La fiancée vendue (Max Ophuls, 1932)

Dans un village tchèque, la fille du bourgmestre promise au fils de riches paysans s’échappe avec un cocher tandis que son fiancé initial s’entiche d’une artiste de cirque.

Le livret est prévisible de bout en bout mais la légèreté, la tendresse et la vivacité avec lesquelles Max Ophuls filme l’opéra de Smetana, ainsi que la musique et la belle voix de Jarmila Novotna, font de La fiancée vendue un spectacle plaisant même si fort désuet (on reste loin de l’ironie grivoise d’un Lubitsch lorsqu’il met en boîte La veuve joyeuse).

La comédie de l’argent (Max Ophuls, 1936)

A Amsterdam, un caissier injustement viré pour vol est nommé directeur d’une société de promotion immobilière parce qu’il est supposé riche.

Le film hollandais de Max Ophuls est intéressant à bien des égards mais foncièrement raté. C’est une fable sur l’argent où, comme dans La ronde et Lola Montès, un bonimenteur interrompt parfois le cours du film pour expliciter le propos. Il y a un hiatus entre cette distanciation ironique (carrément pré-godardienne dans la scène d’amour au bord de l’eau) et le déroulement du drame. Celle-là rend celui-ci artificiel. Pourtant, lorsqu’il enveloppe ses personnages de sa caméra toujours très ondoyante, on sent Ophuls intéressé par ces derniers et en  particulier par la jeune fille. Las! L’utilitarisme des rebondissements et les intempestifs commentaires du narrateur font office de ficelles les ramenant à leur condition de pantins au service de la démonstration.

Le spectateur peut alors se raccrocher aux quelques trouvailles formelles induites par la mise en abyme. Plus qu’une séquence de rêve pleine des poncifs du muet, plus même que le cinéma dans le cinéma et la relecture d’une séquence sous un point de vue différent, c’est l’utilisation de la voix-off qui aurait pu faire de Komedie om geld une oeuvre novatrice. Malheureusement, ayant été peu distribuée donc peu vue, cette oeuvre est demeurée sans postérité et c’est Guitry, avec son stupéfiant Roman d’un tricheur sorti la même année, qui récolta tous les lauriers de l’invention du procédé.

L’amour au studio (Max Ophuls, 1932)

A la montagne, pour se débarrasser d’une capricieuse vedette, une équipe de tournage a l’idée d’embaucher une jeune télégraphiste du cru.

Premier long-métrage de Max Ophuls, Die verliebte Firma peut-être considéré comme un brouillon des grandes oeuvres à venir car le thème -la femme et ses illusions- y est mais le style -empesé- n’y est pas du tout.

Sans lendemain (Max Ophuls, 1939)

Une entraîneuse qui élève seule son fils retrouve son amoureux de jeunesse qui appartient à la haute-société.

Basé sur des flashbacks qui confèrent un passé complètement ahurissant à l’héroïne, le scénario est particulièrement mauvais. Il est plein de facilités mélodramatiques. C’est dommage parce que l’esprit de l’histoire racontée est assez ophulsien ainsi qu’en témoignent les thématiques de nostalgie, de croyance en l’éphémère ou d’illusion de la pureté qui affleurent ici ou là…Peut-être aurait-il fallu que Max Ophuls prenne davantage de distance vis-à-vis de son matériau en même temps que des croyances désuètes qui poussent l’entraîneuse dans l’abîme. Edwige Feuillère livre une composition mélodramatique et jusqu’au-boutiste tout à fait dans le ton du film mais Georges Rigaud est assez terne. Ajoutons que les dialogues sont chargés de pseudo-poésie à deux balles, comme c’était la mode en ce temps-là. En l’état, Sans lendemain est un mélo à peine sauvé de la médiocrité par une jolie quoique parfois trop précieuse lumière d’Eugène Shuftan, une belle séquence enneigée qui rappelle Liebelei et une fin superbe.

Les désemparés (The reckless moment, Max Ophuls, 1949)

Dans une banlieue américaine cossue, une mère au foyer tue l’amant de sa fille qui la faisait chanter. Surgit alors un nouveau maître chanteur…

Dernier film tourné aux Etats-Unis par Max Ophuls, Les désemparés est l’ultime preuve que, contrairement à ce que l’intéressé lui-même affirmait, le cinéaste sarrois a su s’adapter aux contraintes hollywoodiennes. Certes l’exigence du réalisateur l’a empêché d’achever plus de quatre films en dix ans de présence sur le sol américain mais au final, de ce quartet, seul Caught s’avère raté.

Les désemparés est ainsi une oeuvre tout ce qu’il y a de plus personnel de la part de Max Ophuls. Il y a d’abord la facture. Le découpage en plans-séquences  et les contrastes du noir et blanc siéent parfaitement à l’univers du film noir. Cela crée une certaine poésie visuelle qui ne verse pas dans l’esthétisme gratuit car les travellings virtuoses sont avant tout au service d’une narration qu’ils vivifient considérablement. Les désemparés aurait pu n’être qu’un exercice de style, un film où Max Ophuls se serait comporté en habile ouvrier, aurait recyclé ses figures de style en trucs de fabrication pour livrer un bon produit d’usine. Mais Les désemparés est encore plus que ça.

Il y a en effet une bifurcation narrative qui, à mi-chemin, donne tout son sel au film. Subtilement, le film noir se fait mélodrame. Les sentiments s’immiscent dans la mécanique du chantage. Les prétextes un peu grossiers de l’intrigue policière sont oubliés et on se focalise sur les réactions d’une femme bien sous tout rapport qui souffre du secret qu’elle porte et se met à douter de sa condition sociale et sentimentale. Vous l’aurez compris, ce film de genre tourné à la Columbia annonce par certains aspects Madame de…Il y a même une scène que le cinéaste refera -et sublimera- dans le chef d’oeuvre de 1953: celle de la vente des boucles d’oreille au prêteur sur gage. On retrouve dans ce film de commande  l’acuité du regard du cinéaste sur la légèreté de la femme et le tragique qui la guette. Et ça donne lieu à de très belles scènes d’autant que Joan Bennett convient parfaitement au rôle de l’héroïne.

L’originalité des Désemparés au sein de l’oeuvre d’Ophuls tient au fait que pour une fois, c’est l’homme qui commence à vaciller avant de se perdre par amour. James Mason incarne magnifiquement ce marlou fasciné par ce qu’il imagine être la haute-société. Le film exprime une vision particulièrement cruelle de la société américaine en montrant l’étanchéité des classes qui la composent et la pourriture larvée au sein de sa bourgeoisie. Ainsi le happy end conventionnel  est chargé d’une profonde amertume, la femme retournant à son foyer sans avoir pu lavé son péché et portant sur sa conscience le poids du sacrifice d’un voyou. C’est quand même nettement moins con que Desperate housewives.

De Mayerling à Sarajevo (Max Ophuls, 1940)

Vingt ans après la tragédie de Mayerling, l’histoire d’amour contrariée par le protocole entre l’héritier du trône de l’empire austro-hongrois et une princesse tchèque.

L’intelligence du point de vue historique suffit à distinguer ce film du ringard Mayerling de Litvak. La romance est finement mêlée à la marche de l’Histoire. On nous présente une jeunesse amoureuse en lutte contre l’ordre établi. L’inanité du vieux monde qui va sombrer avec la première guerre mondiale sur laquelle s’achève le film est perceptible. Il est évident que François-Ferdinand et Sophie, bien que condamnés, représentent l’avenir. On regrettera que la mise en scène d’Ophuls soit inhabituellement académique.

Le découpage est plan-plan, on ne retrouve plus les fameuses arabesques du cinéaste et l’amour entre les deux héros n’est guère rendu sensible. C’est probablement la faute d’un tournage perturbé par l’entrée en guerre de 1939. Quand il faut gérer les permissions d’une équipe mobilisée, il est sans doute moins évident de gérer les travellings. Heureusement, les comédiens sont bons. Notre grande actrice de composition Edwige Feuillère est égale à elle-même tandis que John Lodge est une bonne surprise. Bref, sans être dénué de qualités, De Mayerling à Sarajevo est un semi-échec bien excusable compte tenu de son contexte de production.

L’exilé (Max Ophuls, 1947)

Le roi Charles II en exil en Hollande se réfugie auprès d’une charmante aubergiste. Il doit reprendre son trône aux puritains mais apprécie la compagnie de la demoiselle.

Ce premier film réalisé par Max Ophuls à Hollywood est un pur plaisir de cinéma. C’est que le génie d’un grand cinéaste est aussi manifeste dans ses commandes que dans ses classiques; ce qui le distingue de ses collègues est alors d’autant plus éclatant. Ici, les mouvements aériens de la caméra si emblématiques du style d’Ophuls insufflent  à l’action une allégresse qui suffit à faire de L’exilé un des meilleurs films de cape et épée jamais tournés. Un des plus joyeux, un des plus dynamiques, un des plus vivants. Douglas Fairbanks Jr qui a produit et écrit le film est d’ailleurs un parfait héros du genre. Il court, grimpe, s’accroche, séduit et se bat avec une grâce virevoltante qui n’a rien à envier à celle, plus athlétique, de son père. Il offre aussi l’occasion à Max Ophuls de réaliser son unique chef d’œuvre centré sur un homme.

Par ailleurs, la gourmandise du grand démiurge qu’est Ophuls s’épanouit pleinement au sein du studio hollywoodien où il peut à sa guise contrôler tous les éléments de l’image, tel un enfant s’amusant avec ses Playmobils. Ainsi, sa mise en scène éloigne le film de toute forme de convention. Le découpage n’est pas classique mais met en valeur une Hollande délicieusement artificielle tout en étant au service des déplacements des personnages. La caméra d’Ophuls est merveilleuse en cela qu’elle donne à contempler chaque parcelle des magnifiques décors tout en restant focalisée sur les acteurs. Le fabuleux travelling du premier baiser est représentatif du génie du cinéaste: un génie enivrant et ludique à l’opposé d’une quelconque lourdeur décorative.

Jouir de l’instant présent pour faire de beaux souvenirs quand arrivera l’heure du devoir pourrait être la morale de L’exilé, film qui s’achève dans une mélancolie tout à fait inhabituelle pour le genre. Ici comme dans Le plaisir et La ronde, Max Ophuls exalte l’éphémère et, en mettant son goût exquis au service du genre le plus joyeux qui soit, réalise une sorte d’équivalent cinématographique aux pièces les plus légères de Mozart.

Caught (Max Ophuls, 1949)

Une mannequin d’origine modeste épouse un riche industriel mais celui-ci s’avère psychologiquement dérangé.

Il est intéressant de voir que même lorsqu’il réalise un film noir à Hollywood, Max Ophuls reste fidèle à ses préoccupations thématiques, à savoir la condition des femmes, et plus spécialement ici leurs rêves et espoirs modelés par l’environnement social. On appréciera le fini plastique hollywoodien (superbe photographie de Lee Garmes) mais on regrettera les ficelles vraiment trop énormes d’un scénario boiteux. Caught est un film oublié parce qu’oubliable.

Lola Montès (Max Ophuls, 1955)

De la cour de Louis Ier de Bavière aux numéros de trapéziste, grandeur et décadence d’une courtisane dans l’Europe du XIXème siècle.

Après avoir réalisé ses trois chefs d’oeuvre, trois des plus beaux films de l’histoire du cinéma, Max Ophuls entreprend la biographie de Lola Montès. Cette superproduction européenne sera son dernier film. Le cinéaste n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition. Pour la première fois de sa carrière, il tourne en couleurs et en format large (un Cinémascope spécial dont le ratio varie au cours de la projection). Le film s’annonce monumental. Et de fait, il l’est. L’artiste démiurge laisse libre cours à sa fantaisie plastique. Lola Montès est d’abord l’oeuvre d’un esthète et force est de constater la splendeur des images.

Pourtant, ce qui aurait dû être un immense chef d’oeuvre ne convainc pas aussi pleinement que les trois films précédents de son auteur. Pourquoi? Outre les limites du jeu de Martine Carol qui tient le rôle-titre, outre quelques problèmes de rythme, c’est comme si le travail titanesque sur le cadre et sur les décors annihilait les personnages. Un exemple: dans Le plaisir, le fabuleux plan-séquence qui ouvre le sketch La maison Tellier est d’abord là pour présenter le garni et ses pensionnaires, le mouvement de la caméra répondant à celui de la vie. Dans Lola Montès, il y a également un plan-séquence éblouissant, celui de la fuite de Lola dans les escaliers avec son futur amant. Seulement, le riche ornement du décor ainsi que l’importance de sa place dans le plan par rapport à celle des personnages font que l’on admire plus la virtuosité du cinéaste que l’on ne ressent l’étouffement de Lola.

Pour le dire clairement, je vais employer un concept vieillot que je refuse habituellement: la séparation entre la forme et le fond est trop nette. Ou encore: la forme manque d’expressivité. Pourtant, il y a un « fond ». Il y a un sujet. L’intérêt de Lola Montès ne se limite pas à un somptueux travail de direction artistique. L’histoire de cette courtisane broyée par l’opinion publique est une éclatante prémonition de notre cynique société du skyblog et de la télé-réalité. Ce discours visionnaire rend d’autant plus frustrant le relatif échec d’une mise en scène baroque jusqu’à la décadence. Pour cette raison, on peut préférer La dame de tout le monde, l’excellent mélodrame de 1934 réalisé par Ophuls en Italie dont la construction et les thèmes anticipent ceux de Lola Montès. Reste, et il n’est pas négligeable ici, le plaisir de la contemplation.

Divine (Max Ophuls, 1935)

Une fille de province monte à Paris dans l’espoir de travailler au music-hall…

Un mélodrame ultra-conventionnel que la touche de Colette (scénariste dont la contribution est mise en avant par le générique à une époque où Max Ophuls n’avait pas la réputation qu’il a aujourd’hui) vient épicer un peu. Cette touche se résume en deux mots: saphisme et stupéfiants. Soit les ingrédients de la débauche qui guette la jeune et candide provinciale. Autant dire que, Colette ou pas Colette, l’histoire n’en reste pas moins balisée de bout en bout. Max Ophuls, lui, ne révèle sa présence derrière la caméra qu’en de rares intermittences.  Il y a une poignée de beaux mouvements d’appareil, notamment un fabuleux panoramique à 360 degrés qui révèle les coulisses du théâtre avec toutes les actrices en train de se préparer. La sophistication de la forme n’est pas vanité mais célèbre la vie, le travail. Ceci étant, Divine reste un film franchement mineur dans l’oeuvre du cinéaste.

Werther (Max Ophuls, 1938)

L’adaptation du classique de Goethe, une suite de lettres qui relatent les états d’âme de leur auteur, n’était pas évidente à une époque, les années 30, où seul un génial franc-tireur comme Guitry osait la voix-off pour nous faire partager l’intimité mentale de son personnage (Le roman d’un tricheur). Pour adapter Les souffrances du jeune Werther, les scénaristes ont plié le roman à leurs conventions, ils ont retranché, inventé, changé l’essence même de l’oeuvre littéraire pour y substituer une narration plus factuelle et plus visuelle, plus conforme aux canons du cinéma français d’alors. La question devant une trahison aussi manifeste est la même que celle que se posait Truffaut en 58 dans La revue des lettres modernes: est-ce que cette autre chose que constitue le film par rapport au roman est mieux ? La réponse ici pourrait être « c’est autre chose et c’est déja pas mal ».
Indéniablement, le film n’est pas aussi profond que le livre lorsqu’il s’agit d’exprimer les sentiments d’absolu du jeune héros. Par exemple, alors que Goethe prend soin de rendre Albert, le mari de sa dulcinée, admirable aux yeux de Werther -ce qui rend son amour encore plus pur- la simplification de l’adaptation fait d’Albert un bourgeois stéréotypé, qu’il est alors aisé d’opposer au romantique.  Simplification et superficialité du lyrisme.
Maintenant, que gagne-t-on à cette adaptation ? Eh bien, d’abord, les idées cinématographiques des auteurs pour traduire le texte à l’écran sont parfois très belles. C’est le cas du changement de carillon, péripétie absente du roman qui est un beau symbole romantique. C’est le cas de la photographie en clairs-obscurs à tendance expressionniste. Ensuite, une narration moins centrée sur Werther tempère le romantisme de Goethe et donne une importance nouvelle à Charlotte. Et c’est là qu’on retrouve la patte d’Ophuls, c’est dans ce portrait de passionnée vertueuse qui a à voir avec toute une tradition romanesque française (les Mme de Rênal, Mme de Mortsauf, Mme d’Orgel…) mais pas avec Goethe. Le plus beau plan de Werther contient déja en germe le clou de l’oeuvre d’Ophuls, à savoir la séquence de la communion dans Le plaisir. Il s’agit d’une confession de Charlotte. Sur l’air de Plus près de toi mon Dieu (le même cantique que dans Le plaisir), la caméra filme les aveux d’une Charlotte amoureuse mais chaste avant de recadrer vers le crucifix qui la surplombe. Le visage éploré et le symbole divin dans le même plan. Simplicité de l’expression du tiraillement entre un désir évident et une morale qui apparaît comme étouffante en même temps que subtilité de ce propos grâce à la liturgie de la mise en scène qui s’accorde à l’esthétique religieuse.
Werther est donc un film intéressant à plus d’un titre, loin d’égaler la puissance d’expression du chef d’oeuvre de Goethe, mais contenant suffisamment de beautés qui lui sont propres, de beautés ophulsiennes notamment, pour que l’amateur prenne le temps d’y jeter un oeil attentif.

Yoshiwara (Max Ophuls, 1937)

Rocambolesque histoire d’amour entre un officier français et une geisha à l’époque de la guerre russo-japonaise…Si on pouvait légitimement croire que ce sujet, la déchéance d’une noble ruinée qui devient geisha avant de s’amouracher d’un espion, était idéal pour Max Ophuls, auteur de peintures de courtisanes parmi les plus belles de l’histoire du cinéma, force est de constater que cette intrigue de roman de gare ne l’a guère inspiré.
Le premier souci du spectateur, c’est la reconstitution du quartier de Yoshiwara dans les studios de Joinville-le-Pont. Certes, Von Sternberg a montré que l’on peut réaliser de saisissants tableaux de l’Orient à partir de mises en scènes délibérément artificielles mais Shanghaï Express ou Shanghaï Geisture jouaient sur le mythe, le fantasme incarné plutôt que sur le réalisme pittoresque. Or il y a dans Yoshiwara un côté « la débauche au Japon pour les nuls » qui handicape le film, surtout à son début. Voir André Gabriello, le père d’Henriette dans Une partie de campagne, affublé de la barbichette de circonstance, jouer le tenancier d’une maison de geishas n’aide clairement pas à la suspension d’incrédulité.
Outre cet exotisme de pacotille, le scénario est atrocement conventionnel, brassant toutes sortes de clichés sans jamais donner une quelconque substance à ses deux personnages principaux, la faute à une caractérisation simpliste et à des dialogues d’une consternante niaiserie. Jamais le désir de l’officier n’est évoqué, son amour étant pur comme un fantasme de petite fille. Quant à sa dulcinée, elle est geisha mais elle a eu le bon goût de tenter de se suicider avant la première étreinte avec un client. L’hypocrisie puritaine n’est pas l’apanage des Américains…Que l’on se rappelle de la justesse et de la lucidité qui caractérisent Sans lendemain, le mélo qu’Ophuls a tourné deux ans après celui-ci. A partir d’une histoire aussi lamentablement écrite, il était difficile pour Max Ophuls de réaliser un bon film (précisons pour ne pas nous complaire dans le culte du génie maudit victime d’incapables qu’Ophuls a participé à l’élaboration du scénario).
Et de fait, la mise en scène est assez commune, bénéficiant simplement d’une photographie soignée d’Eugène Shüfftan, d’une poignée de plans joliment composés, de quelques travellings échevelés (il y en a moins que d’habitude, ils sont ici pour filmer l’action) et de trucages à base de transparences tout juste bons à épater le bourgeois d’alors. Il faut dire qu’une fois n’est pas coutume, Ophuls n’est guère aidé par ses comédiens. Le jeu solennel de Pierre-Richard Willm ne contribue pas à insuffler la chair qui manque cruellement à son personnage. Quant à Michiko Tanaka, elle est simplement inexistante, ce qui pour une héroïne d’Ophuls est gravissime, vous en conviendrez.