La maison et le monde (Satyajit Ray, 1984)

Au début du XXème siècle, l’épouse d’un maharadja, encouragée par son époux à s’émanciper, est séduite par un démagogue indépendantiste.

Le dispositif de Satyajit Ray, de plus en plus théâtral, n’est plus innervé par la sensibilité de sa caméra aux frémissements des actrices comme il l’était dans ses meilleurs films (Le lâche, La déesse…). Encore que le dernier acte faisant du leader politique un être intéressé élude la complexité qui a précédé, c’est avec finesse que l’oeuvre brasse tout un tas de préoccupations hautement intellectuelles. Malheureusement, force est de constater que cette ostentatoire intelligence se traduit uniquement par les dialogues. Le rythme, la composition et l’enchaînement des plans n’ont à peu près aucun intérêt. De par l’agencement des accessoires colorés, plusieurs images sont belles mais cette beauté est essentiellement décorative. Bref, La maison et le monde est un film académique.

La grande ville (Satyajit Ray, 1963)

A Calcutta, un employé de banque rechigne à voir sa femme travailler bien que les nécessités économiques l’y incitent de plus en plus.

La longueur excessive ne sert guère qu’à ressasser le « message » social de l’auteur incarné d’une manière schématique et attendue par les personnages et leurs dialogues. Très ennuyant.

Le lâche (Satyajit Ray, 1964)

En attendant que sa voiture soit réparée, un scénariste se voit offrir l’hospitalité par un homme qui a épousé son amour de jeunesse.

Attentif à la crispation d’un visage, à la sollicitude d’une main sur l’épaule ou à la tristesse voilée d’un regard hiératique, la souple caméra de Satyajit Ray restitue la complexité des arcanes du coeur humain et la mélancolie d’un homme réalisant qu’il n’y a pas de deuxième chance en amour avec une précision et une subtilité dignes de Tchekhov; ce d’autant que l’unité de temps et la brièveté du métrage confèrent au Lâche la concision d’une nouvelle. Madhabi Mukherjee est sublime.

Des jours et des nuits dans la forêt (Satyajit Ray, 1970)

En Inde, quatre bourgeois soudoient le gardien d’un bungalow pour passer des vacances dans la forêt…

Entre le marivaudage renoirien et le film de potes à la Cassavetes, Satyajit Ray filme les jeux de séduction légèrement et gravement jusqu’à ce que les dissonances du montage introduisent un vertige existentiel inattendu. De par son ampleur non affichée mais se révélant subtilement au fur et à mesure du temps de projection, Des jours et des nuits dans la forêt est un film magistral.

La déesse (Satyajit Ray, 1960)

Suite à un rêve, un notable indien pense que sa jeune bru est la réincarnation de la déesse Kali. Quelques miracles s’ensuivent qui mettent la famille en émoi.

Que feriez vous si on vous prenait pour un dieu? Que feriez vous si votre conjoint était pris pour un dieu? Pas évident de répondre. Moi qui ai un ego surdimensionné, je croyais que ça me plairait bien de recevoir des offrandes des quatre coins du pays et de voir les gens s’agenouiller à mes pieds mais après avoir regardé La déesse, je n’en suis plus si sûr. C’est qu’un tel statut vous éloigne immanquablement des gens que vous aimez et on le voit très bien ici. On le voit dans des séquences d’une cruauté innocente et déchirante.

Cette idée de départ développée dans un récit qui a la concision et la force évocatrice d’une nouvelle de Maupassant permet à Satyajit Ray de s’intéresser au conflit entre tradition et modernité et au rapport d’une société archaïque (entendre: « païenne ») au sacré. Le fait que ces thématiques s’articulent autour de l’évolution d’un jeune couple confronté au poids écrasant -et injuste- de cette responsabilité enrichit le film et l’empêche de verser dans le didactisme schématique qui plombe d’autres films de Ray. Il y a quelque chose du mélodrame dans l’histoire de cette femme doucement broyée par sa société.

La jeune Sharmila Tagore est sublime. Plus qu’aucune autre actrice du cinéaste indien, elle a la beauté hiératique de la femme en sari avec gommette sur le front mais cela n’empêche pas son visage d’être finement expressif. Ainsi, un mouvement d’oeil en dit énormément sur son état d’âme alors que sa position la force à rester passive.

Ce genre de subtilité se retrouve à tous les niveaux de la mise en scène d’un film profondément dialectique. En effet, si la position anti-religieuse de Satyajit Ray ne fait à la fin aucun doute, la narration est suffisamment complexe, les différentes parties sont suffisamment respectées pour que le mystère soit entretenu jusqu’au bout. Le discours de l’auteur passe essentiellement par le récit et la mise en scène même si le dernier acte peut apparaître légèrement schématique.

Enfin, la subtilité de la mise en scène n’a d’égale que sa splendeur. La beauté intense de la lumière, l’harmonie des cadrages et plusieurs séquences nocturnes dans la campagne rappelant Murnau et Mizoguchi achèvent de faire de La déesse un magnifique chef d’oeuvre.

Les joueurs d’échecs (Satyajit Ray, 1977)

Alors que leur province est sur le point d’être annexée par l’Empire britannique, deux petits aristocrates ne cessent de jouer aux échecs.

Le parallèle entre les nobles décadents qui oublient leurs affaires et l’évolution de la situation politique ne mène pas à grand-chose d’intéressant. Il y a quelques jolies séquences qui apportent un peu d’humour et de fraîcheur, telle celles qui mettent en scène l’épouse délaissée de Mirza mais dans l’ensemble, cette énième méditation théâtrale de Ray sur le pouvoir, le colonialisme, l’aristocratie et tutti quanti est assez vaine. De plus, sa mise en scène abusant des zooms est un peu moins élégante que d’habitude.

Le visiteur (Agantuk, Satyajit Ray, 1991)

L’épouse d’un notable indien reçoit une lettre de quelqu’un qui se prétend son oncle qu’elle n’a pas vu depuis 35 ans. Après avoir parcouru le monde, il annonce sa visite et compte sur le respect des traditions d’hospitalité de la part de sa nièce.

Les trois derniers films de Satyajit Ray sont des fables mettant en scène la perte des valeurs dans l’Inde capitaliste et occidentalisée. Cet ultime opus s’intéresse particulièrement à la méfiance du bourgeois envers ce qui ne cadre pas avec son schéma de pensée. Le style y est d’une simplicité toute théâtrale, entièrement focalisé sur les acteurs. On retrouve notamment l’attention particulière du cinéaste pour les visages des hommes et des femmes qu’il filme. Cette épure de la mise en scène ainsi que la lenteur du rythme font malheureusement ressortir la lourdeur didactique de la dramaturgie d’un moralisateur réactionnaire (ou d’un vieux sage humaniste, c’est au choix).