Malinconico autunno (Raffaello Matarazzo, 1958)

Un enfant élevé par sa mère seule identifie un contrebandier comme une figure paternelle.

Attention, rien à voir avec Moonfleet. Matarazzo oblige, on est ici dans le mélodrame. C’est agencé avec une sobriété narrative et un sens de l’épure visuelle qui nous attache directement aux personnages. Ma réserve principale porte sur le manque de lyrisme, d’approfondissement, de détails de la mise en scène dans les acmés, particulièrement celui du sublime retournement final qui aurait gagné en justesse humaine et en force émotionnelle s’il avait été davantage étayé. Peut-on réaliser un chef d’oeuvre dans le genre mélodramatique en restant perpétuellement épuré donc schématique? Je ne le crois pas. Cependant, ce sens de l’épure donne aussi une dimension quasi-mythologique aux personnages et aux situations dramatiques. C’est ainsi qu’il émane de ce mélo une vérité sur la virilité et la paternité qui semble venue du fond des âges. Dernier des six films réalisés par Matarazzo avec le couple Nazzari/Sanson, Malinconico autunno est également le meilleur.

La femme aux deux visages (Angelo bianco, Raffaello Matarazzo, 1955)

 

Un veuf éploré tombe amoureux d’une entraîneuse qui ressemble à l’amour de sa vie.

Le potentiel de cet intéressant argument dramatique -anticipant celui de Sueurs froides– est malheureusement vite enseveli sous l’avalanche de péripéties ineptes propre aux mélos de la série Nazzari/Sanson. La fin est pas mal car le talent de Matarazzo trouve à s’y épanouir dans des scènes liturgiques et géométriques.

Treno populare (Raffaello Matarazzo, 1933)

La journée à la campagne d’un groupe d’Italiens qui part en train.

Le premier film de Raffaello Matarazzo s’inscrit dans ce mini-courant du jeune cinéma européen circa 1930 où des prolos étaient suivis pendant une journée de villégiature: Les hommes le dimanche et Nogent eldorado du dimanche avaient ouvert la voie empruntée par le cinéaste italien. On peut discutailler de qui a été le plus précurseur de tous les précurseurs du néo-réalisme mais l’essentiel est que la fraîcheur de Treno populare soit aujourd’hui inaltérée. Ce, grâce au tournage en décors naturels bien sûr, mais aussi et surtout à l’aisance avec laquelle le narrateur manie les ruptures de ton et la multiplicité des points de vue. Sous les dehors d’une comédie de caractères plaisante et gentillette, Matarazzo sait faire pointer un lyrisme discret (qui, lui, annonce clairement Une partie de campagne), lyrisme renforcé par la musique de Nino Rota dont ce fut la première partition destinée au cinéma. Un regret cependant: des approximations du découpage franchement gênantes qui, amoindrissant la clarté et la précision de la mise en scène, nuisent à l’intensité dramatique.

La fille de la rizière (Raffaello Matarazzo, 1955)

Le propriétaire d’une rizière croit reconnaître sa fille naturelle dans une de ses employées saisonnières.

Entrepris conjointement par les deux magnats Carlo Ponti et Dino De Laurentiis pour surfer sur la vague initiée par Riz amerLa fille de la rizière peut être vu comme le plus hollywoodien des nombreux mélodrames réalisés par Raffaello Matarazzo. Plastiquement parlant, c’est un film somptueux. Pour une fois, les couleurs du Ferraniacolor ne manquent pas de chaleur et rendent justice aux verdoyants paysages piémontais.  L’esprit de Busby Berkeley anime les mouvements chorégraphiques des ouvrières dispersées sur toute la largeur du Cinémascope. Certes, cette beauté est essentiellement décorative. Comme dans Riz amer, filmer les ouvrières au travail sert plus à exhiber leurs gambettes qu’à enrichir le récit d’une dimension sociale.

Ce récit reste assez basique. Il a cependant le mérite d’être moins tiré par les cheveux que ceux de la série Nazzari/Sanson. L’accélération finale n’empêche pas qu’ici, Matarazzo préfère prendre son temps pour raconter son histoire plutôt que d’accumuler les rebondissements. Le drame central s’en trouve amplifié. Enfin, si, quoique plus superficiel que les chefs d’oeuvre américains du genre, La fille de la rizière permet de passer un excellent moment, c’est aussi et surtout grâce à la présence d’Elsa Martinelli dont le corps sublime allie la grâce angélique d’Audrey Hepburn à la sensualité méditerranéenne de Claudia Cardinale. C’est autre chose qu’Yvonne Sanson.

Larmes d’amour (Torna!, Raffaello Matarazzo, 1953)

Un riche oisif ne recule devant rien pour ébranler le mariage d’une amie d’enfance dont il est resté amoureux…

La première partie du film est assez terne (sentiment renforcé par des couleurs fadasses). En pilotage automatique, Raffaello Matarazzo se contente d’illustrer une intrigue peu surprenante. Qu’Yvonne Sanson soit l’objet d’âpres disputes entre mâles est toujours aussi difficile à imaginer pour le spectateur normalement constitué. Cependant Larmes d’amour décolle lorsque le mari joué par Amadeo Nazzari se met à croire à l’infidélité de son épouse. Le film prend à ce moment toute sa dimension mélodramatique. S’enchaînent alors -avec une précision qui n’a pas toujours été de mise chez l’auteur du Navire des filles perdues– des péripéties extraordinaires (sublime personnage que cette mère endeuillée complètement folle!) mais plus vraies que le conventionnel début à travers ce qu’elles révèlent sur la foi en l’autre comme socle nécessaire à l’amour. Pas mal.

L’avventuriera del piano di sopra (Raffaello Matarazzo, 1941)

Pendant que son épouse est partie dans sa famille, un avocat accueille chez lui sa voisine persécutée par son mari…

Brillant succédané de comédie américaine sophistiquée, L’avventuriera del piano di sopra est peut-être le film le mieux écrit de Matarazzo. A partir du moment où le récit dévie vers l’enquête sur un vol de bijoux, on songe évidemment à Lubitsch. Non que ce film ait la grâce des chefs d’oeuvre du maître berlinois mais les quiproquos s’y agencent à merveille dans une intrigue pleine de malice. Les acteurs sont charmants. Le drame du mâle moyen esseulé est traité avec une ironie plus tendre moins non moins précise que celle de Billy Wilder dans Sept ans de réflexion quinze ans plus tard. Très plaisant.

Le fils de personne (Raffaello Matarazzo, 1951)

Une comtesse met fin à la liaison entre son fils et une de ses employés mais un enfant est né…

L’avalanche de péripéties, souvent faciles et peu crédibles, déconcerte de prime abord mais touche finalement au sublime. Raffaello Matarazzo et ses scénaristes ont quand même réussi à faire un film où une mère voit son enfant mourir deux fois. Chapeau les mecs. De plus, et paradoxalement, le sérieux et l’épure de la mise en scène désamorcent le caractère extravagant des situations pour mieux faire ressortir le tragique de l’ensemble. Intrigant.

Amore mio (Raffaello Matarazzo, 1964)

Un père de famille s’amourache d’une jeune fille qu’il a sauvée du suicide.

Nettement moins rigide dans sa narration que certains mélos des années 50, ce dernier film de Matarazzo est d’autant plus fort que « chacun y a ses raisons ». Aucune facette du drame n’a été oblitérée dans ce joyau d’épure et de simplicité. Le sujet de la bigamie est traité avec franchise et les conclusions, particulièrement désenchantées, sonnent juste. C’est comme si, en ce début des années 60, en même temps que l’ensemble du cinéma, Matarazzo avait mûri. Se permettant une fin relativement ouverte, ce cinéaste catholique et droit montre l’impossibilité morale du divorce en même temps que celle, affective, d’une éternelle monogamie. C’est assez déchirant d’autant que les effets dramatiques sont ici bien plus mesurés que dans ses mélos précédents. Pleines d’humour, de tendresse et de cruauté, les scènes avec la petite fille sont dignes de Comencini. Une bonne idée de cinéma parmi d’autres: baisser la caméra au niveau de son visage durant une dispute de ses parents, reléguant ceux-ci hors-champ. Amore mio gagnerait donc à être redécouvert.

Bannie du foyer (Raffaello Matarazzo, 1950)

Une jeune femme qui s’est enfuie de chez ses parents voit son fiancé emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis…

L’accumulation de malheurs qui s’abat sur l’héroïne a quelque chose de surréaliste. L’archaïsme du mélo se traduit également dans la caractérisation des personnages : manichéenne et sans nuance. A ce niveau-là, d’autres mélos de Matarazzo -tel L’intruse– étaient bien plus complexes. Dans Bannie du foyer, les caractères sont figés et la méchante restera méchante envers et contre tout. Enfin, Yvonne Sanson n’est guère crédible en jeune fille. C’est dommage que le scénario abuse à ce point de la « suspension d’incrédulité » du spectateur car le talent du metteur en scène s’épanouit dans de belles séquences pleines de pureté naïve, tel celle du mariage en prison. La participation du grand Roberto Murolo qui joue ici un second rôle insuffle aussi une véritable émotion à plusieurs passages musicaux.

Il birichino di papà (Raffaello Matarazzo, 1943)

Une jeune fille turbulente perturbe le mariage entre sa soeur et un marquis.

Sympathique comédie joliment rythmée, interprétée et mise en scène (les ruptures de ton y sont particulièrement convaincantes grâce à l’excellente musique de Nino Rota dont plusieurs thèmes préfigurent…Le guépard!) mais assez superficielle. Certes, on peut facilement déceler une critique de la société fasciste dans le regard sur cette héroïne libre et insoumise qui déjoue les arrangements imposés par l’ordre social à sa famille mais cette critique est désamorcée par l’immaturité de cette héroïne ainsi que par le fait que, in fine, l’ordre est joyeusement rétabli: les époux se retrouveront dans la bonne humeur générale. Cela peut être comparé à une comédie d’Henri Decoin avec Danielle Darrieux (mais Chiaretta Gelli n’a pas la grâce de Danièle Darrieux).

Le navire des filles perdues (Raffaello Matarazzo, 1953)

Au XVIIIème siècle, une fille de bonne famille qui a fait accuser sa cousine de l’infanticide qu’elle a commis retrouve celle-ci dans les cales du galion de son voyage de noces.

Il arrive un moment dans ce mélodrame feuilletonesque où l’énormité des coïncidences le décrédibilise. Ce moment, c’est celui où tout le monde se retrouve sur le bateau. Débarrassé de toute préoccupation réaliste, le film prend alors l’allure d’une allégorie chrétienne où Matarazzo fustige violemment un ordre social vicié. A la manière des films de Cecil B. DeMille, Le navire des filles perdues tire sa beauté de l’extrémisme de ses effets dramatiques: la pureté naïve des scènes de prédication n’a d’égale que le délire -jusqu’à la caricature- des scènes sadiques et érotiques. Il est regrettable que la fadeur du GevaColor amoindrisse le potentiel de cette mise en scène ultra-baroque.

Le mensonge d’une mère (Catene, Raffaello Matarazzo, 1950)

Le retour de son ancien fiancé trouble une femme et met en péril l’équilibre de son foyer.

Malgré le manque de crédibilité de l’amant dont le comportement est in fine plus féminin que masculin, la construction dramatique est rigoureuse et concentre le drame de cette femme écartelée dans un récit particulièrement retors et pervers. Il y a cependant un hiatus entre la rigidité de la mise en scène et les passions exacerbées qui sont son objet. De ce fait, on voit les comédiens faire semblant de pleurer plus qu’on ne voit les personnages pleurer tant les larmes arrivent vite et sans progression dramatique subtile à l’intérieur de la scène. Les larmes ici ne sont pas une acmé (comme chez les grands du mélo hollywoodien) mais une donnée. La communication de l’émotion au spectateur s’en trouve amoindrie.

L’intruse (Rafaello Matarazzo, 1956)

Après une tentative de suicide, une femme est recueillie par le médecin d’un petit village côtier…

Un très beau mélodrame. L’intrigue, basée sur l’honneur, la virginité et la maternité, pourra apparaître désuète à un spectateur contemporain mais elle est fondée sur une réalité, celle de l’oppression de la femme par une société patriarcale, réalité qui fut très bien décrite notamment par Luigi Pirandello dans son premier roman (L’immortelle) et qui perdure aujourd’hui dans certaines familles du sud de l’Italie.

Derrière une forme simple et théâtrale, les auteurs restituent toute la complexité d’une situation et évitent les facilités narratives qui auraient consisté à désigner un méchant, un gentil et une victime. Au cours de l’histoire, chacun des trois personnages principaux (l’ancien amant, le mari, la femme) fera du mal aux autres en se montrant obtus, cruel ou injuste. Il ne s’agit pas de dire simplement « dans ce monde, tout le monde à ses raisons », il s’agit de retracer le cheminement qui permettra au couple principal de se débarasser de ses démons intérieurs pour mieux aimer l’autre. La femme est hantée par un souvenir douloureux, le docteur devra sortir de la mélancolie dans laquelle l’a plongé la mort de son épouse.

Cette quête de l’harmonie générale, intime et sociale, effectuée avec l’aide d’un prêtre bienveillant rappelle les films de Leo McCarey d’autant qu’elle culmine lors de moments sublimes au cours desquels Rafaello Matarazzo fait preuve d’une inspiration qui n’a rien à envier à celle de l’auteur de Ce bon vieux Sam. Ainsi de l’enchaînement de la séquence à la gare avec le mariage, enchaînement d’une pureté qui n’appartient qu’aux plus grands.

L’esclave du péché (Raffaello Matarazzo, 1954)

Suite à une catastrophe ferroviaire, une prostituée recueille une orpheline mais il va être difficile pour une femme de sa condition d’obtenir le droit de l’adopter…

Cette phrase d’introduction ne donne qu’un léger aperçu de l’accumulation de poncifs mélodramatiques du scénario. L’esclave du péché est une sorte d’essence de mélodrame réalisée par un maître du genre. A quoi reconnaît-on le maître? Au fait que les conventions n’apparaissent jamais dans son oeuvre comme des béquilles (il n’y a guère que le personnage du maquereau qui soit une facilité) mais qu’elles lui permettent d’isoler la substance d’un drame. Ce drame, c’est celui de beaucoup de grands mélos, c’est celui de l’oppression de la femme dans une société ultra-rigide. Le talent de Matarazzo, c’est de raconter son histoire en ne gardant que l’essentiel. Il fait preuve d’un sens de l’épure dans la mise en scène comparable à celui de Fritz Lang dans ses derniers films.