La sagesse de trois vieux fous (King Vidor, 1923)

Trois vieux amis recueillent la petite fille de leur amour de jeunesse mais l’un d’eux est la cible d’un malfrat évadé de prison qu’il fit condamner…

Et ce n’est que le début d’une intrigue des plus artificielles. Mais King Vidor la transfigure grâce à son génie cinématographique. Il y a d’abord la qualité générale de la mise en scène: la sobriété des acteurs, le sens du décor, l’appréhension de l’espace…qui compensent le manque de vérité dans la structure du récit par la vérité des apparences. Il y aussi, et surtout, un stupéfiant sens du rythme qui fait comprendre pourquoi King Vidor se souvenait, dans ses mémoires, de La sagesse des trois vieux fous comme de l’emblème de ce qu’il appelait la « silent music ». La brutalité quasi-elliptique des raccords préfigurerait Pialat si elle n’était avant tout destinée à captiver le spectateur et à maximiser l’impact spectaculaire, notamment lors d’une évasion, montée comme une polyphonie crescendo, qui demeure une des séquences de poursuite les plus incroyables de l’histoire du septième art.

L’honneur du nom (The family honor, King Vidor, 1920)

Le fils d’une famille sudiste en décadence se met à travailler dans un tripot tandis que sa soeur est courtisée par le fils du maire qui s’oppose à la complaisance de son père pour les lieux de débauche.

Le schématisme puritain de l’intrigue -typique du Vidor première manière- est vivifié par la relative finesse des articulations du scénario et la netteté de la mise en scène, qui insuffle une réalité immédiate aux personnages en les ancrant dans des lieux fort bien photographiés. Il y a notamment une scène de bal sur un bateau à aubes qui sonne d’autant plus vrai que le réalisateur ne s’appesantit pas dessus comme le ferait certainement un réalisateur non contemporain de ce qui est raconté; rarement le son m’a autant manqué dans un film muet. Déjà, King Vidor sait enchainer et varier les plans pour dramatiser et élargir l’action. Voir par exemple la scène de cambriolage; rarement le son a été aussi bien suggéré dans un film muet.

Une gamine charmante (The patsy, King Vidor, 1928)

Une jeune fille de bonne famille, en butte à sa famille, tombe amoureuse d’un prétendant de sa grande soeur.

Adaptation muette d’une pièce de théâtre, conçue autour de l’actrice limitée qu’était Marion Davies. Cela donne une idée des limites du truc, malgré quelques idées marrantes comme l’imitation par l’héroïne de Lilian Gish.

Love never dies (King Vidor, 1921)

Contre sa famille, un jeune homme épouse la fille d’une femme de mauvaise réputation.

Epouvantable mélodrame, non tant par de quelconques excès pathétiques que par la poussiéreuse absurdité de ses rebondissements -peut-être accrue par d’éventuelles lacunes de la copie subsistante (?). Même le clou du film, à savoir un accident de train, est mis en scène de façon tout à fait invraisemblable. Love never dies est un sérieux candidat au titre de pire film de King Vidor.

Wine of youth (King Vidor, 1924)

Une jeune fille de la bourgeoisie américaine a bien l’intention de profiter de sa jeunesse, contre les recommandations de sa mère et les récriminations de sa grand-mère.

Comédie sociologique pleinement ancrée dans la bourgeoisie américaine des années 20, riche de vitalité et de mouvements. Par-delà le siècle qui nous en sépare, il y a une jolie justesse dans l’appréhension du couple sur le long terme.

The sky pilot (King Vidor, 1921)

Un pasteur arrive dans une ville de cow-boys peu enclins à l’écoute de sermons.

Le génie cinématographique de King Vidor transfigure un récit édifiant quoique nourri de détails (retournement de l’antagoniste, association du père de la dulcinée aux bandits…) qui dénotent la sincérité d’un auteur s’appuyant sur la fluidité des circonstances plus que sur la rigidité des conventions pour incarner son message. Filmant un écureuil courant sur le visage d’une jeune femme, un cavalier tombant d’un pont sur une rivière, l’incendie d’une église dans la neige ou de spectaculaires convoyages de bétail, le cinéaste intègre l’action dramatique à la Nature avec une aisance typiquement américaine. Loin d’être un western de série, The sky pilot est un film d’une ampleur telle qu’il ruina le cinéaste-producteur et le força à fermer son propre studio, Vidor Village.

Camarade X (King Vidor, 1940)

A Moscou, un journaliste américain est sollicité par son valet pour qu’il fasse fuir sa fille, communiste de la première heure susceptible d’être purgée par Staline.

La comédie basée sur une tragédie politico-historique fonctionne moins bien que dans les films contemporains de Lubitsch: c’est à la fois moins harmonieux et moins percutant, malgré de bons dialogues. Assez vite, la vraisemblance, notamment psychologique, s’estompe au profit de la fantaisie la plus débridée: scènes de vaudeville, poursuite en voiture tout droit sorties de Scarface, poursuite en chars ayant certainement influencé Indiana Jones et la dernière croisade, présence perpétuellement ironique de Clark Gable, alors à son sommet. La splendeur de Hedy Lamarr n’a d’égale que l’absence de crédibilité de son personnage. A noter enfin que ce plaisant divertissement (de propagande) tourné en 1940 contient une étonnante préfiguration de l’opération Barbarossa.

Guerre et paix (King Vidor, 1956)

Entre 1807 et 1812, deux amis de l’aristocratie russe sont confrontés à l’invasion de Napoléon.

Plutôt une réussite. Les qualités l’emportent sur les défauts. Si Henry Fonda est trop vieux pour le rôle de Pierre Bezoukhov (il en aurait été l’interprète parfait vingt ans plus tôt), si les deux personnages très secondaires que sont le père Bolkonsky et Napoléon tombent dans la caricature, si certains décors (tel Moscou) manquent étrangement d’ampleur, si la musique de Nino Rota n’est pas à la hauteur du projet et si les séquences de bataille ne peuvent rivaliser en envergure et en violence avec celles de la version de Bondartchouk, la retraite est riche en trouvailles réalistes du metteur en scène et, surtout, Audrey Hepburn est sublime dans le rôle de Natasha qui a gagné en importance dans une adaptation qui a fait le choix judicieux de se focaliser sur l’éclosion d’une femme. Le découpage classique de King Vidor, non exempt de belles images et d’inventions au service des personnages et de l’action, et l’intelligibilité de la narration qui assume ses différences avec le roman sont infiniment préférables au formalisme saugrenu de Bondartchouk.

The Jack-Knife man (King Vidor, 1920)

Un vieil ébéniste vivant sur un bateau recueille un orphelin…

L’artifice du dénouement déçoit mais The Jack-Knife man est un beau film dans la lignée de Mark Twain. La vie au grand air, la solidarité entre marginaux et les familles qui se composent et se décomposent au gré de circonstances plus ou moins dramatiques sont filmées avec tendresse dans un sympathique cadre fluvial et forestier. Un soupçon de cruauté, qui trouve son expression la plus acérée dans le contrapuntique dernier plan, fait que jamais le film ne sombre dans la mièvrerie.

Soir de noces (King Vidor, 1935)

Un écrivain new-yorkais en panne d’inspiration retourne dans sa propriété familiale du Connecticut et la vend à des voisins paysans d’origine polonaise.

Après un début un peu anodin, le déroulement de la romance déjoue les attentes: l’épouse, notamment, surprend par sa dignité. Le virage mélodramatique de la fin est traité avec un lyrisme sublime digne de Frank Borzage. Ce basculement de tonalité met en exergue le sujet profond d’un film qui jusqu’ici manquait d’unité: la tragédie de l’écrivain qui vampirise les autres sans s’y mêler jamais vraiment. La grandeur pathétique de Gary Cooper est la même que dans L’adieu aux armes. Ce qui, me concernant, n’est pas peu dire. Bref, même si la confrontation culturelle qu’il orchestre est parfois caricaturale,  The wedding night est un des beaux films méconnus de King Vidor.

The stranger’s return (King Vidor, 1933)

Après s’être séparée de son mari, une new-yorkaise retourne à la ferme de son grand-père…

Ce retour à la terre manque du lyrisme géorgique propre à King Vidor (la brutalité des raccords après certaines images bucoliques laisse penser que la MGM a massacré le film au montage) mais les rapports entre la citadine et les paysans, loin d’être univoques, sont retranscrits avec justesse et cruauté tandis que Lionel Barrymore, grand cabotin s’il en fut, assure le spectacle. Pas mal.

Émancipée (The real adventure, King Vidor, 1922)

Une jeune femme à l’esprit romanesque qui souffre de ne pas avoir la considération amicale de son mari quitte son foyer pour mener une carrière dans le spectacle.

Il est à noter que, sur cinq bobines, la deuxième a été perdue. Avec son appréhension réaliste de la vie de couple et du paysage urbain, la première partie est la plus intéressante. La suite -l’ascension d’une danseuse dans une troupe de music-hall-  semble plus convenue aux yeux d’un spectateur de 2017. Florence Vidor s’avère une actrice jolie et lumineuse. Le dénouement n’est pas réactionnaire mais conforme à la logique des sentiments dans le couple. Bref, The real adventure est un opus mineur mais plutôt réussi de l’auteur de La foule.

Stella Dallas (King Vidor, 1937)

En province, l’ambitieuse épouse d’un homme parti travailler à New-York subit, avec sa fille, l’ostracisme progressif de la communauté.

Dans le rôle-titre, Barbara Stanwyck surjoue quelque peu. Cette exagération ôte leur crédibilité à certaines scènes telle celle où la vulgarité de l’héroïne la rend ridicule aux yeux des WASP en goguette. D’une façon générale, une personnalité aussi riche et aussi complexe que celle de Stella Dallas nécessite une interprétation sobre et nuancée. Belle Bennett, dans la première adaptation réalisée par Henry King, était plus convaincante. Ici, c’est comme si une scène correspondait à l’illustration d’un trait de caractère. Du coup, la cohérence du personnage peine à être rendue sensible. Par ailleurs, l’ambition romanesque n’est pas pleinement réalisée à cause d’une construction assez théâtrale basée sur les dialogues en intérieur qui altère l’évocation de l’arrière-plan social. Enfin, la mise en scène s’avère moins inventive que dans la version muette mais il y a tout de même plusieurs séquences, telle celle du wagon-lit, dont le lyrisme reste fort émouvant. Bref, le Stella Dallas de Vidor est un remake qui fonctionne par a-coups -et c’est alors magnifique- mais qui dans l’absolu s’avère dispensable.

Street scene (King Vidor, 1931)

Un jour de canicule, plusieurs habitants d’un immeuble populaire new-yorkais se retrouvent devant sa façade…

L’unité de lieu fait ressentir l’origine théâtrale de Street scene. Cependant, l’attention aux petites gens et la prise en compte par la dramaturgie de la diversité ethnique des habitants, caractéristique rare dans le cinéma d’alors, font tendre le film vers le néo-réalisme. Par là, Street scene s’inscrit dans la même veine que La foule, réalisé par King Vidor trois ans auparavant. Néanmoins, le réalisateur transfigure cette base réaliste par un lyrisme qui lui est propre. Lorsque le fait divers survient, le découpage génial de Vidor, reposant notamment sur de grandioses mouvements de caméra, donne une ampleur tragique à la chronique. Une excellente distribution en tête de laquelle figure la belle et talentueuse Sylvia Sydney et le refus du happy-end de convention finissent d’insuffler à ce qui n’aurait pu être qu’une poussiéreuse adaptation théâtrale l’étoffe d’un grand film. Après La foule et Hallelujah, Street scene vient rappeler qu’aucun cinéaste n’avait, au tournant du parlant, une intelligence aussi complète de son art que King Vidor.

Bardelys le magnifique (King Vidor, 1926)

Un film annihilé par des conventions vieillotes aussi bien en terme de narration que de direction d’acteur. Au sein d’en ensemble superficiel, il y a cependant deux séquences où King Vidor fait montre de son sens aigü de la composition visuelle et de sa maestria pour gérer des moyens colossaux: la scène d’amour sur la barque et le final endiablé. 

L’oiseau de Paradis (King Vidor, 1932)

Au tournant des années 30,  les films prenant pour cadre les îles du Pacifique étaient en vogue à Hollywood. Parmi les représentants de ce sous-genre, on peut compter White shadows in the south seas de W.S Van Dyke et Tabou de Murnau et Flaherty.  Bird of Paradise, lui, est bien en dessous de ces oeuvres illustres.  A aucun moment, cette histoire d’amour sous les  tropiques ne transcende les conventions qui la régissent. Un film anecdotique dans la carrière de Vidor comme de Selznick.

La citadelle (King Vidor, 1938)


L’histoire d’une jeune médecin idéaliste qui succombe à l’appât du gain lorsqu’il s’installe à Londres.
Le film a été tourné en Angleterre avec des acteurs du cru (Donat, Harrison…). Est-ce pour cela qu’il est visuellement sans grand intérêt, est-ce pour ça que sa narration, par ailleurs schématique et prévisible, avance bien plus par le blabla que par l’action ?  
Restent quelques belles séquences comme celle du sauvetage au début suivie d’un magistral plan-séquence. Le film ne fait donc pas partie des oeuvres majeures de son auteur mais il est éminemment personnel: La citadelle finit par raconter la lutte d’un individu face à l’establishment (médical ici), lutte concrétisée dans un discours final beau et édifiant comme on en voyait souvent dans le cinéma américain d’alors (fin des années 30).