Adieu chérie (Raymond Bernard, 1946)

Une entraîneuse aide un jeune oisif à échapper à la pression matrimoniale de sa famille.

Jacques Companeez et Raymond Bernard ont certainement voulu réitérer J’étais une aventurière car l’argument -la vérité des sentiments qui perce sous les faux-semblants de la chercheuse d’or- est fondamentalement identique. Cependant, la réussite est moindre. Se déroulant essentiellement dans un unique château et pâtissant de dialogues se voulant spirituels mais médiocrement conventionnels, Adieu chérie est un film nettement plus théâtral, dans le mauvais sens du terme. Le jeu entre comédie sociale et profondeur des états d’âme, qui est le sujet du film, n’est qu’entrevu à cause d’une écriture trop velléitaire. Cependant, l’audacieuse dernière partie relève le niveau et insuffle une consistance inattendue aux personnages, comme s’ils avaient été révélés à eux-même par l’intruse. C’est beau. Et ça l’est d’autant plus que la grande Danielle Darrieux brille de ses mille éclats, passant de la nargue à la mélancolie avec le même naturel qu’un adagio succède à un allegro dans une même symphonie de Mozart.

Tarakanova (Raymond Bernard, 1929)

Au XVIIIème siècle en Russie, une nonne ressemblant à une cousine de l’impératrice est utilisée par des nobles pour détrôner Catherine II.

Film d’aventures historique préférable au célèbre Miracle des loups: outre le rythme plus entraînant et la grandiose virtuosité des scènes de foule et d’action, bien digne de l’apogée stylistique et expressive que furent les dernières années du muet, l’héroïne rocambolesque est chargée d’une relative consistance émotionnelle lorsqu’il s’avère qu’elle fut la première dupe de son imposture.

Cavalcade d’amour (Raymond Bernard, 1940)

AU XVIIème siècle, au XIXème siècle et au XXème siècle, trois histoires d’amour, dont deux tragiques, ont lieu dans un château.

Pléïade d’acteurs et jolis décors mais dialogues surannés (surtout dans le premier segment), petits problèmes de rythme, angles de prise de vue stupidement penchés (péché mignon de Raymond Bernard) et manque de focus dramatique. In fine, c’est pas mal, de bonne tenue, mais les sketches (car il s’agit finalement d’un film à sketches) auraient gagné à davantage de concision, de netteté dramaturgique.

Le jugement de Dieu (Raymond Bernard, 1949)

Au XVème siècle, Albert de Bavière épouse Agnès Bernauer contre l’avis de son père qui déclenche alors un procès en sorcellerie contre la roturière.

Ce film français fait très pâle figure face au chef d’oeuvre contemporain de Mizoguchi racontant une histoire très analogue: Les amants crucifiés. Sans attendre de Raymond Bernard un génie à la hauteur de celui de l’immense Nippon, on peut quand même constater ce qui grève lourdement son histoire d’amour fou: des interprètes principaux médiocres qui n’enlèvent jamais du spectateur l’idée qu’il assiste à un carnaval et un récit aussi mal construit que celui du Miracle des loups, un récit qui tarde à réaliser son unité dramatique et gère très mal (en fait, ne gère pas du tout) la coexistence des différents tons et des différents enjeux. A part ça, il y a quelques jolies images.

Le cap de l’Espérance (Raymond Bernard, 1951)

La patronne d’un bar est courtisée par un policier qui recherche les auteurs d’un hold-up parmi lesquels figure son amant.

La présence de Edwige Feuillère et Jean Debucourt et la fluidité du découpage de Raymond Bernard ne sauvent pas ce film noir à la Française, excessivement mal écrit, de la pire médiocrité.

Anne-Marie (Raymond Bernard, 1936)

Un groupe d’aviateurs accueille une jeune femme en son sein…

Le scénario a beau être signé Saint-Exupéry, il est laborieux car essentiellement basé sur les dialogues; dialogues qui servent aussi bien à faire avancer l’action qu’à dévoiler les états d’âme des personnages. La séquence de péril final apparaît alors conventionnelle et décorative, exception faite d’une belle idée. Les travellings élégants et une photo soignée font illusion pendant la première partie du film mais au fur et à mesure que le récit avance, le drame de cette femme tiraillée entre un amoureux ingénieur et des amis aviateurs s’avère trop désincarné pour que l’on s’en émeuve. Brodant à nouveau sur le thème d’une femme dans un groupe d’hommes, Raymond Bernard convaincra nettement plus avec J’étais une aventurière car Jacques Companeez était un scénariste d’une autre trempe que l’auteur du Petit prince.

Le petit café (Raymond Bernard, 1919)

Un garçon de café hérite d’un marquis mais est forcé de garder son emploi par une clause de dédit.

La perfection astucieuse de l’intrigue d’après Tristan Bernard, la richesse burlesque et humaine de l’élégante interprétation de Max Linder et la qualité du découpage font de ce premier long-métrage français de comédie un pari réussi.

Un ami viendra ce soir (Raymond Bernard, 1946)

Dans les Alpes sous l’Occupation, un chef de la Résistance se cache dans un asile…

Le manichéisme du discours, l’extrême caricature des personnages allemands, certes excusables compte tenu de l’époque du tournage, mais aussi et surtout la poussiéreuse dramaturgie reposant sur un mystère sans intérêt (« qui est le commandant parmi les fous? ») et la vaine hystérie de la mise en scène (acteurs en roue libre, contrastes saugrenus et cadrages de traviole) rendent ce film irregardable aujourd’hui.

Le miracle des loups (Raymond Bernard, 1924)

Louis XI et Charles le Téméraire se disputent la France.

Seuls d’étonnants détails gores viennent épicer cette fresque académique dont le rythme narratif est particulièrement boiteux. A commencer par la scène éponyme, la platitude des morceaux de bravoure fait pâle figure face au lyrisme merveilleux d’un Stiller ou d’un Griffith.

Les fruits de l’été (Raymond Bernard, 1955)

Pour ne pas entraver la carrière de son haut-fonctionnaire de mari dont elle est séparée depuis 10 ans, une mère laxiste entreprend de recadrer sa fille de 18 ans, complètement débauchée.

Derrière ses allures, racoleuses et moralisatrices, de « film français des années 50 sur les jeunes filles », Les fruits de l’été s’avère un vrai bon film grâce à l’équilibre entre les tons que parvient à maintenir Raymond Bernard: la loufoquerie de Jeanne Fusier-Gir et le ludisme lubitschien du passage en Allemagne n’entravent pas la prise au sérieux d’un récit tordu et soigné qui fait son miel de la vanité masculine comme de la rouerie féminine. Edwige Feuillère est d’une classe resplendissante.

Le coupable (Raymond Bernard, 1937)

Un avocat général qui a mis une fleuriste enceinte avant de partir à la guerre retrouve son fils naturel 20 ans plus tard sur le banc des accusés…

Le formalisme baroque de la mise en scène (éclairages hyper-sombres, cadrages inclinés, mouvements d’appareil…) s’avère en définitive stérile car il ne subvertit pas la mièvrerie d’un récit mélodramatique qui en reste au niveau de l’anecdote (celle-ci particulièrement improbable).

J’étais une aventurière (Raymond Bernard, 1938)

Une aventurière qui vole de riches messieurs tombe amoureuse d’une de ses proies…

J’étais une aventurière est sans doute le film français le plus lubitschien qui n’ait jamais été tourné. Tout le début où l’on voit le trio d’escrocs voler la haute-société grâce à des plans plus sophistiqués les uns que les autres est comme une sorte de Haute-pègre revu par un scénariste -Jacques Companeez- découvrant le principe des séries américaines avec trente ans d’avance. Il y a en effet du Mission:impossible dans cette écriture qui mise sur la surprise créée par l’intelligence diabolique de professionnels de la manipulation mondaine pour faire jubiler le spectateur. Comme dans une série, plusieurs variations autour de ce thème sont présentées et à chaque fois, la virtuosité des personnages/auteurs est telle que le spectateur s’y laisse prendre.

Cette fascinante mécanique dérape à partir du moment où des sentiments naissent chez l’héroïne. Ce décisif basculement vers l’irrationnel (ses compères ne comprennent évidemment pas leur collègue) est rendu sensible par le talent du cinéaste qui ose et réussit une séquence d’un lyrisme juste et grandiose. Grâce à leur inventivité, à la justesse de leur ton et à leur inébranlable respect des situations et des personnages (à l’exception du dernier plan un brin démagogique), Jacques Companeez, Raymond Bernard et les acteurs -tous parfaits- ont su donner du corps aux diverses conventions narratives qui régissent leur ouvrage. Léger et brillant, J’étais une aventurière est ainsi un parfait exemple de la belle santé du cinéma français d’avant-guerre.

Marthe Richard espionne au service de la France (Raymond Bernard, 1937)

L’histoire de Marthe Richard qui, assistant à l’exécution de sa famille par les Allemands, met ses charmes au service de l’armée française.
Comme dans tout film d’espionnage au féminin qui se respecte, l’atmosphère capiteuse des alcôves militaires alterne allègrement avec les courses-poursuites en plein air. L’intrigue est rocambolesque, la narration rapide, la galerie de seconds rôles croquignolette et l’image particulièrement soignée, dernier trait qui distingue Raymond Bernard des autres artisans du cinéma français d’alors. Notre grande Edwige Feuillère est superbe et sa palette de jeu plus large que celle d’une Garbo ou d’une Dietrich sert bien son personnage. On regrettera simplement quelques digressions liées à la guerre en elle-même, digressions qui ne sont pas très intéressantes et qui ont le tort de desserrer l’intrigue principale. Au sein d’un divertissement élégamment troussé, certains plans laissent entrevoir la tragédie qu’aurait été le film s’il avait été traité sur un mode plus grave. Ainsi de la fin étonnamment amère qui annonce le devenir de la véritable Marthe Richard: dans un bordel.