Dans le quartier de Ginza, une hôtesse de bar élève seule son fils et n’a pas abandonné toute illusion amoureuse…
Presque imperceptiblement, la chronique des petits faits justes se transforme en élégie existentielle: du Naruse quintessencié.
Dans le quartier de Ginza, une hôtesse de bar élève seule son fils et n’a pas abandonné toute illusion amoureuse…
Presque imperceptiblement, la chronique des petits faits justes se transforme en élégie existentielle: du Naruse quintessencié.
Un couple récemment marié est perturbé par l’arrivée d’une nièce fugueuse.
En adaptant pour la première fois un roman de Fumiko Hayashi, Mikio Naruse a signé un de ses chefs d’oeuvre. Ici, ténuité n’est pas absence de dramaturgie et attention au quotidien n’est pas platitude. Le découpage, aussi pudique que précis, transforme des objets triviaux en caisses de résonance pour les tourments existentiels des protagonistes. De plus, le sourire des actrices, la musique et les extérieurs lumineux empêchent Le repas d’être plombé comme peuvent l’être les sinistres Derniers chrysanthèmes ou Nuages flottants. Plusieurs séquences, tel le retour chez les parents, sont même transcendées par un lyrisme magnifique. En très peu de plans, tous composés avec un oeil admirable, le cinéaste sait insuffler aux gestes les plus banals une gravité qui n’est jamais pesante. Cette délicatesse du style traduit une sorte de sagesse suprême, particulièrement patente dans les passages où l’héroïne, lassée de passer ses journées sur des tâches domestiques, se retrouve face à des femmes que l’après-guerre force à travailler. Grâce à cette infinité de nuances, Le repas s’avère le film le plus juste sur la femme au foyer et la reconquête de ses rêves brisés.
Après la guerre, des geishas vieillissantes tentent de joindre les deux bouts…
Le très austère traitement de Naruse (l’image est une des plus grises jamais vues au cinéma) en rajoute un max dans le côté sinistre de ce film essentiellement constitué de scènes où des bonnes femmes moches (Hideko Takamine manque cruellement!) parlent de sujets sordides (prêts d’argent, veulerie des hommes…) dans des intérieurs vides. Il n’y a que la fin qui introduise un peu de gaieté donc de nuance donc de vie. Derniers chrysanthèmes ne vous fera pas aimer Naruse.
Pour garder leurs places menacées par la concurrence, une receveuse et un chauffeur de bus ont l’idée de développer un circuit touristique.
De par sa longueur (une heure) et de par son intrigue, Hideko, receveuse d’autobus est un film modeste. Toutefois, derrière le prosaïsme un peu ras-des-pâquerettes, finit par poindre une sorte de tragique social. Rarement dénouement malheureux avait été monté avec tant d’élégance et de cruelle ironie. Hideko Takamine qui entamait alors sa fructueuse collaboration avec Naruse est lumineuse.
Une jeune fille dégoûtée par les combinaisons sordides de ses soeurs est mal à l’aise au foyer familial.
L’austérité étouffante de la mise en scène est nuancée par les moments où la jeune soeur, excellemment interprétée par Hideo Takamine, s’évade de son quotidien grâce, notamment, à la musique jouée par sa voisine. Le côté désespérant de son environnement est retranscrit avec justesse par Naruse, cinéaste nettement plus subtil que Bergman lorsqu’il s’agit de portraiturer des femmes et leurs désirs sans la moindre complaisance. Le film est très beau grâce à la façon dont il neutralise cette dialectique étouffement familial/soif d’évasion: un final sublime où surgit l’éclair éponyme en même temps qu’explose un torrent d’amour filial.
Suite au décès de son père, une jeune fille voit sa mère surmonter tant bien que mal les difficultés économiques de la famille…
Mikio Naruse donne une résonance universelle à la chronique intimiste en inscrivant celle-ci dans un contexte socio-historique précis: le Japon du début des années 50 où les mères devaient se débrouiller sans homme, décimés par la guerre, pour assumer leur famille. L’incidence directe des contraintes économiques sur les sentiments familiaux rend le drame d’autant plus fort et d’autant plus déchirant. La pudeur du style de Naruse, qui va toujours de pair avec l’empathie et qui n’exclut pas le lyrisme -notamment dans l’utilisation de la voix-off-, hausse le ton jusqu’au sublime.
A la campagne, pendant la guerre, une femme va au cinéma à la ville car on lui a dit que son époux mobilisé était apparu aux actualités.
Joli petit film (c’est un moyen-métrage) où la propagande ne compte guère face à la tendre délicatesse avec laquelle Mikio Naruse filme la petite famille et les paysages dans laquelle elle évolue.
Une veuve qui a hérité de son mari retourne chez ses parents.
Mikio Naruse s’intéresse ici à la cohabitation entre différentes générations, source d’une multitude d’enjeux dramatiques. Le film est une belle chronique sur le temps qui passe dans laquelle l’évolution de la société japonaise est montrée sans fard mais en douceur. Ni réactionnaire ni progressiste, l’auteur ne prend pas parti. Il se contente d’être attentif à chacun de ses personnages. Certains, à l’instar de la jeune fille très matérialiste, versent un peu dans la caricature mais ce n’est jamais méchant; c’est plus à des fins comiques qu’autre chose. Le découpage est inhabituellement compliqué. Des raccords douteux brisent la continuité et donc l’harmonie de certaines séquences. L’écriture filmique aurait gagnée à être plus fluide mais ces quelques réserves sont balayées par une fin sublime.
Une jeune veuve quitte sa campagne pour travailler comme geisha à la ville. Elle confie son fils à des cousins primeurs…
A l’approche de l’automne est un film tranquillement et insidieusement cruel. J’entends par là que la cruauté ne s’exprime pas via une structure mélodramatique asphyxiante (tel que dans Nuages flottants) mais via le regard d’un enfant. Ce qui induit une apparente légèreté. En effet, cet enfant pas tout à fait conscient des drames qui se trament autour de lui joue, se bagarre avec des gosses de son âge, noue une amitié avec une petite voisine. L’acteur qui l’interprète, Kenzaburo Osawa, est épatant de naturel. D’où beaucoup de scènes tendres et cocasses qui vont parfois jusqu’à frôler la mièvrerie, en raison notamment d’une musique qui en rajoute des caisses.
Cependant ces scènes s’achèvent souvent par une mise à l’écart du gamin qui peine à s’intégrer à la bande de son quartier. Une fois rentré chez ses cousins, notre jeune héros pense évidemment à sa mère, se passionne pour son scarabée et se réfugie dans son imaginaire. Derrière la légèreté point alors un des drames les plus inacceptables que l’on puisse imaginer: l’abandon d’un enfant par sa mère. C’est tout le génie de Naruse que de l’évoquer en biais, implicitement, sans même que l’on en soit certain. Il n’y a pas une seule séquence mélodramatique mais une attention discrète et pudique aux sentiments qui animent ses jeunes héros. La fugue des deux enfants sur les terre-pleins avec les vagues en arrière-plan, le noir et blanc sombre et les plans larges de paysages désolés est le point culminant du film. Il y a là une beauté âpre, celle d’un paradis sauvage loin des corruptions de la ville.
Jusqu’au bout, l’auteur entretient l’incertitude, laisse au spectateur espérer une fin harmonieuse, une résolution des conflits larvés. Lorsque l’on se rend compte qu’il est déjà trop tard et que le drame était joué depuis longtemps, le panneau « fin » vient de tomber, tel un couperet. Rarement le lieu commun « noir et sans concession » aura été aussi adapté pour qualifier un film. Il est évidemment d’autant plus adapté que Naruse est tout le contraire d’un m’as-tu-vu.
A l’approche de l’automne est donc un film profondément bouleversant, sorte de cousin nippon de L’incompris de Comencini.
Les tribulations de deux acteurs qui jouent un cheval mais qui risquent d’être remplacés par un vrai.
Une pochade insignifiante et longuette.
Une employée de bureau qui vit avec sa mère poétesse envisage de se marier mais elle aimerait d’abord ramener au foyer son père parti vivre avec une geisha…
Ma femme, sois comme une rose! est un film aussi beau que son titre (encore que le rapport entre les deux m’échappe). Cela commence comme un mélo classique à base de famille délaissée et de dualité entre l’épouse et la geisha avant que le film ne bifurque vers quelque chose de plus inattendu où l’opposition schématique qui s’annonçait est déjouée au profit d’un beau récit initiatique dans lequel une jeune fille apprend la complexité du monde. Cette complexité va à l’encontre de ses sentiments et ce qui est beau chez Naruse, c’est que l’auteur ne nie pas ces sentiments. En d’autres termes, ce n’est pas la prise de conscience des justifications de son père qui va empêcher sa fille de tenter de le ramener à la maison.
Les personnages ont plusieurs facettes, parfois des contradictions. D’où une impression de justesse extraordinaire dans la peinture de leurs caractères. Ce sont vraiment les protagonistes qui font l’intrigue et non l’inverse. Chacun a ses raisons, sa beauté. Ce qui n’empêche pas Ma femme, sois comme une rose! d’être un film rigoureusement construit avec un début, une fin et un développement (qui brille par sa concision, le métrage ne dure guère plus d’une heure).
Le film n’est jamais pesant, il ne manque pas d’humour. Le fameux ton de Naruse, tout en demi-teinte, est déjà présent. Ma femme, sois comme une rose! est d’abord une jolie comédie « douce-amère ». Le découpage est parfait. Souvent, une séquence de conversation entre plusieurs personnages est filmée en divers plans d’ensemble et à la fin, le cinéaste opère un bref focus sur un personnage, un personnage qui généralement a été plutôt discret mais s’avère le plus affecté par ce qui vient de se dire ou décider durant la scène. Pudeur, justesse, délicatesse. Du Naruse pur jus.
De retour à Tokyo après la guerre, une femme retrouve son amant qu’elle a connu aux colonies. L’homme est marié, c’est le début d’une lente déchéance pour elle, qui a le malheur d’être toujours amoureuse et de vivre seule dans un Japon en crise.
Le ton de Nuages flottants n’est pas doux-amer comme celui de la plupart des autres films de Mikio Naruse que j’ai pu voir. Il faut préciser que ceux-ci étaient généralement plus tardifs. Ce film est tellement désespéré et sa mise en scène est tellement austère qu’il en devient asphyxiant. Reste que Naruse y sonde l’âme féminine comme personne.
Le douloureux cheminement d’un homme qui a tué le mari d’une jeune femme lors d’un accident de voiture et qui, rongé par le remord, tente de se faire pardonner.
Le dernier film de Naruse est un mélodrame de bonne facture mais assez pesant. Il nous montre un Japon qui change, il oppose la ville et la campagne. Peut-être manque t-il l’égérie Hideko Takamine pour illuminer ce film un tantinet académique.
Les récits mis en scène par Naruse sont souvent soumis à une relative unité de lieu et de temps. Ce n’est pas le cas dans ce très beau mélodrame romanesque qui porte bien son nom et dans lequel les flashbacks retracent la vie d’une femme japonaise. Une vie marquée par la seconde guerre mondiale, une vie faite d’abnégation et de sacrifices pour son fils ou son mari. Le film est dur mais il n’y a pas de complaisance masochiste dans l’étalage des souffrances de cette héroïne grâce à une mise en scène d’une élégance de chaque instant et à une fin lumineuse où l’espoir s’incarne dans un nouveau-né. Les actrices sont évidemment magnifiques, toujours dignes dans la tristesse. A travers les générations, les femmes supportent et endurent mais les temps changent, et avec le changement naît l’espoir…espoir final incarné dans…un homme. Superbe.
Une serveuse dévouée qui vit une histoire d’adultère avec son patron père de famille ne supporte plus la clandestinité de son amour. D’autant qu’elle est la mère naturelle des deux enfants élevés par le patron et sa femme…La complexité des relations entre les personnages ne s’arrête pas à ce bref synopsis. C’est une des histoires les plus sordides racontées par Naruse. Le film est trop bavard, son exposition est un peu longue mais la cruauté du mélodrame se révèle au milieu du film. Comme une épouse et comme une femme est un film très sombre. Les éclairages particulièrement variés pour un Naruse rendent la mise en scène très expressive. L’histoire est glauque mais il n’y a pas de méchant ou de gentil. Chacun a ses raisons et c’est bien pour ça qu’il y a des dilemmes et donc un drame. Drame qu’il faut surmonter, assumer, pour que chacun des protagonistes avance dans la vie. Hideko Takamine est, comme à son habitude, lumineuse.
Les tourments intimes d’une hôtesse de bar derrière les sourires de la professionnelle impeccable. Quand une femme monte l’escalier est un sommet de la manière Naruse. Le style délicat, tout en demi-teintes et en suggestions ausculte les sentiments les plus profonds d’une héroïne dont la pudeur et le sens de l’abnégation font la beauté morale. Héroïne jouée par la superbe muse Hideko Takamine, juste parfaite dans ce rôle. Sa présence lumineuse apporte une sensibilité et une humanité essentielles à la vérité de l’oeuvre.
Une veuve qui s’occupe du petit commerce de ses beaux-parents voit son avenir menacé par l’ouverture prochaine d’un supermarché dans le quartier. Son beau-frère, un jeune homme brillant mais indolent, lui avoue qu’il l’aime…Tourments est un superbe film qui synthétise admirablement certaines des préoccupations de Mikio Naruse. Préoccupations liées à la situation des femmes dans un monde qui change. La dramaturgie, centrée autour de la magnifique héroïne jouée par Hideko Takamine, est un modèle de subtilité et de nuance. Au final, Naruse condamne bel et bien le mélange de tabou et de mélancolie qui l’empêche de vivre son éventuel bonheur; mais ce n’est qu’après avoir salué sa dignité, son abnégation et sa fidélité à un mari décédé trop tôt. Plus intimiste et plus sentimental que d’autres chroniques narusiennes car centré sur un couple de personnages en apparence sans histoire mais profondément décalés par rapport à leurs réelles aspirations, Tourments est un des films les plus émouvants de son auteur.
Encore une chronique d’un restaurant, entre travail et affaires de coeur des tenancières. Un peu en déça des meilleurs Naruse car ce qui menaçait d’autres films du genre est ici patent: les différentes intrigues n’ayant pour point commun que le lieu où elles se déroulent, un manque d’unité thématique les fait friser l’anecdotique. Heureusement, tout cela reste merveilleusement joué et superbement filmé (en Scope-couleurs). D’où un film qui apparaît plein de justesse sans avoir une portée aussi large que d’autres films du maître.
Chronique douce-amère d’une maison de geishas. C’est du Naruse pur jus. Récit à différents points de vue, rapports entre des personnages féminins montrés dans toute leur complexité, poids de l’environnement moral et social. C’est moins la condition de prostituée que l’évolution d’un commerce dans un environnement économique de plus en plus hostile qui intéresse ici l’auteur. Les difficultés des employées tout autant que des patronnes montrent la dureté du capitalisme sans que le film ne passe pour un pamphlet politique. L’émotion est ténue mais bel et bien présente, notamment dans le dilemme final, dilemme qui est l’aboutissement d’un magistral enchevêtrement narratif. Dilemme qui se résout en fait de la plus terrible des façons mais l’élégance de Naruse, qui joue sur les ellipses et le hors-champ, empêche Au gré du courant de tomber dans le pathos.
La peinture d’une communauté d’Aïnous confrontés aux discriminations raciales dans une petite ville de la province japonaise. La remarquable narration entremêle les destins de divers personnages tout en se focalisant sur deux écoliers aïnous. Le fait que le racisme soit l’objet de l’histoire confère une certaine unité thématique à la chronique et empêche un récit semi-choral de sombrer dans l’accumulation d’anecdotes. Naruse, à ma connaissance le plus sentimental des grands cinéastes japonais classiques, ne s’intéresse pas au racisme en tant que doctrine mais révèle avec une terrible acuité les états d’âme des gens qui en sont victimes: le sentiment d’injustice mâtiné d’orgueil du gosse, la terrible résignation des anciens…Le constat qui se dégage de cette fable pourrait être le suivant: il faut se battre tout en sachant accepter les évènements sur lesquels on a aucune prise. La mise en scène élégiaque, tout en ayant les personnages pour objet principal, célèbre aussi la nature, les cours d’eau grâce à ses couleurs éclatantes et à la superbe musique symphonique. D’où un lyrisme tranquille et des séquences porteuse d’espoir éparpillées dans un récit violent; d’où, malgré des séquences très dures, le souvenir presque revigorant que laisse ce film déchirant et magnifique.