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Pendant les années 20, un héros de la guerre de 14 vit le chômage, la crise, les grèves, la toxicomanie, le bonheur conjugal…
Tout ça en 75 minutes. C’est dire, encore une fois, la merveilleuse concision des films sociaux que William Wellman réalisa au début des années 30. Condenser une telle abondance de péripéties dans une durée aussi restreinte aurait cependant pu s’avérer assommant s’il n’y avait eu les qualités de mise en scène de l’auteur de Public ennemy. Wellman n’a pas son pareil pour cristalliser la force dramatique d’une situation en quelques images. Direct et sans fioriture, il n’y va pas par quatre chemins pour évoquer la dépendance à la morphine ou la violence des conflits sociaux. Pendant que les esprits chagrins lui reprochent l’absence de subtilité de ses ressorts mélodramatiques, lui s’occupe de concocter des plans terrassants. Et je pèse mes mots: qu’y a t-il de plus terrassant, dans tout le cinéma des années 30, que le plan de Loretta Young brinquebalée par les manifestants?
Ensuite, les multiples rebondissements du scénario qui l’obligent à filmer à cent-à-l’heure ne l’empêchent pas de faire exister ses personnages en dehors des rails tracés par ce scénario. Ce par la seule grâce de son découpage et de sa direction d’acteurs. Exemple: la scène où la logeuse vient chercher ses deux locataires pour sortir dîner. Dans le plan où elle referme la porte, il y a sur le visage d’Aline MacMahon une expression qui en dit très long sur sa condition sentimentale. C’est le génie du cinéaste que de s’attarder sur elle quelques secondes et d’instiller ainsi à sa chronique une pointe de douloureuse nostalgie.
Compte tenu de ces qualités qui assurent au film une extraordinaire vitalité, la caricature de certains personnages secondaires (le communiste) et la facilité de certaines ficelles narratives (les relations avec le camarade décoré à la place du héros), si elles empêchent Heroes for sale d’être aussi puissamment réaliste que Wild boys of the road, ne sont pas foncièrement gênantes.