Cavalcade d’amour (Raymond Bernard, 1940)

AU XVIIème siècle, au XIXème siècle et au XXème siècle, trois histoires d’amour, dont deux tragiques, ont lieu dans un château.

Pléïade d’acteurs et jolis décors mais dialogues surannés (surtout dans le premier segment), petits problèmes de rythme, angles de prise de vue stupidement penchés (péché mignon de Raymond Bernard) et manque de focus dramatique. In fine, c’est pas mal, de bonne tenue, mais les sketches (car il s’agit finalement d’un film à sketches) auraient gagné à davantage de concision, de netteté dramaturgique.

Histoire de trois amours (Gottfried Reinhardt et Vincente Minnelli, 1953)

Trois passagers d’un paquebot se souviennent d’un amour:

  • Un créateur de ballet (James Mason) rencontra une ballerine (Moira Shearer) à qui les médecins avaient interdit de danser.
  • A Rome, une professeur de Français (Leslie Caron) tomba amoureuse de son élève de 11 ans (Ricky Nelson) transformé en homme (Farley Granger) le temps d’une nuit.
  • A Paris, un ancien trapéziste (Kirk Douglas) traumatisé par un accident sauve une jeune fille (Pier Angeli) qui s’était jetée dans la Seine et en fait sa partenaire pour un prochain numéro.

C’est le deuxième segment qui est mis en scène par le grand Vincente Minnelli mais il n’est pas spécialement mieux que les deux autres. Dans l’ensemble, c’est plutôt très bon, à la fois classiquement hollywoodien avec le Technicolor, les stars, les capitales européennes reconstituées en studio et le sens du spectacle (trapèze, danse, fantastique) mais aussi révélateur d’une certaine modernité car chacune des trois intrigues, traitées avec justesse, s’articule autour d’une ou de deux névroses, plus ou moins graves. Le dernier sketch est à ce titre le chef d’oeuvre du spicilège.

Une poule, un train…et quelques monstres (Dino Risi, 1969)

Sept sketches sur diverses perversions sexuelles.

Malgré le sujet, le film ne sombre jamais dans la vulgarité (à part le sketch avec le paysan zoophile) tel que certains films analogues tournés dans les années 70. C’est, en partie, dû à l’acteur, Nino Manfredi, foncièrement plus élégant et moins cabotin que nombre de ses pairs de la comédie italienne. Ce n’est pas non plus d’une drôlerie irrésistible d’autant que le rythme s’amollit souvent.

Nos maris (Luigi Filippo D’Amico, Luigi Zampa et Dino Risi, 1966)

Trois sketches:

  • L’épouse de Alberto Sordi se refuse à consommer le mariage. C’est le début d’une inversion progressive des rôles dans le foyer.  In fine, le dénouement hallucinant justifie un postulat quelque peu arbitraire. C’est le seul sketch en couleurs.
  • Jean-Claude Brialy, impuissant, ne peut donner d’héritier à la famille de Michèle Mercier. Pas mal, sans plus. Comme souvent chez Zampa, la voix-off dynamise le récit.
  • Ugo Tognazzi, carabinier, est chargé de séduire une femme des bidonvilles pour mettre le grappin sur son homme, voleur en cavale et très jaloux. C’est le meilleur des trois segments car, à partir des scènes entre le carabinier et la femme, les sentiments font joliment dérailler le programme. Pour autant, le dernier plan est d’un mauvais esprit bienvenu.

 

 

 

Contes de juillet (Guillaume Brac, 2018)

Concaténation de deux courts-métrages où des jeunes gens se draguent.

Dénué de la sophistication littéraire du maître de Tulle, ces succédanés rohmériens confinent à la banalité mais n’y sombrent pas tout à fait grâce, non à la fantaisie volontariste (le pompier syrien qui se prend pour Pina Baush) mais à la rigueur de Guillaume Brac qui fait tendre le quotidien vers l’abstraction. Cette rigueur se manifeste à la fois dans le récit, joliment classique, et dans la mise en scène où pas un plan n’est superflu. Dans la séquence du repas, le découpage qui privilégie les plans individuels va jusqu’à assécher une ambiance qui, avec l’insertion d’un ou deux plans d’ensemble supplémentaires, aurait pu s’avérer naturellement chaleureuse.

Le deuxième segment, où la cité U est le terrain de rudes confrontations entre les différentes mœurs en Europe, est de loin le plus intéressant des deux mais tout ça demeure très « petit ». Il est assez regrettable de voir un des meilleurs metteurs en scène français (peu de ses collègues savent rendre présent un décor comme lui) se cantonner à des travaux aussi étriqués, dans leur budget comme dans leur inspiration. L’humble, le mineur, l’infinitésimal, ça va bien un moment. Son documentaire L’île au trésor sorti le mois dernier -qui fait écho au premier des deux courts-métrages- déployait une richesse humaine et esthétique autrement plus roborative.

Trois valses (Ludwig Berger, 1938)

Note dédiée à Tom Peeping

Trois générations de comédiennes tombent amoureuses de trois générations de nobles.

Le concept de ce véhicule du couple Yvonne Printemps/Pierre Fresnay est pour le moins fumeux mais un charme superficiel émane des chansons et du découpage dont la saillante mobilité est, dans les deux premiers sketchs, digne de Max Ophuls. Le dernier segment, qui joue la carte du cinéma dans le cinéma, est plus laborieux.

Moi, la femme (Dino Risi, 1971)

12 sketches où Monica Vitti interprète des Italiennes diverses et variées.

Certains segments, très courts, tiennent plus de la blague Carambar qu’autre chose. Certains sont excellents en cela qu’ils font ressortir, avec une ironie dévastatrice, l’ambiguïté des relations entre les deux sexes. D’autres sont la bête mise en images de clichés machistes (la fille qui appelle ses violeurs) ou antipauvres (la mère de famille nombreuse). Bref, comme la plupart des films à sketches, c’est inégal mais dans l’ensemble, c’est mieux que Le sexe fou. La qualité de la photographie (signée Carlo Di Palma) m’a surpris: elle empêche les scènes dans les terrains vagues de sombrer dans le sordide.

Le plus vieux métier du monde (Claude Autant-Lara, Mauro Bolognini, Philippe de Broca, Franco Indovina, Michael Pfleghar et Jean-Luc Godard, 1967)

A la Préhistoire, dans l’Antiquité romaine, pendant la Révolution française, à la Belle époque, de nos jours et dans le futur, l’histoire de la prostitution vue à travers six sketches.

Ça va du très nul (la Préhistoire selon Franco Indovina) jusqu’au pas mal (la Révolution française par de Broca ou la Belle-époque par Michael Pfleghar) en passant par le bellement improbable (l’anticipation de Jean-Luc Godard dans la droite lignée de Alphaville).

Les complexés (Dino Risi, Franco Rossi et Luigi Filippo D’Amico, 1965)

Trois sketches:

  • Un employé timide tente de séduire une collègue durant une journée de patronage
  • Un notable devient fou lorsqu’il apprend que sa femme a tourné dénudée dans un péplum
  •  Un homme extrêmement brillant mais doté d’une dentition chevaline postule pour présenter le JT

Le premier sketch s’étiole après un début prometteur, le deuxième est trop long et le troisième, avec un grand Alberto Sordi, est le plus drôle et le plus délirant.

Escalier de service (Carlo Rim, 1954)

Une bonne à tout faire raconte ses différents emplois à une bande de squatteurs chez qui elle s’est réfugiée après avoir perdu ses certificats.

Film à sketches pas si mauvais que ça. L’interprétation façon « chien battu » de Etchika Choureau et le récit médiocre qui fait le lien entre les sketches marquent la désuétude du film. En revanche, la plupart des segments (le dernier est moins bien), quoique partant de postulats conventionnels, sont mis en scène avec une finesse et une absence de caricature tout à fait remarquables. Ainsi, rarement le désir sexuel au sein du couple marié aura, dans le cinéma français des années 50, été évoqué avec plus d’élégance et de tendresse que dans le sketch avec Jean Richard.

Le sexe fou (Sessomatto, Dino Risi, 1974)

Plusieurs sketchs sur les perversions sexuelles des Italiens.

Particulièrement inégal. A côté d’un segment miraculeux de finesse où un homme qui tombe amoureux de son frère travesti est filmé sans scabreux mais avec une belle délicatesse, plusieurs sketchs navrent par l’extrême bassesse de leur inspiration. Ainsi de celui dans les bidonvilles qui repose essentiellement sur un comique scatologique. Lorsqu’on voit ce genre de caricature où plus rien ne distingue l’homme (de préférence prolétaire) de l’animal, on a la désagréable impression que le seul salut pour les auteurs de la comédie italienne à la fin de son âge d’or était d’en faire toujours plus dans l’outrance et la vulgarité. C’est le versant Affreux, sales et méchants du genre, le versant le plus bruyant et le plus inintéressant.

Lettres de mon moulin (Marcel Pagnol, 1954)

Adaptation de trois des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet: L’elixir du père Gaucher, Le secret de Maître Cornille et Les trois messes basses.

Le dernier film pour le cinéma de Marcel Pagnol a été réalisé dans la douleur puisque le cinéaste venait de perdre sa fille âgée de trois ans. Comme le dit Jacqueline Pagnol dans ses entretiens avec Alain Ferrari, les Lettres de mon moulin furent donc tournées « dans un état de brouillard ». Cette nécessaire mise au point faite, l’honnêteté intellectuelle nous force à dire que cet opus est loin de compter parmi les réussites majeures du cinéaste qui deux ans auparavant avait signé le chef d’oeuvre absolu qu’est Manon des sources. Non que ce soit un navet. Les sketches des Lettres de mon moulin ont le charme et la simplicité universelle des fables. La faconde de certains acteurs, tel Delmont en vieux meunier ou Sardou en apothicaire malin, nous régalent comme nous régalaient Blavette et Charpin dans les films des années 30. En revanche, d’autres sont franchement cabotins. Les excès de Rellys, si magnifique dans le rôle d’Ugolin, sont ici parfois fatigants. D’une manière générale, c’est l’ensemble du film qui pêche par laisser-aller. Ainsi de la musique indigente (on est loin de Vincent Scotto), ainsi de la lenteur du rythme qui, vu le peu d’ampleur des histoires racontées, ressort parfois de l’autocomplaisance, péché mignon de Pagnol.

Les nouveaux monstres (Mario Monicelli, Dino Risi et Ettore Scola, 1977)

14 sketches se moquant de divers aspects de la société italienne.

Bien qu’écrit (par les célèbres Age et Scarpelli) et réalisé par des maîtres reconnus de la comédie, Les nouveaux monstres est, comme beaucoup de films à sketches, inégal. Tous les types de comique sont représentés, de celui de situation à la farce vulgaire à base de baffes et de destructions d’accessoires. C’est parfois ennuyeux, parfois très drôle et très bien senti. C’est très féroce et la satire n’est jamais timorée. Les auteurs ne connaissent aucun tabou, n’hésitant pas à aborder le terrorisme ou la pédophilie. Dans ce dernier cas, c’est fait sans le moindre racolage, sans la moindre provocation de bas étage mais avec une irrésistible mécanique comique. La virulence de l’ensemble n’empêche pas certains segments d’être véritablement émouvants. Je pense au film sur la maison de retraite. Pour une fois, les personnages ne sont pas, malgré les apparences, complètement pourris et les auteurs montrent combien la situation est complexe et inextricable. Enfin, dernier point à l’actif de ces Nouveaux monstres: la présence dans deux sketches de la jeune et superbissime Ornella Mutti.

Ces messieurs dames (Pietro Germi, 1965)

Trois sketches sur l’hypocrisie des Italiens qui n’en ratent pas une pour tromper leur conjoint.

Caricature de comédie italienne. On peut lui faire les mêmes reproches qu’à certains films français d’après-guerre, tel Occupe toi d’Amélie: noirceur de pacotille, complaisance dans la bassesse, cynisme qui tient plus de la paresse morale que des enseignements d’Antisthène, jeu d’acteur réduit à de vaines gesticulations, absence de finesse et de subtilité. Heureusement, Virna Lisi illumine le film. Ses fossettes, ses yeux, la courbe de ses hanches, d’une beauté si singulière et si évidente, constituent la plus éclatante des parades au frelaté de cette représentation de pantins qui se prétend étude de moeurs. Virna Lisi est un ange que l’esprit des auteurs, aussi étriqué et vil soit-il, ne peut pas atteindre.

Que ce film justement tombé dans l’oubli ait été palmé à Cannes alors que les chefs d’oeuvre antérieurs de Risi (Le fanfaron), Monicelli (La grande guerre) ou Comencini (La grande pagaille) avaient été purement et simplement ignorés par le comité de sélection n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’inanité des jugements de cette réunion de pingouins qui trop souvent a préféré les ersatz aux authentiques bons films.

La fiancée de l’évêque (Nanni Loy, Luigi Magni et Luigi Comencini, 1976)

Un film à sketches comme il s’en tournait beaucoup lors de l’âge d’or de la comédie italienne.

Le premier segment est clairement le moins bon, il s’appuie sur une et une seule idée farfelue sans que celle-ci ne donne lieu à des ramifications narratives intéressantes. C’est une farce vulgaire aux ressorts comiques très grossiers.

Le deuxième, signé par un grand méconnu du genre, Luigi Magni, est nettement plus charmant. Il met en scène Nino Manfredi qui accueille une jeune Suédoise amie de la famille pendant que son épouse et sa fille sont parties en week-end. On a droit à tous les clichés de l’époque sur la Suédoise tellement libérée qu’elle se ballade nue dans la maison d’un type qu’elle n’a pas vu depuis dix ans. C’est croustillant, Manfredi est excellent en père de famille dépassé qui se remet en question, et plusieurs dialogues entre lui et sa fille font mouche même si, là encore, les ficelles du scénario ne s’embarrassent guère de nuance et de subtilité. C’est peut-être dû aux exigences du format court.

Le dernier film, réalisé par Comencini, est le meilleur. L’argument de base est simplissime; un  prêtre joué par Alberto Sordi est coincé dans un ascenseur avec Stefania Sandrelli un jour de canicule. Situation incongrue qui permet toutes sortes de gags, parfois un peu faciles, mais toujours efficaces. Ce qui distingue clairement ce dernier segment des deux autres sketches, c’est que quelque chose de profondément réjouissant se dégage de sa fin à tiroirs. Le film s’avère en définitive une exaltation des plaisirs de la chair mais aussi du plaisir intellectuel de jouer avec la morale pour l’adapter à notre situation. Il y a quelque chose qui tient de Diderot dans ce qui pourrait être un des épisodes de Jacques le fataliste. Ce n’est pas un mince compliment.

Rogopag (Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard, Pier Paolo Pasolini et Ugo Gregoretti, 1963)

Rogopag est un ensemble de courts-métrages nommé d’après les premières lettres des noms des cinéastes.
Pureté de Rossellini est l’histoire d’un homme d’affaire américain qui tente de séduire une ravissante hôtesse de l’air. Les férus d’analyse sans goût qui vénèrent Brian De Palma auront matière à s’amuser avec le cinéma auto-réflexif parce que le businessman prend plaisir à filmer sa dulcinée. Les autres oublieront rapidement cette oeuvrette de l’auteur de Stromboli. Le nouveau monde est l’histoire d’un jeune couple parisien typique de la Nouvelle Vague française. Comme c’est Jean-Luc Godard qui réalise, c’est saupoudré d’un péril nucléaire. La ricotta est un film-essai de Pasolini avec Orson Welles qui joue le rôle d’un cinéaste qui met en scène la passion du Christ. Pasolini ne cherche même pas à camoufler son autoportrait (« je suis un catholique marxiste qui pense que les bourgeois italiens sont des ignorants »). Il y a des accélérés (soit le procédé le plus hideux qui existe au cinéma) et un parallèle douteux entre le destin d’un comédien affamé et celui du Christ. On est à des années lumières de la splendeur de L’Evangile selon St Matthieu, qui sortira l’année suivante. Le dernier film, Le poulet de grain, est une grossière satire de la société de consommation réalisée par un intellectuel italien, Ugo Gregoretti. A voir ce film, on comprend pourquoi ce monsieur n’a pas fait carrière dans le cinéma.
Bref, Rogopag est un agrégat de films complètement anecdotiques. Ce quel que soit le prestige de leurs auteurs.