Topaze (Marcel Pagnol, 1936)

Un instituteur idéaliste et naïf se corrompt au contact de deux notables.

Deuxième adaptation de la célèbre pièce de Pagnol et première version mise en scène par l’auteur lui-même, ce film n’est, à l’instar des deux autres, pas pleinement convaincant. La faute en incombe d’abord à une écriture abstraite et peu réaliste. Dans les chefs d’oeuvre de Pagnol cinéaste, la théâtralité était superbement mariée à un génie des lieux et des paysages naturels qui fait que les historiens du cinéma ont vu en lui, à juste titre, un précurseur du néo-réalisme italien. Or la moitié de Topaze -soit une heure de film- se déroule dans un bureau où deux personnages discutent. C’est d’ailleurs parce que Louis Gasnier et Léopold Marchand, responsables de la première adaptation, avaient osé couper dans ses abondants dialogues que Pagnol a réalisé lui-même ce nouveau Topaze. On ne voit jamais Topaze effectuer les actions qui le transforment moralement, on ne le voit qu’en parler à un tiers. En plus de produire une mise en scène statique et assez ennuyeuse à l’écran, ce recul analytique des protagonistes sur leur conduite, tout à fait invraisemblable, accentue la prééminence de l’auteur sur ses personnages et rend donc prégnant l’artifice de la construction de la fable.

De surcroît, cinématographiquement parlant, Pagnol expérimente ici son nouvel outil d’une façon pas toujours heureuse. Ainsi du premier dialogue entre Topaze et son directeur, découpé sous une bonne demi-douzaine d’angles différentes. Tsui Hark n’aurait pas fait plus brouillon.

Heureusement, la première partie dans l’école, qui rappelle le merveilleux Merlusse, ne manque pas de ce savoureux réalisme propre au meilleur de Pagnol.  Il y a aussi des dialogues succulents, toujours succulents, et un Arnaudy plus à son aise dans le rôle de Topaze que Louis Jouvet (peu crédible en instituteur candide) et Fernandel (pas très crédible en homme d’affaires véreux).

Jofroi (Marcel Pagnol, 1933)

Dans un village provençal, un vieil homme qui a vendu son verger refuse que l’acheteur coupe les arbres.

C’est le premier film réalisé par Marcel Pagnol et tout l’univers du maître est déjà en place. Il y a d’abord la troupe de comédiens méridionaux qui reviendra de film en film pendant vingt ans, les formidables Poupon et Blavette en tête. Il y a ensuite le village et les paysages arides de la Haute-Provence qui fournissent un cadre d’une présence inouïe à l’histoire racontée. La truculence des premiers alliée à l’authenticité des seconds fait que Jofroi est un film d’un naturel sans commune mesure dans le cinéma français de l’époque. Il y a l’irrésistible drôlerie des répliques que s’envoient des personnages bavards et en perpétuelle représentation, pagnolesques en un mot. Enfin, l’anecdote tirée -déjà- de Giono a la simplicité et la profondeur éternelle d’une fable. De plus, ne dépassant pas cinquante minutes, Jofroi est un film de Pagnol d’une rare concision. Avec ce lumineux concentré d’humanité, Marcel Pagnol inaugurait superbement une oeuvre cinématographique parmi les plus essentielles qui aient été.

Lettres de mon moulin (Marcel Pagnol, 1954)

Adaptation de trois des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet: L’elixir du père Gaucher, Le secret de Maître Cornille et Les trois messes basses.

Le dernier film pour le cinéma de Marcel Pagnol a été réalisé dans la douleur puisque le cinéaste venait de perdre sa fille âgée de trois ans. Comme le dit Jacqueline Pagnol dans ses entretiens avec Alain Ferrari, les Lettres de mon moulin furent donc tournées « dans un état de brouillard ». Cette nécessaire mise au point faite, l’honnêteté intellectuelle nous force à dire que cet opus est loin de compter parmi les réussites majeures du cinéaste qui deux ans auparavant avait signé le chef d’oeuvre absolu qu’est Manon des sources. Non que ce soit un navet. Les sketches des Lettres de mon moulin ont le charme et la simplicité universelle des fables. La faconde de certains acteurs, tel Delmont en vieux meunier ou Sardou en apothicaire malin, nous régalent comme nous régalaient Blavette et Charpin dans les films des années 30. En revanche, d’autres sont franchement cabotins. Les excès de Rellys, si magnifique dans le rôle d’Ugolin, sont ici parfois fatigants. D’une manière générale, c’est l’ensemble du film qui pêche par laisser-aller. Ainsi de la musique indigente (on est loin de Vincent Scotto), ainsi de la lenteur du rythme qui, vu le peu d’ampleur des histoires racontées, ressort parfois de l’autocomplaisance, péché mignon de Pagnol.

Merlusse (Marcel Pagnol, 1935)

Ce moyen-métrage racontant une nuit de Noël dans un pensionnat marseillais est une pure merveille de tendresse et d’humanité. Chaque personnage, enfant ou adulte, est caractérisé de façon très simple et très juste. Rien n’est lénifiant dans ce grand petit film car quel drame plus terrible que des enfants oubliés par leurs parents le jour de Noël? Le trait n’est cependant jamais forcé, l’oeuvre étant équilibrée par un charmant humour enfantin. Les petits héros qui espèrent des retrouvailles jusqu’au dernier moment sont en même temps très lucides et Pagnol montre ainsi la dure réalité du monde extérieur. Grâce a cet ancrage réaliste, l’émerveillement final est redoublé; car Merlusse est un conte, sans doute le plus beau conte de Noël du cinéma français. Et à ce titre, il se clôt par un enchantement. Les acteurs, Henri Poupon dans le rôle-titre en tête, sont tous formidables. La mise en scène de cet immense conteur qu’était Marcel Pagnol est admirablement épurée, entièrement au service des personnages: pas la moindre fioriture décorative qui détournerait l’attention du spectateur de la narration. Enfin, les ritournelles de Vincent Scotto sont particulièrement touchantes et ajoutent à la réconfortante émotion distillée par ce chef d’oeuvre injustement méconnu.