L’armée du crime (Robert Guédiguian, 2009)

L’histoire des résistants, immigrés et communistes, du groupe Manouchian.

Au début du film, il y a un plan de soldats allemands devant la Tour Eiffel avec, en fond sonore, l’Internationale, puis un journal commence à apparaître en surimpression. Un bref instant, j’ai cru Robert Guédiguian capable d’ironie et de subtilité, pensant qu’il faisait allusion au pacte germano-soviétique et à la demande de reparution de L’Humanité aux autorités allemandes en 1940. Las! C’est en fait l’opération Barbarossa qui est ainsi, hyper conventionnellement, évoquée. L’absence de rigueur dans la chronologie avait pu m’induire en erreur mais pas la mise en scène de Guédiguian qui se borne à une illustration de la légende, ainsi qu’il le revendique lui-même à la fin de son film.

Ce mépris de la vérité historique engendre deux problèmes cinématographiques. D’abord un déficit de justesse dans la reconstitution, notamment dans la façon dont les personnages s’expriment: comme des jeunes -quand ce n’est pas comme des éditorialistes de gauche- d’aujourd’hui. Ensuite, et c’est encore plus fâcheux que ce dernier décalage auquel le spectateur s’adapte finalement, la réduction de la complexité de l’Histoire à une leçon d’éducation civique simplifie éhontément la dramaturgie: l’attentisme communiste avant juin 1941 est escamoté, le débat interne à la Résistance sur l’assassinat de soldats allemands -et les représailles alors engendrées- n’est qu’effleuré (l’objectif politique du PC n’est même pas même dit), le refus de la direction du PC de replier le groupe affaibli n’est pas évoqué…

En résulte une fresque aux effets faciles quoique parfois irrésistibles (la Passion selon Saint-Matthieu pour illustrer le calvaire des résistants), prévisible mais prenante. Ceci essentiellement grâce au remplissage d’une condition nécessaire à la réussite d’une telle épopée: les notations intimistes, qui peuvent sortir le film de ses rails propagandistes (voir l’ambiguïté du personnage malheureusement secondaire de Darroussin) et qui sont ce qu’il y a de plus réussi dans le film, notamment grâce à l’excellence des comédiens; plaisir de revoir Virginie Ledoyen, chargée de fond de teint pour faire croire qu’elle est arménienne mais toujours sublime.

Femme entre chien et loup (André Delvaux, 1979)

De son mariage en 1939 jusqu’à 1954, l’itinéraire d’une femme mariée à un nationaliste flamand engagé aux côtés des Allemands sur le front russe et qui eut une liaison avec un résistant planqué chez elle.

« Itinéraire » est un bien grand mot dans la mesure où le personnage évolue peu et demeure politiquement et psychologiquement pas très consistant. Fidèles à leur titre, les auteurs s’intéressent à une femme soumise à des forces antagonistes qui a peu de prises sur son destin. L’évocation du contexte historique se borne à quelques allusions et l’essentiel du film se déroule dans le foyer. Contrairement à ce que disait Michel Mourlet dans sa critique, le personnage du collabo n’est guère approfondi, restant dans son stéréotype de réprouvé aigri. D’irritants fondus au noir qui interviennent, dans la grande tradition d’une soi-disant modernité cinématographique, juste avant l’acmé des séquences, altèrent la fluidité du récit en même temps qu’ils neutralisent la dramaturgie.

En résulte un film trop mou compte tenu de son passionnant sujet (la présence de Rutger Hauer et l’ancrage flamand évoquent évidemment Paul Verhoeven) mais digne, notamment grâce à de beaux cadres larges, à la justesse parfois percutante des scènes prises isolément et à une Marie-Christine Barrault parfaite dans son rôle « koulechovien » (le champ sur une horreur de la guerre/contrechamp sur son visage -expressif mais pas trop- revient souvent dans le film).

Section spéciale (Costa-Gavras, 1975)

En août 1941, la mise en place des tribunaux spéciaux de Vichy pour réprimer les attentats contre les soldats allemands.

Le florilège de seconds rôles rend plaisant le visionnage de ce film didactique aux ficelles d’écriture et de mise en scène parfois un peu grosses même si ça aurait pu être pire. La pédagogie n’occulte pas le sens dramatique, qui repose notamment sur la réticence -vaincue ou non- des magistrats à assumer la parodie de justice.

Lettres d’amour (Claude Autant-Lara, 1942)

Dans une préfecture sous le second empire, une jeune postière réceptionne les lettres d’amour de la femme du préfet…

Comme dans Le mariage de Chiffon, la quasi-insignifiance du prétexte n’empêche pas une grande richesse narrative; bien au contraire. Derrière le complexe entrelacs amoureux pointe une vision assez acide de l’opposition entre l’aristocratie et la bourgeoisie marchande en province. La beauté juvenile du couple Odette Joyeux/François Périer, les seconds rôles bien croqués, le rythme impeccable, la perfection des décors et costumes, la légèreté ironique teintée d’un soupçon de mélancolie font de Lettres d’amour un beau témoignage du classicisme français sous l’Occupation.

La neige était sale (Luis Saslavsky, 1953)

Le fils d’une prostituée fait fortune sous l’Occupation.

Concentré des pires tares de la « qualité française »: tout réalisme de contexte est éludé au profit d’une psychologisation de l’origine du Mal des plus conventionnelles, les nuances sont absentes et la noirceur est aussi appuyée que déconnectée de toute sorte de vérité. Tout est lourd, faux, détestable de bassesse et de stupidité.

Le franc-tireur (Jean-Max Causse et Roger Taverne, 1972)

En juillet 1944, un jeune homme rejoint le maquis du Vercors après l’attaque de la ferme de sa grand-mère par les Allemands.

Les péripéties sont répétitives et la distribution est inégale mais l’appréhension des paysages et de l’action s’y déroulant est digne de Anthony Mann. Le fondateur des cinémas Action a bien retenu les leçons des maîtres qu’il a contribué à faire connaître. L’interdiction de sortie pendant trente ans étonne car le film, sans être glorificateur, n’est guère subversif et semble historiquement juste (par exemple, la vision d’Alger par les résistants est frappée au coin du bon sens étant donné le point de vue qui est celui du maquis).

La guerre d’un seul homme (Edgardo Cozarinsky, 1982)

Confrontation entre des images d’archive de la seconde guerre mondiale et les journaux de Ernst Jünger, alors commandant de l’armée allemande à Paris puis sur le front de l’Est.

L’extrême rapidité du défilement des images et du commentaire -le second étant a priori  décorrélé des premières- rend le film assez difficile à suivre malgré que sa matière en soit digne d’intérêt. Au moins, pour peu que l’on ne décroche pas, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Il y a notamment un extrait terrible du procès de Bernard Natan. La juxtaposition du texte de Jünger sur les images a parfois du sens mais l’absence d’explication de sa terminologie poétique (« lémurs=nazis »…) fait vraiment de ce documentaire, pourtant produit par la télé française, un film destiné au « joyeux petit nombre » et interroge quant à son objet véritable.

Jericho (Henri Calef, 1946)

Le 6 juin 1944 dans une ville du nord de la France, cinquante otages sont arrêtés pour empêcher qu’un train crucial de l’Armée allemande ne soit neutralisé par la Résistance.

Une célébration de la Résistance et de la RAF qui, même si elle été réalisée au lendemain de la guerre, s’avère d’une grande subtilité. D’abord, la construction du récit est originale: l’absence de héros et la multiplicité des protagonistes permettent de varier les situations dramatiques aussi bien que d’éviter le romanesque de pacotille. Une technique sûre d’elle-même, pleine de mouvements d’appareil, fait le liant. Ensuite, les auteurs font preuve d’une belle hauteur de vue: à l’exception du trafiquant joué par Pierre Brasseur, aucun personnage n’est caricaturé et l’oeuvre s’attache plus à restituer la complexité de dilemmes tragiques qu’à asséner des vérités politiques. Par ailleurs, il y a une richesse et une finesse dans les détails qui renouvellent régulièrement l’intérêt au-delà du déroulement de l’arc narratif principal: le digne personnage de Larquey qui aurait pu si facilement sombrer dans le mauvais pittoresque, la scène vertigineusement ambivalente de la confession, le pendu…Enfin, le tout est transfiguré par l’extraordinaire morceau de bravoure final qui, aussi véridique et attendu soit-il, n’en donne pas moins des allures de film de miracle hollywoodien à la chronique de l’Occupation. Pour toutes ces raisons, Jericho est un bien beau film.

Drôle de jeu (Pierre Kast, 1968)

Pendant l’Occupation, un mouvement de résistance communiste est confronté à la capture d’un des siens.

Le seul intérêt du bouquin atrocement didactique de Roger Vailland résidait dans le noeud de l’intrigue qui apparentait son tract communiste aux grands mélodrames romanesques. Malheureusement, pour son adaptation, Pierre Kast a préféré retenir les tirades abondantes et ronflantes du héros que de jouer sur le potentiel tragique du récit. Probablement ce piètre metteur en scène en aurait-il été incapable, tel qu’en témoigne la platitude de son filmage, la grisaille de son image, la neutralité forcenée de ses acteurs (désastreuse influence de Bresson), l’absence totale de souffle dramatique. Pour parachever, précisons que Maurice Garrel n’est pas crédible du tout en libertin.

Le chemin des écoliers (Michel Boisrond, 1959)

Pendant l’Occupation, un lycéen dont le père est honnête gagne beaucoup d’argent en faisant du marché noir.

Le noir roman de Marcel Aymé a beau avoir été transformé en une comédie inoffensive, l’étincelante distribution maintient cette comédie vivante et le rythme ne s’enlise pas (le tout a le mérite de durer moins de 80 minutes). Edulcoré mais pas mauvais.

Le bal des pompiers (André Berthomieu, 1949)

Entre mai 1944 et janvier 1946, la trajectoire de plusieurs membres d’une famille de la banlieue parisienne.

Les origines théâtrales du film se font ressentir à travers certaines tirades trop explicito-théoriques et certains rebondissements qui tombent trop à pic pour être honnêtes. Claude Dauphin joue trois rôles. Qu’il s’agisse du dramaturge opportuniste calqué sur Sacha Guitry ou du prisonnier de guerre, il est parfait lorsqu’il interprète un homme de son âge. Cependant, lorsqu’il se grime pour jouer le grand-père, son cabotinage consterne. Autour de lui, Paulette Dubost est moins piquante qu’elle ne le fut, Robert Arnoux parvient à insuffler une réelle sympathie à un profiteur qui préfigure l’antihéros du génial Au bon beurre de Dutourd, Henri Crémieux amuse en larbin qui revêt son uniforme de lieutenant le jour de la Libération et la gouaille de Pierre-Louis sied tout à fait au Français libre qu’il incarne.

Retournements de veste et faiblesses humaines occasionnées par le vent de l’Histoire sont judicieusement retranscrits, sans excès misanthrope. Même si la savoureuse férocité de certaines répliques annonce Papy fait de la Résistance, la satire est équilibrée par la tendresse et la tristesse. Adroitement, l’élégie nuance le cynisme. Au niveau formel, la vivacité du rythme et la qualité de la composition des images en intérieur révèlent le talent classique de André Berthomieu. Bref, Le bal des pompiers est une oeuvre que René Chateau a bien fait d’exhumer.

Premier bal (Christian-Jaque, 1941)

Au pays basque, les deux filles d’un doux rêveur, une s’identifiant aux stars de cinéma et une autre se passionnant pour les animaux, se préparent pour leur premier bal…

Aux côtés par exemple du Mariage de Chiffon, Premier bal est un parfait représentant de ce vibrant classicisme à la Française qui trop vite vira à l’académisme. Que ce soit la demeure bucolique qui sert de cadre à la majeure partie de l’intrigue, la musique de Van Parys, les dialogues ciselés de Spaak ou la grande finesse de l’interprétation, tout, dans ce film, respire le bon goût, la tendresse et la délicatesse; ce sans escamotage de la matière dramatique tel qu’en témoigne la naturelle transition entre gaieté primesautière du film de jeunes filles en fleur et gravité profonde de la tragédie amoureuse. Un plan comme celui de Ledoux, magnifiquement émouvant, seul dans son fauteuil avec le chien succédant à une scène de dîner parisien fait basculer la tonalité sans que les mots ne soient nécessaires. Par ses virtuoses recadrages, la caméra de Christian-Jaque précise les ineffables enjeux du drame et empêche la chronique apparemment désuète de sombrer dans l’insignifiance. Quant au problématique et désagréable dénouement, il est certes conforme à l’idéologie vichyssoise mais également à la logique perverse du désir amoureux. Un des plus beaux films sortis sous l’Occupation.

1 homme de trop (Costa-Gavras, 1967)

Dans les Cévennes, des maquisards délivrent douze prisonniers mais un intrus s’est glissé parmi eux.

1 homme de trop n’est pas un film « sur la Résistance » mais est un film où la Résistance sert de cadre à l’exploitation de recettes d’écriture conventionnelles (le suspense autour de la botte allemande…) et de procédés spectaculaires (le film est une succession de coups de mains) qui nuisent à la crédibilité et à la justesse des situations représentées. De plus, les ambitions « westerniennes » de Costa-Gavras ne sont pas vraiment concrétisées faute de rigueur dans le découpage (l’introduction est d’une lamentable confusion). Les mouvements d’appareil abondent et ne sont pas toujours justifiés mais engendrent parfois des effets intéressants: ainsi du rapide éloignement de la caméra lorsque le camion poursuivi sort de la route de montagne qui étonne tout en précisant la topographie. Bref, 1 homme de trop est une superproduction qui se laisse regarder, notamment parce que son rythme est haletant, mais qui ne joue pas dans la même catégorie que L’armée des ombres.

La confession (Nicolas Boukhrief, 2017)

Sous l’Occupation dans un village français, une postière communiste provoque le nouveau prêtre, jeune et séduisant.

En adaptant Léon Morin prêtre, le roman de Béatrix Beck, Nicolas Boukhrief confirme que son talent ne se limite à la confection de polars. Son tact, matérialisé notamment par son sens de l’allusion et par la finesse dialectique du montage, est immense et confère une grande justesse à sa représentation des Françaises soumises à l’Occupation allemande.

Les dialogues entre le prêtre et la communiste sont toujours aussi forts mais  je ne me souviens pas que l’arrière-plan avait une telle présence dans le film de Jean-Pierre Melville. Cela rend la conversion de l’héroïne encore plus complexe et intéressante car la corrèle à son combat résistant. En effet, c’est une excellente idée que sa crise mystique soit provoquée par une messe en hommage à des otages fusillés. A ce moment, la communauté nationale se fond complètement dans l’église (dans les rues du village, il n’y a plus que les soldats allemands) et son bouleversement intime est causé autant par la liturgie catholique et le charisme du prêtre que par le drame collectif. Quant aux interprètes, la barbe va bien à Romain Duris et Marine Vacth est une révélation.

On pourra regretter l’inutilité et la fausseté de la structure en flash-backs (puisque le point de vue des séquences dans le passé n’est pas toujours celui de l’héroïne) et noter une baisse de rythme vers le milieu du film mais il n’en reste pas moins que la condescendance des critiques est déplacée: la beauté un brin affectée de la photographie n’empêche pas que la mise en scène de Boukhrief, axée autour d’une caméra très souple et évitant le champ-contrechamp malgré l’importance du dialogue, soit infiniment plus vibrante et attentive que celle de James Gray dans son dernier film, aussi encensé qu’amidonné.

Un ami viendra ce soir (Raymond Bernard, 1946)

Dans les Alpes sous l’Occupation, un chef de la Résistance se cache dans un asile…

Le manichéisme du discours, l’extrême caricature des personnages allemands, certes excusables compte tenu de l’époque du tournage, mais aussi et surtout la poussiéreuse dramaturgie reposant sur un mystère sans intérêt (« qui est le commandant parmi les fous? ») et la vaine hystérie de la mise en scène (acteurs en roue libre, contrastes saugrenus et cadrages de traviole) rendent ce film irregardable aujourd’hui.

Le jour et l’heure (René Clément, 1963)

Pendant l’Occupation, une grande bourgeoise est amenée par un concours de circonstances à aider des aviateurs américains.

Dans ce bref synopsis, la locution importante est « concours de circonstances ». La vision de la Résistance est ici à l’opposé de la solennité d’un Melville. Les détails concrets qui montrent tout le caractère laborieux et hasardeux du travail clandestin (liaisons, planques, interrogatoires, fuites préparées) sont ce que Le jour et l’heure contient de plus réussi et de plus intéressant. Malheureusement, Roger Vailland a également insufflé à cette rencontre entre la Française et l’Américain un improbable parfum romanesque que la rigidité appliquée de René Clément, pas aidé par le médiocre Stuart Whitman, échoue à rendre convaincant. Par ailleurs, de regrettables conventions (la sale gueule du gestapiste) subsistent et achèvent de transformer la volonté de réalisme en velléité.

Péchés de jeunesse (Maurice Tourneur, 1941)

Au soir de sa vie, un jouisseur cynique entreprend de renouer avec ses enfants naturels.

Quoique produit par la Continental, Péchés de jeunesse a toutes les caractéristiques du pire cinéma vichyssois: il dégouline de mièvrerie et de moraline tout en étant terriblement fade. Que ce soit les motivations du personnage principal ou la structure de film à sketches qui permet à Albert Valentin (le roi des fausses bonnes idées de scénario) d’aligner platement divers clichés, tout, dans le récit de cette prise de conscience paternelle, est cousu de fil blanc. Toutefois, Harry Baur, plus sobre qu’à l’accoutumée, s’en tire pas trop mal.

Voyage sans retour/Ce n’est qu’un au revoir (Till we meet again, Frank Borzage, 1944)

En France occupée, une nonne aide un pilote américain tombé dans son couvent à s’échapper…

Il est étonnant de voir combien, même lorsqu’il réalise un film de propagande a priori aussi standardisé que le tout-venant hollywoodien de l’époque, Frank Borzage reste Frank Borzage. Le background du pilote américain est très stéréotypé et quelques passages obligés relatifs aux barrages allemands ou aux maquis de résistants sonnent faux mais l’abstraction poétique de la mise en scène (décors de studio particulièrement bien mis en valeur par le beau clair-obscur de Theodor Sparkuhl) isole les deux personnages de leur environnement et donne à leur fuite un caractère d’absolu qui transcende le temps et l’espace.

De la scène sublime de la mort de la mère supérieure où la transmission du flambeau de la Résistance est rendue évidente, sans être explicitée, par la composition visuelle jusqu’à ce plan de la jeune femme marchant vers ses bourreaux d’un pas décidé -plan préfigurant la fameuse fin de Frontière chinoise-, Till we meet again peut et doit être vu comme un parcours spirituel au terme duquel l’héroïne, interprétée par la jeune et fraîche Barbara Britton, se retrouvera elle-même. Ce n’est pas par des métaphores sulpiciennes éculées que Frank Borzage retranscrit ce parcours, qui n’a rien d’un chemin de croix, qui a sa part de sensualité et qu’on ne peut rattacher à aucune chapelle religieuse, mais par l’immense douceur de son style* et par une vision de l’amour transcendant qui lui est propre. Comme tous ses chefs d’oeuvre, Till we meet again est une histoire d’amour. Et pourtant, l’homme restera fidèle à son épouse; et pourtant, les amants ne « consommeront » pas ni même n’auront l’idée de « consommer »; et pourtant, ce renoncement à la chair ne sera pas un problème. C’est tout le génie poétique de Frank Borzage que de faire accéder l’amour à une réalité supérieure sans jamais paraître niais.

*Frank Borzage s’avère ici un des très rares réalisateurs de film de propagande anti-nazi à avoir évité la caricature jusque dans ses peintures d’officier allemand (voir la réaction du major après la bavure de ses troupes)

Le jardin des plantes (Philippe de Broca, 1994)

Après que son père trafiquant du marché noir a été fusillé par les Allemands, une petite fille est recueillie par son grand-père, naturaliste en charge du Jardin des plantes…

Ce téléfilm est une des oeuvres les plus personnelles et les plus achevées de Philippe de Broca. La facture, avec une lumière aussi travaillée que les mouvements de caméra, n’a rien à voir avec celle de Navarro. L’absence de concession de l’exposition, dont le ton est très grave, montre combien ce film tenait au coeur de son auteur. Le « je suis prêt à vous vendre des Juifs » hurlé par le père qui espère sauver sa peau devant ses bourreaux manifeste une audace aussi profonde que discrète de la part du scénariste et réalisateur. C’est avec beaucoup de finesse que seront ensuite montrés les mensonges dans lesquels se réfugie le grand-père pour oublier une réalité absolument insupportable.

Dans le contexte de l’Occupation allemande, l’archétype cher à de Broca du mélancolique confronté aux soubresauts du monde prend une dimension tragique. Il est remarquable que le cinéaste parvienne à maintenir l’équilibre entre cette dimension tragique prise à bras le corps et la légèreté, ce mélange d’humour, de fantaisie et de tendresse qui a toujours été sa marque de fabrique et qui demeure heureusement présent ici. L’interprétation de Claude Rich concourt évidemment à cette merveilleuse alchimie. Face à lui, Salomé Stévenin , 9 ans à l’époque, se tire très bien d’un rôle pas évident du tout.

Cette légèreté vivifie le rythme des images, empêche l’appesantissement et fait apparaître plusieurs des plus beaux instants du film comme comme saisis à la dérobée. Ainsi, la tonalité onirique du plan du grand-père et de sa petite fille sur le toit de la pension restera t-elle une tonalité et cette image ne fera pas dévier le cours du film vers une songerie hors de propos. Cette sobriété dans l’invention stylistique, cette humilité du regard, sont une évidente manifestation du tact de Philippe de Broca. Un tact sensible jusque dans les détails les plus anodins. Voir ainsi comment la mise en scène intègre l’handicapé mental à la petite famille: le plus naturellement du monde.

Bref, en dépit d’un dénouement qui accumule les facilités d’écriture au détriment d’une crédibilité jusque là maintenue, Le jardin des plantes demeure le film le plus émouvant de Philippe de Broca. Peut-être parce que c’est la plus récente de ses grandes réussites, il fait particulièrement réaliser combien cet auteur, noble et populaire, manque au cinéma français.