L’aventure d’une nuit (Remember the night, Mitchell Leisen, 1940)

Un procureur paye la caution de la voleuse qu’il a entraîné derrière les barreaux et, comme elle est seule, se retrouve à passer Noël avec elle.

L’artifice du postulat est vivifié par la finesse maintenue de l’écriture jusqu’au peu crédible dernier rebondissement et par le couple Fred MacMurray/Barbara Stanwyck, soutenu par la grande Beulah Bondi. Ce film assez peu comique de Mitchell Leisen écrit par Preston Sturges fait songer à du Leo McCarey en un peu moins bien.

 

Assurance sur la mort (Double indemnity, Billy Wilder, 1944)

Un vendeur d’assurances est séduit par une femme voulant se débarrasser de son mari…

Pourquoi ce pur archétype du film noir, même lorsqu’on connaît ses innombrables et parfois brillants succédanés, procure t-il toujours un plaisir unique? Je pense qu’il y a plusieurs raisons. D’abord, ça tient au scénario qui est un des meilleurs jamais conçus. La construction de l’histoire est géniale en ceci que la fascination policière qui émane de l’élaboration du crime parfait est toujours justifiée par la caractérisation des personnages et par les aléas d’un contexte réaliste qui enrichit le récit de mille détails. Dans la deuxième partie du film, la joute intellectuelle que se livrent les deux employés de l’assurance est aussi passionnante qu’un bon épisode de Columbo mais le fait que cette joute soit inextricablement corrélée à leur discrète camaraderie et à la passion amoureuse du narrateur empêche la brillante mécanique d’apparaître comme un simple tour d’horloger.

Si Assurance sur la mort surclasse sa descendance, c’est aussi parce que le canonique ressort de son intrigue -à savoir la déchéance morale provoquée par la femme fatale- ne souffre pas une seule seconde d’un manque de crédibilité. De la première rencontre, avec son dialogue plein de sous-entendus sexuels, jusqu’à l’affrontement final, Barbara Stanwyck, avec son chandail où pointent ses petits seins, ses lunettes de soleil et sa voix rauque, irradie de puissance érotique. De plus, la richesse de son interprétation de ce rôle archétypal montre encore une fois quelle immense comédienne elle fut. Il n’y a qu’à voir l’évolution de son regard pendant l’impeccable séquence de l’assassinat pour se rendre compte du maximum d’effets qu’elle pouvait tirer d’un minimum de moyens. Face à elle, Fred MacMurray incarne mieux que personne l’Américain moyen. Pour risquée qu’elle soit, jamais sa conduite n’apparaît idiote aux yeux du spectateur qui en vient même à s’identifier à lui lorsqu’il commet son crime (vertigineuse scène de la voiture qui ne démarre pas). Une partie du génie de Billy Wilder & Raymond Chandler adaptant James M. Cain est d’ailleurs de faire progressivement vaciller les repères moraux du spectateur; Assurance sur la mort est un film immoral mais pas amoral (sinon, il aurait été beaucoup moins intéressant).

Autour de ce couple emblématique du film noir, Edward G.Robinson enrichit l’oeuvre en jouant un personnage plein d’humanité qui, si les auteurs n’avaient pas été aussi fins, aurait pu n’être qu’un faire-valoir. La noirceur générale n’empêche pas de savoureuses notations comiques, la plus percutante étant l’exposé à côté de la plaque du directeur de l’assurance. Le découpage de Billy Wilder, sans s’avérer aussi hautement génial que le scénario, n’a aucun défaut. Les situations dramatiques sont parfaitement ancrées dans les collines de Bervely Hills, les bureaux de l’assurance ou les supermarchés angelinos. Le noir et blanc a des contrastes très variés. Le dernier plan est superbe d’empathie sèche.

Tout ça pour dire qu’il est parfois bon, entre deux projections de raretés muettes ou françaises des années 30, de revoir les inaltérables classiques comme Assurance sur la mort. Cela redonne foi dans le septième art.

Le souffle de la violence (Violent men, Rudolph Maté, 1955)

Un ancien capitaine nordiste devenu rancher rechigne à s’engager dans un conflit entre ses voisins fermiers et le gros baron du bétail qui veut s’accaparer toutes la vallée.

Un excellent western bizarrement mésestimé. D’abord, le scénario est d’une grande richesse sans que cette richesse ne semble procéder d’une bête accumulation. L’ensemble des noeuds dramatiques, y compris la passion adultérine qui au début semble un cheveu sur la soupe, procède de deux événements originels (une guerre entre un éleveur ambitieux et des fermiers et l’installation d’un ancien soldat pour raisons de santé) dont les conséquences sont déroulées avec une imperturbable logique sauf dans la dernière partie qui apparaît précipitée au bénéfice de l’action. Ensuite, la distribution est royale. Aucun stupéfiant contre-emploi mais Glenn Ford en cow-boy, Barbara Stanwyck en garce et Edward G.Robinson en potentat infirme sont bien sûr parfaits. Ils insufflent chair et vie à leurs personnages archétypaux mais non dénués de nuances.

Enfin, la mise en scène de Rudolph Maté, que je ne connais guère, m’a étonné par sa précision et son souffle visuel. Non seulement, les séquences de violence sont emballées avec une inventivité et une percutante sécheresse bien dignes des petits maîtres hollywoodiens de l’âge d’or (Phil Karlson, Don Siegel…) mais l’ancien chef-opérateur de Dreyer sait se servir de l’encore jeune Cinémascope pour établir une relation entre des hommes et un paysage, magnifiant les uns aussi bien que l’autre. De surcroît, ses séquences de destruction et d’incendie sont d’une ampleur qui surprend venant d’une production de ce petit studio qu’était la Columbia. Succédant à des images de centaines de chevaux et bovins au galop, le surgissement d’une diligence en feu à travers une baie vitrée a époustouflé l’amateur de westerns blasé que je suis. Ainsi, si Le souffle de la violence ne se limite pas à un affrontement manichéen entre le gentil cow-boy et le méchant propriétaire mais tient bien la promesse de son titre français -à savoir montrer l’embrasement progressif d’un homme et d’une région-, il le doit également à l’intelligence et au savoir-faire de son réalisateur.

Stella Dallas (King Vidor, 1937)

En province, l’ambitieuse épouse d’un homme parti travailler à New-York subit, avec sa fille, l’ostracisme progressif de la communauté.

Dans le rôle-titre, Barbara Stanwyck surjoue quelque peu. Cette exagération ôte leur crédibilité à certaines scènes telle celle où la vulgarité de l’héroïne la rend ridicule aux yeux des WASP en goguette. D’une façon générale, une personnalité aussi riche et aussi complexe que celle de Stella Dallas nécessite une interprétation sobre et nuancée. Belle Bennett, dans la première adaptation réalisée par Henry King, était plus convaincante. Ici, c’est comme si une scène correspondait à l’illustration d’un trait de caractère. Du coup, la cohérence du personnage peine à être rendue sensible. Par ailleurs, l’ambition romanesque n’est pas pleinement réalisée à cause d’une construction assez théâtrale basée sur les dialogues en intérieur qui altère l’évocation de l’arrière-plan social. Enfin, la mise en scène s’avère moins inventive que dans la version muette mais il y a tout de même plusieurs séquences, telle celle du wagon-lit, dont le lyrisme reste fort émouvant. Bref, le Stella Dallas de Vidor est un remake qui fonctionne par a-coups -et c’est alors magnifique- mais qui dans l’absolu s’avère dispensable.

Les furies (Anthony Mann, 1950)

Le propriétaire d’un ranch immense se heurte au caractère indépendant de sa fille…

C’est comme si les auteurs avaient utilisé un marteau pour faire rentrer la tragédie grecque dans le cadre du western. On est loin du merveilleux naturel des films d’Anthony Mann écrits par Borden Chase ou Philip Yordan. Les relations entre les personnages et l’évolution du récit semblent artificielles. Hypothèse: le tempérament foncièrement classique d’Anthony Mann s’accorde moins à l’univers « bigger than life» de Niven Busch (scénariste des Furies) que celui des flamboyants réalisateurs de Duel au soleil et La vallée de la peur. Certes, le cinéaste enrobe les tunnels de dialogues (préférés ici aux scènes d’action) avec le génie du cadrage qui est le sien : on sent que chaque plan est savamment étudié pour intensifier le drame. Le déroulement global du film n’en reste pas moins laborieux tant l’histoire, capillotractée au possible, est traitée avec un sérieux plombant. La photo très sombre impressionne avant que son uniformité ne la fasse apparaître comme facilement décorative et non comme l’expression du climat dramatique d’un moment donné.

Ville haute, ville basse (East Side, West Side, Mervyn LeRoy, 1949)

La stabilité d’un couple de bourgeois new-yorkais est ébranlée par le retour en ville de l’ancienne maîtresse du mari.

C’est sans doute un des meilleurs films de Mervyn LeRoy. L’académisme de son style est ici raccord avec la peinture du milieu bourgeois. Soutenu par un quatuor d’acteurs au diapason (Stanwyck/James Mason/Ava Gardner/Van Heflin) et au service d’un scénario finement gradué dans ses effets, le réalisateur arrive à une certaine justesse de la représentation. La sage théâtralité de la mise en scène, si elle échoue à se coltiner les aspects les plus sulfureux du récit (voir la rapidité avec laquelle la tentatrice sombre dans la caricature), insuffle pudeur et dignité à chacun des personnages (à l’exception, justement, de la tentatrice) et fait tendre le mélo vers l’étude de moeurs. L’arrivée du personnage de Van Heflin introduit une complexité qui permet au récit de dépasser le manichéisme de l’opposition fidélité/adultère. Honorable et regardable.

L’emprise du crime (The strange love of Martha Ivers, Lewis Milestone, 1946)

Le couple qui règne sur une petite ville de Pennsylvanie voit resurgir un ami d’enfance.

Cet archétype du film noir est une tragédie socio-criminelle aussi virulente dans sa critique de la bourgeoisie américaine que le seront ultérieurement les mélodrames de Douglas Sirk. Le déroulement du film est assez théâtral mais implacable. Aussi paroxystiques soient les rebondissements du script, ce dernier révèle précisément la nature et le destin des personnages. Au demeurant, ces personnages sont joués par un excellent quatuor d’acteurs: Barbara Stanwyck, Lizabeth Scott, Van Heflin et Kirk Douglas, dans son premier rôle au cinéma. Il y a cependant une faille dans cette rigoureuse progression dramatique: une fois que sa copine est libérée, pourquoi le héros reste t-il en rapport avec le couple de vilains puisqu’il n’a ni motivation pécuniaire ni désir pour la femme? Ce flottement du scénario altère l’inexorabilité de la tragédie. Heureusement, la fin grandiose rattrape le tout.

The miracle woman (Frank Capra, 1931)

Une évangéliste retrouve la foi lorsqu’elle rencontre un aveugle qui a cru en ses prêches.

Quoique lointainement inspiré d’Elmer Gantry– le pamphlet de Sinclair Lewis qui sera superbement adapté 30 ans plus tard par Richard Brooks- The miracle woman est, davantage qu’une critique des évangélistes, une belle réflexion sur le besoin de foi chez l’humain. Le personnage de l’aveugle introduit un mouvement dialectique qui approfondit considérablement le film. Dès la scène d’introduction où elle invective les responsables de la mort de son père, Barbara Stanwyck est remarquable. The miracle woman peut être considéré comme son premier grand rôle au cinéma. Légèrement moins naturel et moins surprenant (parce que plus soumis aux lois de la parabole et assez théâtral dans son déroulement) que les nombreux chefs d’oeuvre qu’a tournés Capra à la même époque (Amour défendu, Le dirigeable, La grande muraille), ce film n’en reste pas moins une pleine et entière réussite.

Une vie secrète (Forbidden, Frank Capra, 1932)

Une jeune journaliste s’éprend d’un politicien marié à une infirme…

Forbidden est une réussite parfaite de Frank Capra dans un genre où on ne l’attendait guère: le mélodrame. Je ne parle pas de mélodrame familial ou de mélodrame social, je parle de mélodrame pur et dur, je parle de ce genre éternel et universel qui raconte la perdition d’une femme par amour. Le jusqu’au boutisme de la narration, la cruauté implacable des rebondissements, la sécheresse mizoguchienne de la mise en scène, le respect de Capra pour tous ses personnages y compris l’homme lâche -mais amoureux- auquel Adolphe Menjou, excellent, insuffle une gentillesse inattendue ainsi que l’absence de regard moralisateur sur l’adultère font de Forbidden un des films les plus forts et les plus justes qui soient sur son sujet canonique. Il faut voir le sang perler aux lèvres de Barbara Stanwyck venant de tuer son mari, il faut voir le tranquille renoncement final pour se rendre compte quel film d’amour fou beau et terrible a réalisé l’auteur de La vie est belle.

un autre texte enthousiaste sur cette merveille méconnue

Ladies of leisure (Frank Capra, 1930)

Un jeune peintre issu d’une famille riche fait d’une noceuse son modèle…

Ce film de 1930 est assez significatif de la régression artistique qu’a entraîné, durant les quatre ou cinq ans qui ont souvent été nécessaires aux cinéastes pour maîtriser la nouvelle technique, l’invention du parlant. Alors que Frank Capra avait sur un thème analogue réalisé des comédies muettes merveilleuses de vitalité, cette nouvelle variation autour des chercheuses d’or et des fils de bonnes famille n’est pas convaincante. Cette adaptation d’une pièce de théâtre pèche d’abord par manque de rythme dans la narration. Après une bonne exposition, l’intrigue stagne pendant à peu près une heure. De plus, ce sont désormais les dialogues, dits lentement comme c’était la règle à l’époque, et non les idées visuelles qui racontent l’histoire. Le découpage est bien moins précis qu’il n’a pu l’être auparavant chez Capra.

Par ailleurs, les acteurs n’ont visiblement pas  intégré l’idée que l’arrivée de la parole permet de jouer d’une façon plus nuancée. Ainsi de la scène où Barbara Stanwyck éclate en sanglots à la table de son amoureux. C’est quelque chose qui aurait pu être émouvant dans un film muet, dont la mise en scène est d’ordinaire plus schématique que celle d’un parlant. En l’espèce, ses pleurs sonnent faux et exagéré, à l’image de l’ensemble du film. Ladies of leisure est donc un Capra pour le moins oubliable mais notre homme allait très vite, plus vite que nombre de ses collègues, apprendre à nous livrer des pépites parlantes.

Miss Manton est folle (Leigh Jason, 1938)

Comme la police refuse de croire ses allégations, une extravagante jeune femme de la haute société décide d’enquêter avec ses copines sur la disparition d’un cadavre.

Une comédie policière sans intérêt. Le metteur en scène se contente d’illustrer platement une intrigue façon « club des cinq », l’épaisseur des personnages ne dépasse jamais celle d’une feuille de papier à cigarette, les gags sont faibles. L’histoire d’amour est ce qui fait habituellement le sel d’une screwball comedy, ce qui enrichit la mécanique du scénario. Ici, elle est purement conventionnelle donc parfaitement ratée. Henry Fonda détestait Miss Manton est folle et on le comprend. De même qu’on comprend l’oubli dans lequel est tombé le metteur en scène de cette niaiserie.

Révolte à Dublin (The plough and the stars, John Ford, 1937)

Le soulèvement dublinois de 1916 vu à travers les yeux d’un jeune couple.

L’adaptation de la pièce de Sean O’Casey The plough and the stars fut un des rares projets personnels du militant de l’IRA qu’était John Ford. Le cinéaste allait d’ailleurs filmer la biographie du célèbre dramaturge irlandais en 1965 (Le jeune Cassidy, son avant-dernier film). Pourtant, Révolte à Dublin s’avère un véritable ratage. Est-ce dû à la crise personnelle que le réalisateur traversait alors (sa liaison impossible avec Katharine Hepburn le rendait plus alcoolique que jamais)? Est-ce dû aux conditions de production de la RKO qui -à l’exception notable de Barry Fitzgerald- refusa d’engager la troupe de l’Abbey theatre demandée par Ford et imposa sa distribution? Toujours est-il que jamais le film ne se dépare de la pire des théâtralités: le spectateur sent en permanence que l’idée précède la réalité.

Révolte à Dublin est essentiellement une dialectique entre l’engagement pour l’émancipation de son pays et l’amour d’une épouse or la mise en scène peine à incarner ce raisonnement. Le film est lourdement handicapé par la fausseté de la reconstitution de Dublin dans les studios de la RKO, les batailles filmées sans progression dramatique et le mépris des notions les plus élémentaires de topographie. Un exemple: l’épouse traverse Dublin pour rejoindre son époux derrière les barricades. Eh bien jamais son parcours n’interfère avec les combats se déroulant tout autour d’elle. Du coup, son déplacement dans une ville à feu et à sang ne revêt guère plus d’importance aux yeux du spectateur qu’une promenade de santé.

La seule chose qui importe aux auteurs, ce sont les dialogues entre elle et son mari. Des dialogues sentencieux et pesants faits de tirades généralistes sur l’amour, les femmes, les hommes, l’Irlande. Des dialogues qui évidemment ne contribuent pas à faire exister les personnages. D’ailleurs, Révolte à Dublin est l’occasion de voir la grande Barbara Stanwyck mauvaise. Sans la moindre nuance, elle ne fait que geindre tout le long du film. Il faut dire que son rôle est à sens unique et dénué de toute complexité humaine.

Reste tout de même, au sein de cette fausseté permanente, une séquence d’exécution sublime qui révèle toute la grandeur du metteur en scène.

La femme à l’écharpe pailletée (The file on Thelma Jordon, Robert Siodmak, 1950)

L’assistant de l’avocat général d’une petite ville américaine est entraînée dans une histoire sordide par une mystérieuse femme…

La femme à l’écharpe pailletée est un film noir aussi beau que son titre. On admirera particulièrement l’efficacité avec laquelle le personnage masculin principal est caractérisé. Wendell Corey est excellent dans le rôle. Ses troubles conjugaux, son sentiment d’échec personnel…Tout cela est présenté rapidement et annonce intelligemment le drame qui va s’ensuivre. Le scénario est impeccable, la photo superbe, Barbara Stanwyck égale à elle-même, la mise en scène aux petits oignons. L’oeuvre est tout à fait typique de cette perfection du film de studio où l’excellence des différents intervenants insuffle une réelle substance aux situations les plus conventionnelles. 1950, meilleure année du cinéma hollywoodien?

All I desire (Douglas Sirk, 1953)

Au sein de la dizaine de mélos réalisés par Douglas Sirk à Universal, les deux films avec Barbara Stanwyck forment un diptyque qui, esthétiquement, tranche avec le reste. A l’opposé du flamboiement pathétique qui caractérise les autres films du cycle, ces deux beaux portraits de provinciale américaine confrontée à l’hypocrisie de la communauté partagent un style concis, élégant et remarquablement fluide. Demain est un autre jour est clairement un des chefs d’œuvre de Sirk et il n’est pas interdit de le préférer à Ecrit sur du vent, La ronde de l’aube et autres Tout ce que le ciel permet. En revanche, All I desire est un peu en-dessous des plus belles réussites du cinéaste. Pourquoi ? Parce que le récit un brin compliqué n’exploite pas à fond la multitude de pistes narratives qu’il ouvre. A cause d’une légère tendance à la dispersion dramatique, le déroulement du film n’est pas aussi éblouissant d’évidence que celui de Demain est un autre jour. Qui trop embrasse mal étreint. Au-delà de ces menues réserves, All I desire n’en reste pas moins un beau film, magnifié par l’interprétation de la grande Barbara Stanwyck.

La grande muraille (The bitter tea of General Yen, Frank Capra, 1933)


Ne pas se fier au titre français d’une affligeante banalité et sans rapport avec l’oeuvre, voici un des films les plus singuliers tournés à Hollywood parmi ceux mettant en scène l’Orient. Il raconte les rapports complexes entre un seigneur de guerre chinois et sa captive, une missionnaire américaine égarée sur le champ de bataille par son fiancé correspondant de guerre.
La représentation de la confrontation entre les deux cultures est particulièrement fine grâce notamment à une écriture digne de L’invraisemblable verité, où les rebondissements révèlent d’une part l’inanité de l’humanisme occidental dans une situation de guerre et d’autre part l’inattendue grandeur d’âme de certains personnages. Le couple d’acteurs, Nils Asther dont le maquillage fait oublier les origines suédoises et Barbara Stanwyck fonctionne parfaitement. La mise en scène est d’une immense élégance. Elle relève d’un art consommé de la nuance, mais d’une nuance qui n’a rien de timoré, une nuance qui est là pour aller au fond des états d’âme les plus complexes. Un exemple: après avoir éconduit par fierté le général, la missionnaire assiste sur son balcon, aux échanges épistolaires d’une jeune servante avec un soldat. Toute l’amertume de la solitude, la faiblesse de coeur qui en découle et finalement la naissance du sentiment amoureux sont clairement évoqués en deux plans.
The bitter tea of General Yen est un film profondément romantique qui, après avoir montré intelligemment le chaos de la guerre civile, prend finalement l’allure d’un songe doucement mélancolique.
Après le cuisant échec de cette histoire d’amour interraciale à gros budget, Frank Capra allait se refaire une réputation grâce aux screwball comedies. On peut légitimement se demander quelle aurait été la carrière du cinéaste si cet atypique joyau, qui apparait aujourd’hui comme un de ses plus beaux chefs d’oeuvre, avait eu le succès qu’il méritait.