Rose de minuit (Midnight Mary, William Wellman, 1933)

La maîtresse d’un gangster tombe amoureuse du fils d’un juge.

Un mélo bien mené car le manichéisme est atténué au profit d’une relative justesse dans le détail des scènes et le comportement des personnages. Seul le crime final, déterminant car le récit est un long flashback, paraît quelque peu artificiel. Loretta Young est adorable. Il y a une véritable expression visuelle de l’attirance érotique, une sensualité rare même dans les films dits « pre-code ». Bref, sans atteindre les sommets de Safe in Hell ou Frisco Jenny, Rose de minuit est un bon Wellman.

L’honorable M.Wong (The hatchet man, William Wellman, 1931)

A San Francisco, un immigré chinois tueur pour les triades est forcé de tuer son meilleur ami qui lui a promis la main de sa fille…

Exotisme à deux balles et scénario à la fois prévisible et rocambolesque. Un éclat: la fin, où Wellman invente un enchaînement de plans d’une violence terrifiante.

Magic town (William Wellman, 1947)

Un sondeur s’installe dans une petite ville américaine qui reflète exactement les choix de l’ensemble du pays mais son entreprise est mise à mal par une journaliste qui veut justement faire évoluer l’opinion locale.

D’un côté, Robert Riskin, le fameux scénariste de Capra, s’empare d’un sujet très actuel (les sondages) mais d’un autre, son récit demeure trop abstrait et ses enjeux dramatiques trop flous. On a l’impression qu’il tente d’appliquer ses schémas classiques (type cynique qui devient gentil parce que frappé par la candeur du peuple, amour entre deux personnages opposés…) à une réalité nouvelle; sans beaucoup de succès, faute de clarté. Jane Wyman est bien et James Stewart superbe dans un rôle à la fois taillé pour lui et d’une noirceur relative mais inédite avant ses collaborations avec Hitchcock et Anthony Mann. William Wellman emballe ça de façon tout à fait impersonnelle. Bref, c’est moyen, malgré le prestige de l’affiche et l’originalité du sujet.

Les conquérants (William Wellman, 1932)

De 1873 à 1930, entre le Nebraska encore sauvage et New-York, l’ascension, parsemée de quelques drames, d’un banquier avec son épouse.

Le génie cinématographique de William Wellman, apte à condenser une situation dramatique en une seule image grâce à son inventivité visuelle, génie sensible aussi bien dans les scènes d’action (l’attaque sur le bateau, le lynchage…) que dans les fulgurantes ellipses temporelles propres au genre (vingt ans en trois minutes, chargés d’émotion) vivifie, dynamise et enrichit la fresque édifiante, fresque un peu desservie par un interprète principal -Richard Dix- pas tout à fait à la hauteur.

Frisco Jenny (William Wellman, 1932)

A San Francisco au début du siècle dernier, la vie d’une tenancière de maison close accointée avec les politiciens.

Encore un « petit » (de par une longueur inférieure à 75 minutes) film romanesque et percutant de la part de William Wellman. L’hypocrisie sociale est fustigée sans ambages, un gouffre béant d’incertitude morale est substitué au traditionnel manichéisme hollywoodien tandis que le jusqu’au boutisme mélodramatique de la narration aboutit à des paroxysmes franchement sublimes. Vivifiant.

Other men’s women (William Wellman, 1931)

Un conducteur de loco tombe amoureux de la femme de son ami et collègue…

Le dénouement fait retomber le film dans la plus facile des conventions mais la rapidité de la narration, l’absence de fioriture de la mise en scène, l’audace tranquille des ruptures de ton, les discrètes notations humanistes (tel l’estropié qui bêche avec sa jambe de bois), la dignité de chacun des personnages et la forte présence du décor de l’Amérique profonde insufflent une belle vitalité à cet énième triangle amoureux.

Safe in Hell (William Wellman, 1931)

Après avoir fui la Nouvelle-Orléans, une ancienne prostituée mariée à un honorable marin se retrouve dans un hôtel louche.

Tourné à une époque où les genres en étaient encore à s’inventer, ce petit film tour à violent, sentimental, comique,  musical et mélodramatique frappe par la nervosité de son découpage, la vivacité de sa narration, sa liberté de ton typique des années qui ont précédé le renforcement du code Hays et l’audace de son dénouement. Très bon.

The star witness (William Wellman, 1931)

Une famille chez qui s’est réfugié un tueur est écartelée entre les pressions du procureur qui exige qu’elle témoigne contre le tueur et celles des gangsters qui ont pris leur enfant en otage.

Petite fable très typique de l’époque sur la corruption et les gangsters en Amérique. Le drame est schématique mais la concision de la narration et la sécheresse percutante du style le rendent convaincant. Le bref plan du cadavre éclaboussé dans le caniveau est emblématique du génie de la fulgurance propre à William Wellman. On voit également dans The star witness un magnifique personnage de vétéran de la guerre de Sécession joué par le formidable Charles ‘Chic’ Sale. Sorte de mauvaise conscience de l’Amérique bourgeoise et tranquille, sa fantaisie et sa mélancolie alcoolisée éloignent le film de la convention. Le dernier plan qui le voit revenir dans son asile d’anciens combattants après avoir résolu le drame est digne de John Ford.

Lilly Turner (William Wellman, 1933)

Une fille marié à un bigame est engagée dans une sorte de cirque errant…

Contrairement à d’autres petits films contemporains de Wellman, la présence du contexte social est très limitée. Ce qui prédomine ici, ce sont plutôt les rebondissements sentimentaux traités avec une indifférence routinière par le cinéaste qui sortit cinq (!) autres films cette année-là dont certains sont d’un tout autre acabit (Wild boys of the road par exemple).

Les forçats de la gloire (The story of G.I Joe, William Wellman, 1945)

Du désert tunisien à l’Italie, différentes campagnes d’une unité de fantassins américains pendant la seconde guerre mondiale.

William Wellman a voulu faire un film plus réaliste que la moyenne des films de guerre. Malgré les décors de studio, il y est parvenu. Les forçats de la gloire est un précurseur des grandes oeuvres de Samuel Fuller (Les maraudeurs attaquent, Au delà de la gloire), vétéran de la Big red one qui voyait d’ailleurs dans le film de Wellman « le seul film honnête sur l’infanterie tourné pendant la guerre à Hollywood ». Les forçats de la gloire est cependant moins sec et plus didactique. On sent souvent les intentions précéder l’exécution. Par exemple, indépendamment de la beauté du noir et blanc de Russell Metty, la composition très apprêtée de plusieurs plans tranche d’avec la crudité de la représentation. Le découpage de Wellman, plus soucieux de la force de l’image que du naturel de la séquence, n’a pas l’aisance de celui de Walsh ou de Fuller. La voix-off et la musique surchargent aussi l’image de sens. Il reste enfin quelques concessions au sentimentalisme hollywoodien qui apparaissent franchement déplacées dans cet univers de boue, de violence et de sang. Ainsi du coup de foudre amoureux. Ces réserves, si elles empêchent de faire figurer Les forçats de la gloire parmi les chefs d’oeuvre du genre, ne doivent cependant pas vous induire en erreur. Le film reste très intéressant et le style elliptique du cinéaste fait plusieurs fois mouche. En témoigne par exemple la surprenante arrivée des cadavres sur le dos des mules. William Wellman allait quelques années plus tard s’intéresser à la bataille des Ardennes avec l’excellent Bastogne qui est, lui, une réussite complète.

La joyeuse suicidée (Nothing sacred, William Wellman, 1937)

Un journaliste exploite l’histoire d’une jeune mourante avec le consentement de celle-ci, ravie de quitter son trou pour New-York.

Comédie américaine a priori assez particulière pour deux raisons. D’abord, elle est signée William Wellman, cinéaste plus célèbre pour ses westerns, polars et autres films de guerre que pour ses comédies. Ensuite, elle a été tournée en Technicolor à une époque, les années 30, où les -très rares- films en couleurs étaient plus épiques que comiques. En l’occurrence, cela ne s’avère pas une très bonne idée tant la lumière marronâtre est vilaine. Très court et elliptique, le film est à la limite de l’aridité. La concision est une vertu mais dans une screwball comedy, il faut que les personnages vivent, prennent le temps de se confronter. Ce qui est intéressant, ce n’est pas qu’un homme et une femme tombent amoureux, c’est de voir comment ils tombent amoureux. Ici, tout va trop vite. Les situations n’étant pas assez développées, l’inévitable histoire d’amour n’est pas crédible tandis que la satire des media, pertinente en soi, reste à l’état de note d’intentions. Le jeu hystérique de Carole Lombard et celui empesé de Frederic March n’arrangent pas les choses. Ce n’est pas que La joyeuse suicidée soit un navet mas il pâtit clairement d’une certaine raideur, d’un manque de naturel dans la fantaisie.

Beau geste (William Wellman, 1939)

Trois frères adoptés par une riche Lady fuient la demeure dans laquelle ils ont grandi lorsque le saphir de leur bienfaitrice est dérobé par l’un d’entre eux. Ils  s’engagent dans la Légion étrangère…

Un beau film d’aventures classique avec de grands sentiments et de belles images. C’est très bien cadré mais ça ne tombe jamais dans l’imagerie. Ca sent la sueur et le sable chaud. Les passages avec le sergent sadique qui cumule tous les vices du monde auraient peut-être gagné à être supprimés car ils éloignent l’oeuvre de sa thématique sur l’honneur et la fidélité fraternelle mais ça reste un film d’excellente facture, une des références du genre.

Female (Michael Curtiz, 1933)

La directrice d’une firme automobile, ne vivant que pour son travail, couche avec tous ses employés mais un nouvel ingénieur refuse ses avances…

Commencé par Dieterle, continué par Wellman et achevé par Curtiz finalement seul réalisateur crédité au générique, Female est une comédie piquante, typique des années précédant le durcissement du Code Hays en 1934. On y parle de sexe sans détour. La liberté de ton, le rythme enlevé (ça ne dure qu’une heure, c’est impeccable), l’abattage de l’excellente Ruth Chatterton, la concision de la narration font de ce film un très agréable moment en même temps que le produit  admirable de perfection d’une usine à rêve qui était alors à son rendement maximal. On regrettera simplement la fin un peu bêtement conventionnelle (le revirement complet de l’héroïne n’étant pas approfondi).

L’étrange incident (The Ox-Bow incident, William Wellman, 1940)

Deux cow-boys de passage dans une ville se retrouvent mêlés à un lynchage. L’étrange incident est un réquisitoire contre la justice expéditive. C’est évidemment ouvertement pamphlétaire, peut-être trop ouvertement, mais Wellman met ça en scène avec une telle conviction, un tel refus de la fioriture autant que de la concession que le spectateur ne peut que s’incliner devant l’exceptionnelle puissance dramatique de l’oeuvre. De plus, la photogaphie est superbe.

Track of the cat (William Wellman, 1954)


Dans un ranch reculé, la traque d’une bête sauvage révèle les sentiments et les personnalités.
Western camouflé en drame familial ou drame familial camouflé en western, difficile à dire tant les deux genres communiquent dans ce film, la frontière sauvage étant le catalyseur du récit familial.
Aussi étrange que ça puisse paraître, ce film hollywoodien m’a rappelé le cinéma de Dreyer. L’histoire, la tragédie d’un foyer où l’austérité traditionaliste protestante règne en maître, avance par scènes voire par monologues. Cette écriture ouvertement théâtrale est d’ailleurs la limite de Track of the cat, le film aurait gagné à avoir des dialogues moins abondants et plus simples (je pense aux tirades quasi-métaphysiques du personnage de Robert Mitchum réfugié tout seul dans une grotte). Heureusement, les acteurs sont tous excellents, premiers comme seconds rôles, avec une mention spéciale à Beulah Bondi (la grand-mère dans Place aux jeunes!) en mère de famille d’une dureté inouïe. Wellman, comme Dreyer, parsème son film de fulgurances visuelles qui frappent par leur épure. Ainsi de la séquence d’enterrement devant laquelle il est difficile de ne pas penser au maître danois qui allait réaliser Ordet l’année suivante.
Finissons en ajoutant aux réserves une musique surdramatisante, et l’on comprendra que Track of the cat est un film qui souffre d’une dramaturgie trop lourde mais qui reste intéressant par bien des aspects. Ce n’est pas de tous les westerns que l’on se dit « tiens, il aurait pu être réalisé par Dreyer » !