Un survivant de la guerre de 14/18 s’interdit de toucher à la veuve de son camarade dont il est pourtant amoureux.
Les deux versions de J’accuse préfigurent deux beaux films sortis en 1978. Le premier J’accuse était en effet, avec sa structure avant-pendant-après, une sorte de Voyage au bout de l’enfer de la Grande guerre. Ce remake parlant dont le substrat est la mélancolie d’un vétéran hanté par ses camarades morts annonce La chambre verte. Cela ne m’étonnerait pas que François Truffaut se soit souvenu des scènes de Jean Diaz dans son bunker-mémorial pour la liturgie de Julien Davenne. La belle musique de Henri Verdun s’inscrit aussi dans la même tradition que celle de Maurice Jaubert.
C’est d’ailleurs cette maladive mélancolie du héros qui sauve le film de Gance du ridicule. S’il épousait complètement le point de vue de Jean Diaz, J’accuse serait irrémédiablement plombé par la naïveté de son message. Or présenter sa fièvre comme une forme de folie en l’inscrivant dans un environnement rationnel, bienveillant et s’échinant à le comprendre sans y parvenir introduit une dialectique narrative qui transfigure -mais n’élimine pas- le propos pacifiste de J’accuse. La lourdeur des chromos symboliques et l’épaisseur des ficelles du mélo s’effacent devant la performance hallucinée de Victor Francen et la sincérité de l’auteur.
L’aveu d’impuissance en exergue de l’oeuvre, d’une modestie aussi touchante que rare chez Abel Gance, montre combien refaire son pamphlet antibelliciste à l’aube de la deuxième guerre mondiale importait à son coeur. Ce retour à un de ses sujets de prédilection permet également à l’artiste de renouer avec une inspiration poétique qui ne trouvait guère à s’épanouir dans Lucrèce Borgia, Louise et autres Roman d’un jeune homme pauvre. La séquence finale, quoique inutilement délayée par rapport à l’originale, n’a pas manqué hier soir de susciter les applaudissements du public de la Cinémathèque française, public pourtant blasé s’il en est.