Licorice pizza (Paul Thomas Anderson, 2021)

Dans les années 70 à Los Angeles, un acteur de 15 ans tente de séduire une femme de dix ans son aînée.

Ce qui frappe d’abord, c’est la médiocrité du scénario: quasi-nullité du récit, des dialogues, de la continuité dramaturgique, de la contextualisation, de la caractérisation des personnages. Du coup, de quoi sont constituées les deux heures et treize minutes que durent le film? Une succession de péripéties oiseuses, qui pourraient être qualifiée de « digressions » si seulement la trame principale était suffisamment nette.

L’important ne serait donc pas ce qui est raconté tout au long de l’oeuvre mais plutôt le potentiel de « fraîcheur » exprimé par chaque moment pris indépendamment des autres. Le plan-séquence introductif, merveilleux de vérité immédiate en dépit de sa virtuosité un brin ostentatoire, pourrait faire croire à la tenue d’un tel pari. Le problème est que le style du réalisateur n’a rien à voir avec celui d’un « spontanéiste », type Kechiche, mais tout à voir avec celui d’un formaliste, type David Lynch à qui m’a précisément fait songer le grotesque à retardement de la séquence au commissariat.

Si la splendeur visuelle de la reconstitution est plaisante et s’il est hautement appréciable de voir un cinéaste se soucier à ce point de son découpage et ne pas se cantonner au champ contre-champ, sachant parfois insuffler une expressivité à des séquences qui devaient être peu de choses sur le papier par le seul truchement de la forme (indéniablement, Licorice Pizza « est du cinéma » car ce ne saurait être autre chose), force est de constater que, au bout de 2h13, plusieurs procédés d’abord séduisants ont viré à la rhétorique: ainsi, les travellings latéraux sur des gamins qui courent avec en fond sonore une chansonette de l’époque peuvent au début figurer les élans du coeur mais s’avèrent finalement un peu creux à force de répétition.

Plus grave: la faiblesse du récit n’empêche pas l’arbitraire de l’auteur d’être patent. Par exemple, l’artifice de la coïncidence entre le moment où la fille se rend compte que la jauge est vide et celui où le garçon fracasse la voiture de son client montre le marionettiste à l’oeuvre. A quelles fins? Une vague impression de bizarre, ni franchement comique ni vraiment dramatique. Une coquetterie gentiment saugrenue, à peine préparée par ce qui a précédé dans le film et qui n’aura aucune incidence sur la suite; qui donc aurait pu tout aussi bien être coupée du montage. Bien trop de séquences dans Licorice Pizza fonctionnent sur ce principe, purement gratuit, du gentiment saugrenu mâtiné de clins d’oeil à la sous-culture américaine (ici, le propriétaire de la voiture est l’ancien mari de Barbra Streisand, ce qui nous fait une belle jambe). A l’image du titre, non traduit par des distributeurs toujours plus soumis à l’Oncle Sam.

Que ces fortes réserves n’induisent pas le lecteur en erreur sur mon appréciation du film. Parce que Licorice Pizza a été grandement surestimé à sa sortie il y a six mois, le retour de balancier est en quelque sorte naturel. Pourtant, à l’heure d’un cinéma hollywoodien gangréné par l’écriture feuilletonesque, la foi et le talent de Paul Thomas Anderson pour recréer un espace-temps par la seule force de sa mise en scène sont dignes d’encouragements. J’aimerais simplement que pour son prochain film, sa mégalomanie soit tempérée au point que ce grand génie s’abaisse à plancher, ou à faire plancher des gens compétents, sur l’écriture. Vu les éloges dithyrambiques qu’il a récoltés pour Licorice Pizza, ce n’est pas gagné.

Un homme est mort (Jacques Deray, 1972)

A Los Angeles, un Français tue un homme d’affaires puis est lui-même pourchassé par un tueur.

Cet essai de polar français dans un cadre américain est raté pour les causes suivantes:

  • des dialogues uniquement français qui altèrent aussi bien la vraisemblance que la sensation de décalage entre le tueur et son environnement
  • l’absence totale de crédibilité des premières scènes où le héros échappe aux balles de l’autre tueur
  • le caractère trop tardif de la révélation de ce qui a poussé le tueur à tuer. Le fait de savoir d’emblée que c’est un monsieur tout-le-monde aurait facilité l’identification à son personnage antipathique
  • le caractère téléphoné de l’embryon de romance

Reste un exotisme qui, aujourd’hui que le mode de vie américain est familier au public français, a fait long feu (la famille qui mange devant la télé, les bikers, les bars top-less, les grosses voitures…), quelques poursuites bien réalisées et un final étonnamment sanglant. C’est peu, au regard de la médiocrité du scénario.

The swinger (George Sidney, 1966)

Pour se faire publier dans une revue, une jeune autrice envoie un texte érotique faisant croire qu’il s’agit de son autobiographie sexuelle.

Le montage accroît la vulgarité de cette satire grossière, efficace et roublarde qui fait feu de tout bois (accélérés, chansons, voix-off, burlesque…) pour moquer l’hypocrisie de la société américaine et qui étonne par sa liberté de ton, deux ans avant Woodstock, trois ans avant Easy rider.

The black marble (Harold Becker, 1980)

A Los Angeles, une policière est mise en équipe avec un ancien de la brigade des homicides devenu alcoolique. Les deux doivent enquêter sur le rapt d’un chien.

Faux polar, vrai film d’amour illuminé par Paula Prentiss, toujours superbe quinze ans après Le sport favori de l’homme. La tendresse du regard, les doux méandres de la narration, le sens de la rupture de ton et de la digression et la grande sympathie du couple central rendu crédible par la justesse des longues séquences consacrées au premier rencart font de The black marble un film très attachant.

Assurance sur la mort (Double indemnity, Billy Wilder, 1944)

Un vendeur d’assurances est séduit par une femme voulant se débarrasser de son mari…

Pourquoi ce pur archétype du film noir, même lorsqu’on connaît ses innombrables et parfois brillants succédanés, procure t-il toujours un plaisir unique? Je pense qu’il y a plusieurs raisons. D’abord, ça tient au scénario qui est un des meilleurs jamais conçus. La construction de l’histoire est géniale en ceci que la fascination policière qui émane de l’élaboration du crime parfait est toujours justifiée par la caractérisation des personnages et par les aléas d’un contexte réaliste qui enrichit le récit de mille détails. Dans la deuxième partie du film, la joute intellectuelle que se livrent les deux employés de l’assurance est aussi passionnante qu’un bon épisode de Columbo mais le fait que cette joute soit inextricablement corrélée à leur discrète camaraderie et à la passion amoureuse du narrateur empêche la brillante mécanique d’apparaître comme un simple tour d’horloger.

Si Assurance sur la mort surclasse sa descendance, c’est aussi parce que le canonique ressort de son intrigue -à savoir la déchéance morale provoquée par la femme fatale- ne souffre pas une seule seconde d’un manque de crédibilité. De la première rencontre, avec son dialogue plein de sous-entendus sexuels, jusqu’à l’affrontement final, Barbara Stanwyck, avec son chandail où pointent ses petits seins, ses lunettes de soleil et sa voix rauque, irradie de puissance érotique. De plus, la richesse de son interprétation de ce rôle archétypal montre encore une fois quelle immense comédienne elle fut. Il n’y a qu’à voir l’évolution de son regard pendant l’impeccable séquence de l’assassinat pour se rendre compte du maximum d’effets qu’elle pouvait tirer d’un minimum de moyens. Face à elle, Fred MacMurray incarne mieux que personne l’Américain moyen. Pour risquée qu’elle soit, jamais sa conduite n’apparaît idiote aux yeux du spectateur qui en vient même à s’identifier à lui lorsqu’il commet son crime (vertigineuse scène de la voiture qui ne démarre pas). Une partie du génie de Billy Wilder & Raymond Chandler adaptant James M. Cain est d’ailleurs de faire progressivement vaciller les repères moraux du spectateur; Assurance sur la mort est un film immoral mais pas amoral (sinon, il aurait été beaucoup moins intéressant).

Autour de ce couple emblématique du film noir, Edward G.Robinson enrichit l’oeuvre en jouant un personnage plein d’humanité qui, si les auteurs n’avaient pas été aussi fins, aurait pu n’être qu’un faire-valoir. La noirceur générale n’empêche pas de savoureuses notations comiques, la plus percutante étant l’exposé à côté de la plaque du directeur de l’assurance. Le découpage de Billy Wilder, sans s’avérer aussi hautement génial que le scénario, n’a aucun défaut. Les situations dramatiques sont parfaitement ancrées dans les collines de Bervely Hills, les bureaux de l’assurance ou les supermarchés angelinos. Le noir et blanc a des contrastes très variés. Le dernier plan est superbe d’empathie sèche.

Tout ça pour dire qu’il est parfois bon, entre deux projections de raretés muettes ou françaises des années 30, de revoir les inaltérables classiques comme Assurance sur la mort. Cela redonne foi dans le septième art.

Strange days (Kathryn Bigelow, 1995)

A Los Angeles au moment du passage à l’an 2000, un trafiquant de shoots de réalité virtuelle se retrouve embarqué dans une histoire de meurtres.

La résolution de l’intrigue policière est artificielle et l’unité du récit en pâtit mais la séduction punk de la direction artistique, l’inventivité spectaculaire des scènes d’action, le sex-appeal de Juliette Lewis, la fullerienne beauté de l’histoire d’amour et l’ampleur démiurgique de la mise en scène font de Strange days une oeuvre époustouflante.

Même si, évidemment, l’an 2000 ne fut pas identique à celui imaginé par James Cameron et Kathryn Bigelow, force est de constater que ces shoots de réalité virtuelle, et notamment les implications qu’ils entraînent sur la mémoire et le désir, préfigurent avec une étonnante acuité notre monde hyper-connecté.

Kathryn Bigelow était d’autant plus grande qu’elle ne se prenait pas au sérieux. Sa virtuosité, patente aussi bien dans les très complexes plans-séquences en vue subjective que dans celui, hyper-grisant, de la foule réveillonnante vue du ciel, est ici totale.

Assaut (John Carpenter, 1976)

A Los Angeles, une horde attaque un commissariat sur le point d’être désaffecté.

Les plans presque abstraits de l’extérieur du commissariat, influencés par ce film autrement génial qu’est La nuit des morts-vivants, distillent une certaine ambiance mais j’ai été déçu par l’exposition laborieuse, par les personnages qui ne dépassent jamais leurs stéréotypes, par la bande-son ressassée, par un rythme aux antipodes de la nervosité des princes de la série B d’antan. La minceur du budget explique certains défauts, tel la pauvreté du thème musical à la composition duquel n’ont été consacrés que trois jours. Mais globalement, c’est vide. Le vide permet certes au critique, surtout s’il est français, de projeter tous ses fantasmes (ses fantasmes politiques notamment) mais ce critique ferait bien de (re)voir les westerns de Budd Boetticher écrits par Burt Kennedy. Cela l’aiderait peut-être à distinguer concision et convention, épure et vacuité, abstraction et schématisme, chef d’oeuvre authentique et divertissement tout juste regardable.

Il marchait dans la nuit (Alfred L. Werker et Anthony Mann, 1948)

A Los Angeles, des policiers recherchent un cambrioleur qui a tué un des leurs.

L’éclat du style, fondé sur les splendides contrastes de John Alton, des décors insolites et un découpage impeccable, fait passer outre la lourdeur didactique de la voix-off. Quoiqu’il n’en soit pas le réalisateur officiel, c’est à mon sens la meilleure, car la plus équilibrée, des multiples séries B à tendance documentaire auxquelles Anthony Mann a mis la main à la pâte à la fin des années 40.

 

Point break (Kathryn Bigelow, 1991)

A Los Angeles, un flic frais émoulu infiltre le milieu des surfeurs pour y démasquer un gang de braqueurs de banque.

La fascination de Kathryn Bigelow pour les beaux mecs torse nu qui se tapent dessus en dit long sur la perversité du désir féminin. Sinon, à quelques poncifs près tel le destin du flic acolyte, c’est très bien. A partir d’une trame policière classique, une vraie dialectique entre hédonisme et nécessité de l’ordre est intelligemment développée. Les époustouflantes séquences de chute libre au-dessus de la Californie font ressentir cette tentation de couper toutes les amarres dans une quête jamais assouvie de sensations pures et intenses. D’une façon générale, Bigelow s’avère une reine du cinéma d’action tant sa maîtrise de la steadycam lui permet ce paradoxal exploit de maintenir la clarté de l’espace tout en faisant coller sa caméra aux protagonistes pour un maximum d’adrénaline. A ce titre, la longue poursuite à pied n’est pas le moindre des morceaux de bravoure d’une oeuvre qui en regorge. Dans des rôles dont la complexité se révèle au fur et à mesure de la projection, Patrick Swayze et Keanu Reeves sont impeccables.

Chasse au gang (Crime wave/The city is dark, André de Toth, 1954)

A Los Angeles, deux malfrats en cavale s’incrustent chez un ancien co-détenu en liberté conditionnelle.

L’alliage entre le réalisme imprimé par une photographie façon reportage et la tension spectaculaire insufflée par un découpage d’une parfaite sécheresse fait de Crime wave une pépite du film noir. Les qualités de présence des acteurs, notamment Sterling Hayden et ses cure-dents, empêchent la concision de virer à l’aridité schématique. La fin, quelque peu édifiante, contrecarre le désenchantement judiciaire naturellement exprimé par le récit.

 

Bande de flics (The choirboys, Robert Aldrich, 1977)

Entre rondes dans les quartiers malfamés et fêtes débridées, le quotidien d’une bande de flics de Los Angeles.

Succession de saynètes grotesques et satiriques où l’épaisseur de la caricature va heureusement de pair avec le sens de la complexité humaine et du retournement de situation. D’où, par-delà la grossièreté des effets, une justesse de ton qui rappelle une autre adaptation d’un roman de Joseph Wambaugh: Les flics ne dorment pas la nuit. Les acteurs sont tous excellents, l’institution policière est savoureusement et pertinemment brocardée (idée géniale de la remise de médaille qui succède au tabassage) et, in fine, au fond des pires turpitudes, une certaine grandeur de l’homme est retrouvée (la lettre, sublime). Avec malice, le dénouement montre qu’un peu de corruption arrange tout le monde et que personne n’a intérêt à ce que justice se fasse véritablement. Bande de flics est ainsi une des réussites les plus achevées de Robert Aldrich.

 

 

Colors (Dennis Hopper, 1988)

Un policier près de la retraite est contraint de prendre un jeune chien fou pour l’accompagner lors de ses patrouilles dans les quartiers chauds de Los Angeles.

Les auteurs ont su insuffler une bonne dose de réalisme à une trame narrative reprise de L’arme fatale. Tourné dans les rues de Los Angeles, Colors juxtapose des séquences où l’on voit les policiers au travail, un peu comme dans le chef d’oeuvre du genre, Les flics ne dorment pas la nuit. La progression dramatique y existe mais, exception faite de la dernière partie, elle est secondaire. Le montage brutal accentue la violence des quelques fusillades. Robert Duvall et Sean Penn sont parfaits dans les deux rôles principaux. Le regard sur les gangs ne manque pas d’honnêteté. Comme dans tous les polars dignes de ce nom, l’ancrage social est présent, quoiqu’assez superficiel. Les concessions à Hollywood ont globalement été bien gérées (la fin) et finalement le constat pessimiste sur l’impuissance de la police face aux gangs ne manque pas de force.

M (Joseph Losey, 1951)

Remake du célébrissime film de Fritz Lang, M le maudit.

A priori, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de refaire un tel classique. A posteriori, on ne s’interroge plus: force est de constater que le film de Joseph Losey complète idéalement le film de Fritz Lang voire lui est supérieur en bien des points.

La version de 31 doit sa postérité à la lecture pré-nazie qui en a été faite par la suite, à la géniale interprétation de Peter Lorre et à des trouvailles visuelles et sonores marquantes. Néanmoins ces trouvailles peinent à se fondre dans un tout organique et l’ensemble souffre des hésitations des débuts du cinéma parlant. Ainsi des scènes de réunions bavardes qui encombrent le film plus qu’elles ne l’enrichissent. Dans cette version originale, le portrait du criminel pulsionnel ne manque pas de force mais la critique sociale convainc moins. Ainsi, la pègre est désignée en tant que tel mais n’agit pas franchement en tant que tel. On ne voit jamais les gangsters effectuer de mauvaises actions, d’où une analogie pègre/police qui reste facile, littérale et finalement stérile.

Au contraire, chez Losey, les gangsters tabassent violemment le gardien du centre commercial dans lequel le tueur s’est réfugié afin de lui faire avouer s’il a des collègues. Pour un gangster, la fin justifie les moyens y compris la torture d’un brave type. L’ambiguïté morale a ici une toute autre portée que chez Lang. De plus, et c’est là la différence majeure avec le scénario de l’original, les motivations des truands sont également plus précises et plus claires: en arrêtant le tueur, la mafia s’entend avec la presse pour qu’elle les soutienne lors d’un futur grand jury. La gangrène qui ronge tous les niveaux de la société américaine est donc montrée clairement. Car c’est bien une attaque de la société américaine qu’ont entrepris Seymour Nebenzal, le producteur du M original alors troublé par la ressemblance entre l’Amérique maccarthyste et l’Allemagne dépeinte dans le film de 1931, et Joseph Losey, alors sympathisant communiste.

Ils ont oeuvré dans le cadre du film noir, genre qui était alors à son apogée. La vérité des décors urbains naturels se conjugue admirablement à l’abstraction de cadrages nus et contrastés. La facture visuelle est impeccable et, en plus d’être plus percutant politiquement parlant, ce remake s’avère plus fluide que l’original. On signalera tout de même deux regrettables concessions à la mode hollywoodienne: d’abord une caractérisation psychanalytique ridicule du tueur. La séquence qui le voit couper la tête d’une poupée en papier devant une photo de sa maman est pour le moins navrante. Pour le coup et malgré sa voix étrange, David Wayne ne fera pas oublier Peter Lorre. Ensuite, les auteurs ont trouvé le moyen de terminer le procès final par un happy end qui, en quelque sorte, dédouane les lyncheurs. Ce qui atténue la puissance expressive de ce polar par ailleurs génialement subversif.

L’implacable (Cry danger, Robert Parrish, 1951)

Sorti de prison, un homme injustement condamné tente d’extorquer de l’argent au caïd par qui il a été roulé.

Cry danger est un petit film noir indépendant tourné dans les rues de Los Angeles. Des dialogues piquants signés Williams Bowers, le charme de Rhonda Fleming, une formidable séquence de roulette russe et une fin étonnamment désenchantée le sauvent de la plus pure des banalités. Pas mal.

Le kimono rouge (Samuel Fuller, 1959)

Comme l’indique l’affiche, Fuller a réalisé le premier film hollywoodien avec un homme d’origine asiatique qui finit avec une caucasienne. C’est qu’il a utilisé le cadre conventionnel du polar pour réaliser un vrai film d’amour, un film dans lequel, comme souvent chez lui, ce sont les passions qui sont le moteur de la narration. L’intrigue prétexte est une enquête sur un meurtre mais le sujet du film est en fait l’éveil des sentiments du policier japonais pour une femme qu’il se croit interdit d’aimer. Sa subjectivité faite de morale étouffante et surannée, de désir amoureux et de camaraderie (l’homosexualité est même clairement suggérée au début) va le mener à des actions qui lui paraîtront absurdes une fois qu’il aura retrouvé une certaine sérénité.
Et comme Le kimono rouge reste un film policier et que Samuel Fuller n’est pas Douglas Sirk, c’est d’abord l’action qui traduit ce tourbillon émotionnel. A la violence des sentiments du héros répond celle de ses poings (voir par exemple la tournure du combat de kendo avec son collègue). Le style fiévreux et droit au but du cinéaste, son découpage inventif qui n’hésite pas à briser la continuité des séquences de poursuite pour se focaliser sur les actions (utilisation délibérée du jump-cut un an avant A bout de souffle), ses travellings géniaux qui ne sont pas là pour tisser une ambiance mais là encore pour cerner l’action au mieux, sa démesure dans les scènes de violence font du Kimono rouge un des films les plus percutants qui soient. Ici et plus qu’ailleurs, le cinéma, c’est l’émotion. Une émotion qui n’altère jamais la dignité des personnages. Du grand Fuller.