De sueur et de sang/Wonder boy (Paul Vecchiali, 1994)

Un boxeur d’origine camerounaise poussé par son père à continuer son sport tue le souteneur d’une fille en défendant cette dernière.

Paul Vecchiali trempe l’acier du grand mélodrame qu’il chérit dans un bain de réalité contemporaine à base d’immigrés. C’est hardi mais plutôt réussi. L’artifice patent de certaines intrigues, la fausseté des dialogues accentuée par un doublage étrange et les importantes limites de Sam Djob en tant que comédien n’empêchent pas de suivre avec intérêt une complexe histoire d’amour et de filiation qui est portée par quelques idées visuelles pertinentes, un lyrisme assumé (le match de boxe sur fond du Gloria de Haendel, ça fonctionne!) et une Fabienne Babe qui joue la femme amoureuse avec une rare justesse. Wonder boy est un des derniers films intéressants de son auteur.

Les sept déserteurs ou la Guerre en vrac (Paul Vecchiali, 2018)

Six déserteurs se réfugient dans des ruines au milieu de la forêt où ils trouvent une nonne…

Paul Vecchiali s’attaque au film de guerre mais l’hommage initial à Wellman et Fuller ne saurait nous tromper sur la marchandise: comme tous les derniers films de son auteur, Les sept déserteurs est avant tout une oeuvre conceptuelle. Décharnée et théorique, elle n’a aucune prise avec la réalité autre qu’un décor naturel de clairière dont Philippe Bottiglione a joliment capté la lumière. A tous les étages de la mise en scène, le volontarisme anti-« naturaliste » empêche l’éclosion du romanesque larvé des dialogues (les personnages se révélant au fur et à mesure des figures archétypales comme les affectionne cet amateur du cinéma français des années 30: l’ancienne prostituée, les deux amoureux…). Le pompon est le colifichet moderniste de la fin, tarte à la crème « distanciatrice » indigne de Paul Vecchiali. A noter cependant un générique parmi les plus élégants jamais vus.

Le cancre (Paul Vecchiali, 2016)

Tandis que son fils s’est incrusté chez lui, un homme retrouve les femmes qu’il a aimées.

Je ne sais ce qui est le plus embarrassant: le film ou l’enthousiasme laborieusement surjoué de la critique parisienne? Quelques lyriques accords de Roland Vincent: c’est bien tout ce qui peut rappeler la beauté des anciens films de Paul Vecchiali. La quasi-unité de lieu, la théâtralité de l’écriture, la fantaisie arbitraire de dialogues excessivement abondants, la rareté des scènes avec plus de deux personnages, la crudité de la lumière et le statisme des images poussent l’abstraction au-delà des limites du décharné.

Entre ces insignifiantes saynètes parfois prétextes à revoir les idoles de Vecchiali cinéphile, un seul lien: l’évocation obsessive -peu convaincante du fait de la froideur potache de la mise scène- d’un premier amour mélangée à une vague histoire de relation filiale qui souffre également d’un manque d’incarnation. Toutefois, occasionnellement, l’émotion atteint le cinéphile au surgissement de quelque fantôme du passé: ainsi de la scène de danse avec Françoise Arnoul. C’est parce qu’il sait aimer et admirer que je continue d’aimer et admirer Vecchiali. Envers et contre ses derniers films.

C’est l’amour (Paul Vecchiali, 2016)

Dans un village du Var, une femme se croyant trompée par son mari séduit un acteur en villégiature chez son amant…

La crudité de l’image, les effets post-modernes laborieux  (tel la succession de deux plans avec une bande-son identique), la théâtralité logorrhéique de la majorité des séquences et la fadeur des acteurs principaux feraient de C’est l’amour un film desséché n’était une retranscription assez juste de la puissance arbitraire et charnelle de l’attirance amoureuse, retranscription qui se matérialise surtout dans la séquence pivot où musique et mouvement de caméra sont fusionnés dans un beau lyrisme. Ça se regarde mieux que le précédent film de Vecchiali.

Coeur de hareng (Paul Vecchiali, 1984)

Dans le XVIIème arrondissement parisien, guerre entre deux proxénètes.

Cette commande de la télévision dans le cadre de la « Série Noire » est du pur Vecchiali. Couleurs saturées, folklore des années 50 et grands sentiments forment un cocktail chargé d’intentions esthétiques mais pas toujours très digeste.

Nuits blanches sur la jetée (Paul Vecchiali, 2015)

La rencontre nocturne entre un jeune homme et une femme qui s’est promise à un homme dont elle attend un coup de fil.

La légèreté du dispositif (deux acteurs filmés avec un iphone dans un décor unique) n’induit malheureusement pas souplesse et inventivité mais au contraire rigidité et asphyxie, voire négation pure et simple du cinéma: deux protagonistes en train de parler côte à côte sont filmés en longs plans aussi immobiles qu’eux. A quelques effets volontaristes près (parfois, sans raison précise, le dialogue commence avant l’image), cela résume l’essentiel de Nuits blanches sur la jetée. Les très ponctuelles embardées dans la fantaisie, tel le numéro de danse, sont complètement artificielles et semblent n’obéir à aucune autre nécessité que l’imposition de la signature « Paul Vecchiali ». Le texte a donc une place centrale. Ce texte, inspiré par une des nouvelles les plus mièvres de Dostoïevski déjà plusieurs fois adaptée au cinéma (le meilleur film étant celui de Visconti), ne saurait suffire à maintenir l’intérêt pour les interminables tunnels de dialogues.

Les ruses du diable (Paul Vecchiali, 1965)

Une couturière jeune et jolie se met à recevoir régulièrement des billets de cent francs par la poste…

Les ruses du diable est un très beau film dans lequel on retrouve déjà toutes les qualités du cinéma de Paul Vecchiali: un goût pour la digression et la rupture de ton qui va de pair avec une grande rigueur dans le découpage, une poésie populiste héritée des années 30, l’acuité du regard sur la condition féminine, une égale bienveillance à l’égard de chacun des personnages qui permet de déjouer les schémas narratifs attendus (ainsi de la belle réaction –aussi inattendue que logique- de la patronne lorsque son employée l’envoie balader), une science du montage rare dans le cinéma français, des chansons pour agrémenter le tout (ici, c’est la grande Cora Vaucaire que le spectateur a le plaisir d’entendre).

La fantaisie est plus discrète qu’elle ne le sera dans certaines des réalisations ultérieures de Vecchiali et c’est heureux tant elle paraîtra alors volontariste. Dans Les ruses du diable, elle est présente en sourdine à l’intérieur d’un récit classique mené avec une certaine fermeté. Les actrices sont bien sûr magnifiques, la talentueuse et méconnue Geneviève Thénier en tête. Plusieurs moments sublimes sont l’œuvre d’un très grand cinéaste. Rien que pour l’évocation de la mort de la voisine de palier où les panoramiques et les coupes expriment toute l’intégrité, la pudeur, la douceur et la noblesse qui sont celles de leur auteur, le plus ancien des longs-métrages de Paul Vecchiali conservés à ce jour se doit d’être vu.

Change pas de main!!! (Paul Vecchiali, 1974)

Une ministre sur laquelle un chantage est exercée parce que son fils a tourné dans un film porno engage une détective.

Comme dans Le grand sommeil, l’intrigue est incompréhensible. Paul Vecchiali a vraisemblablement entrepris Change pas de main!!! comme un exercice de style baroque à la façon d’Allan Dwan entreprenant Deux rouquines dans la bagarre. Les couleurs flamboyantes, le découpage à vocation plastique plutôt que dramatique, le jeu décalé des comédiens et la musique de Roland Vincent font du porno de Vecchiali une sorte de poème surréaliste fort peu bandant mais assez fascinant. Pour information, le cinéaste a refusé que son film ne soit pas classé X par solidarité envers ses collègues frappés du sceau infâme. On ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est une attitude autrement plus noble que celle de Virginie Despentes à la sortie de Baise-moi.

Encore (Once more) (Paul Vecchiali, 1987)

De son divorce à son décès du SIDA, les dix dernières années de la vie d’un homme.

Si un gay passe dans le coin, il pourra confirmer ou infirmer mais c’est à ma connaissance le premier film français tourné sur le SIDA. Sans faire la morale d’aucune façon que ce soit, Paul Vecchiali montre le parcours d’un homme qui se libère de toutes sortes de jougs sociaux pour finir par assumer pleinement ses désirs, quitte à s’y brûler (l’amour ça fait mal). Le fait est que cette libération se fait sans excès de violence contre son milieu initial. S’il y a des scènes franches et dures de dispute conjugale, le personnage principal reste finalement lié avec sa famille, sans cependant leur raconter d’histoires. Malgré l’actualité brûlante du sujet et grâce à la franche audace du traitement, aucun discours militant ne vient plomber le film. Encore (once more) n’a rien à voir avec quelque chose comme Jeanne et le garçon formidable. C’est à une célébration pleine et entière de la vie, avec toute la douleur qui en découle, que s’est livré Vecchiali.

Pour ce faire, il s’est astreint à  l’emploi d’un dispositif  très contraignant: à l’exception de la séquence finale, le film est découpé en neuf plan-séquences, chacun représentant une année. Cela donne au film une stylisation très théâtrale qui l’empêche de verser dans le naturalisme sociologique. Plusieurs chansons de Roland Vincent ponctuent le film (Ducastel et Martineau n’ont décidément rien inventé). Il faut bien le dire cependant: cet artifice délibéré n’est pas toujours facile à admettre pour le spectateur. Ainsi, les ruptures de ton ou encore la bizarrerie de plusieurs protagonistes secondaires paraissent parfois trop arbitraires pour être féconds. Il y a néanmoins des instants magnifiques de justesse et de pudeur, tel celui où le héros malade retrouve son ancienne femme au mariage de leur fille. Et, toujours, le regard à la fois droit et empathique de Vecchiali sur son personnage.

La machine (Paul Vecchiali, 1977)

Un homme qui a tué une fillette est condamné à mort…

En racontant un fait divers inspiré de l’affaire Patrick Henry, Paul Vecchiali a pris à bras le corps un sujet de société alors brûlant d’actualité: la peine de mort. Bien qu’il y soit opposé, son film n’a rien à voir avec un mélo militant façon Yves Boisset ou Costa-Gavras. Il s’attache à restituer différents points de vue en consacrant une grande partie du film à de pseudo-reportages télévisuels où toutes sortes d’individus expriment leur point de vue sur l’affaire. Il en profite pour critiquer, en creux, le fonctionnement racoleur des mass media. Tout le monde s’exprime sur l’affaire sauf l’assassin qui reste muré dans un silence narquois. L’intelligence suprême du cinéaste est d’annuler tous ces discours au moment où l’assassin s’exprime enfin. C’est littéralement une apologie de la pédophilie, typique d’une certaine contre-culture des années 70. L’inanité de la parole de ceux qui osaient parler pour lui, aussi bien ses défenseurs que ses pourfendeurs,  apparaît alors puisque tous avaient soigneusement éludé son désir, tabou et irrécupérable. On pourra arguer que La machine est un film un peu trop théorique mais il contient des moments de cinéma extrêmement forts qui en quelques secondes en disent plus que tous les discours. Ainsi, malgré tous les films sur le sujet, jamais on n’avait vu comme dans la séquence finale la fourbe brutalité avec laquelle un condamné était conduit à l’échafaud en France.

Humeurs et rumeurs (Paul Vecchiali, 2007)

Dans une villa du Var, une metteuse en scène qui a réuni des amateurs divers et variés essaye de monter une pièce de Corneille.

Humeurs et rumeurs est d’abord la suite de Corps à coeur puisqu’on y retrouve le personnage de Nicolas Silberg trente ans plus tard, hanté par sa passion de jeunesse. Néanmoins, il n’est ici qu’un personnage parmi d’autres, chacun avec ses drames, ses histoires, son histoire. Le film est hanté par la mélancolie de son auteur. Autoproduit dans la villa du cinéaste, Humeurs et rumeurs est vecchialien jusqu’au bout des ongles. On y retrouve le goût de l’auteur pour les surprises dialectiques (les retournements finaux), son refus du champ-contrechamp, des intermèdes chantés concoctés avec le fidèle et toujours aussi inspiré Roland Vincent et des citations d’Achard/Ophuls. Mais par rapport aux productions Diagonale, Humeurs et rumeurs apparaît théorîque, froid, désincarné. Le statisme de la mise en scène, l’abondance de dialogues, le jeu anti-naturel des acteurs (certes pas nouveau chez Vecchiali) créent une impression de fausseté et d’arbitraire. L’histoire d’amour centrale n’est guère rendue sensible en dehors certes de quelques fulgurances stylistiques tel ce sublime mouvement de caméra sur le port de Saint-Tropez. A noter aussi que la lumière du Var est magnifiquement captée.

Le café des Jules (Paul Vecchiali, 1988)

Un samedi soir dans un bistrot de province, les plaisanteries des habitués dégénèrent gravement lorsqu’un étranger de passage s’avère être vendeur de sous-vêtements féminins.

Ce petit film d’une heure est une des plus terribles dissections de la méchanceté jamais vues sur un écran. Le génie de Jacques Nolot (qui a écrit le film) et Paul Vecchiali est d’avoir organisé une progression implacable vers le drame à partir de faits a priori banals. Ainsi, l’universalité de l’étude comportementale se nourrit du réalisme de l’environnement et de la psychologie des personnages. Au fur et à mesures des verres ingurgités, les jeux et les codes des piliers de bars révèlent la cruauté et la perversité qui les sous-tendent. On n’avait vu critique du machisme plus percutante depuis Thé et sympathie.

Et là où Le café des Jules s’avère aussi grand que le film de Minnelli, c’est que l’acuité de cette critique ne va pas sans un strict minimum d’empathie envers les personnages qui incarnent ces valeurs attaquées. Au détour d’un plan ou d’une réplique se révèlent les fêlures intimes d’un homme. C’est par exemple le « ha le con, il aurait pu me dire bonjour alors » lâché par le meneur du groupe au moment où il apprend, par hasard, que son fils est en ville. La méchanceté ne va pas sans aigreur ni ressentiment…La finesse de l’écriture et la richesse des relations entre les personnages sont telles que rien n’apparaît arbitraire ou vulgairement démonstratif.

Cette dialectique chère à Vecchiali, cette nécessaire dialectique qui empêche une lecture univoque du film et qui est fidèle à la complexité de la vie, on la retrouve également dans le découpage du cinéaste. Ainsi, la fameuse scène du viol est un modèle de responsabilité morale et d’intelligence cinématographique. Tout le contraire de la complaisance d’ado attardé d’un Gaspard Noé. Le plan où l’agresseur se surprend dans le miroir et se dégoûte est magnifique mais aurait viré à l’abject s’il n’avait été immédiatement suivi de celui, plus long, sur le visage de la victime meurtrie. Ici, avec ses choix judicieux entre ce qu’il faut montrer et ce qu’il ne faut pas montrer, Vecchiali rappelle que la grandeur d’un cinéaste est d’abord celle d’un homme.

Il est bien servi par des acteurs gorgés de vérité humaine: Nolot lui-même, pas plus ignoble que banal, ou encore Brigitte Rouan, victime superbe et pathétique de la connerie provinciale.

Précisons enfin que Vecchiali insuffle à cette étude de comportement aussi implacable que les meilleurs films de Fritz Lang des accents lyriques inattendus. J’en veux pour preuve le sublime plan-séquence final, constat tranquillement désespéré dont le pessimisme est cependant tempéré par le geste mystérieux d’un personnage secondaire. Le tout au son des cordes magnifiques, deleruesques, de Roland Vincent. Ces envolées un brin décalées ne sont pas pour rien dans la fascination durable imprimée par Le café des Jules, peut-être le chef d’oeuvre de son auteur et assurément un des films les plus importants de ces trente dernières années.

Rosa la rose, fille publique (Paul Vecchiali, 1985)

Une jeune prostituée est la reine de son quartier jusqu’au jour où elle tombe amoureuse…

Cette trame canonique montre l’ambition de Paul Vecchiali qui est celle de poursuivre la tradition du cinéma populiste des années 30. Pour une fois, c’est pleinement convaincant. Son appréhension du milieu n’a rien de réaliste. On est dans un univers de pacotille revendiqué comme tel avec  force stylisation des éclairages; on songe à du Fassbinder débarrassé des oripeaux politico-socioligico-brechtiens. Plusieurs personnages secondaires sont drôles et bien croqués. Les unités de lieu, de temps et d’action sont respectées.
Bref, Rosa la rose, fille publique est un film rigoureusement conventionnel. Néanmoins, parce qu’il dépasse les archétypes pour l’écriture des personnages, Vecchiali atteint à une certaine vérité des sentiments, une vérité qui elle n’a rien de conventionnelle mais qui est plutôt paradoxale. Par exemple, le souteneur n’est pas un salaud mais un quinquagénaire cinéphile qui épargne pour ses vieux jours. Bref, un film simple, vivant, beau.

L’étrangleur (Paul Vecchiali, 1970)

Un policier ment à la télé pour trouver un tueur en série.

L’étrangleur est un polar original dans lequel le suspense importe moins que la personnalité du tueur et celle de son traqueur. En présentant un flic qui ment ouvertement et un tueur apparemment pur de coeur et d’esprit, Paul Vecchiali brouille les frontières morales sans que cela n’apparaisse comme de la provocation gratuite. En effet, il n’absout pas l’assassin qui reste un dangereux psychopathe auquel il ne faut pas se fier et qu’il faut à tout prix (?) empêcher d’agir. Les histoires de trauma pour expliquer les comportements de tueur en série sont souvent téléphonées au cinéma et celle-ci n’échappe pas à la règle mais la belle fin couronne joliment le face-à-face dialectique que constitue le film. Julien Guiomar et Jacques Perrin dans les rôles principaux sont bons et aident à faire passer outre une mise en scène inégale.

Corps à coeur (Paul Vecchiali, 1978)

Un mécanicien trentenaire tombe fou amoureux d’une pharmacienne quinquagénaire qui se refuse à lui…

L’amour est inexpliqué, posé d’emblée. Il ne s’appuie sur aucun préalable narratif  (de ce point de vue, le retour chez l’ex-femme apparaît comme une inutile digression). Ce parti-pris l’empêche d’être réduit à de quelconques conventions psychologiques, cela lui donne un caractère d’absolu. Le risque est que le spectateur ne voit ici que l’arbitraire du créateur et non la vérité d’un sentiment, aussi exceptionnel soit ce sentiment. L’intérêt d’une progression narrative est justement de faire croire à l’exceptionnel en préparant la fameuse suspension d’incrédulité.

C’est d’autant plus difficile ici de croire à l’amour fou que le fade Nicolas Silberg peine à rendre la passion qui anime son personnage et que les envolées ne fonctionnent pas toujours du fait d’une mise en scène assez approximative (le délire devant les badauds de la pharmacie est plus saugrenu qu’autre chose). En effet, le choix de Paul Vecchiali d’ancrer une situation de mélodrame dans la grisaille banlieusarde pour faire « réalisme poétique »  (le film est dédié à Jean Grémillon) n’est guère probant. Il ne suffit pas de coiffer ses acteurs de casquettes pour réanimer la mythologie de Carné et Gabin. Il ne suffit pas de mettre la musique de Fauré à fond pour insuffler du lyrisme à des images ternes. Ceci étant, le film contient des idées de montage simples et judicieuses qui occasionnellement donnent de la profondeur émotionnelle à un personnage. Au final, l’amour s’exprime tout de même d’une façon plus littérale (beaux dialogues) que concrète. Il est plus théorique qu’incarné.

Cependant, Corps à coeur ne manque pas d’intérêt. C’est qu’il prend une toute autre dimension dans sa dernière demi-heure. Il se focalise alors sur le personnage d’Hélène Surgère. Et c’est très beau. Quand on y réfléchit deux secondes, son comportement n’est pas moins invraisemblable que celui du mécanicien mais il est poétiquement plus juste car Vecchiali assume enfin le caractère mélodramatique de son film; ce qui lui permet de se montrer aussi inventif et aussi juste que les auteurs de L’invraisemblable vérité.

En haut des marches (Paul Vecchiali, 1983)

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En 1963, une femme revient à Toulon qu’elle avait quitté à la Libération suite à l’assassinat de son mari pétainiste. Les souvenirs surgissent…

En haut des marches est un des travaux les plus personnels de Paul Vecchiali puisqu’il l’a réalisé en hommage à sa mère. A ce titre, les longues confessions en voix-off qui ouvrent et qui ferment l’oeuvre sont magnifiques. Ce film est une interrogation sur les différentes mémoires, sur la façon dont la perception des évènements historiques diffère selon qu’on y était plongé ou qu’on les analyse a posteriori sans les avoir vécus. L’évidente affection que l’auteur éprouve pour l’héroïne ne l’empêche pas de présenter les contrechamps avec une honnêteté intellectuelle rare dans le cinéma français. Je pense notamment aux dialogues avec la nièce avocate. Le film est dialectique jusqu’au bout des ongles, rien n’est simpliste, Vecchiali se refuse à juger qui que ce soit. Ainsi, après un discours de Pétain, on entend toujours un discours de De Gaulle.

La structure chaotique qui entremêle flashbacks et flashforwards au service d’un sujet théorique lié à la mémoire et à l’histoire fait penser à du Resnais. Heureusement, la mise en scène de En haut des marches n’a rien à voir avec celle d’un film comme La guerre est finie. Le film de Vecchiali n’est en effet ni guindé ni esthétisant. L’opérateur a capté différentes nuances de la lumière toulonnaise, faisant exister le lieu de l’action. La magnifique Danielle Darrieux incarne pleinement une oeuvre dont elle est la raison d’être. Les audaces narratives rendent le film parfois confus mais une chose est certaine, une chose irradie l’écran: l’amour de Vecchiali pour son personnage. C’est ce qui le différencie du petit malin puritain qu’est Jean-Luc Godard.