Un mariage à Boston (The late George Apley, Joseph L.Mankiewicz, 1947)

En 1913, dans une famille de la haute-société bostonienne, le père rigide voit ses deux enfants vouloir convoler hors de leur petit milieu.

« Brillant », c’est évidemment le premier mot qui vient à l’esprit; comme souvent devant les réussites de Mankiewicz. Rarement satire (du conservatisme) fut orchestrée avec autant d’acuité (toutes ces connotations qu’on croirait tirées d’un roman d’Edith Wharton) mais aussi de subtilité et d’empathie pour le personnage brocardé. Interprété avec beaucoup d’humanité par un Ronald Colman grisonnant, George Apley n’est jamais caricaturé et son étroitesse d’esprit ne va pas sans bonne volonté ni secrète mélancolie, de la même façon que Nellie dans le film d’Henry King. Contrairement à ce qu’écrit Lourcelles dans son dictionnaire, il évolue même, un peu, au cours du film. La fin en demi-teinte, ni unhappy ni happy, est d’ailleurs révélatrice de l’étonnante complexité du film. Magistral au niveau de l’écriture, The late George Apley ne l’est pas moins au niveau de la réalisation. En effet, Mankiewicz fait oublier les origines théâtrales de son script en dramatisant l’espace de la maison avec une caméra dynamique et des champs à différents niveaux de profondeur.

Les espions s’amusent (Jet Pilot, Josef von Sternberg, 1957)

Un colonel de l’US Air Force est chargé de séduire une aviatrice russe atterrie en Alaska pour connaître ses intentions.

Comédie de guerre froide façon Ninotchka mais bien plus bien courte d’inspiration que les films de Wilder et Lubitsch. Au-delà de quelques touches vulgaires (le bruit d’avion pour figurer le désir masculin) ou bien senties (le consistant champ-contrechamp lorsque John Wayne retrouve Janet Leigh dans leur chambre), ce film faussement ultime de Sternberg est foncièrement du théâtre, assez correctement ficelé (rigoureuse structure en trois actes, saillies anticommunistes toujours plaisantes) mais sans grande invention (visuelle ou verbale: Jules Furthman est moins piquant qu’il le fut). Le vaudeville est cependant, évidemment, entrecoupé de scènes d’avion, auxquelles Howard Hughes a donné trop de place.

Madame Satan (Cecil B.DeMille, 1930)

Pour reconquérir un mari volage, une épouse frigide se déguise en grosse allumeuse.

Cela commence comme un vaudeville, parfois chanté, des plus efficaces mais qui assume complètement sa théâtralité (quoiqu’il s’agisse d’un scénario original et non d’une adaptation de pièce). Comme le film a été produit avant le renforcement du code Hays, il y a une liberté de ton qui redouble l’invention des scénaristes et, par là même, l’amusement du spectateur.

Par la suite, le décor change, le cadre s’élargit, la figuration se déploie dans des danses aussi surprenantes que cohérentes, et la légèreté, sans être escamotée, laisse entrevoir une profondeur de sentiment qui épaissit les personnages principaux. Manié avec une virtuosité jusqu’au-boutiste par les auteurs, le jeu de la dialectique amoureuse démultiplie les renversements de rôles et de situations.

Il y a enfin une bifurcation hallucinante, mais tout à fait réaliste, qui transforme la comédie en film-catastrophe (un des premiers de l’Histoire du cinéma) et où le génie de DeMille pour le « grand spectacle » se déploie pleinement, sans toutefois perdre son esprit coquin. D’où la création d’images insolites comme ces jolies parachutistes en guêpière…

Loin de sembler arbitraire, les stupéfiantes péripéties rendent sensible le doigt de Dieu et donnent une ampleur exceptionnelle à cette nouvelle méditation de DeMille sur la nécessité de l’harmonie entre les sens et les sentiments.

C’est donc à juste titre que Madame Satan est considérée comme une des oeuvres les plus extraordinaires du cinéma américain.

Le coeur nous trompe (The affairs of Anatol, Cecil B.DeMille, 1921)

Un jeune marié met son couple en péril à force de vouloir « sauver » des filles en perdition.

Cette adaptation d’Arthur Schnitzler est pleine d’esprit (ainsi qu’en témoignent les cartons) mais frappe par un jusqu’au boutisme presque maccareyien: une tentative de suicide occasionne un paroxysme comique ou encore, au sein d’un cabaret infernal où l’inspiration luxurieuse du metteur en scène se déploie, un plan sur la photographie d’un soldat aimé introduit une émotion sacrificielle qui renverse les rôles entre pécheur et sauveur…Manié avec virtuosité par DeMille, cet art des contrastes n’occulte jamais la vérité immédiate des comportements tout en s’accordant à la psychologie tordue de l’hypocrite redresseur de torts qui fait office de personnage principal; un certain type de chrétien est ici analysé avec plus de finesse encore que de drôlerie. Le message moral -car, comme dans toutes les comédies de DeMille, message moral il y a- est alors transmis autant de clarté que de compassion.

L’admirable Crichton (Male and female, Cecil B. DeMille, 1919)

Une famille de la haute-société anglaise échoue sur une île déserte, avec ses domestiques.

D’abord, le jeu retors entre rapports de domination sociale et rapports de domination sexuelle est présenté avec beaucoup d’esprit et de finesse grâce, notamment, à la justesse des comédiens et au temps que le metteur en scène sait accorder à chaque séquence. Ainsi, la première partie est pleine de notations réalistes qui, en plus d’enrichir le contexte ou le comique, ont aujourd’hui une inestimable valeur documentaire. Ensuite, et c’est typique de l’auteur de L’empreinte du passé, de brusques -mais cohérents- changements de lieu, d’époque et de registre, en plus de surprendre le spectateur, insufflent une amplitude exceptionnelle à la méditation comique, qui s’avère aussi une poétique histoire d’amour à travers les âges grâce aux ajouts de DeMille et Jeanie McPhearson à la pièce originelle de J.M Barrie. Toujours, à commencer par la fin, DeMille privilégie la lucidité sociale à la convention démagogique. C’est donc excellent.

Arise my love (Mitchell Leisen, 1940)

Pour écrire un article, une journaliste américaine sauve un compatriote des geôles franquistes puis les deux batifolent dans une Europe de plus en plus menacée par Hitler.

Un an après Ninotchka et un an avant l’entrée en guerre des Etats-Unis, Arise my love est une nouvelle comédie politique écrite par Billy Wilder et Charles Brackett. C’est avec courage et finesse que les auteurs traitent de la dialectique entre bonheur individuel et engagement dans le monde, dialectique qui structure habilement leur dramaturgie. Aussi bien que d’allusions comiques dignes de Lubitsch (le pansement sur le nez lorsque son patron revient de la chambre de son employée!), la reconstitution hollywoodienne est émaillée de notations qui frappent par leur justesse; ainsi cet officier allemand qui demande à la journaliste, couvrant l’armistice à Rethondes, d’enlever son rouge à lèvres et de ne pas fumer en présence du Führer. Il manque peut-être à Ray Milland la fantaisie d’un Cary Grant mais l’abattage de Claudette Colbert convient idéalement à l’héroïne. Dans la meilleure tradition des comédies américaines, le rythme enlevé n’empêche pas la prise au sérieux des tourments intimes des personnages. Bref, c’est très bon.

L’amour sans préavis (Two weeks notice, Marc Lawrence, 2002)

Afin de sauver un centre social, une avocate gauchiste se met à travailler pour un jeune et beau magnat de l’immobilier.

Comédie romantique cousue de fil blanc, très moyennement interprétée et souvent laidement photographiée (les plans de nuit sont mieux) mais pas complètement nulle: c’est parfois drôle (le passage en plan très large lorsque les dialogues deviennent de plus en saugrenus, raccord qui renforce le comique) et une idée assez neuve ressort finalement: l’infaillibilité est un handicap en amour.

Une gamine charmante (The patsy, King Vidor, 1928)

Une jeune fille de bonne famille, en butte à sa famille, tombe amoureuse d’un prétendant de sa grande soeur.

Adaptation muette d’une pièce de théâtre, conçue autour de l’actrice limitée qu’était Marion Davies. Cela donne une idée des limites du truc, malgré quelques idées marrantes comme l’imitation par l’héroïne de Lilian Gish.

Drôle d’embrouille (Foul play, Colin Higgins, 1978)

A San Francisco, une jeune bibliothécaire se retrouve mêlée à un complot pour assassiner le pape.

Fantaisie ouvertement hitchcockienne mais plus franchement comique que les films d’action les plus légers du maître (tel La mort aux trousses). On frise donc la parodie, surtout à la fin où le spectateur ne prend plus du tout au sérieux le danger qui pèse sur les protagonistes mais s’amuse plutôt du déferlement dans lequel ils sont entraînés. Cela fonctionne sur la connivence avec un spectateur rompu aux codes du genre. La mise en scène, qui exploite joliment les décors de Big Sur et de San Francisco, est d’un dynamisme permanent mais le rythme sans temps mort n’empêche pas de s’attacher à Goldie Hawn et de croire à son personnage de vieille fille, aussi jolie soit-elle. Face à elle, l’épais Chevy Chase n’a pas la drôlerie d’un Cary Grant mais cette carence est un peu compensée par la présence de Dudley Moore dans un second rôle des plus marrants. Bref, Drôle d’embrouille est un divertissement rondement mené et éminemment sympathique.

Plus on est de fous (The more the merrier, George Stevens, 1943)

A Washington D.C, pendant la guerre, à cause de la pénurie de logements, un millionnaire à la retraite loue une chambre à une working-girl.

Très sympathique comédie romantique, portée par la présence de la géniale Jean Arthur, le sens du découpage de Stevens qui sait exploiter l’espace de l’appartement à des fins comiques ou dramatiques ainsi que par l’ancrage dans une réalité pratique et historique très précise (j’ai songé aux comédies de Jacques Becker tournées après-guerre) mais qui, pour plus de vérité émotionnelle, aurait gagné à approfondir les motivations du personnage deus ex-machina joué par Charles Coburn.

Histoire inachevée (Unfinished business, Gregory La Cava, 1941)

Partie à New-York, une provinciale épouse le frère du play-boy qui l’a séduite dans le train…

Un canevas attendu et un dénouement aussi facile qu’artificiel n’empêchent pas cette comédie douce-amère, qui ne rechigne pas à tirer sur la corde sensible, d’intéresser grâce à la qualité de son interprétation et à la finesse de certains traits: l’empathie de Gregory La Cava pour les décadents mondains équilibre le moralisme de l’intrigue.

Pleine de vie (Richard Quine, 1956)

Pour des travaux dans sa maison, un jeune couple fait appel au père du mari.

Une pépite de justesse que cette comédie méconnue de Richard Quine, écrite par John Fante d’après un de ses propres romans. Si la fin résout un peu trop facilement et démagogiquement le conflit entre le personnage et les valeurs de son père, c’est avec finesse et sensibilité que ce conflit est présenté et développé, avec un regard savoureux sur une famille italo-américaine. Tous les acteurs sont bons mais Judy Holliday s’avère encore une fois une des actrices les plus géniales qui aient existé au cinéma, sachant suggérer, avec son visage et son regard, l’ouverture d’abîmes existentiels dans ses dialogues de comédie.

Wild and woolly (John Emerson, 1917)

Le fils d’un magnat du chemin de fer, féru de littérature western, est envoyé par son père dans un patelin de l’Arizona pour y étudier l’opportunité de l’extension de son réseau. Pour séduire le rejeton de l’investisseur, la population va faire croire qu’elle vit encore au temps du Far-West.

Et évidemment, le simulacre rejoindra la réalité lorsque des méchants en profiteront pour braquer le train, ce qui donnera l’opportunité au jeune homme de montrer l’authenticité de sa bravoure. Il s’agit bien sûr d’un film de Douglas Fairbanks -un des premiers qu’il a produits lui-même- où la rêverie, la comédie et l’aventure physique, sont inextricablement mêlées. Il s’avère ici moins irrésistible que dans les films d’Allan Dwan (où Fairbanks personnifiait un véritable dieu de l’enthousiasme), la faute notamment à un script (pourtant toujours signé Anita Loos) qui manque d’action et d’éléments comiques dans sa partie centrale avec une relative mise en retrait de la star au profit de l’avancée du conventionnel récit ainsi qu’à une harmonie moins éclatante entre cette star et les paysages où elle évolue mais la dernière partie, succession effrénée de cavalcades, de fusillades, d’acrobaties et de joyeuses ironies métacinématographiques, conquiert l’adhésion pleine et entière du spectateur.

Marchands d’illusions (The Hucksters, Jack Conway, 1947)

De retour de la guerre, un publicitaire retrouve son agence et propose, pour vendre du savon, d’employer les services de la veuve d’un général.

La satire, plus mélancolique que sardonique, du monde de la publicité sonne juste, les seconds rôles sont excellents et, surtout, le couple formé par Clark Gable et Deborah Kerr est magnifique mais il manque quelque chose pour faire de The Hucksters une grande comédie américaine. Difficile de déterminer ce qui manque à la mise en scène de Jack Conway et pourtant, c’est une évidence: son film est un cran en-dessous des chefs d’oeuvre de Howard Hawks ou Leo McCarey. C’est peut-être dû à une tiédeur générale. La satire n’est pas appuyée, c’est sa force et sa limite. Il y a une relative justesse de ton, voire une profondeur inattendue dans les échanges avec l’agent joué par Edward Arnold, mais, comme constamment bridé, jamais le film n’atteint de sommet comique. On sourit, tout au plus. Ce succédané des classiques de Capra mâtiné de comédie romantique demeure un film attachant, de par la dignité de son écriture et la classe de ses comédiens.

Méprise multiple (Chasing Amy, Kevin Smith, 1997)

Un dessinateur de B.D tombe amoureux d’une lesbienne.

Quelques coquetteries de montage altèrent moins la grandeur mccareyenne de cette comédie romantique que la relance du récit, à mi-chemin, qui sent sa convention puritaine quoique le film soit « indépendant »: alors qu’ils nagent en plein bonheur, le mec apprend que sa dulcinée, qui a trente ans, a eu des amants avant lui et en fait une maladie.

A part ça, il y a de beaux personnages secondaires, à la fois très typés et doués de singularité, de longs dialogues, entre verdeur bigardienne et épanchements rohmériens, qui frappent par leur justesse et un Ben Affleck convaincant. Face à lui, Joey Lauren Adams campe un personnage attachant mais dont le jeu dans les scènes d’emportement semble parfois exagéré.

Le corps céleste (Alexander Hall et Vincente Minnelli, 1944)

L’épouse frustrée d’un astronome consulte une voyante qui annonce qu’elle va bientôt rencontrer l’amour.

Vincente Minnelli est non crédité et on se demande ce qu’il a apporté à cette médiocre comédie où la bêtise caricaturale du personnage de Hedy Lamarr ôte toute crédibilité.

Deux sœurs vivaient en paix (The bachelor and the bobby-soxer, Irving Reis, 1947)

Une lycéenne tombe amoureuse d’un peintre récemment jugé devant le tribunal présidé par sa soeur.

Amusante comédie, notamment grâce à Cary Grant qui n’hésite pas à se rendre ridicule. Comme souvent, le dernier tiers avec sa résolution conventionnelle peine à convaincre, au contraire des prometteuses et piquantes prémisses.

L’intrépide (Fearless Fagan, Stanley Donen, 1952)

Un jeune dompteur envoyé au service militaire ne sait pas quoi faire de son lion.

Stanley Donen avait un réel talent pour animer des histoires fantaisistes et styliser discrètement les expressions et les gestes de ses acteurs sans les faire verser dans la caricature. Fearless Fagan est un film tout à fait mineur mais foncièrement sympathique.

Phffft! (Mark Robson, 1954)

Après huit ans de mariage, un avocat et une journaliste divorcent…

Comédie de remariage qui, pour être tardive et dénuée d’ambition sociologique (propre aux meilleurs des films que Cukor tournait alors pour le même studio, la Columbia), n’en demeure pas moins réussie. Jack Lemmon et Judy Holliday forment un couple aussi amusant qu’attachant. Le canevas est très classique -pour ne pas dire convenu- mais le film sait surprendre grâce à quelques détails justes à l’intérieur des scènes et à un rythme impeccable dans la transmission des informations au spectateur qui lui évite de s’ennuyer. Le découpage de Mark Robson m’a semblé supérieur à celui de George Cukor, plus concis et plus fluide. Bref, c’est tout à fait plaisant.

Camarade X (King Vidor, 1940)

A Moscou, un journaliste américain est sollicité par son valet pour qu’il fasse fuir sa fille, communiste de la première heure susceptible d’être purgée par Staline.

La comédie basée sur une tragédie politico-historique fonctionne moins bien que dans les films contemporains de Lubitsch: c’est à la fois moins harmonieux et moins percutant, malgré de bons dialogues. Assez vite, la vraisemblance, notamment psychologique, s’estompe au profit de la fantaisie la plus débridée: scènes de vaudeville, poursuite en voiture tout droit sorties de Scarface, poursuite en chars ayant certainement influencé Indiana Jones et la dernière croisade, présence perpétuellement ironique de Clark Gable, alors à son sommet. La splendeur de Hedy Lamarr n’a d’égale que l’absence de crédibilité de son personnage. A noter enfin que ce plaisant divertissement (de propagande) tourné en 1940 contient une étonnante préfiguration de l’opération Barbarossa.