Ils étaient neuf célibataires (Sacha Guitry, 1939)

Un entremetteur profite d’une loi restreignant l’immigration pour organiser des mariages blancs entre riches étrangères et pauvres célibataires français.

Pourquoi est-ce que, malgré mon admiration pour Sacha Guitry, je n’aime pas ce film appartenant pourtant à la période bénie du cinéaste, 1935-1939? D’abord, Ils étaient neuf célibataires en est, avec Bonne chance, le film le moins singulier, le seul qui ne soit ni la mise en images d’un texte préexistant ni une fantaisie historique (genre créé par Guitry qui lui permettait d’exploiter son génie littéraire). En ces deux cas, son superbe dédain du métier cinématographique stimulait l’esprit d’invention du nouveau cinéaste. Ici au contraire, Guitry s’essaye à écrire spécifiquement pour l’écran mais ne retrouve pas la grâce de Bonne chance. Cette fois, les insuffisances de la technique (musiquette horrible, montage parallèle hoquetant, nullité des décors, platitude du découpage et de la photo, son à la limite de l’audible) rendent éclatante la faiblesse de la narration qui s’essouffle à jongler avec de multiples personnages.

Une fois n’est pas coutume, l’auteur s’attaque à un thème d’une brûlante actualité mais son traitement, qui consiste essentiellement en un plaquage de mots d’ailleurs pas si bons que ça, apparaît comme un bête escamotage de ce thème. Les paradoxes de salonard néantisent la vérité des personnages qui les prononcent. Il n’y a pas plus de profondeur politique dans ces inconséquentes provocations que dans les caricatures de Jean-Pierre Mocky. Il faut dire que, à l’exception de Pauline Carton, la distribution déçoit. On dirait un défilé de pantins sortis d’un placard poussiéreux. Même le grand Fabre…L’acteur Guitry est évidemment exempt de ce reproche mais on ne le voit guère; ce qui, il faut bien le dire, diminue grandement le plaisir de l’amateur de Guitry.

Pasteur (Sacha Guitry, 1935)

Evocation de la vie de Pasteur.

Pour son premier film de fiction, Sacha Guitry a porté à l’écran sa pièce sur Pasteur. C’est une hagiographie, le portrait d’un génie en butte à la médiocrité de ses contemporains dans lequel Guitry se projette certainement. Son interprétation formidable de vitalité et de très belles scènes de tendresse avec le petit Joseph Meister contrebalancent l’aspect ouvertement édifiant de l’oeuvre.

De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain (Sacha Guitry, 1944)

Film de 58 minutes destiné à promouvoir le livre d’art éponyme que Sacha Guitry, fervent maréchaliste, consacra aux grandes figures de l’histoire de France depuis Jeanne d’Arc. On le voit en tourner les pages. Lui-même ainsi que, entre autres personnalités, Madeleine Renaud, Roger Bourdin et Jean Cocteau en lisent des extraits. Il s’agit de textes de personnages célèbres mais aussi de panégyriques écrits par des auteurs contemporains: Cocteau, Giraudoux, Colette, Morand… Il y a des bons mots savoureux, la voix du Maître est toujours délectable, la propagande finalement discrète mais le tout apparaît décousu et superficiel, ce qui est assez logique compte tenu de la nature essentiellement publicitaire d’un film qui ne fut jamais destiné à l’exploitation en salles.

Tu m’as sauvé la vie (Sacha Guitry, 1950)

Un vieux baron s’est retiré du monde depuis qu’il ne peut plus faire l’amour. Un vagabond qui lui a sauvé la vie lui redonne foi dans l’humanité. Est-ce que ça va durer?

Tu m’as sauvé la vie est la première collaboration de Sacha Guitry avec Fernandel. Force est de constater que le comédien méridional n’est ici pas aussi sublime que chez Marcel Pagnol puisqu’il travestit son style de jeu en imitant plus ou moins bien le maître parisien. Voyez ses gestes maniérés, sa façon de croiser les jambes…Tout ceci est peu en adéquation avec son personnage d’aventurier. En revanche, Guitry est toujours aussi éblouissant et c’est un régal que d’écouter ses saillies misanthropes. Lana Marconi et Jeanne Fusier-Gir sont égales à elles-mêmes dans des emplois qui leur sont habituels.

Moins rigoureusement construite que les pièces d’avant-guerre (les intrigues des domestiques sont dispensables tout comme la musique), Tu m’as sauvé la vie n’en est pas moins une réussite de l’auteur. Les traits d’esprit fusent, les gags sont désopilants. La surdité du personnage principale est prétexte à un comique absurde assez inédit chez Guitry.

Si, comme dans tous ses films d’après-guerre, le constat désabusé sur la nature humaine est sans appel, l’auteur apparaît ici moins aigri que dans Aux deux colombes réalisé l’année précédente. Cette noirceur sereine annonce en fait l’ultime chef d’oeuvre de Guitry: La vie d’un honnête homme.

Les trois font la paire (Sacha Guitry, 1957)

A Paris, un policier enquête sur un meurtre commis au moment d’une prise de vue cinématographique.

On ne saurait réduire ce dernier film de Sacha Guitry à ce « sujet ». Cet argument policier est essentiellement un prétexte permettant à l’auteur de laisser libre cours à sa fantaisie, à sa malice et à son inventivité comique. Bien que rempli de vedettes, Les trois font la paire a visiblement été tourné avec trois fois rien. Son charme est celui de la série B, l’ingéniosité, la liberté de ton et l’audace narrative palliant largement la relative faiblesse des moyens. L’intrigue, reposant sur une histoire éculée de sosies, m’a semblé moins bien ficelée que celle d’Assassins et voleurs, son précédent film mais qu’un vieux maître de l’acabit de Guitry ait achevé son œuvre avec une pièce d’une telle fraîcheur d’esprit est un enseignement à méditer par ceux qui enterrent les grands cinéastes un peu rapidement. Les trois font la paire, porté aux nues par Godard et Truffaut en son temps, fait immanquablement songer à la Nouvelle Vague qui allait surgir 3 ans plus tard.

Toâ (Sacha Guitry, 1949)

Après une séparation houleuse, un dramaturge raconte ses déboires conjugaux dans une pièce. Mais sa femme perturbe la représentation…Où est le théâtre ? Où est la vie ? Toâ est une mise en abyme pirandellienne. Conforme à l’évolution que prend l’oeuvre de Guitry après la guerre, c’est un film assez théorique où les aphorismes et les idées comptent plus que les personnages et les situations qui apparaissent comme des prétextes à la réflexion sur son art. Réflexion jamais pesante car source de bons mots et d’idées de mise en scène (ainsi des interventions de la femme jouée par Lana Marconi dans la pièce qui se joue). Brillant mais moins gracieux que les joyaux réalisés par le maître avant-guerre.

La Malibran (Sacha Guitry, 1943)

« Mes spectateurs éventuels, que je vous prévienne de suite: vous n’aurez pas l’occasion de pleurer en voyant ce film – et pourtant il est rempli d’assassinats, de crimes et de vols. Pourquoi n’en serez-vous pas émus ? Pourquoi ne partagerez vous pas les tourments des personnages principaux ? Parce que jamais vous ne m’avez fait de peine, parce que jamais vous ne m’avez fait d’ennuis-et ce n’est pas moi qui commencerai. »
Ces propos de Guitry à propos d’Assassins et voleurs (trouvés dans l’excellent recueil Le cinéma et moi paru chez Ramsay) révèlent, derrière le bon mot, un véritable credo moral et esthétique de leur auteur. Par pudeur, par élégance aristocratique mais aussi par conviction profonde sur son métier d’amuseur (conviction explicitée dans de nombreux textes publiés dans les années 30), Guitry s’est toujours montré extrêmement méfiant par rapport aux situations mélodramatiques. Pourtant, sa filmographie contient quelques titres à tendance franchement pathétique. La Malibran est le premier d’entre eux.
Comment l’élégant Sacha Guitry a t-il raconté la vie de cette cantatrice au destin tragique ? Eh bien la tonalité mélodramatique de l’histoire racontée est atténuée par une mise en scène d’une épure toute théâtrale (alors que le film n’est pas l’adaptation d’une pièce) et par les délicieux dialogues en vers, pleins d’aphorismes et de généralités. Guitry ose cependant, à une ou deux reprises, jouer franchement avec l’émotion: ainsi de la longue agonie de l’héroïne montée en parallèle avec un solo de violon. La Malibran est donc une oeuvre est un peu bâtarde.
Le film se présente comme une succession de vignettes sans grand rapport les unes avec les autres. Ce manque de continuité dramatique nuit à l’intérêt du spectateur d’autant que la biographie se révèle être une hagiographie, Guitry n’étant jamais timoré lorsqu’il s’agit d’admirer. Il y a d’ailleurs beaucoup de scènes de concert, de chant qui n’ont aucune fonction dramatique. Ajoutons que La Malibran marque une nouvelle étape dans le pessimisme de l’auteur, pessimisme mélancolique apparu dans son premier film tourné sous l’Occupation, Le destin fabuleux de Désirée Clary qui se focalise sur une amoureuse décue et oubliée de l’Histoire. Dans La Malibran, Sacha Guitry joue pour la première fois le rôle d’un homme antipathique.

Deburau (Sacha Guitry, 1951)

Deburau, c’est d’abord une certaine radicalité esthétique due au mépris de Sacha Guitry pour les oripeaux prétendument cinématographiques (ajout d’extérieurs, mouvements de caméra sans objet…) censés enjoliver son excellente pièce de théâtre. Tourné en une dizaine de jours comme la plupart de ses adaptations, le film est pour ainsi dire la pièce. Quand le montage intervient, c’est par le biais de procédés éculés qui retrouvent leur pertinence essentielle. Ainsi du champ-contrechamp d’une lumineuse simplicité entre Deburau et les autres comédiens lors du premier acte. D’où une certaine épure, une absence de superflu appréciable. Même si Debureau est un mime, le verbe est au centre de la pièce. Les dialogues sont en vers et, dans la bouche de Guitry et de sa troupe, ils sonnent divinement. D’une fluidité et d’une musicalité tels que l’on oublie la prouesse de l’auteur.
Comme Le comédien réalisé trois ans ans auparavant, Deburau est une méditation sur deux grands marottes de Guitry: l’art dramatique et la paternité. Sur un mode mélancolique voire amer puisqu’il s’agit de raconter la fin du grand mime. Ouvertement théorique dans son abondance d’aphorismes et de généralités, le film sait émouvoir grâce à ses acteurs de génie. A ce titre, il faut voir au début de l’acte III la terrifiante tirade de Deburau sur son nom, un des moments les plus profondément émouvants de la carrière d’acteur du grand Sacha. Guitry (l’auteur, l’acteur, le réalisateur) atteint alors une vérité humaine, l’humain mû par la vanité en même temps que par l’amour, que seuls les plus sages d’entre les cinéastes (Ford, Pagnol, McCarey…) ont effleuré.

Aux deux colombes (Sacha Guitry, 1949)

Un opus décevant de la part du grand Sacha.
Cette pièce filmée n’a pas la grâce de ses oeuvres d’avant-guerre. La faute à une relative grossièreté d’ensemble. D’abord, la misogynie -récurrente dans son œuvre- est ici exprimée plus lourdement que jamais. Ainsi, la tromperie de l’épouse dans Quadrille ne la condamnait pas aux yeux du spectateur tant son amourette avec le bel aviateur respirait le désir, la gaieté, la joie de vivre. Ici, le temps a passé et les deux colombes du titre sont vénales avant d’être amoureuses. Le jeu des deux actrices, notamment celui parfois affreusement grotesque de Marguerite Pierry, est à l’opposé de la lumineuse fantaisie de Jacqueline Delubac. Certes, il y a bien un personnage de jeune femme dont le héros tombe évidemment amoureux mais la pâle Lana Marconi n’existe guère face aux « deux colombes ». Il est vrai que les amoureuses dans ses films étant celles dans sa vie, on pourrait presque découper la carrière de Sacha Guitry en fonction de ses différents mariages et la période Lana Marconi n’est pas la plus alléchante de l’oeuvre. Ensuite, la construction dramatique n’a pas la rigoureuse finesse de Faisons un rêve ou Mon père avait raison. Le sujet d’abord, celui d’une femme qui revient voir son mari après 22 ans d’amnésie, n’est pas des plus subtils. Ensuite, une fois l’argument exposé, la pièce semble lancée sur des rails, en roue libre et pas grand-chose ne vient surprendre le spectateur. La fin prévisible n’en finit pas et le film aurait certainement pu durer quinze minutes de moins. De plus, la musique, beaucoup plus présente que d’habitude, se fait envahissante et les scènes m’ont semblé plus découpées que d’ordinaire pour un résultat pas toujours convaincant. Comme si, touché par certaines critiques, Guitry avait voulu sophistiquer son traitement cinématographique. Un peu vainement.
En dépit de toutes ces réserves, Aux deux colombes n’est pas un navet. C’est que même s’il se montre moins bon dramaturge et cinéaste qu’il ne l’a été, Sacha Guitry reste un comédien et un auteur unique. Ses aphorismes toujours spirituels, sa belle langue, sa diction mythique, ses adresses au public impromptues et sa présence sauvent le film de la pire des médiocrités. Enfin, il y a quand même un des génériques les plus élaborés de son œuvre et Pauline Carton, dont la présence suffit à rappeler le meilleur de Guitry.

Le comédien (Sacha Guitry, 1948)

Drôle, spirituel, profondément libre (l’auteur privilégie les aphorismes à la progression dramatique et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde), inventif (les trucages ludiques engendrés par le double rôle de Sacha) mais aussi théorique (les fameux bons mots de Guitry servent ici à exprimer sa vision de son art) et empreint d’un respect émouvant pour le théâtre et pour son père Lucien. Un très bon Guitry.