Cavalcade d’amour (Raymond Bernard, 1940)

AU XVIIème siècle, au XIXème siècle et au XXème siècle, trois histoires d’amour, dont deux tragiques, ont lieu dans un château.

Pléïade d’acteurs et jolis décors mais dialogues surannés (surtout dans le premier segment), petits problèmes de rythme, angles de prise de vue stupidement penchés (péché mignon de Raymond Bernard) et manque de focus dramatique. In fine, c’est pas mal, de bonne tenue, mais les sketches (car il s’agit finalement d’un film à sketches) auraient gagné à davantage de concision, de netteté dramaturgique.

Symphonie pour un massacre (Jacques Deray, 1963)

Après avoir doublé ses quatre complices, un trafiquant de drogue se retrouve obligé de les tuer.

Quelques facilités pour boucler l’intrigue mais une réalisation alerte et une distribution impeccable en tête de laquelle un Jean Rochefort étonnant de froide dureté. Pas mal.

 

Paris 1900 (Nicole Védrès, 1947)

Montage de films de la Belle époque commenté par Claude Dauphin.

Essai filmique qui mélange allègrement les bandes d’actualité aux fictions du début du siècle. Le caractère ontologique du cinématographe en prend un coup mais cela n’empêche pas que l’on n’aie l’impression de voir une époque ressusciter. C’est dû à la variété des thèmes abordés, à la finesse du montage et à la sautillante qualité du commentaire. Très rive gauche dans son esprit, ce film admirable et précurseur a grandement influencé Chris Marker et Alain Resnais (qui fut l’assistant de Nicolas Védrès).

Le bal des pompiers (André Berthomieu, 1949)

Entre mai 1944 et janvier 1946, la trajectoire de plusieurs membres d’une famille de la banlieue parisienne.

Les origines théâtrales du film se font ressentir à travers certaines tirades trop explicito-théoriques et certains rebondissements qui tombent trop à pic pour être honnêtes. Claude Dauphin joue trois rôles. Qu’il s’agisse du dramaturge opportuniste calqué sur Sacha Guitry ou du prisonnier de guerre, il est parfait lorsqu’il interprète un homme de son âge. Cependant, lorsqu’il se grime pour jouer le grand-père, son cabotinage consterne. Autour de lui, Paulette Dubost est moins piquante qu’elle ne le fut, Robert Arnoux parvient à insuffler une réelle sympathie à un profiteur qui préfigure l’antihéros du génial Au bon beurre de Dutourd, Henri Crémieux amuse en larbin qui revêt son uniforme de lieutenant le jour de la Libération et la gouaille de Pierre-Louis sied tout à fait au Français libre qu’il incarne.

Retournements de veste et faiblesses humaines occasionnées par le vent de l’Histoire sont judicieusement retranscrits, sans excès misanthrope. Même si la savoureuse férocité de certaines répliques annonce Papy fait de la Résistance, la satire est équilibrée par la tendresse et la tristesse. Adroitement, l’élégie nuance le cynisme. Au niveau formel, la vivacité du rythme et la qualité de la composition des images en intérieur révèlent le talent classique de André Berthomieu. Bref, Le bal des pompiers est une oeuvre que René Chateau a bien fait d’exhumer.

Conflit (Léonide Moguy, 1938)

Une jeune fille mise enceinte par un séducteur « donne » son bébé à sa soeur, stérile.

Le rebondissement assez artificiel de la transformation du séducteur en maître-chanteur et l’épaisseur du trait de Léonide Moguy (patente dans la musique ou la boursouflure de la séquence pivot) n’empêchent pas le postulat dramatique, exceptionnellement fort, d’être traité avec une certaine honnêteté. En dehors d’un Dalio ignoblement caricatural, les acteurs sont d’une remarquable justesse. La distance naturelle de Corinne Luchaire allège régulièrement la charge pathétique. La structure en flash-back de la narration renforce l’efficacité des effets dramatiques sans paraître trop alambiquée. Bref, c’est loin d’avoir la classe et l’ampleur de Susan Slade mais c’est pas si mal que ça.

Dédé (René Guissart, 1934)

L’épouse d’un marchand de chaussures en difficulté tombe dans les bras d’un riche noceur pour que celui-ci rachète le magasin de son mari…

C’est l’axe central autour duquel les auteurs ont, avec adresse et élégance, noué une kyrielle d’intrigues, faisant se croiser mauvais garçons, bourgeois, danseuses, fils à papa et petites employées. Ce vaudeville est de surcroît alimenté par une multitude de trouvailles fantaisistes, tel ce tapeur transformé en gérant qui a l’idée d’employer des danseuses des Folies-Bergères pour vendre ses chaussures. Le rythme vif sans être épuisant, l’abattage d’Albert Préjean, la verve vacharde des dialogues, l’humour des seconds rôles, l’ampleur quasi « busby-berkeleyienne » des chorégraphies (trait assez extraordinaire dans le cinéma hexagonal) et, bien sûr, la gaieté entraînante des chansons font déjà de Dédé un réjouissant archétype de comédie française des années 30, le genre où la richesse d’invention ne le cédait en rien à l’efficacité du spectacle. Mais il y a une cerise sur la gâteau: c’est la franche gaillardise qui accommode adultère et happy end, c’est l’érotisme égrillard qui montre Danielle Darrieux, alors tout juste nubile, en guêpière transparente. Cette liberté de ton augmente encore la puissance de l’euphorisant Dédé jusqu’à l’apparenter à un véritable antidépresseur.

Entrée des artistes (Marc Allégret, 1938)

L’arrivée d’une nouvelle élève sème le trouble entre deux jeunes amoureux du Conservatoire.

Plutôt qu’un marivaudage, Entrée des artistes est un triangle amoureux. Sa relative originalité tient au fait que ses protagonistes, à force de se jouer la comédie, ne savent plus distinguer la vérité de leurs sentiments. Comme les personnages sont en perpétuelle représentation et rarement naturels, on peut même pour une fois tolérer les (mauvais) bons mots de Jeanson. Il est cependant dommage que le metteur en scène soit aussi peu investi dans ce qu’il filme. De ce fait, Entrée des artistes n’est guère plus que le déroulement de son script, un script calculé de bout en bout par des fabricants préoccupés par l’application de recettes parfois idiotes (voir l’intrigue policière finale complètement hors de propos) plus que par le traitement de leur sujet profond qui, d’après la tirade finale du professeur, aurait pu être l’analogie entre représentation théâtrale et comédie de la vie. Heureusement, Louis Jouvet, quoique finalement peu présent, est magnifique dans un rôle quasi-biographique et ses quelques scènes ont un cachet réaliste qui fait défaut au reste du film. Quant à la frêle Janine Darcey, elle est touchante. Bref, Entrée des artistes est un divertissement correct mais loin d’être un classique du cinéma français.

Battement de coeur (Henri Decoin, 1940)

Suite à une série de péripéties, une jeune fille échappée de maison de redressement découvre l’amour dans les bras d’un riche diplomate.

Battement de coeur est la plus réputée des nombreuses collaborations entre Henri Decoin et sa jeune épouse d’alors, Danielle Darrieux. Plusieurs raisons justifient amplement cette réputation.

D’abord, la première partie est vive et inventive comme une bonne comédie américaine. Les auteurs ne reculent pas devant la fantaisie et font preuve d’un sens de l’absurde aussi discret que réjouissant (l’école de pick-pockets) exprimant, mine de rien, une certaine critique sociale. A ce sens du spectacle d’inspiration américaine s’adjoint une galerie de seconds rôles hauts en couleur typique du cinéma français d’alors. Carette en brave type un peu amoureux et Saturnin Fabre en professeur de vol à la tire délivrent des compositions certes attendues mais savoureuses.

Par la suite, le rythme du film ralentit pour se focaliser sur l’éveil sentimental du personnage de Danielle Darrieux. La fraîcheur de la ravissante actrice suffit alors au spectateur pour oublier le caractère conventionnel des situations. Il y a lors de la scène de son premier baiser le même charme léger, entêtant et secrètement déchirant que celui qu’exhalent les chansons des Shirelles.

Vous l’aurez compris: cette parfaite comédie romantique française (la meilleure?) est un délice.

Rosebud (Otto Preminger, 1975)

Un groupe terroriste palestinien capture les filles de quatre milliardaires occidentaux. En échange de leur libération, il exige la télé-diffusion de leurs clips de propagande aux heures de grande écoute.

A partir des années 60, le cinéma d’Otto Preminger se caractérise par une volonté de contenir l’ensemble des aspects d’une réalité donnée. Cette ambition totalisante donnera lieu aux chefs d’œuvre de complexité que sont Le cardinal ou Tempête à Washington. Le risque d’une telle approche, c’est évidemment l’éparpillement anecdotique. Grâce à une rigueur de tous les instants dans la mise en scène, cet écueil avait été brillamment évité dans les œuvres majeures du début des années 60. Malheureusement, pour cet avant-dernier film le maître n’y échappe pas. L’enquête de l’agent secret chargé de retrouver les filles, les réactions des parents, les rapports des captives avec leurs geôliers…sont autant de petites histoires qui ne dépassent jamais le stade de la convention.

C’est d’ailleurs peut-être là que le bât blesse: Rosebud, au contraire des films précédents, s’inscrit dans un genre précis. Or Preminger n’affirme jamais le sujet de son film en mettant l’accent sur l’un ou l’autre des aspects de son scénario. Ce qui permettait une observation quasi-objective d’une réalité donnée dans Tempête à Washington apparaît ici comme un détachement hautement préjudiciable à l’intérêt du thriller. En dépit de sa prestigieuse distribution, Rosebud ne vaut donc guère mieux qu’un téléfilm comme le Black sunday de Frankenheimer.

Paris-New York (Georges Lacombe et Yves Mirande, 1940)

Au cours d’une traversée de l’Atlantique, différentes intrigues se nouent entre les passagers du paquebot.

Bons mots, vedettes, intrigues multiples et esprit cynique montrent que l’on a bien affaire à un film d’Yves Mirande. D’où vient alors le vague ennui ressenti, l’impression que ce Paris-New York est un film raté ? Pour tenter de comprendre, comparons-le à Derrière la façade qui est un chef d’oeuvre réalisé à partir d’une matière similaire. Derrière sa coquille brillante, Derrière la façade exprimait une vision de la société de son temps et les personnages avaient une réelle consistance, psychologique notamment. Paris-New York lui souffre d’une certaine vacuité, les intrigues sont nombreuses mais ne sont exploitées que de façon superficielle, les personnages ne sont guère intéressants.