Maria Zef (Vittorio Cottafavi, 1981)

Dans le Frioul au XIXème siècle, deux jeunes filles sont recueillies par leur oncle charbonnier après la mort de leur mère épuisée.

Le parti-pris néoréaliste (acteurs amateurs, dialecte frioul, décors naturels…) qui fait oublier la reconstitution historique, l’austérité générale et la cottafavienne hauteur de vue assurent une belle dignité à une histoire pas dénuée de misérabilisme qui, adaptée par un autre, aurait pu sombrer dans le larmoyant. Loin de fustiger ou d’encenser unilatéralement la ville, où l’argent est plus facile à gagner, ou l’oncle Zef, viscéralement attaché à son archaïque mode de vie, Vittorio Cottafavi les montre avec une égale justesse, une même absence d’idéologie qui serait forcément déformante. Le drame socio-économique est un tremplin qui lui permet de se hisser vers la tragédie primitive. Dans cette oeuvre assez pesante qui refuse les séductions de tous ordres, on note quand même une des plus belles séquences de bal vues au cinéma, une séquence dénuée de pittoresque où le metteur en scène rend sensible le passage du temps avec une éclatante netteté.

Le prince au masque rouge (Vittorio Cottafavi, 1953)

En Février 1793, un noble s’infiltre dans la garnison du Temple pour délivrer Marie-Antoinette…

Cette seconde adaptation de Dumas après Milady et les mousquetaires est un des meilleurs films réalisés par Vittorio Cottafavi. La variété des passions (politiques, amoureuses, amicales, familiales) animant les personnages lui permet de s’éloigner du manichéisme et de déployer ses qualités tragiques. Emblématique en est le plan où Yvette Lebon annonce à son mari que leur projet de délivrer la Reine ne l’intéresse plus face à son amour pour le chef révolutionnaire. Son hiératisme, la lenteur inéluctable de son déplacement dans l’escalier et les variations de sa distance par rapport à l’objectif traduisent sublimement l’élan d’une héroïne qui, comme chauffée à blanc, vient de se choisir un nouveau joug, un nouveau destin. Ainsi, la profusion des péripéties est-elle vivifiée par le style de Cottafavi. Outre ces séquences d’une grandeur racinienne, le metteur en scène trouve matière à déployer son sens pathétique (les retrouvailles avec le dauphin où la mère s’écroule physiquement), son sens de la liturgie (l’exécution de Marie-Antoinette dont la géométrie rappelle celle de son chef d’oeuvre: La fiamma che non si spegne) et son sens sadique (le duel au poignard avec des détails d’une violence incroyable). Bref, le budget est vraisemblablement modique mais le talent est éclatant, particulièrement dans la très prenante dernière partie où le complexe écheveau narratif trouve son unité.

Femmes libres (Vittorio Cottafavi, 1954)

Une jeune femme fait échouer le mariage arrangé par sa famille pour rejoindre un célèbre musicien…

Adaptant une pièce argentine, Vittorio Cottafavi a fait oublier les origines théâtrales de son film grâce à un montage qui rend sensible le passage du temps et à la corrélation que sa mise en scène instaure entre les personnages et les lieux variés où ils évoluent. Le regard posé sur la chimérique liberté de la femme, qui ne s’émancipe du joug familial que pour se faire broyer le coeur par un amoureux, est d’une froide lucidité mâtinée d’ironie cruelle. La dernière partie avec la petite soeur surappuie artificiellement le drame mais, au détour d’une interprétation de Chopin dans une villa de la côte amalfitaine, frappe la restitution d’un sentiment complexe peu vu au cinéma: l’aigreur injustement dévastatrice que provoque chez un homme le hiatus entre le sentiment intime de son échec et l’amour aveuglé de sa femme. En cinq minutes, Cottafavi en montre ici plus sur l’incommunicabilité dans le couple que son rival Antonioni en cinq films.

Une femme a tué (Vittorio Cottafavi, 1952)

Pour dissuader une femme sur le point de commettre un crime passionnel, une autre femme lui relate le drame d’une de ses amies…

L’artifice du flashback didactique ainsi que la lourde explication finale au téléphone altèrent quelque peu l’aristocratique hauteur de vue grâce à laquelle Vittorio Cottafavi insuffle une dimension tragique au mélo. C’est avec style que le cinéaste italien filme les femmes bouleversées, sachant incarner spatialement et physiquement les tourments émotionnels de ses héroïnes sans pour autant verser dans le larmoyant.

La révolte des gladiateurs (Vittorio Cottafavi, 1958)

Au IIème siècle, un jeune tribun romain est envoyé en Arménie pour mater une révolte de gladiateurs…

Ironique et parfois cruelle, la confrontation du freluquet à la réalité des colonies lointaines ne manque pas de sel. La première partie suggère une réalité politique dans toute sa complexité. La suite aurait pu prendre les atours d’une prise de conscience tourmentée mais se fait plus conventionnelle puisque le mal se retrouve personnifié dans un personnage de méchante; ce qui simplifie éhontément les enjeux dramatiques et ravale La révolte des gladiateurs au rang de péplum lambda. Avec le Cinémascope, la mise en scène de Cottafavi se fait plus ample -les cadres sont composés avec élégance et précision- mais aussi moins percutante que dans ses films précédents. Bref, c’est pas mal quoique décevant.

Milady et les mousquetaires (Vittorio Cottafavi, 1952)

A force d’intrigues et de séductions, l’ascension d’une servante de couvent qui sera connue sous le nom de Milady de Winter.

Les trois mousquetaires revisité du point de vue de Milady. Pour une fois, le roman de Dumas n’est pas réduit à une enfilade de guillerettes cabrioles. Il devient la matière d’une tragédie féminine de la même famille que Ambre ou Le démon de la chair. Vittorio Cottafavi ignore le manichéisme mais présente des personnages mus par des passions (vénalité, vengeance ou amour sincère). Pour confectionner cette pellicule à budget réduit, le montage semble avoir prédominé sur le découpage; caractéristique qui fait de ce film-fétiche de Michel Mourlet une œuvre assez peu conformes aux canons baziniens du mac-mahonisme. Du stupéfiant pré-générique à l’amer plan final, Milady et les mousquetaires est une succession d’acmés. La vivacité des mouvements de caméra grâce auxquels l’Histoire semble filmée par un reporter de guerre, la brutalité elliptique des raccords et la dilection du cinéaste pour les scènes de cruauté font que l’intensité dramatique ne faiblit pas une seule seconde. Grand petit film.

Fille d’amour (Traviata ’53, Vittorio Cottafavi, 1953)

Un fils de bonne famille s’entiche d’une demi-mondaine…

Adaptation contemporaine de La dame aux camélias, Fille d’amour est un mélodrame très classique, limite convenu mais correctement réalisé. Les mouvements de caméra sont judicieux et quatre ans avant Ascenseur pour l’échafaud, on note qu’une trompette jazzy accompagne l’errance nocturne d’une jeune femme dans une grande ville même si cet accompagnement a ici une fonction plus dramatique que chez Louis Malle. Par ailleurs, la satire des noctambule branchés au début préfigure La dolce vita. Bref, loin d’être un chef d’oeuvre dans son genre, Fille d’amour est quand même assez intéressant.

Hercule à la conquête de l’Atlantide (Vittorio Cottafavi, 1961)

Par amitié, Hercule repart à la guerre dans une contrée loin de son foyer…

Ne vous fiez pas aux apparences! Élevé au dessus de sa condition de péplum débile grâce au génie de ses auteurs, Hercule à la conquête de l’Atlantide n’est ni plus ni moins qu’un chef d’œuvre du cinéma italien.

Dès le plan-séquence d’ouverture où la caméra suit une accorte serveuse entre les tables d’une taverne, le spectateur avisé sait qu’il a affaire à une oeuvre d’exception.
Ce film jouit d’abord de qualités techniques et stylistiques rarissimes dans la production de Cinecitta: les images en Cinémascope sont superbement colorées, le rythme est parfait, les péripéties sont nombreuses et variées sans être assommantes. Les intelligentes bifurcations du scénario d’Alessandro Continenza et Duccio Tessari aussi bien que l’inventivité de la mise en scène de Vittorio Cottafavi (dont l’appréhension de l’action est ici digne de John McTiernan) empêchent la routine de s’installer.
L’interprétation est impeccable: pas plus inexpressif qu’Arnold Schwarzenegger, Reg Park est un parfait Hercule grâce à des biceps qui en imposent. Fay Spain qui joue la reine Antinea est affriolante et ses yeux sont pleins de perversité.
Les plages méditerranéennes sont aussi fascinantes que les rochers de Capri dans Le mépris et sont un décor plus « réaliste » que la fausse Egypte des Légions de Cléopâtre.

D’une facture parfaite, Hercule à la conquête de l’Atlantide est un grand film parce qu’il est irrigué de la substance tragique de la mythologie gréco-romaine. Il est donc ce que devrait être tout bon péplum. A l’exception du rôle très secondaire du nain, il est dénué des facilités prisées par les habituels faiseurs du genre. Comme d’habitude chez Cottafavi, netteté de regard et respect de chaque personnage guident la mise en scène. Antinea n’est pas une méchante de pacotille mais une femme obsédée par la vieillesse et donc jalouse de la jeunesse. Toute femme séduisante a connu ou connaîtra ces tourments. Le génie des antiques n’a jamais été que de sublimer ceux-ci avec une histoire de sacrifice filial. Le talent de Cottafavi et de ses scénaristes est de ne pas simplifier ce puissant ressort dramatique en y plaquant des considérations morales qui seraient hors de propos. Ils misent sur l’intelligence du spectateur pour juger et n’éludent pas ce qui pourrait racheter le personnage d’Antinea à ses yeux: ils montrent son amour sincère pour Hercule, un amour qui la perdra.
Paradoxes, dialectique et complexité sont le sel des bonnes histoires, n’est-ce pas?

Cette absence de vouloir-dire, cette rigueur de la mise en scène n’empêchent pas les projections contemporaines. A vrai dire, la pureté du style les facilite puisque le cinéaste n’interfère pas entre le spectateur et son sujet. Il se contente de présenter celui-ci sous une forme claire et plaisante, but ultime de tout réalisateur digne de ce nom. Ainsi, on peut songer au nazisme devant ces Atlantes païens obsédés par la jeunesse éternelle et la domination de l’Univers quitte à éliminer les plus faibles d’entre eux. Face à eux, Hercule qui en appelle à la compassion et à la pitié fait figure de héros foncièrement humaniste voire catholique. De fait, ce ne serait pas extrapoler que de voir en Hercule à la conquête de l’Atlantide un grand film chrétien.

Les légions de Cléopâtre (Vittorio Cottafavi, 1959)

Un de ses amis est envoyé en Egypte pour faire entendre raison à Marc-Antoine qui, tombé sous le charme de Cléopâtre, refuse de rentrer à Rome.

Le péplum italien est un des genres les plus idiots qui soient. Passer outre les comédiens souvent médiocres, les conventions éculées qui diluent l’intensité du drame et les reconstitutions de l’Antiquité dignes d’un spectacle de fin d’année de l’école maternelle de Trifouillis-les-oies n’est jamais évident pour moi. Ici par exemple, il faut, avant d’entrer dans le vif du sujet, se farcir les seconds rôles soi-disant comiques, les longues bastons dans les tavernes et plusieurs séquences de gladiateurs n’ayant rien à voir avec l’intrigue.

Pourtant Les légions de Cléopâtre parvient à se distinguer du tout-venant en toge et sandalettes grâce au style de son metteur en scène, grâce à la distance que Vittorio Cotaffavi instaure entre lui et son matériau. Certains critiques ont carrément parlé de distanciation brechtienne. Quoiqu’il en soit, sa hauteur de vue fait que les divers enjeux du drame sont exposés sans parti-pris apparent. Concernant plusieurs scènes ouvertement théâtrales, on peut même parler d’un réel sens du tragique. De plus, le cinéaste fait parfois surgir une émotion inattendue au sein de passages conventionnels. Ainsi de la mort d’un enfant dont la soudaineté n’a d’égale que celle de la scène analogue du sublime Wichita de Jacques Tourneur.

Ajoutons à cela les habituelles qualités épiques de Cottafavi, l’ampleur qu’il parvient à insuffler à des séquences de bataille à budget réduit (comparé à un film hollywoodien) grâce à sa maîtrise du format large, ajoutons aussi que l’Argentine Linda Cristal est exceptionnellement belle et donc parfaitement crédible dans le rôle de Cléopâtre et l’on comprendra que, s’il est loin d’être le chef d’oeuvre vanté par les Mac-Mahoniens, Les légions de Cléopâtre est un bon film, un meilleur film que celui de Mankiewicz avec Elizabeth Taylor.

I nostri sogni (Vittorio Cottafavi, 1943)

Un petit escroc se fait passer pour le fils du patron d’un grand magasin et tente de séduire la fille d’un employé.

Sans appartenir strictement parlant au courant des « téléphones blancs« , I Nostri sogni est une comédie niaise et aseptisée réalisée correctement mais sans grand intérêt. La morale finale (chacun doit rester à sa place) est bien celle d’un film fasciste.

Les cent cavaliers (Vittorio Cottafavi, 1964)

En l’an mil, l’affrontement entre les Chrétiens et les Maures autour d’un village castillan.

Un véritable film épique. Le récit ne s’embarrasse pas de conventions romanesques. Sans la moindre facilité dramaturgique, Les cent cavaliers raconte l’affrontement de deux forces antagonistes après une implacable escalade politique (occupation…). Il n’y a ni diabolisation ni angélisme d’aucun des deux camps. Les adversaires peuvent se respecter mutuellement comme lors du duel entre un Musulman et le jeune fils d’un Espagnol. Le regard de Cottafavi est impartial, net et direct. A l’image de sa mise en scène rigoureuse dont la beauté classique est à peine entachée par une poignée de zooms vulgaires.

L’intérêt d’un film qui montre la guerre avec un tel détachement (le même détachement que celui d’Otto Preminger dans ses films contemporains, c’est à dire un détachement qui n’a rien de la posture cynique mais qui vise à la représentation objective d’une réalité donnée), c’est qu’il vaut mieux que les pamphlets de tous les Yves Boisset du monde. Le grand film épique qu’est Les cent cavaliers s’avère in fine un grand film pacifiste parce que lorsque la guerre est montrée dans sa vérité la plus nue, sans vouloir-dire intempestif, sans discours encombrant, son horreur n’en est que plus flagrante. Ainsi, la beauté des cohortes de cavaliers dessinant des arabesques dans toute la largeur du Cinémascope n’a d’égale que l’ampleur chaotique de la bataille finale. La pellicule passe alors de la couleur au noir et blanc et les belligérants se retrouvent indifférenciés dans leur destin commun: la mort.

Epopée au sens homérique du terme, Les cent cavaliers est dépourvu de psychologie mais contient une poignée de moments intimistes simples et vrais qui insufflent chair et vie à ses protagonistes archétypaux.

Ce vigoureux chef d’oeuvre de Vittorio Cottafavi allait être un cuisant échec -le deuxième de sa carrière après des débuts dans le cinéma d’auteur anéantis par la critique néo-réaliste- et devait éloigner son réalisateur des plateaux de cinéma pendant près de vingt ans.