dans Contes des chrysanthèmes tardifs, elle s’appelle Kakuko Mori. On pourrait caractériser la mise en scène de Mizoguchi sur ce film par une apparente oxymore: « épure sophistiquée ». En effet, les nombreux travellings et panoramiques ne sont pas là pour donner le vertige au spectateur mais pour aller à l’essentiel en un minimum de plans. Le film, s’il n’atteint certes pas les cimes plastiques de L’intendant Sansho ou Les amants crucifiés, contient plusieurs plans sublimes.
En revanche, Mizoguchi et ses scénaristes (Yoshikata Yoda, le scénariste des chefs d’oeuvre des années 50, a travaillé sur ce film) n’ont pas encore atteint leur plénitude narrative. Contes des chrysanthèmes tardifs semble parfois trop long, notamment a cause de certains dialogues qui n’ont d’autre fonction que d’appuyer le pathos. Les derniers films de Mizoguchi durent presque une heure de moins et sont nettement plus denses.
Bref, Contes des chrysanthèmes tardifs est un beau mélo bien qu’imparfait dans sa construction dramatique. Ce qui vaut mieux que le contraire. Non ?