Marie, légende hongroise (Paul Fejos, 1932)

La déchéance sociale d’une bonne mise enceinte.

Quoique le sujet soit très mélo, la douceur du style de Paul Fejos atténue le pathos. La longueur assez exceptionnelle de ses plans fait qu’il a parfois été qualifié de précurseur de Mizoguchi. C’est quelque peu exagéré car c’est réduire le style du plus grand des cinéastes japonais à un procédé parmi d’autres et c’est oublier que son art est nettement plus concentré, plus dur et plus réaliste que celui du plus cosmopolite des réalisateurs hongrois. En effet, quasiment dénué de dialogues, Marie, légende hongroise est une sorte de conte naïf. Le jeu très schématique d’acteurs (le dos voûté qui suppose l’accablement) qui composent des silhouettes plus que des personnages, les métaphores primaires (le plan sur les chatons symbolisant l’enfant à venir) accusent la mièvrerie des situations et l’artifice de la mise en scène. C’est cependant lorsque cette naïveté est assumée jusqu’à un hallucinant paroxysme que Marie, légende hongroise atteint une certaine beauté. Ainsi de la fin littéralement fantastique. Drôle de film en vérité.

Solitude (Paul Fejos, 1928)

solitude

Un ouvrier rencontre une standardiste à Coney Island.

Autrement dit « Boy meets girl ». Solitude ne raconte ni plus ni moins que le début d’une histoire d’amour dans une grande ville moderne. Aucune réelle originalité (les scènes de kermesse sortent tout droit de L’aurore) mais une perfection technique de chaque instant. Ce chant du cygne du cinéma muet bénéficie de tous les acquis de trente ans d’art silencieux. Surimpressions, travellings et montage accéléré sont employés avec la plus évidente des virtuosités par le cinéaste. Qu’il s’agisse d’évoquer l’effervescence des standardistes débordées, la liesse populaire à la fête foraine ou la simplicité des tâches quotidiennes, Fejos ne manque ni d’habileté ni de tact. Il fait même oeuvre de poète à l’occasion de certaines séquences. Ainsi de la merveilleuse solitude du couple au milieu de la piste de danse. Cependant, et c’est peut-être la singularité de Solitude, cette maîtrise absolue du réalisateur va de pair avec une attention réaliste à ce qu’il représente. Son film ne manque pas de vie et Barbara Kent, qui a fêté son 103ème anniversaire le mois dernier, ne manque pas de fraîcheur.

Tout au plus pourra t-on regretter que ce flot vertigineux d’images ne fasse guère plus qu’illustrer la romance: le discours sur le manque de communications dans une société industrielle est loin d’avoir la profondeur de celui de Vidor dans La foule, sorti la même année. Mais après tout, l’ambition de Fejos n’est certainement pas la même que celle de Vidor. Et en tant que tel, son film est une parfaite réussite. Pour peu que l’on accepte sa sentimentalité parfois excessive (l’homme qui se met à pleurer à la fin), Solitude s’avère tout à fait charmant.

Fantômas (Paul Fejos, 1932)

Cette version de Fantômas réalisée par l’auteur du fameux Solitude est plus proche de Feuillade que de Hunebelle. Le ton y est grave. Le style porte encore la marque du cinéma muet. La mise en scène de la première partie dans le château est particulièrement maîtrisée, passant en revue tous les trucs du genre de maison hantée (vent qui souffle, jeu sur le hors-champ, plans de poignées de porte…) dix ans avant Tourneur et Lewton. La suggestion horrifique n’est pas aussi aboutie que chez les auteurs de La féline mais c’est tout de même impressionnant. La jolie photographie met bien en valeur la bâtisse.

Par la suite, le film dévie vers une sorte de polar assez banal mais il y a le formidable personnage de Juve (Thomy Bourdelle), une des incarnations de la loi parmi les plus humaines, les plus acharnées et les plus colériques (mais pas au sens pitrerie de Funès hein) jamais vues sur un écran. Il faut le voir jurer pour s’en rendre compte, c’est rare mine de rien au cinéma les flics gagnés par la colère qui jurent après les gangsters qu’ils poursuivent ou après leur subordonné. Ca humanise le personnage et ça singularise un peu une oeuvre au scénario attendu.