Le trésor du Guatemala (Treasure of the golden condor, Delmer Daves et Otto Preminger, 1953)

Au XVIIIème siècle, un jeune Breton accompagne un vieil homme chercher un trésor au Guatemala pour reconquérir le titre et les terres dont son oncle l’a dépossédé.

Dans ce film d’aventures, Delmer Daves, secondé par Otto Preminger, ne fait preuve d’aucun génie mais le Technicolor et un récit dense et varié niveau décors assurent le minimum syndical en terme de divertissement.

The human factor (Otto Preminger, 1979)

Un bureaucrate du MI6 marié à une noire sud-africaine est soupçonné d’envoyer des renseignements à Moscou.

L’aspect visuel ingrat (très anglais) ne doit pas abuser le spectateur: après plusieurs semi-navets, le dernier film d’Otto Preminger fut digne de son auteur. Adaptant un roman de Graham Greene, le grand cinéaste viennois a retrouvé l’intelligence, l’élégance et la hauteur de vue emblématiques de ses chefs d’oeuvre. Ces qualités lui permettent ici de clarifier l’inextricable entrelacs de causes et de conséquences d’une affaire d’espionnage et de sèchement dramatiser la dialectique entre affaires d’état et affaires intimes. Retrouvant, conformément à la promesse de son titre, l’humanité au sein des rouages les plus cyniquement bureaucratiques des services secrets, The human factor montre combien l’idéologie peut ne pas importer dans le fait de servir un camp plutôt qu’un autre.

Première victoire (In harm’s way, Otto Preminger, 1965)

Les premiers mois de la guerre du Pacifique vus à travers l’itinéraire professionnel et sentimental d’un capitaine de croiseur…

Après Exodus, Tempête à Washington et Le cardinal, Otto Preminger poursuit sa série des films « à grand sujet ». Plus que jamais, le récit est ample, la dramaturgie est subtile et le découpage est fluide. De plus, le Cinémascope Noir&Blanc allié à l’excellente musique de Jerry Golsmith fait office de somptueux écrin. Quelques conventions -tel le sacrifice de Kirk Douglas- demeurent mais dans l’ensemble, les attentes du spectateur sont habilement déjouées grâce à l’élégante lucidité du traitement (et jamais par volontarisme anti-conformiste). J’ai été particulièrement touché par la justesse -assez inédite- de la relation amoureuse entre les deux personnes mûres magnifiquement interprétées par John Wayne et Patricia Neal.

Cela dure déjà près de trois heures mais cela pourrait durer le double tant la maîtrise du cinéaste est absolue. Toutefois, à l’issue de la projection, le sentiment de fascination est altéré par une question: « à quoi bon? ». C’est que contrairement aux précédents opus de Preminger, aucune unité profonde n’est opérée entre les différentes ramifications de la narration. Exodus racontait la naissance d’une nation, Tempête à Washington démontait les rouages de l’exercice démocratique, Le cardinal montrait ce qu’il en coûte à un homme pour monter dans la hiérarchie de l’Eglise. Première victoire mélange (intelligemment) situations mélodramatiques et enjeux militaires; les forces de dispersion inhérentes à une telle machine hollywoodienne l’emportent sur la synthèse que doit apporter le point de vue d’un auteur. Si l’attention du metteur en scène à chaque geste et à chaque lieu empêche encore de parler d’académisme, on a quand même un peu l’impression que son coeur a déserté son oeuvre et que, après l’apogée artistique que fut pour lui le début des années 60, son génie commence à tourner à vide.

The 13th letter (Otto Preminger, 1951)

Remake hollywoodien du Corbeau de Clouzot se passant au Québec.

Ce film méconnu d’Otto Preminger n’est rien de plus que cette phrase qui le résume habituellement dans sa filmographie. C’est même un peu moins que ça puisque le nouvel ancrage québécois n’est quasiment pas exploité même si un carton d’introduction affirme fièrement que le tournage a eu lieu en décors naturels. The 13th letter reprend scolairement chacune des scènes emblématiques de l’original mais, dépourvu de son terreau social, dépourvu de la charge contre une certaine hypocrisie provinciale, dépourvu du cynisme bienveillant de ses auteurs, bref dépourvu de tout ce qui faisait son sel, le chef d’oeuvre de Chavance et Clouzot se trouve ici réduit à une mécanique de scénario parfaitement vaine. Il ne faut pas compter sur les acteurs pour rehausser la platitude du film: Michael Rennie n’a (évidemment) pas le charisme sardonique de Fresnay, Linda Darnell réduit l’inoubliable personnage de Suzy Delair à une conventionnelle amoureuse du héros et Charles Boyer a l’air de s’en foutre. Il n’y a guère que la grande Françoise Rosay qui, dans un rôle secondaire quoique décisif, tire son épingle du jeu.

La lune était bleue (The moon is blue, Otto Preminger, 1953)

Un riche architecte tente de séduire une vierge.

Cette adaptation d’une pièce de F. Hugh Herbert que Preminger avait déjà montée à Broadway a fait date parce que le cinéaste avait décidé de ne pas édulcorer des dialogues très crus et donc de ne pas respecter le code Hays. L’intrigue n’en reste pas moins conventionnelle et finalement très morale: personne n’a de relations sexuelles avec personne et cela se finit par un mariage. Il y a quelques répliques drôles mais le film se traîne. Preminger n’a rien fait pour atténuer la théâtralité originelle et les deux comédiens principaux ne peuvent faire tenir le film sur leurs épaules. William Holden n’est pas Sacha Guitry et Maggie McNamara n’a pas la grâce d’une Audrey Hepburn qui aurait été parfaite dans ce rôle. Il y a tout de même David Niven qui campe un beau personnage à la profondeur inattendue.

Dis-moi que tu m’aimes, Junie Moon (Otto Preminger, 1970)

Une jeune fille défigurée par son amant, un paraplégique homosexuel et un épileptique qui se sont rencontrés à l’hôpital s’installent ensemble dans une maison.

Si on note que ces personnages a priori bizarres sont mis en scène sans apitoiement ni condescendance de façon à ce que le spectateur oublie rapidement leur handicap, il n’en reste pas moins que ce film « dans l’air du temps » d’Otto Preminger pèche par pauvreté narrative.

Des amis comme les miens (Such good friends, Otto Preminger, 1971)

La jeune épouse d’un directeur artistique dans le coma se rend compte des infidélités de ce dernier.

En adaptant ce best-seller de Lois Gould, Otto Preminger s’intéressait aux jeunes gens urbains, riches et hédonistes de la fin des années 60. Aussi versatile qu’ait été le talent de l’auteur de Rivière sans retour et Tempête à Washington, on pouvait difficilement imaginer univers plus éloigné du sien. S’il y a bien une constante chez Preminger, c’est l’absence de sentimentalisme. S’il y a bien un domaine où il n’a jamais excellé, c’est le comique. Or Such good friends est justement une satire dans laquelle l’héroïne traverse une crise sentimentale. Il s’agit de révéler l’envers des apparences sociales à travers le regard d’une épouse candide et trompée.

Le problème est la grossièreté de certains des moyens employés par le cinéaste. Le naturel et la fluidité, si emblématiques des réussites premingeriennes, font ici défaut. Les gags graveleux du début sont simplistes et navrants. Otto Preminger, qui fut un cinéaste parmi les plus élégants, n’est pas à l’aise avec son matériau et ça se sent. L’expression de ses intentions est souvent littérale ou kitsch (la chanson finale: du sous-Bennett). Les ressorts du drame sont également faciles et artificiels, à l’image du coup du calepin où le malade avait comme de fait exprès noté toutes ses conquêtes. Cette désinvolture dans l’écriture est à l’opposée de l’implacable rigueur des précédents échafaudages dramatiques du maître viennois.

Malgré cela, une certaine vérité émane du personnage de l’héroïne. La consistance inattendue de la bimbo est bien gérée. Dyan Cannon est vraiment une des grandes actrices oubliées du cinéma américain des années 70. C’est ici évident. On reconnaîtra aussi que les auteurs ont présenté -avec une certaine finesse du fait peut-être qu’il reste hors-champ une bonne partie du temps- un type jusqu’alors plutôt rare à l’écran:  le connard sympathique à qui tout réussit.

Somme toute, Such good friends est loin d’être un désastre de l’ampleur de Skidoo mais on se prend à rêver de ce que le tact du Blake Edwards des années 80 ou la sensibilité du Richard Brooks de The happy ending auraient insufflé à un tel sujet.

Die grosse Liebe (Otto Preminger, 1931)

En 1927, une femme dont le fils a disparu à la guerre est convaincu de l’avoir retrouvé en la personne d’un ancien prisonnier.

Ce poussif premier film d’Otto Preminger n’a d’autre intérêt qu’une scène assez drôle qui anticipe celle de la maison des fous dans Les 12 travaux d’Astérix et montre donc que l’administration teutonne n’est pas plus efficace que l’administration française.

 

Condamné au silence (The court martial of Billy Mitchell, Otto Preminger 1955)

Dans les années 20, l’assignation en court martiale du général Mitchell coupable d’avoir publiquement critiqué le manque d’investissement de l’armée dans l’aviation.

Premier des films « à grand sujet » d’Otto Preminger, The court martial of Billy Mitchell raconte le combat d’un homme qui avait raison avant et contre tout le monde. En 1923, le général Mitchell prédit l’attaque de Pearl Harbour par les Japonais et ses compatriotes lui rirent au nez avant de le virer de l’armée. On retrouve dans la présentation de ce conflit les qualités du metteur en scène viennois: respect du point de vue adverse, absence de simplification du conflit d’idées via un conflit de personnes (pas de méchant), refus des facilités dramatiques (voir comment la fin esquive la tentation mélo), refus de la démagogie, hauteur du point de vue, grandeur conférée notamment par la solennelle rigueur du découpage en Cinémascope (format alors peu usité pour les huis-clos).

Le film est d’autant plus fort et beau que son propos ne se réduit pas à une attaque contre le rigorisme militaire. C’est l’exposition du dilemme cornélien d’un grand soldat se rendant compte que le corps dans lequel il croit depuis toujours se fourvoie dramatiquement. C’est autrement plus subtil et profond que Les sentiers de la gloire. Ce pourrait n’être qu’intelligent, n’était le jeu finement décalé de Gary Cooper qui rend sensible la façon dont sa révolte mine physiquement Mitchell. Le conflit politique se double alors d’un désastre intime et c’est discrètement émouvant.

Exodus (Otto Preminger, 1960)

La naissance d’Israël en 1947 vue à travers le destin de plusieurs personnages.

Exodus est le premier des films « à grand sujet » qu’Otto Preminger réalisa dans les années 60. C’est une ample fresque de 212 minutes. Selon une technique de narration maintes fois éprouvée par le cinéaste autrichien, le foisonnement romanesque des points de vue assure une certaine objectivité quant au traitement d’un sujet encore brûlant d’actualité. Exodus est d’abord un grand film didactique. Personnages et situations sont là pour schématiser le complexe contexte politique ayant présidé à la création d’Israël. Réductibles à deux ou trois caractéristiques génériques, les protagonistes d’Exodus sont donc dépourvus du mystère qui fait par exemple le sel d’un Lawrence d’Arabie (ce sont deux films comparables sur bien des points). Preminger et son scénariste Dalton Trumbo ont cependant pris soin de ne caricaturer aucun de ces personnages à haute dimension symbolique. Par exemple, le jeune chien fou aura droit à sa -terrible- scène de trauma éclairant son comportement névrotique.  Ce didactisme de la narration n’est pas exempt de facilités ni de raccourcis. Les intrigues intimistes, traitées avec de grosses ficelles, ne sont pas toujours des plus convaincantes. Ainsi, l’infirmière américaine, auquel le spectateur est censé s’identifier puisqu’elle est d’abord étrangère au drame juif,  épouse la cause sioniste après être tombée amoureuse du beau chef de la Haganah joué par Paul Newman. C’est une convention éculée qui jure avec la rigueur de l’ensemble. Dans ses deux films suivants -ses deux chefs d’oeuvre-, Tempête à Washington et Le cardinal, Preminger nous épargnera ce genre de romance frelatée.

Ces quelques réserves qui empêchent que je considère Exodus comme un chef d’oeuvre de Preminger ne doivent cependant pas vous induire en erreur: il n’en reste pas moins un très bon film pour plusieurs raisons. D’abord, malgré les schématisations citées plus haut, ses auteurs ont effectué un extraordinaire travail de narration, clarifiant, synthétisant et surtout rendant sensible les divers enjeux d’un instant très délicat de l’Histoire. Le tout sans simplification abusive. Exodus est tout de même un film de plus de 3 heures et demi où le rythme est si savamment géré que l’on ne s’ennuie pas une seconde. Ce n’est pas rien. Ensuite, ces auteurs ont haussé cet instant de l’Histoire au rang d’épopée grâce notamment à de beaux morceaux de bravoure (quoique mal justifiée dramatiquement parlant, l’attaque de la prison d’Acre est magistralement mise en scène). En partant du destin d’une communauté précise, le cinéaste a réalisé une fresque généreuse et humaniste dont la portée est universelle. Enfin, nul doute qu’Exodus, premier des films « à grand sujet » d’Otto Premigner, fut un jalon important dans l’oeuvre du cinéaste viennois, jalon qui le mena directement aux réussites pleines et entières qu’allaient être Tempête à Washington et Le cardinal.

In the meantime darling (Otto Preminger, 1944)

Une jeune femme récemment mariée à un soldat doit s’adapter à la vie de caserne.

Film de commande célébrant l’armée et la famille formaté de bout en bout sans le moindre embyron d’intérêt. Henry King eût sans doute mieux convenu à la réalisation d’un tel film qu’Otto Preminger.

Femme ou maîtresse (Daisy Kenyon, Otto Preminger, 1947)

Une femme est partagée entre deux hommes: un avocat marié et un vétéran de la seconde guerre mondiale.

Malgré ce sujet canonique, aucune convention liée à un quelconque genre (mélodrame…) n’est présente dans Daisy Kenyon. Ce qui frappe dans ce film, parfaitement atypique dans la production hollywoodienne de l’époque, c’est son côté « adulte ». Jamais l’auteur ne force la sympathie ou l’antipathie du spectateur pour un des personnages. Le triangle amoureux est représenté avec la neutralité objective qui caractérise le style d’Otto Preminger. Finement écrit, suprêmement dialogué et excellemment interprété, Daisy Kenyon ne verse jamais dans le théâtre filmé grâce au réalisme de la mise en scène.
On pourrait reprocher au film cette froideur de surface, ce regard d’entomologiste sur des sentiments, mais ce serait passer à côté de la justesse des observations du cinéaste, à côté d’un propos mature, original et pertinent sur l’amour comme mensonge que chacun se complaît à entretenir pour se coltiner sa propre et irréductible nostalgie.
Daisy Kenyon est donc une parfaite réussite et une nouvelle preuve de la prolixité du génie de Preminger puisque la même année, ce dernier réalisait également Ambre qui lui est un chef d’oeuvre de romanesque flamboyant.

Sainte Jeanne (Otto Preminger, 1957)

Après sa mort, Jeanne d’Arc est accueillie dans l’au-delà par Charles VII. Tous deux se souviennent de l’ascension et de la chute de la pucelle d’Orléans.

Sainte Jeanne est l’adaptation de la pièce de George Bernard Shaw. Otto Preminger a rajouté les séquences de dialogue dans l’au-delà qui ponctuent le parcours de Jeanne. On cerne bien l’intention de l’auteur: introduire un recul objectif sur son sujet en confrontant littéralement les points de vue des différents compagnons et ennemis de Jeanne réunis après la Mort. Malheureusement l’artifice du procédé n’est jamais dépassé et révèle plus l’impuissance de Preminger à assumer un point de vue sur son sujet qu’une vision synthétique de ce dernier. La réflexion politique, peu poussée, n’est visiblement pas ce qui intéresse le cinéaste.
L’abstraction théorique de la mise en scène ne rend guère sensible les différents conflits autour de Jeanne. La séquence du procès est particulièrement longue et austère mais sa théâtralité l’empêche d’atteindre la vérité nue du film de Robert Bresson qui sortira cinq ans plus tard.
Ainsi, Sainte Jeanne est un film tiraillé entre une volonté d’épure formelle et des artifices théâtraux complètement déplacés. Je songe notamment au jeu excessivement cabotin du (habituellement) grand Richard Widmark dans le rôle de Charles VII.

Pourtant, en dépit de ce côté bancal, Sainte Jeanne est un beau film. Pourquoi? Parce qu’il révèle une actrice sublime. Dans le rôle-titre, Jean Seberg est bouleversante. Elle irradie le film de sa présence, aussi bien en gamine perdue qu’en illuminée entraînant une armée. Son éclatante pureté morale (à ce sujet, il faut lire Chien blanc écrit par son mari Romain Gary et plus tard adapté par Samuel Fuller) en fait une sainte idéale…C’est clairement la meilleure interprète de Jeanne d’Arc de l’histoire du cinéma (loin devant la grimaçante Falconetti).

Margin for error (Otto Preminger, 1943)

En 1938 à New-York, un jeune policier juif est affecté à la sécurité de l’ambassadeur d’Allemagne.

Le sujet promettait une réjouissante comédie mais Margin for error n’est guère plus que du médiocre théâtre filmé subordonné aux conventions de la plus grossière des propagandes. L’intérêt n’est qu’historique.

Rosebud (Otto Preminger, 1975)

Un groupe terroriste palestinien capture les filles de quatre milliardaires occidentaux. En échange de leur libération, il exige la télé-diffusion de leurs clips de propagande aux heures de grande écoute.

A partir des années 60, le cinéma d’Otto Preminger se caractérise par une volonté de contenir l’ensemble des aspects d’une réalité donnée. Cette ambition totalisante donnera lieu aux chefs d’œuvre de complexité que sont Le cardinal ou Tempête à Washington. Le risque d’une telle approche, c’est évidemment l’éparpillement anecdotique. Grâce à une rigueur de tous les instants dans la mise en scène, cet écueil avait été brillamment évité dans les œuvres majeures du début des années 60. Malheureusement, pour cet avant-dernier film le maître n’y échappe pas. L’enquête de l’agent secret chargé de retrouver les filles, les réactions des parents, les rapports des captives avec leurs geôliers…sont autant de petites histoires qui ne dépassent jamais le stade de la convention.

C’est d’ailleurs peut-être là que le bât blesse: Rosebud, au contraire des films précédents, s’inscrit dans un genre précis. Or Preminger n’affirme jamais le sujet de son film en mettant l’accent sur l’un ou l’autre des aspects de son scénario. Ce qui permettait une observation quasi-objective d’une réalité donnée dans Tempête à Washington apparaît ici comme un détachement hautement préjudiciable à l’intérêt du thriller. En dépit de sa prestigieuse distribution, Rosebud ne vaut donc guère mieux qu’un téléfilm comme le Black sunday de Frankenheimer.

Carmen Jones (Otto Preminger, 1954)

Transposition du Carmen de Bizet chez des G.I noirs.

Carmen Jones d’Otto Preminger est en fait une adaptation d’une adaptation, l’opéra de Bizet ayant été transposé dans un contexte contemporain par Hammerstein à Broadway. C’est de ce spectacle que le film tire son nom. Ce qui frappe d’abord, c’est la maîtrise de la mise en scène. Pas un élément du cadre qui ne semble avoir été savemment pensé. C’est une force du film mais c’est aussi sa principale limite. Cela manque de respiration. La vie n’apparait que sous forme d’élans lyriques or l’opéra s’accomode difficilement de l' »effet de réel » propre au cinéma. Au contraire de la comédie musicale où la danse est essentielle et où l’art du cinéaste qui est celui d’organiser le mouvement peut s’épanouir, il n’y a généralement que du chant dans les numéros musicaux de Carmen Jones. D’où le fait que plusieurs d’entre eux interrompent assez gravement le mouvement général du film. Powell et Pressburger avaient résolu cette contradiction dans Les contes d’Hoffman en allant jusqu’au bout dans la fantaisie au mépris même de l’idée de continuité spatio-temporelle. Ce n’est pas le choix de Preminger qui reste (tant que faire se peut) réaliste. Il n’y a qu’à voir la photographie, d’une sobriété qui confine à la banalité.

Heureusement, cette rigueur dans l’artifice parvient aussi à produire de l’émotion. Carmen Jones est en quelque sorte un film froidement lyrique. La fougue de plusieurs séquences est tellement bien calculée qu’elles donnent paradoxalement un sentiment de joie débridée. De l’art de la mise en scène…Ainsi Carmen Jones ne manque pas de vitalité. Ni de désir. En effet, le film est exceptionnellement érotique compte tenu du fait qu’il a été réalisé à Hollywood dans les années 50. Le laxisme des différentes ligues de censure a t-il été dû au fait que les acteurs étaient noirs? Quoiqu’il en soit, plusieurs passages sont vraiment audacieux pour l’époque et les acteurs ne manquent pas de sensualité. A commencer par Dorothy Dandridge. Bref, sans être aussi convaincant que les chefs d’oeuvre de Preminger, Carmen Jones est un film intéressant, ne manquant pas de qualités qui lui sont propres.

Ambre (Forever Amber, Otto Preminger, 1946)

Dans le Londres du XVIIème siècle, le destin d’Ambre St Clare, courtisane soumise à ses ambitions sociales et à son amour sincère pour un noble déchu par le Roi.

Ambre est une magnifique superproduction de la Fox qui nous donne à voir une femme tellement dévouée à l’homme qu’elle aime qu’elle apparaît immorale et légère vu qu’elle n’attache aucune importance aux convenances sociales. Le style distancié d’Otto Preminger au service d’un matériau essentiellement mélodramatique crée un portrait féminin  parmi les plus beaux de l’histoire du cinéma. On ne pleure pas sur chaque turpitude infligée à Ambre mais on admire son abnégation romantique. L’élégance du cinéaste n’exclut pas une fougue romanesque amplifiée par la somptueuse musique de David Raksin, tantôt dramatisante tantôt maniériste par rapport à la musique baroque de l’époque représentée.

Elle n’exclut pas non plus une fabuleuse générosité plastique. Le grand chef opérateur Leon Shamroy a concocté un Technicolor parmi les plus beaux des années 40. En effet, la première chose qui frappe lorsqu’on regarde Ambre, ce sont les couleurs flamboyantes, l’utilisation du orange notamment. La chevelure auburn de Linda Darnell, les intérieurs éclairés à la bougie, les incendies spectaculaires contribuent à insuffler de la chaleur à la mise en scène de Preminger. Il faut voir la séquence du début dans laquelle la jeune Ambre transforme sa chemise de nuit en corset sous l’effet de ses lectures nocturnes. C’est à la fois brillamment évocateur quant à la psychologie de l’héroïne et hautement érotique, les formes plantureuses de Linda Darnell cadrée en contre-plongée étant superbement mises en valeur par les éclairages mordorés. C’est du grand art. Linda Darnell est d’ailleurs époustouflante dans tous les sens du terme.

Chef d’oeuvre aussi bien plastique que dramatique, Ambre est un parfait représentant de l’âge d’or du système des studios hollywoodiens.

Crime passionnel (Fallen angel, Otto Preminger, 1945)

Dans une petite ville californienne, les tribulations d’un escroc minable en relation avec deux femmes, l’une gironde serveuse et l’autre riche vieille fille.

Film noir à l’intrigue un brin alambiquée, Fallen angel figure parmi les joyaux qu’Otto Preminger a réalisés à la Fox. On y retrouve cette mise en scène unique qui n’a pas son pareil pour faire exister un décor conventionnel (bar, plage…) en deux plans trois mouvements. Le cadrage donne toujours l’impression d’être le cadrage idéal pour cerner l’action, faire ressentir l’atmosphère, les lieux, les états d’âme des personnages en un minimum de temps. Bref, Fallen angel c’est d’abord la suprématie d’un style omniprésent mais jamais ostentatoire. Si Linda Darnell est une actrice un peu trop vulgaire pour incarner une femme censée fasciner tous les hommes qui l’entourent (à la manière de Laura), Dana Andrews est, comme à son habitude, impeccable et Alicia Faye est émouvante dans son rôle de vieille fille qui se met à aimer. Quelques menues réserves sur un scénario manquant d’unité dramatique empêchent Fallen angel de figurer parmi les chefs d’oeuvre de Preminger mais le film n’en reste pas moins superbe.

Que vienne la nuit (Hurry sundown, Otto Preminger, 1967)

Après la seconde guerre mondiale, un fils d’une bonne famille géorgienne entreprend de s’accaparer toutes les terres de la région…

C’est le point de départ d’un récit plein de ramifications qui finit par se focaliser sur le sursaut moral d’un homme dans un monde pourri, le monde pourri étant en l’occurence le sud gangréné par le racisme. Il y a bien quelques aspects schématiques -certains personnages secondaires comme le shérif qui appuient un peu trop l’idée que le sudiste blanc ordinaire est fondamentalement raciste, la fin à la limite de la niaiserie venant d’un homme aussi intelligent qu’Otto Preminger- mais on est quand même loin de la nullité intellectuelle de Dans la chaleur de la nuit qui sort à la même époque. La profusion romanesque, l’importance de la caractérisation psychologique des nombreux personnages empêche le film d’être réduit à un bête pamphlet anti-raciste. Preminger est plus un peintre de caractères qu’un sociologue. Les acteurs, à commencer par Michael Caine dans le rôle principal, sont de plus très bons. Enfin, d’un point de vue strictement plastique, le film est un aboutissement du style du metteur en scène:  fluidité du découpage, composition classique des cadres montrant une tranquille maîtrise du CinémaScope.

Bref, Hurry sundown est un bon film qui, s’il n’atteint pas les sommets tutoyés précédemment par Otto Preminger, apparaît aujourd’hui injustement oublié.