A travers l’orage (Way down East, Henry King, 1935)

Dans la campagne américaine, le fils d’un fermier puritain tombe amoureuse de la nouvelle servante, au passé mystérieux.

Nouvelle adaptation de la pièce immortellement adaptée par D.W Griffith en 1920. Le film d’Henry King est l’exact contraire du classique muet. D’abord, il est presque deux fois moins long. Les vicissitudes de l’héroïne avant son arrivée à la ferme sont épargnées au spectateur. Le découpage, quoique mettant joliment en valeur la campagne, est un modèle de concision, sans le caractère brouillon de certains passages du film de Griffith. De plus, à l’opposé du manichéisme outrancier de l’auteur du Lys brisé, Henry King ne surappuie jamais la dramaturgie voire insuffle de belles nuances qui enrichissent l’humanité des protagonistes (confer la différence capitale dans la célèbre séquence finale). Enfin, Henry Fonda, superbe révélation de ce film, est plus convaincant que Richard Barthelmess dans le rôle du jeune amoureux.

Pourtant, en dépit de ces qualités, il n’est pas étonnant de constater que ce remake ait été, au contraire de son prédécesseur, oublié: si A travers l’orage version King est une perfection d’équilibre et de finition, il est également dénué de tout génie. Or celui de Griffith, secondé par Billy Bitzer à son sommet, fut un grand pourvoyeur d’images puissantes et sublimes donc inoubliables. Et évidemment, la gentille Rochelle Hudson ne fait pas le poids face à Lilian Gish, personnification de la mater dolorosa la plus incandescente de l’histoire du septième art.

Tom Sawyer (William Desmond Taylor, 1916)

Dans un village au bord du Mississipi, un gamin fait les quatre cent coups.

Jack Pickford, 20 ans, est beaucoup trop âgé pour le rôle éponyme mais le décor naturel de la campagne américaine donne une certaine fraîcheur à cette adaptation d’un roman dont les péripéties les plus dramatiques ont été escamotées (elles furent traitées dans une suite sortie l’année suivante). En résulte une chronique sympathique mais dépourvue d’unité forte.

Le lourdaud (The clodhopper, Victor Schertzinger, 1917)

Le fils d’un banquier agricole se dispute avec son père trop sévère et s’en va tenter sa chance à Broadway…

Sobriété robuste des acteurs (Charles Ray est lumineux), simplicité directe du découpage, brio des éclairages, présence des décors naturels, bref le merveilleux classicisme de la facture Triangle insuffle une belle fraîcheur à la première partie qui est une tranche d’americana que n’aurait pas reniée Henry King. Quoique le poncif dramatique qui la sous-tende soit assez envahissant, la suite qui met aux prises le fils enrichi avec son père victime de faillite est menée avec habileté: les conventions sont digérées par une mise en scène réaliste et précise qui dédaigne toute sorte d’excès. Bon petit film.

The country doctor (Henry King, 1936)

Dans une région reculée du Canada, un médecin de campagne lutte contre la diphtérie, tente d’obtenir des crédits pour un hôpital et met au monde des quintuplés.

Entrepris pour exploiter l’engouement autour des soeurs Dionne, The country doctor s’avère un bon film qui reflète bien la sensibilité de son réalisateur, Henry King. Les trois quarts du métrage sont ainsi consacrés à la ténacité du médecin de campagne se battant pour les patients de son village reculé. La simplicité du ton, l’élégance des instants les plus dramatiques, la sobriété des acteurs (Jean Hersholt est aussi bon qu’un Victor Moore) et la fine critique de la médecine de classe en font un joli parangon de cinéma humaniste. Seule la dernière partie, s’appesantissant longuement sur les bébés qui par ailleurs résolvent miraculeusement le drame creusé auparavant, apparaît comme regrettable: même s’il est probable que ce cher vieil Henry King n’avait guère l’âme d’un révolutionnaire et croyait lui-même aux miracles réconciliateurs, il eût été judicieux de souligner l’ironie de la situation plutôt que d’en rajouter dans l’édification à travers le discours final du docteur.

The inside story (Allan Dwan, 1948)

Pour dissuader un homme d’entasser ses sous à la banque, un vieux monsieur lui raconte comment 1000 dollars providentiels sauvèrent sa petite ville au moment de la Grande Dépression.

En plus de présenter une communauté pittoresque et variée avec sa bonhomie coutumière, Allan Dwan montre les ravages de l’inflation, la mécanique dévastatrice actionnée par le défaut de paiement d’un créancier ou encore le caractère mortifère de l’épargne avec l’évidente simplicité qui fait défaut aux monuments plus théoriques du type L’argent de L’Herbier. Pour ce moraliste grand et humble, la circulation de l’argent est nécessaire en tant que virtualité qui engendre l’activité humaine, bien réelle celle-ci. The inside story est une charmante petite fable qui n’est malheureusement pas près de vieillir.

Over the hill (Henry King, 1931)

Les efforts d’une mère de famille américaine sont bien mal récompensés par des enfants ingrats et un mari paresseux.

Chronique d’une famille américaine où la béatitude inhérente au genre est sérieusement tempérée l’absence de reconnaissance de la progéniture. C’est joliment filmé mais le caractère unidimensionnel de chacun des personnages ôte pas mal d’intérêt au récit, récit d’ailleurs très moralisateur. Over the hill est un film mineur de Henry King.

Belle jeunesse (Summer holiday, Rouben Mamoulian, 1948)

Dans une petite ville de province américaine, un jeune homme apprend à grandir durant ses vacances d’été…

Petite tranche d’americana musicale et colorée dans la lignée du Chant du Missouri, Summer holiday raconte comment un adolescent pétri de lectures révolutionnaires et un oncle alcoolique retrouvent le giron de leur communauté. Dans la plus pure tradition MGM, la somptuosité de la direction artistique s’accorde parfaitement à l’idéalisation de cette communauté. On aurait aimé que ce message éminemment conservateur soit transmis avec plus de profondeur dialectique, avec une meilleure prise en compte du « point de vue de l’adversaire ». Si le début avec les violentes diatribes anticapitalistes du fils pouvait apparaître audacieux, la résolution des conflits dramatiques apparaît pour le moins expédiée. De plus, Mickey Rooney, 28 ans et 1,57m, n’est guère crédible en ado rebelle. D’où l’impression d’un film très charmant et parfois touchant mais finalement superficiel. A son habitude, Rouben Mamoulian a concentré son talent sur la forme. Pour exprimer les états d’âme de ses personnages, il privilégie le symbolisme des couleurs à la justesse des gestes et des dialogues. Voir le numéro onirique de « la fille en rouge » ou les tableaux, magnifiques quoique plus décoratifs, de la fête du 4 Juillet.

Deep waters (Henry King, 1948)

Dans le Maine, un orphelin pris en charge par l’assistance publique se lie avec un pêcheur de homards…

L’ancrage dans une communauté de pêcheurs peinte avec précision et empathie par Henry King ainsi que de très bons comédiens en tête desquels le jeune Dean Stockwell donnent de la consistance à ce récit convenu voire simpliste d’enfant fugueur.

La Foire aux illusions (State fair, Henry King, 1933)

Dans la campagne américaine, un fermier va présenter son meilleur cochon à la foire annuelle de l’état, accompagné par son épouse, sa fille et son fils.

Typiquement le genre de chronique rurale où excellait Henry King. La simplicité nonchalante de la mise en scène ne dissimule pas la belle rigueur classique de la construction narrative. Henry King suit les amours de chacun de ses personnages qui évoluent en même temps que le déroulement de la foire. Will Rogers est une incarnation idéale du père de famille campagnard mais la star de l’Ouest américain laisse en fait la part belle aux jeunes premiers qui l’entourent. Et c’est heureux tant Janet Gaynor est sublime. Si les plans où elle joue à se faire peur dans les montagnes russes, où elle se promène doucement la nuit tombée au bras de son amoureux, où elle quitte la maison de celui-ci après avoir refusé sa demande en mariage, si ces plans donc comptent parmi les plus délicats, les plus touchants, les plus beaux du cinéma américain de l’époque, c’est en grande partie grâce à la frêle beauté qui est la sienne.

On saura bien sûr gré à Henry King d’avoir, aidé par la superbe photographie de Hal Mohr, capté cette grâce mieux qu’aucun de ses contemporains ne l’eût fait. Borzage et Murnau, me répondrez-vous peut-être ? Certes, mais à la sensibilité lyrique de ses deux prestigieux collègues de la Fox, King adjoint son incomparable empathie pour les habitants de l’Amérique profonde, sachant insuffler un parfum d’éternité aux gestes de tendresse les plus simples. Ainsi, cette scène où Will Rogers conduit sa famille à la foire. La nuit tombe, il allume l’auto-radio, une rengaine sentimentale se fait entendre, ses enfants s’endorment peu à peu, le pater familias rajuste le châle de son épouse qui se tient à sa droite. C’est le genre de scène, tout en pudeur et en délicatesse, qui fait comprendre pourquoi, au soir de sa très longue carrière, le grand cinéaste disait considérer State fair comme un de ses quatre films préférés.

L’épreuve du bonheur (I’d climb the highest mountain, Henry King, 1951)

Au début du siècle dernier, les souvenirs d’une citadine qui s’installa en province suite à son mariage avec le pasteur du village.

Cette aimable tranche d’americana tel que savait les concocter Henry King (simplicité, tendresse, humour, jolis décors naturels en Technicolor) contient un passage d’une déchirante cruauté qui annonce les œuvres les plus pessimistes d’Ingmar Bergman quant à l’absence de Dieu. C’est que, lorsqu’il s’agit de confronter la foi chrétienne à l’athéisme, un classique comme Henry King sait traiter son sujet avec le jusqu’au boutisme qu’il faut. Ce jusqu’au boutisme, qui confine à la perversité, insuffle à sa vignette nostalgique une puissance dramatique inattendue. Le dénouement m’est en revanche apparu un peu facile.

Sweet dreams (Karel Reisz, 1985)

L’ascension et le mariage houleux de la chanteuse de country Patsy Cline.

Sweet dreams est d’abord un très beau morceau d’americana, une sorte de prolongement moderne des films de Henry King. La vie des Virginiens des années 50 est reconstituée avec une foultitude de détails réalistes. Entre autres, les évènements liés à la communauté sont bien mis en relief: bals populaires, cuites dans les bars, fêtes de fin d’année…L’un des pics dramatiques du film est un grave accident de voiture. Comme beaucoup d’accidents de voiture, il est très brutal. En deux secondes, la scène bascule de la joie fraternelle à l’horreur pure. Pourtant, le cinéaste avait inconsciemment préparé le spectateur à cet évènement en lui montrant subrepticement tout au long du film de dangereuses incartades au code de la route. Tantôt un amoureux filait en moto en pleine nuit, tantôt un homme traversait la route en courant, se faisant klaxonner par une voiture, au moment d’aller rejoindre sa femme sur le point d’accoucher. Ainsi, loin d’être uniquement décorative, la reconstitution de l’Amérique des années 50 passe aussi par la recréation de ce climat d’une société alors peu portée sur la sécurité routière. C’est le parfait exemple d’un travail de mise en scène aussi subtil que pertinent.

A l’instar de l’auteur de Wait ’til the sun shines, Nellie, Karel Reisz se place toujours à une juste distance de ses personnages. Il ne fait pas sien leurs rêves matérialistes mais ne les surplombe pas non plus avec le mépris facile de celui qui, en 1985, connaît évidemment les méfaits de la société de consommation. Les années 50 furent par excellence l’ère de la consommation heureuse et Reisz sait retranscrire  le bonheur d’une ménagère ayant trimé depuis son enfance qui vient d’acheter un four encastré lui permettant enfin de « voir la cuisson du poulet sans se baisser ». Dès qu’ils sont contents, les personnages fêtent la bonne nouvelle en allant claquer leur argent. Judicieusement contrebalancée par l’émouvante évocation de leur enfance quasi-misérable, la dérisoire aliénation qui est la leur est montrée mais ne sert pas à les discréditer.

L’histoire d’amour est également racontée avec une touchante justesse. S’avérant le contraire d’un puritain, Karel Reisz porte un regard droit sur les contradictions de ses protagonistes. L’amour sincère, la violence, la naïveté et surtout l’immaturité caractérisent mais ne réduisent pas leur conduite. On voit une femme se faire battre, on ressent évidemment de l’empathie pour elle mais Sweet dreams n’est pas un film « sur les femmes battues » et encore moins « contre les méchants maris ». Il faut saluer Ed Harris qui incarne les facettes les plus contradictoires de son personnage sans jamais faire douter de sa vérité humaine. Quant à Jessica Lange, elle est parfaite. Si la synchronisation de ses lèvres avec le chant de Patsy Cline est bluffante, elle fait oublier la performance du rôle « à Oscars » pour mieux faire ressentir l’humanité de la femme qu’elle interprète.

Bref, Sweet dreams est une sorte de film de Henry King revu par Pialat. Que l’on aime ou non la country, il mérite d’être vu.

Driftwood (Allan Dwan, 1947)

Un médecin de campagne recueille une orpheline et son chien.

Driftwood est un film du genre « americana ». C’est à dire que son prétexte dramatique, exposé ci-dessus, permet de montrer les rapports sociaux d’une petite communauté provinciale. Simple, concis, varié et gentiment humaniste, Driftwood franchit parfois la ligne jaune de la mièvrerie (le procès du colley) et du larmoyant (les gros plans sur Natalie Wood enfant en larmes ou malade). Ce qui est assez étonnant de la part d’Allan Dwan que l’on a connu plus retenu dans ses effets. Plus superficiel et moins évocateur que Stars in my crown –sans doute le chef d’oeuvre du genre- , Driftwood est un film globalement mignon et parfois grand qui bénéficie d’une belle photo de John Alton et d’une excellente interprétation de l’ensemble des comédiens.

Come next spring (R.G. Springsteen, 1956)

Un père de famille qui a déserté son foyer revient dans sa communauté après plusieurs années d’absence, bien décidé à se repentir de ses frasques passées.

Ce petit film en Trucolor qui tenait à coeur à Steve Cochran aurait pu être un beau morceau d’americana, dans la lignée de Tol’able David, mais la désespérante platitude de la mise en scène qui épaissit le trait sentimental d’une façon quelque peu démagogique annihile le potentiel émotionnel de l’histoire racontée, une histoire purement américaine et un brin puritaine. C’est dommage d’autant qu’Ann Sheridan est magnifique.

Wait ’til the sun shines, Nellie (Henry King, 1952)

Entre 1895 et 1945, la vie d’un barbier installé dans une petite ville de l’Illinois le jour de son mariage.

Wait ’til the sun shines, Nellie s’inscrit dans le genre americana, le courant nostalgique et idéaliste du cinéma hollywoodien qui se plaisait à recréer l’Amérique provinciale du tournant du XXème siècle. Henry King y a excellé. Ça tombe bien, Wait ’til the sun shines, Nellie est un film de Henry King!

Contrairement à d’autres pépites du genre  (tel Adieu jeunesse! ou The vanishing Virginian), ce film n’a rien de doux ou de réconfortant et il ne stimule la nostalgie qu’en de rares instants. En fait, il ne cesse de montrer comment les bonnes intentions d’un héros bienveillant mais borné le mènent à des drames. Ce brave barbier aime ses proches mais refuse de les écouter, il veut éloigner le mal de ses enfants sans se demander pourquoi ces derniers sont attirés par ce mal. Cette attitude rigoriste le conduira à plusieurs catastrophes. Il est donc clair que, sans verser une seule seconde dans le pamphlet, en laissant le récit se charger du discours, les auteurs se montrent ici très distants à l’égard des valeurs puritaines qui fondent l’éthique pionnière américaine.

Cet angle d’attaque pour le moins critique de son sujet n’empêche pas Wait ’til the sun shines, Nellie de regorger de la tendresse et de la sensibilité propres au cinéma d’Henry King. En dépit de ses erreurs, le cinéaste aime de toute évidence son personnage et son acteur principal David Wayne est d’ailleurs aussi bon lorsqu’il joue le jeune marié que lorsqu’il interprète l’homme mûr dépassé par sa progéniture.
Le metteur en scène montre d’une façon délicate et concrète les sentiments qui animent ses personnages. Bien souvent, cela tourne autour d’objets. Ce qui permet au cinéaste de rester terre-à-terre lorsqu’il évoque des états d’âme. L’invisible passe par le visible. Un éventail, un rouge à lèvres ou encore un châle de fourrure sont ici autant d’accessoires qui permettent de mettre en scène l’évolution des sentiments. Plus que jamais, Henry King se distingue dans le registre qui était le sien à Hollywood: le lyrisme quotidien.
Il est en cela bien aidé par la lumière de son comparse Leon Shamroy qui signe encore une fois un superbe Technicolor, tantôt chaleureux tantôt étonnamment réaliste.

Enfin, et c’est peut-être ce qui en fait le chef d’oeuvre de King, Wait ’til the sun shines, Nellie est émaillé d’instants de grâce qui transcendent la chronique et en font un songe intemporel, détaché de son contexte réaliste. Je pense à ces chants en canon qui reviennent régulièrement et qui remplissent un rôle analogue à celui du choeur dans la tragédie grecque ou encore à ce sublime panoramique sur la rue principale qui achève le flash-back, condensant la puissance du souvenir en une poignée de secondes.

Stars in my crown (Jacques Tourneur, 1950)

Un homme se souvient de son enfance dans une petite ville du Sud des Etats-Unis après la guerre de Sécession. Un nouveau pasteur y faisait face à la typhoïde et au Ku Klux Klan…

Stars in my crown s’inscrit dans le genre americana, le courant nostalgique et idéaliste du cinéma hollywoodien qui se plaisait à recréer l’Amérique provinciale du tournant du XXème siècle. Henry King y a excellé. Jacques Tourneur, a priori, en semblait fort éloigné. Pourtant, le réalisateur français de La féline signe ici un de ses chefs d’œuvre et ce qui restera comme son film préféré. D’abord, il se conforme brillamment aux contraintes du genre en livrant une série de jolies vignettes pastorales et sentimentales. Je pense par exemple à cette séquence digne de Mark Twain où deux enfants vagabondent sous les frondaisons dans une charrette de foin…On notera cependant que la mise en scène de Stars in my crown n’échappe pas complètement à l’académisme aseptisant du studio qui le produit: la MGM. Ainsi, en dehors de quelques moments forts sur lesquels nous reviendrons, la photographie déçoit par sa platitude.

Au fil de la chronique villageoise, le véritable sujet du film apparaît. Il s’agit ni plus ni moins que de montrer la présence de Dieu parmi les hommes. C’est pour le moins ambitieux. A l’opposé d’une bondieuserie lénifiante, Stars in my crown montre son héros pasteur vaciller, douter de sa foi face à des turpitudes d’une dureté inouïe (morts d’enfants, lynchages racistes). Le dieu chrétien se manifeste d’abord dans le coeur des hommes et il s’agira donc pour le pasteur de révéler ce qui reste de bonté chez les plus haineux d’entre eux: les membres du Ku Klux Klan. On notera d’ailleurs que, tout en célébrant la vie dans un patelin sudiste du XIXème siècle, Tourneur n’élude pas le contexte politique inhérent, les forces obscures tapies au sein de la communauté apparemment chaleureuse et bienveillante. Ce combat entre le mal et la foi en Dieu (donc en l’homme) culmine dans une séquence bouleversante de simplicité humaniste. On songe alors à un John Ford qui aurait retrouvé une sorte de pureté archaïque.

Dans le même ordre d’idée (Dieu existe…finalement), Stars in my crown est également un des très rares films non-fantastiques à oser représenter une résurrection. Faire admettre un tel miracle est toujours un défi pour le metteur en scène mais alors quelle émotion si le pari est remporté, si le spectateur voit son incrédulité vaincue! Ici, c’est le cas. Un découpage dont la simplicité n’a d’égal que la précision, une musique graduée, une parfaite exploitation dramatique des accessoires à sa disposition (rideaux…) et surtout le lumineux visage de son interprète féminine font de ce moment un des clous de l’œuvre de Jacques Tourneur, une magnifique synthèse de son génie de l’évocation des puissances surnaturelles.

A l’instar du Garçon aux cheveux verts ou de Qu’elle était verte ma vallée, Stars in my crown est un de ces joyaux qui ne pouvaient être produits qu’au sein de l’industrie hollywoodienne mais qui, en seulement une heure et demi, font montre d’une originalité profonde et d’une ambition folle. Un film sublime.

Adieu jeunesse (Remember the day, Henry King, 1941)

Une institutrice rencontre un de ses anciens élèves candidat à la présidence des Etats-Unis. Elle se souvient…

Un très joli film. Ce qui n’aurait pu être qu’une insignifiante bluette est un film sensible et délicat. Grâce à la justesse des comédiens et à la pudeur de son style, Henry King évite les écueils (niaiserie, sensiblerie…) dans lesquels un autre que lui aurait pu tomber. Ainsi, ce fameux chantre de l’americana nuance sa célébration de la communauté yankee en confrontant les amours de son héroïne aux ragots et aux préjugés puritains. La chronique recèle aussi ses moments de cruauté. La détresse du garçon amoureux de son institurice, le destin du jeune mari à la première guerre mondiale…Ces moments sont mis en scène sans fard mais avec tact. Ils se fondent dans le tout et n’entravent finalement pas l’optimisme de l’oeuvre. Quintessence de l’art d’Henry King, Remember the day a le charme d’une vignette nostalgique sans en avoir la fausseté car il ne manque jamais de vie.

David le Tolérant (Tol’able David, Henry King, 1921)

Un classique du cinéma muet américain.

Dans l’Amérique profonde, la quiétude d’une famille est perturbée par l’arrivée de rénégats en cavale. C’est un récit édifiant mené d’une main de maître qui baigne dans une poésie pastorale exprimée par de nombreux plans d’animaux, domestiques ou non. Gageons que Charles Laughton s’est souvenu de Tol’able David pour La nuit de chasseur. La campagne est une sorte de jardin d’Eden troublé par l’arrivée des méchants. C’est une vision typique de ce grand peintre de l’americana qu’était Henry King dont la mise en scène limpide et maîtrisée atteint déja ici une forme de plénitude classique.